Pineau des Charentes – Vins de liqueur d’AOC : La grève des taxes redémarre

12 février 2010

Réunis à Saintes le 15 janvier 2010, les producteurs de Pineau ont voté à l’unanimité la reprise de la grève des taxes, interrompue fin 2004. Ils s’élèvent contre la discrimination fiscale exercée à l’encontre des produits intermédiaires, exigent un aménagement de leur fiscalité sur le long terme et un arrêt immédiat de l’indexation des droits sur l’inflation. Leur souhait ! Que la grogne fiscale ne déclenche pas une « tempête dans un verre de vin »

Le dernier mouvement de grève des droits datait de 2003. Il avait duré 15 mois et les producteurs de VDL AOC avaient pris la précaution de le suspendre plutôt que de l’interrompre. Bien leur en a pris. Ils le reprennent aujourd’hui, poussés par un « ras-le-bol fiscal » de grande envergure. Il faut dire que la situation s’est encore dégradée. Au problème de fond touchant la fiscalité des produits intermédiaires sont venus s’ajouter deux événements majeurs : par ordre chronologique, la modification du mode d’élaboration de produits directement concurrents du Pineau des Charentes, qui leur valent aujourd’hui d’être taxés au tarif des vins, engendrant ainsi un problème majeur de distorsion de concurrence ; et l’apparition début 2009 du principe d’indexation de la fiscalité des produits alcoolisés sur l’inflation.

Mais revenons d’abord sur « l’incongruité fiscale » que constitue le niveau de taxation des produits intermédiaires. Alors que l’Europe, pour ces produits, fixe le seuil minimum de taxation à 45 € l’hl vol., la France a jugé bon de les fiscaliser à hauteur de 214 € l’hl vol. (aujourd’hui 229,63 € l’hl vol., « grâce » à l’indexation). Concrètement, la catégorie des produits intermédiaires, autrement dit les vins de liqueur, acquitte une fiscalité équivalente à 90 % de celle des spiritueux. Aberrant ! Les producteurs de Pineau ou de Floc crient au fou ! Mais un épisode va encore radicaliser une situation déjà tendue. En 2003, plusieurs apéritifs à base de vin (ABV), fiscalisés jusqu’alors comme le Pineau des Charentes, décident de changer leur processus de fabrication. Ils le peuvent, étant des produits industriels. Ce tour de passe-passe technologique (merci la cryoextraction) leur vaut de tomber au niveau de la fiscalité des vins (3,40 € l’hl vol.). Au passage, ils réalisent annuellement une économie fiscale de 60 millions d’euros. Les vins de liqueurs d’AOC restent, quant à eux, redevables d’un peu plus de 20 millions d’euros par an alors qu’ils sont beaucoup, beaucoup plus petits que les ABV. Trop c’est trop ! Sauf que les producteurs de VDL AOC ne sont pas au bout de leur peine. Sous la pression du ministère de la Santé, la loi de finance pour 2009 inaugure une machine infernale : le principe d’une indexation de la fiscalité des produits alcoolisés sur l’inflation de l’année N – 2. La loi de finance pour 2010 a « remis le couvert » sans même attendre que le projet de loi soit discuté en assemblées. Ce sera 2,8 % de plus. Mais 2,8 % sur 3,40 € l’hl vol. ou 2,8 % sur 214 € ne produisent pas le même effet. « L’indexation génère un fossé grandissant entre les produits. Elle pénalise de manière disproportionnée les produits déjà les plus fortement taxés. Si l’on a envie de voir disparaître les VDL AOC, il faut continuer ainsi ! » C’est vrai qu’à entendre les réactions de la salle, ce vendredi 15 janvier, on avait comme l’impression d’assister à un changement de braquet. Quand les producteurs parlent entre eux de la possible disparition de leur produit, un produit vieux de plus de deux siècles, on se dit que ce n’est pas du flan. Un jour ou l’autre, la peur les a effleurés. Indexation aidant, la filière a l’impression de jouer sa peau, sur facture.

le floc solidaire du pineau

A Saintes, salle du Vegas s’étaient déplacés environ 150 producteurs de Pineau ce vendredi 15 janvier 2010. A la tribune avaient pris place Christian Baudry (président du CNVDL AOC), Jean-Marie Baillif (président du Syndicat des producteurs de Pineau), Jean-Bernard de Larquier (président du Comité du Pineau), rejoints par Corinne Lacoste-Bayens, présidente du Syndicat des producteurs et du Comité du Floc de Gascogne.

