« Au Bout Du Système De La Double Fin »

8 mars 2009

philippe_boujut.jpgLa double fin vivrait-elle ses dernières heures en Charentes ? Fin février, le Comité national INAO des vins et eaux-de-vie examinera la modification visant à introduire la notiond’affectation de surface dans le décret cognac. Le rapport Zonta sera rendu dans la foulée. Son objectif : mettre les moyens en face des objectifs. Le président du Syndicat général des vignerons s’exprime sur les changements – de taille – qui s’annoncent.

« Le Paysan Vigneron » – Le processus est enclenché. Si, les 26 et 27 février prochain, le Comité national INAO vote la proposition de modification de décret, ce sera la mort annoncée de la double fin en Charentes.

Philippe Boujut – Cette évolution me fait penser à la question des retraites. Comme nous sommes arrivés au bout du système des retraites, tout le monde sait bien que nous sommes arrivés au bout du système de la double fin. Mais les changements font peur, ils inquiètent et c’est normal. C’est pour cela que nous sommes de nouveau allés à la rencontre des viticulteurs, en provoquant une vingtaine de réunions, dans toute la région délimitée. Pour nous, ces rendez-vous sont très importants. Ils permettent d’échanger, d’expliquer mais aussi d’avancer, car les viticulteurs soulèvent des points techniques essentiels à la bonne compréhension des choses.

« Le Paysan Vigneron » – L’INAO va-t-il voter le texte ?

Ph.B. – On ne peut jamais présumer d’une décision mais, honnêtement, il n’y a jamais eu autant de gens à porter le dossier. Jules Tourmeau, le secrétaire de la commission d’enquête, a bien compris les tenants et les aboutissants. Il a saisi les spécificités d’une eau-de-vie, issue d’un vin à brûler et non d’un vin à boire, deux produits totalement différents. Je voudrais aussi remercier les gens qui, notamment à l’intérieur de la région, ont beaucoup travaillé sur le dossier de l’AOC. Je pense à Philippe Guélin et à Bernard Laurichesse.

« Le Paysan Vigneron » – Concrètement, comment peut fonctionner une affectation de surface en Charentes ?

Ph.B. – Tout d’abord, et telle que nous l’avons envisagé, l’affectation de surface joue sur les quatre destinations : Cognac, Pineau, vin de pays et vin de consommation. L’affectation aux autres destinations – vins de base mousseux et jus de raisins – s’applique par défaut.

Pour trouver le mode opératoire de cette affectation de surface, nous n’avons rien inventé mais nous nous sommes inspirés de deux exemples, celui du Pineau et celui du Minervois*. Les producteurs de Pineau nous ont apporté l’idée d’une affectation de surface, déconnectée de la revendication de production. En clair, on peut affecter une parcelle à une catégorie de produit et renoncer juste avant la récolte à en revendiquer la production, ce qui conduit à ne pas bouger et à rester dans la situation antérieure. Par contre, le rendement qui s’appliquera sera celui de l’affectation parcellaire, ce qui peut constituer un sérieux manque à gagner. Quant aux producteurs du Minervois, ils pratiquent une affectation triennale selon un système dit « glissant ». Ce système a le mérite d’éviter les phénomènes de yo-yo – les producteurs s’engagent pour trois ans – tout en ménageant de la souplesse. Le mécanisme n’est pas figé. Chaque année, les vignerons peuvent changer l’affectation de leurs parcelles, sachant que cette modification ne rentrera en vigueur que lors de la troisième année.

Pour nos quatre catégories de produit, on pourrait donc concevoir un système d’engagement triennal « glissant », assorti d’une revendication annuelle de production.

« Le Paysan Vigneron » – Quelle est la place de l’acheteur dans un tel système ?

Ph.B. – Il est prépondérant et repose sur un tour de table de tous les opérateurs avant récolte, permettant à la fois aux producteurs d’apprécier les marchés et aux acheteurs de se positionner, par des engagements globaux, voire personnalisés.

« Le Paysan Vigneron » – Si l’affectation de surface doit s’appliquer, quand pensez-vous que le changement de régime puisse intervenir ?

