Situation paradoxale où les ventes de Pineau se portent plutôt bien – + 4 % sur la campagne – où les prix du Pineau vrac se redressent mais où, pourtant, la filière a l’impression de vivre l’une des crises majeures de son histoire. La famille du Pineau au bord du gouffre ? On pourrait le croire tant les tensions à l’œuvre sont importantes. A cela deux raisons principales. L’une est ancienne et récurrente. Elle a trait à la difficulté du Pineau de tirer une bonne valorisation de ses ventes sur son principal marché, celui de la grande distribution en France. D’où des marges étriquées et, en cascade, un prix d’approvisionnement tiré vers le bas. A quand une « sortie par le haut » du Pineau, à l’instar du Cognac ? D’aucuns y ont cru en essayant de faire passer le message ambitieux d’une politique de marques. Ou encore en travaillant à une « union sacrée des metteurs en marché ». Mais personne n’empêchera jamais un franc-tireur de faire ce qu’il sait faire le mieux : tirer dans les coins. Une autre raison, plus conjoncturelle, « pourrit » le climat actuel. C’est celle liée à l’ODG. Comme tous les vins d’AOC de France et de Navarre, le Pineau va devoir mettre en place dans les prochaines semaines un Organisme de défense et de gestion. Sauf qu’à côté du Pineau il y a le Cognac et que ce dernier, au nom du particularisme eau-de-vie, s’est vu autoriser la parité viticulture-négoce au sein de son ODG. Les négociants Pineau – souvent les mêmes que ceux Cognac – ont du mal à comprendre pourquoi ce qui s’applique au Cognac ne pourrait pas s’appliquer au Pineau. D’où une montée en pression qui cristallise les passions. Si on y ajoute le fait que le négoce n’a pas du tout apprécié la décision, l’an dernier, du Syndicat de producteurs de descendre le rendement des moûts Pineau à 50 hl/ha – interprétée par le commerce comme une déclaration d’hostilité pour faire monter les prix – on comprendra que le torchon brûle au sein de la filière. Encore que… Aujourd’hui, manifestement, la viticulture entend jouer l’ouverture et l’apaisement et le négoce n’y semble pas hermétique. En matière d’ODG la viticulture a fait des propositions plutôt généreuses, au moins à son sens (voir encadré). Surtout son projet de filière se veut porteur d’avenir et source d’équilibre, pour le négoce comme pour la viticulture. « Les négociants seraient les premiers bénéficiaires de ce projet » affirme-t-on côté viticulture. Lors de l’assemblée générale du Syndicat des producteurs, le 12 avril dernier, Jean-Bernard de Larquier, président de ce même syndicat, a exposé à grands traits le projet de filière. Il repose sur deux notions essentielles : un rendement réévalué et, en contrepartie, la création d’une réserve technique. La fixation du rendement, comme le prévoit la loi, relève de l’ODG mais l’interprofession, par essence paritaire, pourrait fixer un volume complémentaire dans le cadre d’une réserve technique (dite encore réserve qualitative). Objectif : en cas de bonne récolte, tant au plan des volumes que de la qualité, la profession pourrait décider de mettre en réserve des quantités, quantités qu’elle pourrait réintroduire en cas de manque. Le Syndicat des producteurs y voit une série d’avantages : redonner confiance à la viticulture pour produire du Pineau, en apportant à ses producteurs la garantie que l’augmentation de la production ne se retournerait pas contre eux en terme de baisse des prix. Quant aux négociants, dit-on, un tel système serait de nature à les rassurer vis-à-vis de ce qui est censé constituer leur crainte existentielle : manquer de marchandise alors qu’ils investissent sur les marchés. Et ce même si certains persistent à penser que leur principale motivation tient aux prix. « Ils veulent beaucoup d’approvisionnement pour que les cours n’augmentent pas ! » La réserve technique, la recette miracle ! Non bien sûr. J.