L’assemblée générale du Syndicat des producteurs de Pineau s’est tenue le 12 avril dernier à Archiac, à la Maison de la vigne et des saveurs. La veille, le 11 avril, Bernard Guionnet, président de l’interprofession, s’était éteint. En ouverture de la réunion, Jean-Bernard de Larquier, chef de famille de la viticulture au BNIC et président du Comité du Pineau, a demandé une minute de silence. Moment d’émotion quand les 150 vignerons présents se sont levés pour rendre un dernier hommage à leur responsable professionnel. D’ailleurs, même si Bernard Guionnet n’était pas impliqué dans la filière Pineau, il a travaillé, quelque part, à son équilibre actuel. Comment ? En participant à la bonne tenue de la filière Cognac. Car, quand le Cognac va bien, en général, le Pineau se porte pas mal non plus, ne serait-ce que par l’effet mécanique de la hausse du rendement Cognac, qui aide à contenir le prix de revient du Pineau. En outre, pour que le revenu tiré du Pineau reste compétitif par rapport à celui du Cognac, le Syndicat des producteurs a enclenché une hausse du rendement des parcelles « moût Pineau ». En 2010, ce rendement s’est élevé à 85 hl vol./ha (contre 72 hl vol./ha en 2009). Produit fini (Cognac + moût), le rendement Pineau a atteint en 2010 36 hl vol./ha et devrait passer à 37 hl vol./ha en 2011. Il y a dix ans et même cinq ans, le rendement « produit fini » ne dépassait pas 24 hl vol./ha. L’évolution a quand même permis de dégager un tiers de rentabilité supplémentaire. Le syndicat n’omet pas de préciser que cette évolution s’est accompagnée d’un suivi qualitatif rapproché des producteurs. Un professionnalisme qu’ont renforcé cahier des charges et plan de contrôle. « Sur le terrain, l’exigence qualitative n’a jamais été aussi forte » dit-on au syndicat. Par contre la filière assume tout à fait ses choix volumiques. « Pour nous, il est important qu’un hectare affecté au Pineau apporte une rentabilité au moins équivalente à celle du Cognac. A l’heure où la situation économique s’améliore dans la région délimitée, nous n’allions quand même pas nous tirer une balle dans le pied. Si nous n’avions pas fait progresser notre rendement, nous aurions perdu 20 % de notre production, par défection de nos producteurs. » Le Pineau pouvait-il courir un tel risque ? Ses dirigeants estiment que non. Question de visibilité.
la barre des 100 000 hl vol.
Pour le président du Syndicat des producteurs comme pour celui du Comité interprofessionnel, il paraît essentiel que le Pineau ne descende pas en dessous de la barre des 100 000 hl vol. de production. Car le danger serait grand, alors, de ne plus présenter la taille critique suffisante pour continuer d’exister sur les linéaires de la grande distribution. Certes, le marché du Pineau a tendance à se tasser légèrement, justement en grande distribution, mais se serait injurier l’avenir que de ne pas disposer des « munitions nécessaires » pour parer à toute progression des ventes. La seule solution : travailler avec des stocks. « Nous sommes condamnés à posséder des stocks, confirme J.-M. Baillif. C’est vrai qu’il serait plus confortable d’avoir des stocks minimum mais ça ne marche pas. » Ne risque-t-on pas, tout de même, d’assister à une dérive des volumes de Pineau ? Réponse des intéressés : « Le fonctionnement de notre filière ne se comprend qu’au regard du Cognac. C’est quand le rendement du Cognac est bas que l’on peut craindre un dérapage des volumes de Pineau, par l’arrivée de producteurs opportunistes. Dans les faits, paradoxalement, la surproduction de Pineau a toujours eu lieu quand les rendements de l’appellation se situaient au plus bas. Aujourd’hui et contrairement à ce que pourrait laisser à penser la hausse des rendements, nous sommes plutôt “ric-rac” au niveau des quantités produites. » C’est aussi pour tenir éloignés les opérateurs dits « opportunistes » que la profession du Pineau a tenu à mettre en place une affectation sur deux ans des parcelles « moût Pineau ».
