« Faire Bouger La Bête »

12 mars 2009

La Rédaction

photo_47.jpgSituation équilibrée pour le Pineau des Charentes. Ses ventes continuent de progresser régulièrement de 4 à 5 % l’an. Sa production maîtrisée commence à impacter les cours du vrac. Plusieurs projets de modification du décret d’appellation sont envisagés, notamment sur les dénominations de couleur (reconnaissance officielle du Pineau rouge ou « rubis »). Quant à la grève des taxes, elle reste toujours très suivie avec, en ligne de mire, l’espoir « de faire bouger la bête. »

Après les trois ou quatre réunions de secteurs, toujours très suivies, qui permettent de discuter en petits comités des sujets qui seront débattus en A.G., les adhérents du Syndicat des producteurs de Pineau se sont retrouvés à Saintes le 17 avril dernier. Jean-Bernard de Larquier, président du syndicat et successeur de Jacques Caillet, présent dans la salle, a redit les bonnes performances du Pineau. Après un léger tassement des ventes il y a sept ou huit ans (79 830 hl vol.), le Pineau n’a cessé depuis lors de progresser, au rythme régulier de 4 à 5 % l’an. En 2001-2002, le volume écoulé en Pineau s’est élevé à 112 436 hl, contre 105 258 hl l’année précédente. Au fil des années, la production a évolué de concert (103 000 hl, 105, 120, 140 000 hl), assurant au Pineau un taux de rotation des ventes sur stock assez équilibré, de l’ordre de 3,3-3,4 années de ventes. Cet équilibre, on le dit pourtant extrêmement fragile. « Au-dessus d’un taux de rotation de 3,5, les prix baissent, en dessous de 3,2, ils montent, attirant de nouveaux venus qui viennent perturber le marché » explique un expert en la matière. Dans un contexte d’équilibre comme aujourd’hui, on peut imaginer que les prix reviennent autour de 12 F le litre en vrac (1 200 F l’hl vol. ou encore près de 185 euros). Au tout début du printemps, le syndicat formulait le conseil suivant : « ne vendez pas à 11,50 F, tenez ! » Pour mémoire, dans les années 90, le Pineau vrac se négociait sur la base de 1 700 F l’hl vol.

Alors que le marché se porte plutôt bien, le Pineau nourrit tout de même quelques inquiétudes. Que se passerait-il si, dans le cadre d’une affectation parcellaire, l’accent était mis sur une démarche contraignante de diversification (l’idée des 80/20) ? Le bouilleur de cru qui produit déjà du Cognac sur son exploitation ne serait-il pas tenté de choisir le Pineau comme source de diversification « naturelle », quitte à déstabiliser l’économie générale du Pineau ? « Avec un coefficient de rotation du stock de 4, il n’y a pas besoin de vous faire un dessin, les cours s’effondreraient avec tout ce que cela peut signifier derrière pour nos producteurs » ne cache pas J.-B. de Larquier. A vrai dire, la filière ne découvre pas le problème d’aujourd’hui. Alors que la crise du Cognac battait son plein – dans les années 97-98 – les producteurs de Pineau ont dû inventer un système de pré-enregistrement des parcelles pour endiguer les ardeurs des « nouveaux convertis ». Le mécanisme, en place, est toujours à même de jouer ce rôle tampon. Pourrait-on imaginer de le rendre plus efficace en lui ajoutant un seuil, pour éviter le basculement trop important de surfaces vers le Pineau ? A la question d’Olivier Barbotin – « dans l’hypothèse d’une application des 80/20, les parcelles déjà affectées au Pineau feraient-elles partie de la diversification ? » – J.-B. de Larquier a répondu sans hésiter par l’affirmative. Ce dernier a par ailleurs indiqué que si, par solidarité régionale, le Pineau avait bloqué son rendement à 60 hl vol./ha pendant que le Cognac était à 6 de pur, il se donnait la possibilité de revenir vers son rendement butoir de 72 hl vol. si le Cognac devait aller à 8, pour des questions de rentabilité économique. « Ce n’est qu’une hypothèse mais, pour autant, ce ne sont pas des paroles en l’air. Nous pourrons en débattre. Ce genre de décision ne se prend qu’avec l’accord de l’ensemble des producteurs. »

