La mise en œuvre d’une démarche de production de vins de qualité sur une exploitation spécialisée dans l’élaboration de vins de distillation et d’eaux-de-vie n’est pas toujours une chose facile car les objectifs de production et les impératifs sur les plans technique et commercial sont bien différents de ceux de la filière Cognac. Cela est sans aucun doute un des freins principaux au développement de la diversification au sein de la région délimitée. L’intérêt de nombreux viticulteurs pour la production de vins de qualité est véritable mais les spécificités liées aux plantations, à la conduite du vignoble, à la vinification et à la commercialisation s’intè-grent difficilement avec les méthodes de travail souvent plus extensives du vignoble, de la vinification et de la distillation de Cognac. M. Laurent Bastier, qui gère un vignoble d’une trentaine d’hectares à Gourvilette, a longtemps fait partie de cette majorité de viticulteurs charentais intéressés par le vin de qualité mais pas décidés à s’y engager. D’ailleurs, il ne cache pas que c’est un concours de circonstances dans le courant de l’année 2000 qui a déclenché la mise en œuvre de projets ambitieux. « Je ne cache pas que seul, je ne me sentais pas la capacité de porter un projet de transformation d’une partie du potentiel viticole de la propriété, car devenir producteur de vins de qualité est véritablement un autre métier sur le plan technique et surtout au niveau de la valorisation et de la commercialisation. Ce dernier aspect me paraissait difficile à aborder compte tenu de l’organisation actuelle de l’exploitation. En fait, c’est une discussion à bâtons rompus avec des amis proches tous amateurs de vin qui m’a convaincu de changer d’attitude. »
Un projet construit à partir d’une vigne « plaisir »
C’est en dégustant une bouteille de vin rouge de 1989 de la propriété que les deux amis de Laurent Bastier lui ont dit spontanément : « Ton vin rouge possède des caractéristiques que nombreux terroirs viticoles n’extériorisent pas toujours. » La discussion des trois amateurs de vins s’est concrétisée par une décision simple : « On va s’investir et t’aider dans la conduite de la parcelle de 0,50 ha de Cabernet et de Merlot pour faire notre cuvée spéciale. » Le viticulteur charentais a donc décidé de porter une attention particulière à la conduite de cette vigne plantée à 2,50 sur 1,20 m. La taille a été raccourcie, l’enherbement a remplacé le travail du sol pour maîtriser le tempérament de la parcelle, et tout cela a contribué à l’obtention de raisins bien mûrs. La contribution d’un nouveau complice à la conduite de cette « parcelle plaisir » a apporté une approche beaucoup plus professionnelle puisque M. Athanase Fakolleris est un œnologue reconnu.
Ce spécialiste, en visitant la parcelle au mois de juin, a décidé de lui administrer un traitement de choc : des interventions en vert (éclaircissage et vendange verte), deux effeuillages et une approche de la vinification beaucoup plus pointue. A la faveur d’un bel automne en 2001, les raisins bien aérés ont atteint un niveau de maturité inespéré auparavant. La récolte s’est faite à la main en clayette et un tri de la vendange a permis de valoriser pleinement la qualité des raisins. La vinification s’est déroulée dans un petit chai fonctionnel aménagé un peu dans l’urgence et une dizaine d’hl ont été produits. Aussitôt l’écoulage, les vins ont été mis en barriques neuves et au fil des semaines leur dégustation s’est révélée très surprenante. A la fin de l’année 2001, les quatre amis ont dégusté leur récolte et devant la qualité de la production, ils ont commencé à imaginer de pouvoir construire un projet vin de qualité plus ambitieux.
Les terres de groies : un terroir plein de promesses
L’objectif a été en 2002 de confirmer les potentialités du terroir et malgré un été déficitaire en soleil et en chaleur, les terres de groies caillouteuses ont permis de faire mûrir les raisins d’une façon très intéressante. Les interventions en vert, l’effeuillage ont permis d’obtenir des grappes avec de petites baies très concentrées. La matière colorante s’est presque extraite naturellement au cours de la vinification. Les raisins ont été récoltés en Merlot comme en Cabernet à plus de 13 % vol. et la vinification a été conduite avec encore plus de rigueur. Certes, l’arrière-saison a concentré les volumes mais dès l’écoulage, les vins possédaient une structure à la fois fruitée et complexe qui présageait de bonnes choses. La confirmation de la qualité du terroir de l’exploitation dans le contexte d’une année climatique plus difficile a conduit Laurent Bastier et ses trois amis à réfléchir plus sérieusement à leur démarche de production de vins.
