Politique amont Hennessy : le triptyque quantité, qualité et viticulture durable

15 mai 2018

À quelques jours de la traditionnelle « grand-messe » de la Sica de Bagnolet et des rencontres Partenaires, Florent Morillon, le directeur Amont de la Maison Hennessy et Arnaud Camus responsable de la communication viticole ont voulu préciser les grandes lignes de la stratégie amont du premier acheteur de Cognac. Contractualisation des plantations nouvelles, accompagnement vers une viticulture plus durable, investissements dans la recherche, renforcement des équipes terrain, extension de la politique contractuelle,… Dorénavant, il ne suffira plus de bien payer les eaux-de-vie aux viticulteurs pour les fidéliser. À l’image des outils de promotion des ventes, la maison a construit tout un package d’outils de « promotion des achats ». À travers ces services, la maison Hennessy entend bien faciliter la vie de ses partenaires et les aider à relever les défis de demain pour faire continuellement progresser les ventes du groupe et plus largement celles du Cognac.

LPV : Que vous inspire le marché du Cognac en ce moment ?

Florent Morillon : La filière vit un contexte économique sans précédent. Les progressions des dernières années sont tout à fait remarquables et nous avons dépassé le seuil de 3 milliards de chiffre d’affaires et de 200 millions de bouteilles avec des ventes qui progressent dans le monde entier. Ce sont des résultats que beaucoup de secteurs agricoles et industriels nous envient. Pour l’avenir, les perspectives sont également très bonnes tant pour notre maison que pour la filière tout entière. L’ensemble des négociants ont une vision partagée sur les perspectives qu’offre la filière. Chacun est conscient que nous ne pourrons pas collectivement maintenir des taux de progression à deux chiffres, mais nous pensons qu’une progression de l’ordre de 3 à 4 % par an est tout à fait envisageable et raisonnable dans le contexte économique actuel.

 

LPV : Qu’est-ce que cela implique sur le long terme ?

Florent Morillon : Si nous maintenons cette cadence, cela conduit à un doublement des ventes actuelles à horizon 25 ans. Ce chiffre peut paraître énorme dans notre giron Cognaçais mais prenons un peu de hauteur pour nous placer au niveau mondial, notre marché : Aujourd’hui, sur 100 bouteilles de spiritueux commercialisées sur la planète, seulement 0,8 sont du Cognac ce qui veut dire que si nous multiplions nos ventes par deux, notre part de marché demeurera excessivement faible à l’échelle du globe. Même constat en matière de vignoble, Cognac qui ne couvre que 1 % du vignoble mondial ne peut pas rester figé dans un marché mondial en pleine expansion. Les pays émergents, nos concurrents, ne sont pas figés sur leur potentiel. Le vignoble Chinois, par exemple, se développe très rapidement et a pris en 2016 la 2e place mondiale devant la France.

 

LPV : Quelle est donc votre stratégie amont pour y parvenir ?

Florent Morillon : Je pense que les clés de la réussite du challenge qui nous attend reposent sur trois piliers. Les quantités : Nous devons nous doter d’un outil de production à la fois performant et en phase avec nos ambitions de développement. La qualité : Nous nous devons d’être intransigeants sur ce point pour confirmer notre reconnaissance au niveau le plus exigeant des spiritueux mondiaux. L’environnement : Nous devons poursuivre nos efforts pour tendre vers l’excellence environnementale car c’est devenu une attente prioritaire pour la société.

 

LPV : Qu’entendez-vous par « outil de production performant » ?

Florent Morillon : Je parle de la lutte contre le dépérissement du vignoble et du renouvellement. Les efforts d’entreplantation fournis par les vignerons charentais ont été très importants depuis plusieurs années, il suffit de se déplacer dans le vignoble pour le constater ! Mais malgré Cela, le taux d’improductifs (pieds morts, malades, manquants, premières feuilles) continue de progresser. En 4 ans, nous sommes passés de 14 à 18 % de ceps improductifs. Les derniers contingents de plantations nouvelles compenseront à peine ce manque. Le maintien de la productivité passe par le remplacement des pieds morts mais nous devons aussi nous attaquer à la cause de cette mortalité et nous menons des travaux de recherche pour lutter contre ce phénomène très inquiétant. Concernant le taux de renouvellement du vignoble, nous avons peut-être, là aussi, une marge de progression. Nous étions tombés à 1,2 % il y a quelques années et nous sommes aujourd’hui remontés à 3,3 %. Mais il semble que cela soit encore faible car les rendements sont structurellement en régression. La moyenne régionale des 5 dernières récoltes est actuellement de 10,3 hl/ha. Bien sûr, nous avons essuyé de nombreux aléas climatiques mais il me semble que nous avons là une autre possibilité d’optimiser la production.