-B. de Larquier a évoqué d’autres pistes de travail pour asseoir la filière Pineau. On ne s’étonnera pas que le président du SGV Cognac ait notamment cité l’affectation parcellaire. « Nous ne saurons organiser notre production que lorsque la région délimitée tout entière sera elle-même organisée. Aujourd’hui, les “ha baladeurs” pénalisent les cours du vrac. Ils proviennent à la fois de producteurs purement opportunistes qui spéculent sur la bonne santé du Pineau à un instant “T” mais aussi de nos producteurs traditionnels qui peuvent adopter la même philosophie sur une partie de leur structure. Sous le régime de l’affectation, un producteur qui affectera au Pineau et qui changera d’avis en cours de route pourra se replier en Cognac mais au rendement du Pineau. » Un autre commentateur glose sur l’efficacité réelle ou supposée de la réserve technique. « La réserve technique ne marche que si l’on dit à quelle date on la réinjecte. C’est le cas en Champagne de Reims où la filière la vide tous des deux/trois ans. Une réserve qualitative qualifiée d’emblée de “tampon” ne fonctionne pas. »
L’an dernier, le syndicat avait décidé de baisser de façon drastique le rendement. Il était passé de 60 hl/ha à 50 hl/ha. Cette position « dure », analysée par certains comme une baisse « politique », avait fait des vagues, non seulement dans les rangs du négoce mais aussi dans ceux de la viticulture. Elle se justifiait par la volonté de retrouver très vite un taux de rotation du stock de 3,5 années considéré, pour le Pineau, comme l’alpha et l’oméga de l’équilibre. « Au-dessus les cours sont déprimés, en dessous ils flambent. » Pari tenu. La progression des ventes de Pineau en 2005-2006 a permis d’atteindre cet objectif, avant même l’entrée en lice de la petite récolte 2006 (93 064 hl vol., en baisse de 17 % par rapport à la précédente récolte). Mais aujourd’hui, le syndicat sait très bien qu’il doit redresser la barre. Le rendement doit augmenter, ne serait-ce que pour ne pas laisser filer une bonne partie de la production au Cognac. Commentaire d’un compagnon de route du Pineau : « Il faut réinjecter du cash à la viticulture. Et puis, l’on ne peut pas tenir 50 ou 60 hl de moût en rouge quand nous sommes à 100 hl sur le Cognac. » Confirmation de J.-B. de Larquier devant les producteurs : « L’an dernier, nous avions pris ensemble la décision de passer à 50 hl/ha en disant qu’il faudrait remonter rapidement à 60 hl/ha. Il se peut même – si l’on veut être en capacité d’assurer la mise en marché – qu’il faille aller plus loin pour contrebalancer l’effet d’aspirateur du Cognac. » Et Dieu sait si cet « aspirateur » est puissant en ce moment. La vague du Cognac prend des allures de tsunami. Elle a déjà balayé les vins sur son passage. Le Pineau résistera-t-il mieux ? Il le faudra bien si la filière veut éviter le scénario catastrophe : marché non approvisionné, cours en forte hausse avec les conséquences prévisibles sur les ventes. A 80 000 hl de production en 2007, on ne serait pas loin de ce schéma. Tout le monde en est bien conscient, viticulture et négoce, même si la viticulture ne veut pas non plus ouvrir les vannes. D’où la nécessité d’un pilotage fin et d’un minimum de dialogue entre viticulture et négoce, notamment au sujet de la réserve qualitative.