Décret pineau : le lifting

Président de la commission dégustation, Patrick Brillet a présenté les quatre propositions de modification du décret Pineau proposée par la profession. Pour faire bref, il s’agit de l’introduction dans le décret de la dénomination de couleur « rouge » (ou rubis) à côté des couleurs rosé et blanc ; une reformulation du texte en ce qui concerne la durée de vieillissement sous bois, sans changement des délais de vieillissement proprement dits ; l’introduction dans le décret des dénominations « vieux » et « très vieux » qui figuraient jusqu’alors dans le règlement intérieur de la commission dégustation ; le fait de préciser que les contenants Pineau doivent être en verre pour la mise en marché. En assemblée générale, les producteurs ont donné leur aval à ces modifications du décret de 1945 qui, entre parenthèses, en a connu beaucoup d’autres et en connaîtra sans doute encore. Car, comme le rappelait J.-B. de Larquier, « un décret n’est pas fait pour entraver les conditions de production ni de mise en marché. » Pour que ces changements s’appliquent, il faudra au préalable qu’une commission d’enquête se déplace sur le terrain et que certains articles du décret soient réécrits. A quelle date ces modifications peuvent-elles entrer en vigueur ? « Dans un an si tout va bien, peut-être deux. L’INAO est une grande dame mais une vieille dame aussi, qui évolue lentement. C’est d’ailleurs un gage de sécurité pour le consommateur » note le président du syndicat. Pour revenir sur le détail des propositions de modifications, la dénomination Pineau rouge résulte d’une demande des producteurs mais aussi du marché et notamment des prescripteurs, restaurateurs, cavistes, sommeliers, soumis à de fréquentes questions de clients qui s’étonnent que l’on s’obstine à appeler rosé ce qui manifestement est rouge. Dorénavant, pourra figurer sur les étiquettes, cartes des restaurants ou documents commerciaux la mention rouge ou rubis (et non ruby, cette dernière orthographe étant réservée au Porto), sans que ceci constitue d’ailleurs une obligation. Car la couleur relève d’une dénomination – une information complémentaire que le producteur choisit de donner au consommateur – alors que la « vraie » revendication d’origine porte sur l’AOC « Pineau des Charentes ». D’ailleurs, dans les faits, 90 % des Pineaux vendus le sont sans mention de couleur sur l’étiquette. Il n’existe qu’un seul cas où le producteur serait obligé de renseigner le consommateur sur cet aspect : bouteille tellement foncée que l’on ne puisse pas distinguer la couleur. C’est la commission dégustation qui, à l’usage, fixera la manière d’accorder les dénominations de couleurs.

En ce qui concerne le vieillissement sous bois (article 5 du décret), la demande vise non pas un changement des durées minimales de vieillissement sous bois mais une reformulation du texte. Si les durées minimales de vieillissement sous bois restent toujours fixées à 8 mois pour le Pineau rosé (ou rouge) et 12 mois pour le Pineau blanc, les dates techniques de prélèvement d’échantillon par le syndicat en vue de l’agrément – à partir du 1er décembre de l’année N + 1 pour le Pineau rosé et à partir du 1er avril de l’année N + 2 pour le Pineau blanc (14 et 18 mois après la récolte) – ne jouent plus comme des dates repères pour la prise en compte du vieillissement minimum sous bois. A condition de pouvoir le prouver grâce à un cahier de chai, l’opérateur pourra s’exonérer de ces dates butoirs et revendiquer l’appellation au bout de 8 ou 12 mois après la récolte. Par contre, s’il n’arrive pas à apporter la preuve du vieillissement minimal sous bois, ce seront les dates limites du 1er décembre et du 1er avril qui continueront de s’appliquer. Pour les mentions « vieux » et « très vieux », il s’agit tout simplement d’insérer ces dénominations dans le décret, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Ces dénominations, pense-t-on, y acquerront plus de force, sans qu’il y ait de changements sur les délais de vieillissement minimum inscrits dans le règlement intérieur de la commission dégustation : 5 ans pour le Pineau vieux et 10 ans pour le Pineau très vieux. Quant à la proposition de modification de l’article 9 du décret, elle précise que le Pineau ne pourra être mis en bouteille que dans des contenants « de verre ». Objectif : éviter de voir circuler du Pineau des Charentes dans des cubitainers plastiques non valorisant pour l’image. Sous la législation française, la bouteille s’arrêtait à 3 litres. Dans le cadre de la législation européenne, l’acception du mot « bouteille » s’étend dorénavant aux contenants de 5 litres, y compris les petits cubitainers plastiques. D’où le garde-fou inscrit dans le décret Pineau.

