Après le rendez-vous manqué de la baisse des taxes, en décembre 2010, les vins de liqueurs AOC remontent au créneau. Ils réclament des pouvoirs publics le versement des aides compensatrices qui leur sont dues ainsi que des propositions concrètes de changement fiscal. S’ils n’obtiennent pas gain de cause, ils brandissent la menace de « taxe morte ».
Grande réunion à Archiac le 14 janvier dernier. Sur le nouveau site de la Maison de la vigne et des saveurs, toute la filière Pineau se retrouve – producteurs individuels, coopératives, négociants – ainsi qu’un représentant du Floc de Gascogne, Alain Lalanne. But de la rencontre ? Décider de la suite à donner à l’épisode manqué de l’abaissement des taxes. Rappel des faits : en juillet 2010, le ministère du Budget fait une proposition « fracassante » aux vins de liqueurs. A l’occasion du vote de la nouvelle loi de finances 2011, en novembre et décembre 2010, il « détournera les yeux » quand passera un amendement prévoyant une baisse de 20 % des taxes sur les produits intermédiaires (de 223 € l’hl vol. à 180 €). C’est la reconnaissance d’un combat de 30 ans, mené par Christian Baudry et ses collègues. En contrepartie de cette baisse, le Gouvernement a prévu d’appliquer une hausse d’1,3 % sur les spiritueux.
Tout se passe comme prévu jusqu’à « l’os » de la CMP (Commission mixte paritaire). Le 13 décembre, la commission, composée de députés et de sénateurs, vote contre la proposition d’amendement. Entre-temps, les grands groupes de spiritueux ont conduit un intense travail de lobbying parlementaire. Sur leur chemin, ils ont fait du Cognac un allié.
Grosse déception dans les rangs du Pineau et des vins de liqueurs. La défaite est d’autant plus rude à surmonter que, cette fois, les opérateurs ont vraiment eu le sentiment d’être passés tout près du but. Par ailleurs, l’idée de « trahison » du Cognac est fortement ressentie par les professionnels… et mal vécue. Seule satisfaction mais de taille : l’initiative gouvernementale a, quelque part, légitimé le combat du Pineau et des produits intermédiaires. Elle vaut reconnaissance implicite.
Pour toutes ces raisons, dans la salle d’Archiac, la combativité l’emporte haut la main sur la démission. Baisser les bras ! Ce n’est pas à l’ordre du jour. Au contraire, un opérateur s’exclame : « Nous devons passer à la vitesse supérieure ! » Les responsables professionnels abondent à la proposition d’autant plus qu’ils voient poindre un autre danger : le non-paiement des aides compensatoires dues.
Au milieu des années 2000, le plan Lambert/Bussereau attribue 12 millions d’€ d’aides aux vins de liqueurs. Destinés à la promotion et à la recherche, ces fonds sont censés faire patienter les opérateurs jusqu’à la baisse effective de la fiscalité (la fameuse baisse de 20 %). A ce jour, l’enveloppe a été consommée à hauteur de 7,5 millions d’€. Mais reste encore à verser 4,5 millions d’€ (1,5 million d’€ par an). Début janvier 2011, les professionnels du Pineau montent à Paris pour s’assurer auprès du ministère de l’Agriculture que le financement est bien maintenu. On ne saurait être trop prudent ! Car au 1er avril 2011 s’achève l’année 5 des aides. Et là, surprise ! Les Charentais s’entendent dire que le versement des aides ne serait pas si automatique que ça. Les membres du Cabinet émettent des difficultés. « Les caisses de l’Etat sont vides et, par ailleurs, il faudrait notifier ces aides à Bruxelles. »
les politiques invités
A la réunion d’Archiac, les politiques étaient invités. En plus de plusieurs conseillers généraux, deux députés étaient présents, Catherine Quéré et Dominique Bussereau. Ce dernier a pris la parole pour dire, entre autres, que cette histoire de notification des aides à Bruxelles n’était qu’une « couillonnade ». « En leur temps, ces aides furent dûment notifiées à l’Europe. Une re-notification ne s’avère pas nécessaire. Le ministère de l’Agriculture peut les verser en toute légalité. Il va falloir se bagarrer pour obtenir ces 4,5 millions d’€. » Revenant sur le combat des taxes, l’ancien ministre de l’Agriculture a cité trois objectifs à atteindre : « Un travail interne à la région pour que ne joue plus ce lobbying du Cognac contre le Pineau. Ce n’est pas normal. Ensuite nous allons lutter – y compris avec ma collègue Catherine Quéré – pour faire payer ces 4,5 millions d’€. Enfin, lors de l’examen de la prochaine loi de finances, il faut que l’amendement repasse dans les mêmes termes devant l’Assemblée nationale et le Sénat et que, cette fois, les problèmes avec la CMP n’aient plus cours. » Catherine Quéré a abondé dans le même sens. « Nous allons alerter tous les parlementaires pour que la cause fiscale des produits intermédiaires soit entendue et comprise. »
Et comme l’argent reste toujours le nerf de la guerre, l’assemblée d’Archiac a sorti sa botte secrète, pas si secrète que ça d’ailleurs : la grève des taxes. Plus exactement, elle a brandi la menace d’un black-out total sur les versements. Aujourd’hui, les opérateurs verse à l’Etat
45 € par hl vol., ce qui correspond à la fiscalité plancher de l’UE pour la catégorie des produits intermédiaires. Ce qui est envisagé demain, c’est de suspendre carrément les versements si les vins de liqueurs AOC n’obtenaient pas gain de cause.
