« Le Paysan Vigneron » – Au 1er juillet 2010, la filière Pineau part d’emblée sur l’affectation de deux récoltes, la prochaine et la suivante, selon ce qui était prévu initialement au cahier des charges. Vous n’avez pas souhaité, comme le Cognac, différer de quelques années l’application pleine et entière de l’affectation.
Jean-Marie Baillif – Cette affectation sur deux récoltes, 2010 et 2011, nous semble cohérente avec la volonté de la filière Pineau de poursuivre sa construction. Pour demander une exception au principe d’affectation sur deux années, le Cognac avait ses raisons, que je comprends et que je partage même. Le Pineau, quant à lui, ne se situe pas tout à fait dans la même logique. Pour au moins deux raisons. La première a trait à son particularisme. Pour fabriquer du Pineau, on se sert du jus de raisin de l’année mais du Cognac produit l’année précédente. En fait, quand on prévoit le Cognac nécessaire à la fabrication du Pineau, on est bien obligé de penser aussi à sa production de moût. Pour les producteurs de Pineau, l’affectation N + 1 – avec un an de décalage – n’est donc pas porteuse de gros changement. Elle ne fait que confirmer une anticipation naturelle, qui fait partie intrinsèque du processus d’élaboration de notre produit. La seconde raison concerne la volonté des producteurs de Pineau de construire une filière stable. Pour ce faire, nous voulons éviter à tout prix les opérateurs opportunistes, qui viennent une année et repartent l’année suivante. Ces opportunistes, qu’ils soient producteurs ou négociants, nous n’en avons pas besoin ! En général, ce sont des gens qui veulent faire des « coups » et pas forcément des bons. L’affectation préalable permet justement d’aller plus loin dans la structuration de la filière. C’est un outil capable de décourager les opportunistes. Et ne me faite pas dire que les producteurs traditionnels veulent défendre leur « pré-carré ». Les nouveaux opérateurs, nous les accueillons à bras ouverts, dès qu’ils manifestent le souhait de s’inscrire durablement dans la filière.
« L.P.V. » – Concrètement, comment va se passer l’affectation pour les producteurs de Pineau ?
J.-M.B. – Avant le 1er juillet prochain, ils vont affecter leurs parcelles de moûts Pineau pour la récolte 2010 ainsi que pour la récolte 2011. En 2011, ils n’affecteront pas pour deux ans mais seulement pour une année, 2012.
« L.P.V. » – Voilà plusieurs années que le syndicat a émis une demande de modification de son rendement, qui ne concernerait plus le moût mais le produit fini. Où en êtes-vous du dossier ?
J.-M.B. Cette demande entre typiquement dans notre problématique de gestion durable de l’appellation. In fine, il s’agit de défendre des prix qui permettent à la fois aux producteurs et aux metteurs en marché de gagner leur vie. De quoi s’aperçoit-on ? Aujourd’hui, c’est autour d’un rendement Pineau « produit fini » de 35 hl vol. que notre filière trouve son équilibre. Les producteurs de Pineau dégagent un revenu légèrement supérieur à celui du Cognac mais c’est normal car leurs charges sont aussi plus élevées. Et les négociants peuvent aussi vendre correctement le produit, comme actuellement où les cours du Pineau vrac se situent entre 230/240 € l’hl vol. Mais, dans la configuration actuelle, ce curseur de 35 hl vol. n’existe pas. Il est virtuel puisque, en tant que tel, le rendement Pineau résulte de deux rendements. Il y a d’un côté, le rendement Cognac, dont la fixation nous échappe. Et de l’autre, le rendement moût, dont le niveau butoir est plafonné à 72 hl vol./ha. Conséquence : aujourd’hui, c’est le Cognac qui détermine l’essentiel de la variabilité du rendement Pineau. Quand le rendement Cognac est faible, le Pineau meurt et quand le rendement Cognac est fort, le Pineau risque d’être inondé s’il conserve les mêmes surfaces. Avec la fixation d’un rendement « produit fini », notre appellation veut « reprendre la main sur son destin », afin de pourvoir influer directement sur la marche de la filière. Il est prévu que deux rendements butoirs viennent encadrer la production : un rendement maximum de 40 hl vol./ha de produit fabriqué et un rendement maximum de 85 hl/ha de moûts.
« L.P.V. » – Votre demande a reçu quel écho ?
J.-M.B. Enclenchée depuis quatre ans, présentée plusieurs fois à la commission d’enquête INAO, elle a fait l’objet récemment d’une PNO (procédure nationale d’opposition), une sorte d’enquête publique diligentée par l’INAO. Cette PNO n’a suscité aucune observation, ni de la région des Charentes ni des autres régions viticoles. L’INAO a renvoyé à un prochain Comité national l’étude du rendement du Pineau. Le 8 juin, la veille du congrès de la CNAOC, nous allons rencontrer des membres de l’INAO. Je compte bien présenter les arguments de la filière Pineau et déminer les craintes que pourraient nourrir d’autres filières, comme celle des Vins Doux Naturels par exemple. Dans cette affaire, il ne faut voir aucune arrière-pensée. Notre filière ne cherche qu’une chose : mieux structurer son appellation. C’est ce discours que je tiendrai.
« L.P.V. » – Sur le terrain de l’affectation préalable au 1er juillet, quel message adressez-vous aux producteurs ?
J.-M.B. Je voudrais leur dire que dans les deux/trois ans qui viennent, il n’y a aucun risque de renversement de tendance. Ils peuvent donc affecter sans problème au Pineau. Notre marché se tient autour de 100 000 hl vol. Après avoir accusé une légère baisse à 98 000 hl vol., il est remonté à son niveau d’étiage. Aujourd’hui, et pour la 4e année consécutive, nous sommes en situation de déstockage. Dans ce contexte, les prix se maintiennent. Le Pineau vrac se négocie à 230/240 € l’hl vol. C’est le cœur de marché et il n’y a aucune raison objective pour vendre le Pineau en dessous de ce prix. Si tel était le cas, les producteurs seraient plus à blâmer que les négociants.
Rendement « moût » Pineau des Charentes
Vers les 85 Hl Vol./Ha
A l’occasion du dernier CRINAO (comité régional de l’INAO), qui s’est tenu à Cognac le 1er juin, en présence de Laurence Guillard, déléguée territoriale INAO et de Philippe Boujut, son président, Jean-Marie Baillif, président du Syndicat des producteurs de Pineau, a transmis la demande de l’appellation : obtenir un rendement moût Pineau de 85 hl vol./ha. « Ce rendement, nous en avons besoin, non seulement pour faire face à nos marchés mais aussi pour avoir une cohérence avec le niveau de production Cognac. » Il a dit faire toute confiance à l’INAO pour que ce rendement s’applique lors de la prochaine récolte et la suivante. « Dans la mesure où l’affectation se joue au 1er juillet, il est normal que les producteurs sachent où aller. » Le 8 juin, à Angers, J.-M. Baillif devait présenter les raisons justifiant l’introduction de deux rendements butoirs dans le cahier des charges Pineau : 40 hl vol./ha de Pineau fini et 85 vol./ha de moût. Pour s’appliquer, ce double rendement butoir suppose une modification du Code rural. Il n’en va pas de même du rendement « moût » de 85 hl vol./ha, qui s’inscrit dans la procédure normale de validation de l’INAO.
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