Une grève « dure » et qui dure

Voilà plus d’un an (janvier 2002) que les opérateurs Pineau ont redémarré une grève des taxes. La première mise en parenthèses du versement des taxes avait eu lieu il y a 20 ans, en 1983. Cette opération de rétention des trois quarts des droits, suivie par 80 % des ressortissants, n’a qu’un seul but : faire pression sur l’Etat français pour tendre vers l’harmonisation fiscale avec les vins doux naturels, collègues et concurrents des vins de liqueurs. Un écart de taxation de 1 à 4 sépare en effet aujourd’hui les vins de liqueurs à AOC (Pineau, Floc, Macvin) des VDN. Les vins de liqueurs, emmenés par le Pineau qui représente 80 % des volumes, demandent que cet écart soit réduit au moins de moitié. En novembre dernier, le ministère du Budget propose à la Confédération nationale des vins de liqueurs à AOC, dont Christian Baudry est le président, une aide compensatoire de 12 millions d’euros sur 5 ans, soit un peu moins de 80 millions de francs. C’est l’équivalent d’1 F par bouteille. « Nous avons répondu au ministre du Budget que nous considérions cette proposition d’aide comme un début de négociation, que nous voulions bien l’accepter mais qu’elle ne nous ferait en aucune façon rentrer dans le rang » commente Ch. Baudry. « On en est là et l’on en serait là, poursuit ce dernier si, début janvier, ne s’était produit un revirement de situation du type “arroseur arrosé”. Voilà plus de 20 ans (date de la première grève des taxes) que l’on nous parle de l’impossibilité de réduire les taxes sur le Pineau, sous prétexte que ce dernier se situe dans la même catégorie fiscale que le Martini ou le Porto, celle des produits intermédiaires issus du mélange d’un vin et d’une eau-de-vie. Ainsi, pour protéger les “pauvres” VDN et autres Muscats, le Pineau devait-il être sacrifié sur l’autel de la concurrence. Or, à trop tirer sur la corde, elle casse. Début janvier, Martini a annoncé son intention de modifier son mode d’élaboration. Dorénavant, il ne fera plus appel au mutage mais va recourir à un vin de fort degré, de type Alicante, titrant autour de 14,4 % vol. Conséquence : sa fiscalité va tomber d’un coup de 14 F le litre à… 22 centimes (fiscalité des vins), générant une économie de 13,78 F par bouteille. Très habilement, Martini a décidé de consacrer cette manne de 47 millions d’euros par an (300 millions de francs) à la publicité. D’autant qu’à 98 %, un échantillon de 7 000 consommateurs n’a pas vu de différence entre l’ancien et le nouveau Martini. Emoi dans le Midi où le sujet n’est plus le Pineau et sa demande de réduction de moitié de l’écart de fiscalité mais le Martini, 16 fois moins taxé que les VDN. » En France, Martini écoule 22 millions de bouteilles en grande distribution, soit 220 à 230 000 hl vol. Le Porto se situe dans les mêmes eaux (220 000 hl) tandis que le Pineau représente à peu près un tiers des volumes de l’un et de l’autre (autour de 80 000 hl vol. vendus en France). Comme l’a souligné Ch. Baudry, on en arrive à la situation suivante : les apéritifs de type industriel (Martini, Suze, Bartissol…) vont être taxés à 22 c le litre, les Vins Doux Naturels à 3,5 F et les Pineaux, Porto, Floc, Macvin à 14 F. « En France, plus les produits sont de qualité, plus leurs racines au terroir sont fortes, plus ils sont taxés. Merci « monsieur Martini de faire la démonstration par l’absurde de la bêtise du système fiscal français sur les alcools ». Le président de la Confédération française des vins de liqueur en appelle à un durcissement du ton. « Il ne s’agit pas de baisser la garde ou de se satisfaire de vagues promesses. Nous devons obtenir une diminution réelle des taxes de manière à nous ramener dans la concurrence. Nous serons certainement moins “négociants” qu’il y a un an, où notre proposition de ramener la fiscalité à un rapport de 1 à 3 n’avait pas été entendue. Aujourd’hui, la situation a évolué. Ce n’est pas quand on sent que la bête s’essouffle qu’il faut lui lâcher la queue ! » Et pour que les choses soient claires, Christian Baudry a cru bon de rajouter que si la baisse des taxes il devait y avoir un jour, « on ne la laisserait pas en totalité aux opérateurs pour que certains en fassent cadeaux à Leclerc ou aux autres ». « On s’est bien compris ! Cette diminution de taxes devra nous permettre d’augmenter la participation de tout un chacun dans les opérations promotionnelles du Comité.