Jean-Claude Courpron, fin stratège syndical depuis les années 80, a insisté sur la dimension temps. « Dans une lutte, quelle qu’elle soit, l’important c’est de durer. Nous devons garder des munitions. »
un ultimatum
Ainsi, la motion votée par la salle pose un ultimatum. En clair, elle émet une dernière proposition avant la déclaration de guerre. La motion réclame deux choses : qu’un groupe de travail soit réuni par le ministère du Budget pour échafauder des propositions fiscales concrètes ; que le plan d’aides se poursuive jusqu’à sa réalisation complète, c’est-à-dire le versement des 4,5 millions d’€. « En l’absence de réponse positive à ces demandes au 1er avril, producteurs et négociants suspendront tout versement au titre des taxes sur le Pineau des Charentes. »
La grève partielle des taxes, le Pineau et les vins de liqueurs connaissent déjà. Mais avec la suspension totale des taxes, on changerait de dimension. Sil les producteurs le savent et le redoutent pour certains, les membres du Cabinet du ministre du Budget ne l’ignorent pas non plus. « Pineau taxe morte » mettrait le ministère du Budget dans une position délicate. Ne pas poursuivre ! Compliqué. Poursuivre ! Plus compliqué encore, ne serait-ce qu’au plan politique. Pour tout le monde, la voie de l’apaisement représenterait de loin la meilleure solution. Mais pour ça, des réponses sont attendues. La balle est maintenant dans le camp des pouvoirs publics.
L’assemblée générale du Syndicat des producteurs de Pineau est programmée le 12 avril prochain. C’est sans doute à cette date que tout se jouera.
Vins Aromatisés Martini And Soho
On se souvient de la martingale de Martini qui, en changeant son mode d’élaboration, avait intégré la catégorie fiscale des vins. Soho, la boisson saveur litchi de Pernod, vient de perpétrer le même coup fumant. A quand le prochain !
« Serons-nous bientôt les seuls à faire partie des produits intermédiaires, taxés à 220 € l’hl vol ? » Cette question taraude sérieusement les professionnels du Pineau. Dernier épisode en date : la métamorphose de Soho, la liqueur au litchi de la société Pernod. Par la grâce d’un changement de recette – permise par le caractère industriel du produit, qui le dispense des contraintes liées à un cahier des charges – la boisson est passée en dessous des 15 % vol. Du coup, de la catégorie de produits intermédiaires, elle est tombée dans la catégorie fiscale des vins… taxés 63 fois moins. Au lieu d’acquitter 220 € de l’hl vol. comme le Pineau, elle ne paie plus que 3 € de l’hl. Bingo ! La revue Rayon Boisson, spécialisée dans le circuit de la grande distribution, a relaté le fait d’arme dans son numéro du 24 janvier 2011. En indiquant que le mouvement faisait école. « L’initiative n’a rien d’une première. Sur les liqueurs modernes, le hard discount utilise déjà ce type de recette très légère fiscalement. Aldi, Lidl, Ed, Le Mutant et surtout Netto, font plus ou moins appel à cette formule sur les parfums coconut, peppermint, manzana verde, litchi ou passion vendus dans leurs rayons. Avec deux fournisseurs en pointe : Cherry Rocher et Suprex, tous deux liés au groupe La Martiniquaise. Côté hypers et supermarchés, Auchan a même franchi le pas avec un trio de boissons aux goûts noix de coco, menthe et fruit de la passion produites par Suprex. »
Comment les metteurs en marché du Pineau vivent-ils ces accommodements fiscaux ? Les vendeurs directs – ceux qui vendent à la propriété – ne se disent pas trop inquiets. Aujourd’hui, ils n’ont pas de mal à justifier auprès de leur clientèle un prix moyen de la bouteille à 8 €/8,5 €. Sauf que, quelque part, ils redoutent l’effet cascade. En clair, que la concurrence exercée par les Martini, Soho et consorts sur le créneau des apéritifs oblige les opérateurs Pineau exerçant en grande distribution à revoir leurs tarifs à la baisse. Et que ce prix dégradé revienne tel un boomerang sur la filière. Une réaction en chaîne qui se révélerait
mortifère
Pineau des Charentes L’heure des comptes
Pour le Pineau, cela ne fait pas un pli. La région délimitée Cognac a beaucoup plus à gagner qu’à perdre dans l’affaire des taxes Pineau. Pour le Whisky, c’est peut-être une autre paire de manche.