Pour l’heure, production et sorties de Pineau s’équilibrent donc. « Nous sommes dans une situation qui nous permet de pouvoir envisager sereinement l’avenir, à condition de conforter les prix » commente Jean-Marie Baillif.
des prix bouteilles erratiques
Conforter les prix bouteille ! Voilà bien le vrai challenge de la filière. Car, si à 240 € de moyenne l’hl vol., les prix du Pineau vrac se tiennent et semblent cohérents par rapport à l’économie générale du produit, les prix bouteilles s’avèrent beaucoup plus erratiques voire volatils. En réunions de section, le président du syndicat n’y est pas allé par quatre chemins. « Dans notre appellation, on déc… On n’a pas de cohérence entre prix “marque distributeur”, prix “marque”, prix “producteur”. En disant cela je ne vise personne ou plutôt je vise tout le monde. Le problème est transversal. Il concerne toutes les catégories d’opérateurs, producteurs indépendants, coopératives, négociants ». J.-B. de Larquier livre le même constat : « Au Comité, nous passons pas loin de la moitié de notre temps à gérer des problèmes de dysfonctionnement de metteurs en marché. Bien sûr qu’il est important et même nécessaire d’augmenter notre part de marché. Mais il faut l’augmenter avec de la marge, afin que chacun des opérateurs de la filière gagne sa vie. » En interne, le comité (composé à parité de viticulteurs et de négociants) a déjà débattu de ces questions. Mais la filière a souhaité élargir la réflexion aux producteurs. D’où des réunions de sections placées sous le signe de la marge.
Parce que l’on ne discute jamais mieux qu’avec des chiffres en main, le syndicat a fait appel à Jean-Marie Guilloton, ancien directeur du Centre de gestion de Cognac, pour qu’il produise une étude économique sur le prix de revient du Pineau. Plus que des données brutes, il s’agissait surtout de transmettre une méthode, afin que chacun se l’approprie et l’alimente de ses propres chiffres. « Le Pineau que nous produisons aujourd’hui, combien coûte-t-il à produire ? Que rapporte-t-il ? Nous vous proposons une démarche sur la valorisation de vos produits. Ce vers quoi vous voulez aller. » De cette enquête menée par J.-M. Guilloton (voir encadré page 16) se détachent quelques éléments clés, à prendre plus comme des repères que comme des références absolues. Ainsi, avant mise en marché, le prix de revient du Pineau (prix du Pineau vrac) ressort, dans l’étude de Jean-Marie Guilloton, à 266 € l’hl vol. « Beaucoup, pas assez ? » s’est interrogé J.-M. Baillif. « Après tout, peu importe mais la vérité se situe certainement là, entre 220 et 280 € l’hl vol. » Pour le président du syndicat, ce niveau de prix accrédite une idée-force : « Le Pineau ne peut pas être bon marché car il est produit à partir de l’eau-de-vie de Cognac qui, elle-même, coûte cher à produire. »
Après le prix du Pineau vrac, celui du Pineau en bouteille. Une fois additionnées les différentes charges et sans oublier la marge, l’étude économique débouche sur un prix bouteille de 8 €, « un prix qui permet de gagner sa vie, à tous les échelons. » Bien sûr, ce niveau de prix est à relativiser. L’effet volume arase certaines charges fixes. « En grande distribution, si les MDD (marques de distributeurs) oscillaient entre 6,80 et 7,40 € la bouteille se serait déjà très bien. Mais malheureusement, nous n’en sommes pas là » constate le président du syndicat. Certes, il reconnaît que le secteur des MDD est un créneau très concurrencé, ne serait-ce que par cette nouvelle génération de vins aromatisés qui sortent à moins de 4 € la bouteille, par un tour de passe-passe technico-fiscal.