A côté de la grève des taxes, l’autre « poêle au feu » du Pineau tient aux actions en justice. La prochaine en date est prévue à Agen, en procédure d’appel, le 18 juin… ça ne s’invente pas. A cette occasion, peut-être verra-t-on les juges enfin poser la fameuse question préjudicielle sur la structuration des droits à la Cour de Justice de Luxembourg.

photo_473.jpgEn ouverture de la réunion, J.B. de Larquier avait rendu hommage à Bernard Lucquiaud pour son implication dans la filière Pineau. B. Lucquiaud fut membre du syndicat et président du Comité national du Pineau. Ayant fait valoir ses droits à la retraite, il a été remplacé au titre de la coopérative Unicoop par Jean-Claude Vignaud, de Montlieu-la-Garde.

Le Pineau en chiffres

Environ mille viticulteurs revendiquent aujourd’hui la production de Pineau des Charentes, soit à titre individuel (600 viticulteurs) soit au titre de coopératives (400 producteurs). Au nombre de sept, ces dernières élaborent 34 % des volumes de Pineau, contre 66 % pour les producteurs individuels. Parmi eux, 142 fabriquent moins de 30 hl vol.*, 229 entre 30 et 100 hl, 195 entre 100 et 500 hl, 32 entre 500 et 2 000 hl et 3 dépassent les 2 000 hl vol. (8 192 hl à eux trois sur la récolte 2002). Cette récolte 2002 s’est traduite par la fabrication de 134 028 hl vol. de Pineau, un chiffre en légère augmentation par rapport à la récolte précédente (130 962 hl vol.). En ce qui concerne les sorties, le marché hexagonal reste toujours déterminant pour le Pineau (84 256 hl au 07-02) tandis que l’exportation (28 180 hl à la même date), se borne pratiquement à deux pays, la Belgique pour 22 825 hl et le Canada pour 2 809 hl. De même, la Charente-Maritime conserve une place prépondérante dans la production du Pineau (79 %). Si le Pineau blanc arrive toujours en tête des fabrications (autour de 60 % des volumes), on constate néanmoins une progression des Pineaux rosés (et bientôt rouges) avec l’évolution du décret.

(*) La production de 60 hl de Pineau nécessite un ha de moût à 60 hl/ha et 1 ha 70 de Cognac à 6 hl AP.

 

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