Ils sont arrivés à la conclusion suivante, le terroir justifie un investissement dans un projet plus important et plus global moyennant un apport de capitaux et de savoir-faire suffisant. Le fait que deux des quatre associés soient immergés dans l’univers du vin, l’un au niveau de la production et l’autre au niveau de la commercialisation, a fortement influencé les choix au niveau de la définition du type de vins à élaborer et de l’approche marketing et commerciale. Laurent Bastier nous a expliqué que les discussions ont débouché sur un débat de fond au niveau de l’implantation du futur vignoble : « Il y avait deux alternatives, soit planter des vignes entre 4 000 et 5 000 pieds/ha comme tout le monde avec l’objectif de faire un bon vin mais dont les caractéristiques ne permettraient peut-être pas d’accéder à des niveaux de valorisation élevés, soit s’engager dans une démarche plus élitiste pour positionner le vin à un autre niveau sur le plan de la qualité comme du marketing. C’est ce second choix que nous avons retenu mais je reconnais que j’ai été le plus difficile à convaincre surtout quand on a abordé l’aspect densité de plantation. » Les quatre associés sont donc passés en 2003 du stade « de la vigne plaisir » à un investissement conséquent dans un vignoble de vins rouges haut de gamme de 3 ha.
Une densité DE 11 000 souches/ha qui répond à des objectifs plus marketing que techniqueS
La décision d’implanter un vignoble de Merlot et de Cabernet de 3 ha en cherchant à créer un climat de concurrence maximum entre les souches pour exploiter au mieux les potentialités du terroir. Le choix d’une très haute densité à plus de 10 000 pieds/ha (1,20 m sur 0,75 m) constitue, d’une part, un gage de qualité pour l’avenir en incitant les racines à descendre dans les zones plus profondes du sous-sol et, d’autre part, un choix en terme d’image de marque du vignoble. L’objectif est de favoriser une concurrence alimentaire maximum pour maîtriser les rendements et aussi obtenir des grappes ayant de petites graines qui soient peu sensibles aux effets de dilution à l’approche des vendanges. L. Bastier considère qu’à partir de 7000 pieds/ha, les aspects qualitatifs auraient pu être aussi bien maîtrisés ; et de par son expérience de gestionnaire de vignoble dans un contexte économique difficile, il sait ce que cela implique comme charge de main-d’œuvre et coût de production supplémentaire.
Le choix de 11 000 souches/ha repose principalement sur la volonté d’utiliser cette référence vigne comme un des outils marketing majeurs. La sélection du terroir a fait l’objet d’une attention particulière et après plusieurs investigations, le choix s’est porté sur une parcelle de coteau exposée qui porte le nom de Pique Russe (en patois charentais, le terme russe signifie rouge-gorge). Des recherches historiques ont mis en évidence qu’avant le phylloxéra, ce terroir était planté exclusivement en cépages rouges. La première tranche de plantation de 1,5 ha avec 16 000 plants de Merlot a été réalisée à la fin du mois d’avril, et l’année prochaine une deuxième tranche de même surface sera implantée (0,50 ha de Merlot et 1 ha de cabernet).
Sur le plan de la mécanisation, cette très forte densité constitue un handicap car aucun équipement présent sur l’exploitation ne permet d’intervenir dans la parcelle. L’acquisition d’un tracteur enjambeur n’est pas envisageable compte tenu du coût de ce matériel et de la surface à travailler insuffisante pour l’amortir. L. Bastier a opté pour une solution intermédiaire avec l’achat d’un micro-tracteur de 0,80 m de large (25 CV de puissance) pour réaliser les interventions culturales et les traitements. La première production de la parcelle de Pique Russe interviendra en 2005, mais ce nom va être utilisé comme marque commerciale pour vendre les petites productions de la parcelle pilote à 2,50 m d’écartement. Les deux petits lots des millésimes 2001 et 2002 ont été agréés en vin de pays charentais, et les premières bouteilles seront commercialisées dans le courant de l’été.
0 commentaires