De cette concurrence, qui fait baisser les ventes de Pineau en grande distribution, le responsable professionnel en tire au moins deux conséquences. D’abord que la filière Pineau ne peut pas se permettre une augmentation du prix du vrac. « Il vaut mieux jouer sur le rendement pour nous apporter plus de rentabilité. Globalement les cours sont stables et, à ce jour, il n’y a aucune raison qu’ils évoluent à la hausse ou à la baisse. » Ensuite que le produit a besoin d’une image forte. Et qui peut le mieux construire cette image forte sinon une communication puissante et une cohérence du prix de la bouteille. Car le prix est bien souvent le premier vecteur d’image d’un produit. « Même si ce n’est pas facile tous les matins, la filière, globalement, a envie de jouer le jeu » positive le président du syndicat. « Mais, dit-il, il y a énormément de travail à faire ; des pratiques carrément à proscrire. Sur le marché régional, nous avons quand même la chance inouïe d’être sur une zone très touristique et nous gaspillons un peu nos chances. Sachons construire, au lieu de céder au petit jeu facile de la critique systématique de l’autre. Construisons ensemble. »
Le Pineau en bref
Entre producteurs, négociants, stockeurs, la filière Pineau comptait, en 2010, 1 267 opérateurs identifiés (dans le cadre du plan de contrôle). Tous les ans, environ 600 producteurs élaborent autour de 100 000 hl vol. de Pineau (71,5 % par les producteurs individuels, 28,5 % par la coopération). Les surfaces de Pineau blanc régressent légèrement, après une forte progression les années passées. Mouvement inverse pour les surfaces de Pineau rouge. Les surfaces consacrées à l’élaboration du Pineau représentent environ 3 100 ha de vignes. Avec 3,5 années de réserves, le taux de rotation du stock Pineau est stable. Les ventes régressent légèrement, surtout en grande distribution. Depuis deux ou trois campagnes, elles perdent 1 à 2 % l’an. La vente directe concerne environ 40 % des volumes contre 60 % pour la grande distribution.
Affectation 2011
Avant le 1er juillet 2011, les producteurs de Pineau vont affecter leurs parcelles « moûts Pineau » pour la récolte 2012, soit une anticipation de deux campagnes. Facile à dire, pas toujours facile à faire. Si l’affectation deux ans apporte de la stabilité à l’appellation, elle entraîne aussi plus de rigidité. D’où les critiques émises par certains opérateurs, notamment ceux qui vendent hors région (en France et à l’export), une minorité mais une minorité agissante : « Trois ans et demi pour réagir aux marchés. C’est trop long ! » Message bien reçu par la filière, qui s’avoue partagée entre intérêt collectif et intérêts individuels. D’un côté l’affectation à deux ans « colle bien » avec l’itinéraire technique du produit (mutage avec le Cognac de l’année
N – 1). De plus, elle est de nature à décourager les opérateurs opportunistes « dont l’arrivée intempestive pourrait mettre à mal les efforts de plusieurs années. » Mais elle n’aide pas à la réactivité. « Il n’y a pas de solution miracle. » Seule alternative : posséder un stock tampon. « C’est obligatoire pour notre appellation ». En juin, Sébastien Archambaud, l’animateur du syndicat, se tiendra à la disposition des opérateurs pour les accompagner sur les questions d’affectation et autres.
Coût de revient du pineau, en vrac et en bouteilles
Pour reconstituer les coûts de production du Pineau, Jean-Marie Guilloton s’est basé sur les chiffres du BNIC publiés en mai 2010 pour la partie d’amont (production de moût et de Cognac) et sur des sondages auprès des opérateurs pour la partie d’aval (mise en bouteille, étiquetage, commercialisation).
l Prix de revient de 85 hl vol. de moût Pineau (1 ha de vigne) : 6 520 €/ha.
(Coût 2010 tiré de l’étude viticole du BNIC). A ce tarif, la main-d’œuvre est intégralement payée, qu’elle soit familiale ou salariée.
l Prix de revient de l’eau-de-vie compte 0 : 1 014 €/hl AP.
Pour muter le Pineau, l’eau-de-vie du millésime 2009 a été conservée jusqu’en octobre 2010. Entre le prix de revient de l’hl de vin (794 €/hl AP), les frais de distillation (145 €/hl AP), les frais financiers sur 8 mois, le prix de revient d’un hl AP compte 0 s’élève à 1 014 €/hl AP.
l Surfaces à mobiliser pour fabriquer 100 hl vol. de Pineau : 2 ha 98.
Selon les règles de mutage en vigueur, la production de 100 hl vol. de Pineau va mobiliser la production de 89 ares de vigne « moût Pineau » et de 2,09 ha de vignes Cognac (rendement Cognac de 8,12 hl AP en 2009).
l Prix de revient de 100 hl vol. de Pineau avant stockage : 24 005 €.