Pour autant, le Pineau n’aura pas réglé tous ces maux. Des maux qu’un bon observateur de la filière illustre de la manière suivante. « Dans une enseigne bien connue de la grande distribution, la bouteille de Martini a monté ses prix de 10 % en quatre ans. Sur la même période, la bouteille de Pineau a perdu 10 %. Pourtant, les interlocuteurs sont les mêmes, pour le Pineau comme pour le Martini. » Une fatalité pèserait-elle donc sur le Pineau en grande distribution ? Faut-il instruire un procès aux négociants Pineau moins « bons » que leurs collègues des autres produits ? Des tentatives d’explications fusent. Est évoquée au premier chef l’importance des marques distributeurs (MDD) au détriment des « vrais marques ». Les MDD représenteraient globalement 30 % des ventes de Pineau, sachant que le marché français pèse pour 75 % ; que sur ce marché hexagonal, 80 % des ventes passent par la grande distribution et qu’à l’intérieur de ce segment, les MDD réalisent 55 % des volumes. Ces marques distributeurs, dont les prix de ventes consommateurs oscillent aujourd’hui entre 6 et 6,5 € contre un prix moyen autour de 7,5 € pour les Pineaux des bouilleurs de cru, présenteraient le gros inconvénient de tenir certains négociants « entre le marteau et l’enclume ». Ils ne pourraient plus jouer sur leurs prix de ventes – puisque c’est la distribution qui les contrôle – et sentiraient par ailleurs les prix d’approvisionnement leur échapper avec les remontées des cours. Ce qui aurait le don de les rendre « nerveux », d’autant qu’avec le Cognac, ils connaissent la même situation « en pire ». Pour un opérateur bien introduit sur le marché, à la fois négociant et viticulteur, la source principale des problèmes tient à un climat concurrentiel effréné entre négociants, parfois même doublé d’entreprises de déstabilisation « limite malsaines », qui conduisent à vendre le produit le moins cher possible. « Quand une bouteille de Pineau se vend 6 € ou 6,5 €, que vous enlevez la TVA et les droits, restent 3,82 €. Cette somme doit servir à rémunérer la marchandise, payer le transporteur, le négociant metteur en bouteille, le distributeur et, éventuellement, deux ou trois opérations dans l’année, comme un catalogue, une tête de gondole. Dans ces conditions, ni le producteur ni le négociant ne gagnent leur vie. » Et c’est bien là ce qui paraît le plus grave : que le négoce ne dégage pas de marges et soit donc dans l’incapacité d’en faire profiter l’amont, si tant est qu’il en ait envie. Un négociant un peu en dehors de l’arène trouve cependant l’explication du négoce « otage de la grande distribution » un peu courte. Pour lui, le problème essentiel du Pineau vient de la banalisation de son offre, de son manque de différenciation sur le marché. « A quelques exceptions près – Château de Beaulon, quelques autres – le Pineau est un produit un peu interchangeable qui prête le flanc à une politique de prix. Entre le Pineau Durand et le Pineau Dupond, le metteur en marché choisira le moins cher. » Ce négociant y voit l’effet d’une communication Pineau « concentrée sur la région, sans explication et sans valorisation ainsi que la conséquence de la mise à l’écart du négoce de la sphère de production ». Non pas que le négocie doive « produire au sens d’élaborer le produit mais il doit au moins être associé au concept de production ». « Cela me semble fondamental dit-il car, pour vendre, le négoce a besoin d’expliquer le produit, raconter une histoire au sens de “story”. Dans des filières comme le Cognac ou le Pineau, il paraît difficilement imaginable que la vente se coupe de la production. Regardez Rémy Martin. Dans sa tentative de différenciation avec d’autres maisons de négoce, la maison a inventé l’idée de Fine Champagne, un concept typiquement de producteur mais porté par le négoce. » L’enceinte interprofessionnelle n’est-elle pas suffisante à réaliser cette synthèse ? Aux yeux du négociant, pas du tout. « L’interprofession du Pineau est la plus bâtarde qui soit. C’est un peu comme si les ouvriers d’une usine fabriquaient ce qu’ils savent faire et demandaient ensuite aux commerciaux d’essayer de le vendre. A mon avis, négoce et viticulture ont à travailler collectivement autour du “cahier des charges. Production et commerce sont indissociables. » A ne pas le faire, un risque court selon lui, « l’Amargnaquisation du Pineau », qui se manifeste par deux symptômes : de petits volumes et une absence de prix. Le même pense que le Pineau est avant tout « un produit de paysan », au sens noble du terme, qui a une histoire de terroir à raconter. Et en plus, ajoute-t-il, « c’est super-bon, une vraie pépite ! »
ODG Pineau
Trouver un terrain d’entente
A quelques semaines de la date limite de reconnaissance des ODG, Syndicat des producteurs et Syndicat des négociants continuent de se parler en attendant réciproquement des « signes forts » de l’un et de l’autre.