« Que faire pour être entendu ! » s’est exclamée la salle. « Nous ne voulons pas être traités mieux que les autres, juste être traités comme tout le monde. » Les femmes, tout particulièrement, ont pris la parole pour dire leur lassitude de l’autisme des pouvoirs publics et leur envie d’en découdre. « Arrêtons d’être gentils, on ronronne. Servons-nous des médias nationaux pour dénoncer une situation intolérable. Allons brandir nos pancartes sur une place parisienne, sous l’œil des caméras. » Christian Baudry les a mis en garde. « C’est bien de prendre à témoin les médias mais il faut être prudent. Nos filières sont fragiles, très fragiles. Dès qu’elles bougent un peu, elles risquent de s’attirer les foudres du lobby anti-alcool. C’est pourquoi notre seul recours est de dénoncer l’injustice et la discrimination qui nous est faite. Quand nous avons sorti notre pavé dans les journaux, en novembre, nous avons bien pesé le texte, à la virgule près. »

A ce jour, les représentants de la filière sont plus partisans de communiquer auprès des décideurs, élus, hommes politiques, hauts fonctionnaires. « C’est bien connu, les édiles ont une peur bleue de la pagaille. Ce qu’ils recherchent, c’est la paix sociale. Ce serait dommage que l’obstination qu’ils mettent à ne pas régler notre problème fasse “lever un lièvre”, celui de la fiscalité d’autres produits viticoles par exemple. C’est vrai, à eux seuls, les VDL AOC ne représentent pas grand-chose. Mais c’est un peu l’histoire de l’aile du papillon qui, en battant, déclenche un séisme à l’autre bout du monde. Maintenant c’est à l’Etat de prendre ses responsabilités et d’émettre des propositions s’il ne veut pas courir le risque de se faire déborder par la question des accises. »

exit l’indexation

Que demandent les porte-parole du Pineau, du Floc, du Macvin et du Pommeau ? En ce qui concerne l’indexation, c’est clair, ils réclament son retrait immédiat pour les produits intermédiaires. Ils réfutent le principe de la double peine. En ce qui concerne la fiscalité proprement dite, Ils n’espèrent pas la voir baisser de moitié du jour au lendemain. Un plan de réajustement des taxes leur conviendrait bien, mais sur lequel le gouvernement s’engagerait de façon ferme et définitive. « Nous voulons que notre problème soit traité en profondeur, une fois pour toutes. » Concrètement, ils souhaitent un échéancier de baisse des taxes qui lierait par écrit l’actuel gouvernement et plus encore son successeur. En 2004, la grève des droits avait été levée sur la promesse du ministre du Budget de l’époque (Dominique Bussereau) de réviser la fiscalité. En attendant, des aides allaient être distribuées. Les aides – d’un montant de 12 millions d’€, équivalentes au préjudice fiscal subi sur la période des 15 mois – furent bien versées mais la fiscalité n’a pas bougé. « C’est plus simple de ne rien faire » commente Christian Baudry qui pointe du doigt « l’appareil de Bercy ». « Il a repris le pouvoir et jugé qu’il était urgent de ne pas bouger. »

A la question faut-il reprendre la grève ? la salle a voté des deux mains. C’est oui, à l’unanimité moins deux abstentions. Même si les responsables n’entendent pas se limiter à ce type d’action, la grève des taxes est suffisamment emblématique pour être incontournable. « C’est un outil déclencheur » a déclaré Jean-Marie Baillif. Elle va se traduire de la manière suivante : versement de 45 € par hl vol. au trésor public (le montant correspond au seuil minimum exigé par l’UE pour les produits intermédiaires) – règlement de 169 € à la CNVDLAOC, la somme des deux correspondant au montant initial d’accises, de 214 € l’hl vol., avant indexation sur l’inflation. Mais le niveau actuel des taxes, après indexation, s’élève à 223,29 €. La CNVDLAOC a proposé de prendre à sa charge la différence de 9,29 € par hl vol., si jamais elle était exigée. Bien évidemment, cette libéralité ne jouera que pour les personnes qui suivront la grève et déposeront les sommes dues sur le compte bloqué de la CNVDLAOC. « Pour celui qui dirait “je fais la grève mais je garde les sous chez moi”, ça ne marchera pas » a indiqué Ch. Baudry. La grève démarre immédiatement et même par anticipation au 1er janvier 2010. Le versement des sommes, au Trésor et sur le compte bloqué de la CNVDLAOC s’opérera en même temps que le dépôt des DRM (déclarations récapitulatives mensuelles) en fin de mois ou selon toutes les autres modalités habituelles (crédit d’enlèvement à 30 jours, paiement des taxes en fin d’année…). Pour les dispositions pratiques, se référer à la dernière grève. A l’époque, la grève des taxes avait été suivie par plus de 91 % des opérateurs effectuant leurs ventes en droits acquittés, soit 425 producteurs sur 450. Si la grève fut suspendue fin 2004, la somme de 12 millions d’euros ne fut pas rendue à l’Etat. Elle demeure toujours sur un compte bloqué. Ce sont d’ailleurs ses intérêts – et ceux des sommes à venir – qui permettront de couvrir, le cas échéant, les 9,29 €. Dans un réflexe de bon sens salvateur, les professionnels avaient estimé à l’époque qu’ils ne se sépareraient pas de leur pactole financier tant que l’Etat ne transformerait pas ses promesses en acte. Ils ont eu raison.