Avant stockage et avant revendication, le prix de revient de 100 hl vol. de Pineau s’établit à 24 005 €, soit 240 € l’hl vol. de Pineau. A ce prix, il convient d’ajouter des frais de stockage (25 €/hl vol.) soit un prix, après stockage, de 266 € l’hl vol. A noter que sur les 26 600 € (coût pour 100 hl vol.), le total « main-d’œuvre » représente 9 609 € et le couple « main-d’œuvre/amortissement » 13 500 €, c’est-à-dire la moitié du prix de revient. Exprimé autrement, sur un coût de revient de 266 €, 131 € correspondent à des dépenses obligatoires (sans main-d’œuvre ni amortissement) et 135 € se rapportent à la main-d’œuvre et aux amortissements. A chacun de voir combien, dans son cas personnel, lui reviennent main-d’œuvre et amortissements. A noter que J.-M. Guilloton a réalisé ses calculs sur la base d’un rendement Cognac de 8,12 hl AP (Pineau 2010 élaboré avec de l’eau-de-vie 2009). Si le rendement Cognac avait été de 7 de pur, le prix de revient Pineau grimpait à 289 €/hl vol. Par contre, avec un rendement Cognac de 11 de pur, il descendrait à 233 €. Commentaire de J.-M. Guilloton : « Cela veut dire, quelque part, qu’un prix de 233 € l’hl vol. est un prix “taquet’ pour le Pineau. »
l Prix de revient bouteilles avant commercialisation et marge : 6 €/bouteille (5,94 €).
l Prix de revient hors droit/hors taxes : 3,29 €.
– Dans une bouteille de 75 cl, il y aura 2 € de marchandise (sur la base d’un prix de revient de 266 € de l’hl vol).
– Le contenant (bouteille, étiquette, carton) : 1 €.
– Tirage, bouchage à façon : 0,20 c/bt.
– CVO (cotisation volontaire obligatoire : 9 c/bt.
l Droits et taxes : 2,65 €/bt.
– Droits de consommation : 223,5 €/hl vol : 1,68 €/bt.
– TVA : 97 c/bt.
Ce prix de 6 €/bouteille s’entend avant commercialisation et avant marge bénéficiaire, pour un jeune Pineau. Pour un Pineau de 3 ou 5 ans, « il faudra rajouter quelques petits euros ».
l Prix de revient du Pineau commercialisé : 8 €/bouteille.
Ce prix résulte de l’application d’un taux de marge d’1,35, censé couvrir à la fois les frais de mise en marché et la marge bénéficiaire. Ce coefficient multiplicateur est couramment admis par la profession « pour s’en sortir ». A pondérer néanmoins selon son mode de commercialisation (à domicile, sur les salons, chez les cavistes, en magasin…).
Réserve de gestion cognac et mutage
En accord avec le BNIC et sous certaines conditions bien précises, la filière Pineau peut utiliser la réserve de gestion Cognac de l’année N – 1 (les 0,5 hl AP de la récolte 2010) pour muter ses Pineaux de l’année N (les moûts de la récolte 2011). Les critères sont les suivants :
− La réserve de gestion Cognac de l’année N (les 0,5 hl AP/ha du rendement 2010) ne peut servir qu’à muter les moûts Pineau de la récolte suivante (fabrication 2011). Autrement dit, pour le Pineau, la réserve de gestion Cognac ne sera utilisable qu’en compte 0.
− Quand on parle d’utiliser la réserve de gestion Cognac au mutage des moûts Pineau, on parle bien de mettre en œuvre la totalité du rendement Cognac d’un ha de vigne (les 9 + 0,5 du rendement Cognac 2010) et non la seule réserve de gestion de 0,5. Les deux ne sont pas dissociables. A l’issue de la récolte 2011, le solde de la réserve de gestion Cognac 2010 ne pourra plus être utilisé pour le mutage Pineau. Il restera bloqué jusqu’à la date de libération prévue par le BNIC (1er avril 2015).
− Le déblocage s’opère au moment de la déclaration de fabrication. Pour le calcul, ne pas hésiter à contacter le Syndicat du Pineau ou le BNIC.