Au nom de La créativité

19 mars 2009

De l’assemblage de ses millésimes, le Pineau des Charentes tire sa substance et les fondamentaux de l’appellation. Pour conserver cette alchimie, source de créativité, la filière a besoin de souplesse. Le plan de contrôle va dans ce sens, qui prévoit notamment la « remise en cercle », la possibilité de reprendre un lot pour le retravailler. Sera-t-il accepté en l’état par l’INAO ? Philippe Guérin, responsable du groupe de travail Plan de contrôle, livre les motivations de la filière.

« Le Paysan Vigneron » – En terme de calendrier, où en est le plan de contrôle ?

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Philippe Guérin.

Philippe Guérin – Le document est sorti le 30 juin pour une application le 1er juillet, conformément aux dates prévues dans les textes. Si le syndicat reconnu ODG a largement inspiré le contenu du plan de contrôle, c’est Qualisud, l’organisme de contrôle choisi par l’ODG, qui était officiellement chargé de sa rédaction. Une fois ce travail achevé et soumis pour avis à l’ODG, Qualisud a transmis le document à l’INAO pour validation. Au sein de l’Institut national de l’origine et de la qualité, l’examen de l’ensemble des plans de contrôles relève d’une structure unique, le CAC (Conseil des agréments et contrôles). La procédure veut que le CAC sollicite l’avis du chef de centre INAO, pour un éclairage local. Nous en sommes là aujourd’hui. Le plan de contrôle est entre les mains de Laurence Guillard, chef de centre INAO pour la région de Cognac.

« L.P.V. » – Nourrissez-vous des craintes sur l’adoption du plan de contrôle inspiré par votre groupe de travail ?

Ph.G. – Pas vraiment mais on ne peut rien exclure. Notre inquiétude porte davantage sur la méthode que sur le fond. En temps normal, l’INAO prendrait le temps d’échanger et notre filière de justifier sa démarche. Mais compte tenu du timing complètement fou qui est imposé à la rédaction des plans de contrôles, toutes les régions viticoles françaises ont envoyé leurs documents en même temps, provoquant un véritable embouteillage du CAC. Notre espoir ! Que le Conseil agréments et contrôles ne tranche pas « à la serpe », en demandant au Pineau d’appliquer in extenso la logique INAO. Nous sommes d’ailleurs confiants, dans la mesure où le CAC s’est déjà prononcé sur le sujet. « Il n’existe pas de règles intangibles, a-t-il dit, à condition que les régions soient capables de démontrer la pertinence de leur choix. » Pour notre filière, la meilleure des solutions serait sans doute que le CAC nous accorde une période transitoire d’un ou deux ans, afin de prouver que notre plan de contrôle « n’est pas une passoire » mais fait preuve d’exigence, vis-à-vis des attentes de l’appellation comme des objectifs assignés par l’INAO.

« L.P.V. » – En quoi la « logique INAO » vous dérange-t-elle ?

Ph.G. – Pour faire court, on peut résumer la logique INAO de la manière suivante : quand un défaut est détecté, il faut l’éliminer au plus vite. Cette logique colle parfaitement au vin et notamment à l’archétype des vins jeunes consommés dans l’année, le Rosé de Provence ou le Muscadet. Ces vins répondent à un cycle de production annuel : je produis, je

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Des vins jeunes qui répondent à un cycle de production annuelle.

vinifie, je commercialise, je vide mon chai et je rentre la récolte suivante. Dans ce contexte, on comprend bien qu’il faille évacuer rapidement le maillon faible. Le Pineau ne s’inscrit pas du tout dans la même logique. Pourquoi ? Tout simplement parce que, dans son cas, c’est l’assemblage de différents millésimes qui forge l’identité du produit, sa qualité intrinsèque. Les fondamentaux de son appellation, le Pineau les tire de l’infinie possibilité de marier les millésimes entre eux. Si le taux de rotation du stock de Pineau s’élève, en moyenne, à trois années et demie, il n’est pas rare qu’il atteigne dix années chez certains opérateurs. De cette subtile alchimie des âges, des cépages, des terroirs naît l’âme du Pineau, ce qui marque sa singularité par rapport au vin. En terme d’assemblage, il faut savoir que l’arithmétique n’a pas vraiment cours : 1+1 est souvent supérieur à 2. La meilleure illustration de ce phénomène nous vient des millésimes 2002 et 2003. Le millésime 2002, très acide, présentait d’excellente aptitude au vieillissement mais, en tant que tel, il n’était pas flatteur. Le millésime 2003 constituait son exact contraire. Sous l’effet de la canicule, l’acidité était très faible. Lui aussi avouait des lacunes. L’assemblage des deux a pourtant donné des produits géniaux. Imaginons que ces deux millésimes aient été contrôlés chacun de leur côté. Ils ne passaient pas la rampe. C’est pourquoi le Pineau a besoin de souplesse dans les contrôles et que ces contrôles concernent au maximum le produit fini, si l’on accepte l’idée que les lots de Pineau peuvent être améliorés jusqu’au bout.