La date limite de reconnaissance des ODG par le Comité national INAO est fixé au 31 mai. Avant cette date, la filière Pineau devra s’être mise d’accord sur la composition de son ODG. Début février 2007, c’est le Syndicat des producteurs seul qui a fait acte de candidature, dans le droit fil de l’ordonnance du 7 décembre 2006 (1). Cependant, l’idée d’une ouverture au négoce s’est très vite imposée. Pour au moins deux raisons : la « bronca » conduite par le Syndicat du négoce qui, manifestement, a eu tendance à infléchir les positions du Syndicat des producteurs et aussi une raison plus technique. Dans le cadre de la réforme de l’agrément, qui sous-tend celle de l’ODG, ne pourront bénéficier des contrôles internes (contrôles à vocation pédagogique gérés par l’ODG, à opposer aux contrôles externes) que les adhérents de ce même organisme de gestion. Il va donc de l’intérêt bien compris de la filière que tous les acteurs sont représentés au sein de l’ODG sachant que, fait nouveau, les contrôles pourront s’exercer à tous les stades, de la production au conditionnement en passant par l’assemblage ou l’élevage. Reste à déterminer le curseur de la représentation du négoce. Dès le départ, une partie du négoce a demandé un « copier-coller » avec le Cognac, c’est-à-dire la parité 50/50 entre viticulture et négoce au sein de l’ODG. Pour la viticulture, cette position est apparue inacceptable, ne serait-ce que par le simple fait du rapport de forces en présence. « Le négoce représente environ 50 à 60 % des ventes mais il n’émarge pas à la production. Son poids numérique dans l’activité est peut-être de l’ordre de 20 %. La parité est inenvisageable. » Une frange du négoce n’est d’ailleurs pas loin de se ranger à cet avis. « On ne peut pas faire table rase du passé. Il faut compter avec l’histoire du Pineau. Les producteurs de Pineau n’accepteront jamais la parité surtout que pèse sur eux l’ombre tutélaire du Cognac. Ils ne veulent pas la même chose pour le Pineau. » Dans ces conditions, quel compromis va pouvoir être trouvé ? Face à un climat décrit comme « assez tendu », la viticulture parle pourtant de son envie de construire, d’aller dans le sens de l’ouverture « en contrepartie d’un engagement fort du négoce pour la mise en place d’un projet de filière » (à noter que le négoce dit également attendre de la viticulture un « signe fort »). Concrètement, fin avril, sur les 25 sièges de l’ODG, la viticulture proposait au négoce entre trois et cinq sièges, ce qui, pour elle, témoignait déjà d’une grande ouverture. « Mine de rien, il s’agit vraiment d’une avancée colossale. Dans le monde des AOC viticoles, aucune autre région ne va aussi loin. » En ce qui concerne les coopératives, un accord a été trouvé. Les coopératives seront représentées au prorata de leur poids dans la production, soit 28 % des volumes. Cette représentation de la coopération ne se fera pas « ès qualité » mais se fondera au sein du collège des déclarants de récolte.
(1) L’ordonnance du 7 décembre 2006 prévoit que, pour les vins, « ne peuvent être membres de l’ODG que les personnes établissant une déclaration de récolte ». Si l’ordonnance permet à l’ODG d’associer d’autres opérateurs, cet élargissement dépend exclusivement « du bon vouloir des déclarants ».
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