 

LPV : Parlez-nous de votre objectif concernant les plantations nouvelles ?

Florent Morillon : On ne se fige pas dans le marbre un objectif sur le long terme. L’idée est plutôt de construire en fonction de nos observations et de nos prévisions un programme réaliste. C’est le rôle du Business Plan Au niveau de la filière, il faut beaucoup échanger et trouver un juste compromis entre les ambitions du négoce et les possibilités de la viticulture. À l’interprofession, chacun essaie de faire preuve de transparence pour mieux faire connaître ses perspectives. Chaque famille a besoin d’appréhender de façon précise les ambitions de l’autre pour avancer sans crainte dans ce projet commun. Sur le plan de la relation individuelle avec nos apporteurs, nous apportons des garanties en contractualisant systématiquement les nouvelles superficies plantées chez nos livreurs, avant même qu’elles ne produisent…

 

LPV : Et dans le cas où il existe plusieurs acheteurs chez le viticulteur ?

Florent Morillon : Aucune règle n’est écrite, bien sûr, car le marché reste ouvert et le viticulteur est libre de contractualiser là où les conditions et la pérennité du contrat lui semblent les meilleures.

Arnaud Camus : Ce qui est important pour nous, c’est que nos partenaires s’approprient le dispositif et sollicitent de nouveaux hectares à planter. L’an passé, au niveau régional, 50 % des viticulteurs ont sollicité de nouvelles autorisations. Nous n’avons pas d’idée précise sur les raisons qui ont prévalu à ce score, et nous essayons de convaincre l’ensemble des viticulteurs du bienfondé de l’extension du vignoble, et de l’intérêt de déposer un dossier de demande.

 

LPV : Revenons à la question de la mortalité des pieds de vigne, vous financez un ambitieux programme de recherche sur les maladies du bois, je crois ?

Florent Morillon : Oui effectivement, l’idée a été lancée à l’occasion des 250 ans de la maison Hennessy. Pour marquer l’évènement, Hennessy a souhaité apporter une contribution à la filière par le financement de travaux de recherche qui participeraient à la transmission du patrimoine Cognacs pour les générations futures. L’idée était de lancer un projet d’envergure au service de toute une filière et qui marque l’histoire. Un peu à l’image des travaux de recherche financés par la famille Hennessy à l’époque du phyloxéra.

Arnaud Camus : L’appel à projets représentait, à l’origine, un investissement de 600 000 € sur 3 ans. C’était suffisamment conséquent pour permettre de constituer un collectif de 8 contributeurs parmi les meilleures unités de recherche du monde entier. Forts de ce succès, nous avons présenté ce projet à l’agence nationale de la recherche (ANR) pour envisager un cofinancement et étendre les travaux de recherche.

 

LPV : Un cofinancement public privé au service de la viticulture mondiale ?

Arnaud Camus : Oui, c’est l’idée. Pour l’anecdote, lors de la présentation de notre dossier à l’ANR, il y a eu comme un quiproquo avec le jury qui nous recevait. D’habitude, les porteurs de projets négocient la répartition des bénéfices potentiels issus de ces travaux de recherche. Mais, dans notre cas, Hennessy ne demande pas d’exclusivité ni même de retour financier. Visiblement les cas de mécénat pur avec un tel niveau d’investissement sont plutôt rares… Au final, notre dossier est le premier de l’histoire où l’agence vient récompenser un projet dans le secteur agricole. Le financement de l’ANR va finalement doubler notre contribution pour atteindre 1,2 millions d’€uros de travaux de recherche répartis sur 5 ans. Le programme prend en compte toutes les pistes de lutte, qu’elles soient préventives, curatives ou prophylactiques et nous avons de bons espoirs d’aboutir à des solutions concrètes pour la viticulture.

 

LPV : Avez-vous d’autres projets de recherche et développement en cours ?