« L.P.V. » – Le nouveau plan de contrôle n’interdit pas les assemblages ?

Ph.G. – Bien sûr que non, mais vous connaissez les dérives que peut engendrer un cadre trop rigide. Pour se couler dans le moule, les gens adaptent leurs pratiques, jusqu’à sacrifier parfois l’essentiel, la qualité du produit. Cette créativité des opérateurs, il ne faudrait pas l’entraver par des contrôles couperets. Les plus belles réussites naissent souvent d’une prise de risques. Tant que le produit est perfectible, il n’y a pas de raison que la sanction tombe. Le risque, sinon, serait de « linéariser » la production.

« L.P.V. » – Concrètement, que prévoit votre plan de contrôle, qui ne s’inscrive pas dans le droit fil de l’INAO ?

Ph.G. – Dans notre plan de contrôle, nous avons par exemple introduit la possibilité de la « remise en cercle ». Pour un lot jugé non conforme lors du contrôle produit (analyse, dégustation), il s’agit de pouvoir retravailler le lot afin de le rendre conforme, en « piochant » dans le stock pour pratiquer de nouveaux assemblages. La remise en cercle est une pratique autorisée et couramment pratiquée en Champagne de Reims. Après sa prise de mousse, si un vin s’avère non conforme aux canons de l’appellation, il peut retrouver sa nature de vin tranquille avant de refaire une prise mousse. Entre-temps, il aura été rafraîchi et associé à d’autres vins. Pour la filière Pineau, l’idée de pouvoir reprendre des lots pour les retravailler constitue une pièce maîtresse de l’appellation. Nous y voyons l’un des principaux facteurs d’amélioration qualitative de notre produit. Souhaitons que l’INAO n’en fasse pas un point de friction.

« L.P.V. » – En voyez-vous d’autres ?

Ph.G. – L’INAO a tendance à considérer qu’une appellation bien contrôlée est une appellation qui prévoit le contrôle d’un lot produit par an et par opérateur. En ce qui nous concerne, nous pensons qu’il vaut mieux contrôler cinq lots tous les cinq ans. Procéder de la sorte, c’est avoir une vision globale de l’aptitude de l’opérateur à travers ses stocks. La logique de l’appellation nous semble mieux respectée ainsi. Il nous semble aussi normal que le plan de contrôle ne s’appesantisse pas de manière excessive sur le vignoble, la densité de plantation ou le nombre d’yeux/ha. Les vrais enjeux de l’appellation ne sont pas là. Par ailleurs, l’INAO nous dit, globalement : « le suivi interne, ce n’est pas du contrôle ». Nous ne sommes pas d’accord. Pour nous, le suivi interne, c’est du contrôle ou, plus exactement, c’est de la pédagogie assortie de visées concrètes. Avec le produit que nous avons, marqué par un lent process d’élaboration, l’accompagnement des producteurs nous semble la méthode la plus efficace. Par une évaluation globale de la chaîne, il permet de cerner les vrais problèmes (conditions de production, l’hygiène…), et de détecter les situations à risques, en apportant des conseils pour y remédier. Qui plus est, le Pineau, par sa dimension, ne joue pas dans la même cour que des grosses appellations, comptant plusieurs milliers de ressortissants. Essayons de ne pas laisser s’instaurer une relation impersonnelle et administrative entre l’ODG et ses ressortissants. Ce serait contre-productif. Ceci dit, le contrôle extérieur a toute sa place dans le schéma de contrôle. Il apporte une vision extérieure et permet de sanctionner les défauts rédhibitoires. Qui plus est, en contrôlant le suivi interne, le contrôle externe garantit l’efficacité du système.

« L.P.V. » – En rédigeant le plan de contrôle, vous auriez pu vous calquer sur un schéma national, en vous réservant la possibilité d’adapter les contrôles aux réalités du terrain.

Ph.G. – Cela ne fonctionne pas de cette manière. Des contrôles de second niveau s’exercent sur la mise en œuvre du plan de contrôle. En la matière, on n’a pas d’autres choix que d’être au clair vis-à-vis de l’INAO. Mais surtout, dans notre optique, le plan de contrôle est moins la réponse à une obligation administrative qu’un outil pour faire progresser encore plus l’appellation. C’est pour cela que nous serons fermes sur les quelques grands principes défendus par le texte.

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