A Saintes, le 15 janvier, un opérateur important, très remonté contre la discrimination supportée par le Pineau, a avoué être tenté d’interrompre le versement des droits, purement et simplement. On l’en a dissuadé. « La doctrine des Douanes établit une différence entre le paiement zéro et le paiement partiel. Le paiement zéro s’assimile à un refus de payer l’impôt alors que le paiement partiel a valeur de contestation du niveau des droits. » Et puis une grève n’est possible que si le maximum de gens y adhère. Pour Jean-Bernard de Larquier, il vaut mieux placer la barre moins haut « mais que personne ne se débine ». « Pour être fort, il faut lancer un mouvement et que tout le monde le suive. » Le conseiller général de Cognac sud, Jean Gombert, maire de Javrezac, a proposé la mise en place d’une grève administrative des maires des communes viticoles. « A la fin des années 70, alors que l’augmentation des droits atteignait 14 %, une telle grève, suivie par 400 communes, avait été efficace. Les droits n’avaient pas bougé pendant dix ans. » Jean-Marie Baillif a plébiscité l’idée. « Elle fait partie des actions complémentaires à la grève générale des taxes. »

Fiscalité des Vins de liqueur
Les propositions du Budget
Les professionnels des vins de liqueur n’ont pas attendu la grève des taxes pour faire le siège du ministère du Budget. Voilà même des lustres qu’ils y travaillent. Pourtant l’indexation des taxes sur l’inflation a tendu le débat. Et, sous la pression, quelques propositions commencent à tomber, plus ou moins sérieuses, plus ou moins intéressantes. Revue de détail.

La piste la plus consistante tient sans doute à cette idée de plafonner, pour les boissons les plus fortement taxées, l’impact monétaire de l’indexation des accises sur l’inflation. De l’avis même de la filière des VDL AOC, ce serait une vraie bonne initiative. Le 6 janvier dernier, la profession rencontrait le sous-directeur des Douanes à Bercy. Le haut fonctionnaire leur avait indiqué alors que son administration étudiait la possibilité d’un plafonnement de l’indexation. La piste a été confirmée par Martin Hirsch, haut commissaire aux Solidarités actives et à la Jeunesse, à l’occasion d’une question posée par le sénateur de Charente-Maritime Daniel Laurent, le 19 janvier. Christian Baudry, président de la CNVDL AOC, veut y croire : « Je pense qu’il s’agit de l’hypothèse de travail la plus sérieuse dont nous dispositions aujourd’hui. » Et il se plaît à rêver d’un plafonnement équivalent au montant d’augmentation des vins, c’est-à-dire peu de choses à l’aune de la fiscalité du Pineau. « Pourquoi pas ! » Le 19 janvier, Martin Hirsh est revenu sur la problématique de la distorsion de concurrence entraînée par le changement de mode d’élaboration. « Conscient du problème, le Gouvernement a saisi la Commission européenne afin que la question soit abordée dans le cadre du comité des accises. Doit notamment être étudiée la possibilité d’assimiler les procédés de concentration de l’alcool à une distillation. Cela permettrait de réserver la fiscalité du vin aux seuls produits dont l’alcool provient exclusivement d’une fermentation. » Cette dernière proposition laisse beaucoup plus dubitatifs les représentants des vins de liqueur. Ils parlent volontiers d’un « rideau de fumée » voire d’un tuyau percé. « On se demande un peu ce que Bruxelles vient faire là-dedans. A notre connaissance, un Etat n’a pas à demander l’autorisation de Bruxelles s’il veut augmenter la fiscalité d’une catégorie de produit. Par ailleurs, pour être acceptée, la proposition devrait recueillir l’unanimité des Etats membres. Comment peut-on imaginer pareille éventualité. Ce n’est pas sérieux ! » Le président de la CNVDL AOC signale également que le combat de sa filière dépasse largement ce cadre. « Nous, ce que nous voulons, c’est que notre fiscalité soit réétudiée en profondeur, avec un pan de réajustement des taxes à la clé. L’indexation sur l’inflation, les problèmes de distorsion de concurrence furent les gouttes d’eau qui firent déborder le vase. Mais il ne suffit pas de limiter les gouttes d’eau pour que le vase ne déborde pas. Ce qu’il faut, c’est vider la moitié du vase. »

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