Florent Morillon : Un peu plus de 30 programmes sont en cours sur nos vignobles. Nous estimons que notre rôle est aussi de financer et de tester des projets innovants dans nos propres vignobles pour en vérifier la pertinence ou les limites. Nous avons testé les premiers pulvérisateurs confinés et nous avons équipé nos vignobles en totalité depuis près de 5 ans. L’an passé, nous avons investi dans un matériel de désherbage à très haute pression, le « grass Killer » pour le tester et nous en avons vu les limites. Enfin, nous venons d’acquérir le premier robot entièrement autonome dans le vignoble charentais. Il s’agit d’un matériel entièrement guidé par GPS, développé par Naio technologies dont les fonctionnalités ne sont pas entièrement opérationnelles à ce jour mais qui représente une excellente voie de modernisation de la viticulture pour demain. À travers l’acquisition de ce matériel, nous allons commencer, dès aujourd’hui, à développer les technologies que les viticulteurs charentais utiliseront peut être demain.

 

LPV : Tous ces projets s’inscrivent dans l’esprit d’une production plus durable.

Florent Morillon : Oui, je le disais tout à l’heure, nous avons tous besoin de réaffirmer notre engagement à protéger le milieu naturel. L’enjeu n’est pas seulement le devenir du Cognac, il en va de notre responsabilité sociale et sociétale. Personnellement, je vois cela comme une opportunité car cette nouvelle contrainte va faire évoluer dans le bon sens les métiers de la vigne. Cela va nécessiter plus de technicité, d’observation au vignoble et d’analyse. Des tâches qui généreront de la valeur ajoutée et, par conséquent, de l’attractivité pour le secteur viticole. J’entends parfois dire, « vous avez besoin de volumes en ce moment, donc l’environnement peut passer au second plan ». Ceux qui tiennent ce discours font fausse route car le respect de l’environnement, lorsqu’il est bien pensé, n’a pas de conséquences négatives ni sur la productivité des vignes, ni sur la qualité des produits, au contraire ! J’ai la même analyse pour ce qui concerne les coûts de production. La contrainte environnementale doit nous imposer d’abandonner nos préjugés et de penser autrement. Les investissements vertueux sont parfois très vite rentabilisés lorsque la technologie est bien pensée. J’en veux pour preuve les systèmes de pulvérisation à panneaux récupérateurs amortis en 5 ans grâce à l’économie des produits.

 

LPV : Toutes les maisons de Cognac font front commun pour faire bouger les lignes sur les pratiques environnementales. Quelle est votre approche chez Hennessy ?

Florent Morillon : Nous n’avons pas d’autre choix que d’avancer ensemble et vite ! L’important est de monter toute la viticulture charentaise au niveau 1 du référentiel viticulture durable pour générer un effet levier dans le vignoble. En ce qui concerne la stratégie amont de la maison Hennessy, nous intervenons de trois manières pour multiplier les initiatives à caractère environnemental. Il y a les questions qui relèvent de l’interdiction, de la recommandation ou de l’incitation. Par exemple, le désherbage total des superficies sous contrat avec notre maison est strictement interdit. C’est une clause de résiliation du contrat et nous sommes intransigeants sur ce point car nous considérons que ces « verrues » au cœur de notre vignoble ne sont aujourd’hui plus tolérables, ni pour notre environnement, ni pour l’image du Cognac. Nous intervenons aussi en faisant des recommandations à nos apporteurs. Ces dernières sont étayées par les résultats de nos propres expérimentations que nous essayons de vulgariser à travers nos différents moyens de communication et les forums techniques. Les traitements confinés avec panneaux récupérateurs sont clairement dans cette optique. Pour ce qui concerne les mesures d’incitation, nous accordons, dans certains cas des compléments de prix aux viticulteurs engagés dans des démarches vertueuses. Par exemple, les partenaires qui privilégient la livraison de leurs vinasses chez Révico plutôt que l’épandage bénéficient d’un complément de prix de 8 €hl ap à la livraison de leurs eaux de vie.

 

LPV : Revenons sur la question des coûts. Ne craignez-vous pas que toutes ces exigences qui nécessiteront plus de compétences, de temps de travaux et de nouvelles techniques impactent, in fine le prix des eaux-de-vie ?