Whisky, Cognac, Pineau… tel pourrait être résumée a (très) grands traits l’affaire des taxes Pineau. Au jeu de « qui perd gagne », Christian Baudry, le président de la Confédération des vins de liqueurs AOC, a souhaité introduire un peu de transparence dans le débat. En resituant les forces en présence.
Le Whisky tout d’abord. C’est le champion incontesté des ventes de spiritueux en France. Il s’en écoule tous les ans 566 000 hl AP, soit davantage que les ventes totales de Cognac dans le monde. A l’évidence, l’augmentation de fiscalité d’1,3 % – mise en balance avec la baisse de 20 % de celle du Pineau – n’aurait pas été totalement indolore pour lui. Christian Baudry en a cependant relativisé l’impact, par la structure même de la distribution. « A 85 %, les ventes de spiritueux en France passent par la grande distribution. En général, les ventes du négoce se font hors taxes jusqu’aux magasins. C’est la grande distribution qui acquitte les taxes. La hausse de taxation des spiritueux n’aurait rien changé pour les distributeurs. Ce que la grande distribution allait payer en plus sur les spiritueux, elle l’aurait économisé sur les produits intermédiaires. »
Le Cognac ensuite. Sur le marché français, il s’en vend à peu près 11 000 hl AP, un peu plus si l’on rajoute les liqueurs à base de Cognac. Un volume équivalent part au Pineau. En effet, environ 16 000 hl AP sont utilisés pour muter les moûts Pineau. Ch. Baudry s’est livré à un rapide calcul. « Si la moitié du volume de Cognac écoulé en France bénéficie d’une baisse de taxes de 20 % et l’autre moitié d’une hausse d’1,3 %, le solde est à priori positif. Ceux qui prétendent le contraire ne savent pas compter. »
Le Pineau enfin. Sur les sorties Pineau, la baisse des taxes aurait occasionné 3,5 millions d’€ d’économie. Dans la région des Charentes, ce chiffre est à mettre en balance avec ce qu’aurait occasionné une hausse des taxes sur le Cognac et sur les liqueurs : respectivement 230 000 € et 50 000 €. « Voilà les raisons qui nous ont amenés à soutenir cet amendement » a précisé Christian Baudry.
Sortant du terrain factuel pour aller sur un terrain plus polémique, le syndicaliste a posé une question : « Le Bureau national du Cognac représente-il le Cognac ou représente-t-il des entreprises qui, entre autres, font un produit qui s’appelle le Cognac ? » Et de poursuivre dans la même veine : « Des viticulteurs de la région délimitée ont demandé que soit retiré l’amendement Pineau. Ils ne font certainement pas partie de ceux qui versent des droits. Ils doivent livrer leurs produits à l’export, sans paiement de taxes. Cela peut expliquer leur position très dure à l’égard de leurs collègues. »
Antoine Cuzange, président du Syndicat des négociants en Pineau, a désigné ceux qui, selon lui, portaient la responsabilité de l’échec du combat des taxes Pineau. « C’est moins le Cognac en tant que tel que les multinationales dont le Cognac dépend. Elles ont une vision bien plus élargie. Les états-majors, c’est clair, vendent de l’alcool. » Il a évoqué la « capacité d’indignation » qui devait monter des rangs du Pineau. « Si nous sommes capables de nous indigner alors, oui, tous les espoirs sont devant nous. »
Pour le président du Syndicat des producteurs de Pineau, Jean-Marie Baillif, le véritable scandale, dans cette affaire, serait de vouloir opposer Cognac et Pineau. « N’oublions pas que les producteurs de Pineau que nous sommes sont aussi producteurs de Cognac. En matière d’appellation, il n’y a ni grosses ni petites appellations. Il y a des appellations et en l’occurrence deux appellations qui partagent le même terroir. Chacune possède son interprofession. Il est sans doute important que nous apprenions à travailler davantage ensemble, en fédération d’interprofessions. »
Par ailleurs, J.-M. Baillif a demandé que l’on ne se trompe pas de combat. Il a rappelé l’enjeu énorme autour de l’indexation de la fiscalité indirecte sur l’inflation. Si l’indice fut de 0 en 2010, il s’est élevé à 1,5 et 2,8 % les années précédentes. Appliquée à des taxes de 220 € pour le Pineau ou de 1 500 € pour le Cognac, cela représente des sommes énormes. Christian Baudry en a chiffré l’impact. Pour les spiritueux, le coût serait cinq fois plus important que ce qu’aurait entraîné un relèvement de taux d’1,3 %. « Plutôt que nous opposer, unissons-nous pour lutter contre cette indexation. »