Florent Morillon : Depuis 2011, les prix d’achat des EDV nouvelles par exemple, ont progressé de 27 à 28 %. Le prix d’une eau-de-vie de fins bois compte 00 est de 1 150 € dans notre maison, c’est un prix largement connu dans la campagne. Si on prend le cas d’un viticulteur qui récolte 11 hl d’alcool pur/ha, le chiffre d’affaires est de 12 650 €ha. Si on met ce chiffre en parallèle des coûts réels de production, il y a aujourd’hui beaucoup plus de marge de manœuvre en viticulture que par le passé. Pour mémoire, le BNIC évalue les coûts de production moyens régionaux aux alentours de 7 000 €ha… Prenons 8 000 € dans le cas d’un viticulteur qui se place au maximum des exigences environnementales. Au-delà du coût, nous avons conscience que nos livreurs émettent le désir d’être accompagnés sur les sujets les plus techniques tels que les mises aux normes, la qualité de ses productions ou le développement durable. Nous allons donc renforcer nos équipes pour leur proposer cet accompagnement.

 

LPV : Vous nous avez parlé du triptyque qualité/quantité/viticulture durable qui est à la base de votre stratégie amont. Quelle place occupe la qualité dans cet équilibre ?

Florent Morillon : Elle sera toujours prioritaire sur la quantité car nos marchés ne tolèrent aucun écart de notre part sur la qualité de nos produits. Parfois, on nous qualifie de très exigeants sur nos critères d’achats parce que nous estimons qu’il nous faut aller toujours plus loin pour nous maintenir au plus haut niveau. Le viticulteur charentais est un excellent vigneron, il est reconnu pour cela. Au niveau œnologique et des équipements des chais, nous avons constaté beaucoup de progrès ces dernières années mais nous pensons qu’il existe encore des voies d’amélioration dans certains chais comme sur la maîtrise des températures de fermentation et de conservation des vins. Pour certains problèmes récurrents, comme les notes « Champignon », nous conduisons des expérimentations pour apporter des réponses pragmatiques aux vinificateurs. Toutes ces voies d’amélioration sont portées par nos équipes sur le terrain. Nous allons d’ailleurs renforcer ces équipes car nos livreurs attendent que nous les accompagnions encore plus régulièrement sur ces sujets techniques. Nous estimons que cela fait partie de notre rôle dans le cadre de notre politique contractuelle.

 

LPV : À propos de la politique contractuelle, quelle est votre position sur un éventuel contrat-cadre interprofessionnel ?

Florent Morillon : La demande a été formulée par la famille de la viticulture et nous allons en discuter. En tant que directeur amont, je crois que le sujet est moins prioritaire en ce moment pour le Cognac contrairement à d’autres filières comme le lait, la viande ou les céréales qui étaient visées par les conclusions des états généraux de l’alimentation. La contractualisation pluriannuelle que nous proposons est la meilleure des motivations pour un viticulteur. C’est une donnée indispensable pour procurer de la visibilité aux entreprises dans leurs investissements et cela prouve que nos demandes de production supplémentaires correspondent à des perspectives fondées sur nos marchés. Les contrats couvrent des périodes longues de 3 voire 5 ans pour nos apporteurs exclusifs. Ils sont glissants, accompagnés de soutien technique, financier et même de primes incitatives pour faire évoluer les outils de travail vers une viticulture plus durable. Beaucoup des filières que je citais précédemment rêveraient de disposer de contrats de ce type. Je m’interroge donc sur l’intérêt de niveler tous les contrats en place sur un même modèle.

 

LPV : Avez-vous la volonté d’accroître votre potentiel d’approvisionnement au-delà de vos livreurs actuels et en particulier sur le cru des Bons Bois ?

Florent Morillon : Historiquement, notre maison s’approvisionne sur les 4 crus, quasi exclusivement. Le cru des Bons Bois peut répondre dans certains cas aux attentes de notre maison, et il n’y a pas de tabous sur le fait que nous achetons parfois des lots de Bons bois qui correspondent qualitativement à nos attentes. En ce qui concerne la contractualisation, nous expertisons au cas par cas les situations.

 

LPV : L’assemblée générale de la Sica de Bagnolet se tiendra cette année pour la première fois à Pont neuf, c’est un événement.

Florent Morillon : Oui, le site de Pont Neuf illustre à lui seul ce qu’ambitionne notre groupe pour le Cognac. Il était important pour nous de le présenter à nos partenaires pour qu’ils prennent pleinement conscience du cap que nous nous fixons. Les viticulteurs n’ont pas toujours, comme nous, une vision globale de ce qui se passe sur les marchés. Il est de notre responsabilité de les tenir régulièrement informés de nos activités pour les associer à nos ambitions.

 

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