Ph.B. – Il y a quelques mois, je vous aurais répondu que ce changement avait vocation à être progressif et risquait de courir sur plusieurs années. En fait, nous visions la fin du Plan d’adaptation viticole, en 2006. Depuis, il s’avère que la donne a évolué et 2003 risque d’être l’année décisive du basculement.

« Le Paysan Vigneron » – Pourquoi ?

Ph.B. – Voilà plusieurs années déjà que la Commission européenne demande des comptes à la France, car Cognac, en distillant moins, n’a pas respecté la « QNV historique » de 7,4 millions d’hl vol., entraînant du même coup des sur-distillations européennes. Face à Bruxelles, il semble que le fait que la région « se soit prise en main » ait pesé lourd dans la négociation et évité à la France de se voir notifier des pénalités. Mais la clémence européenne a des limites et le régime dérogatoire concédé en 2001 et de 2002 ne devrait pas se réitérer plus longtemps. C’est pourquoi 2003 s’annonce comme une année de rupture. Ou la région délimitée change de système ou elle risque de tomber sous le régime général des vins de table. Ce régime se caractérise par le chiffre de 90 hl/ha, 90 hl/ha pour le Cognac, 90 hl + 10 hl/ha pour les vins de table. C’est à la fois trop pour le Cognac, trop pour les vins de table et pas assez pour les vins de base mousseux ou les jus de raisin. L’augmentation de la production Cognac se fera de toute façon au détriment des viticulteurs ayant peu accès au marché du Cognac. Les plus forts résisteront mais, syndicalement, ce n’est pas défendable.

Tout l’intérêt de la mission Zonta, pour laquelle nous nous sommes battus, a été de réfléchir à un dispositif spécifique Charentes.

« Le Paysan Vigneron » – Qui se manifesterait par quoi ?

Ph.B. – Par l’obtention de rendements différenciés sur les vignes autres (vin de base mousseux et jus de raisin) et par le fait que la délimitation parcellaire, prévue au régime INAO, reste une délimitation administrative, étendue à toutes les parcelles de l’aire délimitée. Que vous affectiez ou que vous n’affectiez pas au Cognac, toutes vos parcelles garderont le droit à l’appellation Cognac.

« Le Paysan Vigneron » – Les rendements différenciés selon les débouchés – les 180 hl vol./ha – ne sont pas acquis.

Ph.B. – Je ne sens pas d’opposition flagrante à ce sujet. En fait, nous demandons à être traités de la même façon que les vignobles allemand, espagnol ou italien, pour ne pas avoir à subir de distorsion de concurrence. Je pense que M. Zonta a dû effectuer les consultations nécessaires. S’il ne s’est pas encore exprimé, c’est qu’il attend la réponse de l’INAO. Tout est lié. Pour qu’il y est rendement différencié sur les débouchés autres, il faut qu’à travers une logique de différenciation le système AOC s’applique sur le produit Cognac.

« Le Paysan Vigneron » – Les 8 de pur ha au Cognac semblent faire partie inhérente du projet soutenu par le SGV Cognac. Pourquoi 8 de pur et pourquoi tout de suite ?

Ph.B. – Il a toujours été dit qu’à terme, notre objectif était de rendre le vignoble Cognac rentable. Notre mission première consiste tout de même à défendre le Cognac. Et, pour se faire, nous devons nous rapprocher le plus possible des 35 000 F/ha. Si le niveau de prix constitue un des paramètres du revenu – les discussions devront d’ailleurs reprendre sur le sujet – il faudra forcément augmenter la QNV, au risque d’être très vite limité. Comme déjà dit, il était possible d’espérer une transition lente entre ancien et nouveau régime. Cela ne semble pas être l’option retenue. D’où l’actualité immédiate des 8 de pur, dès la campagne prochaine, si le régime INAO s’applique. Deux autres éléments plaident pour sa mise en place rapide : le fait que, sur les vignes affectées au Cognac, il n’y ait plus rien au-dessus du débouché eau-de-vie et l’engagement pris auprès des gens qui sont rentrés dans le Plan. On leur a promis qu’en arrachant ou reconvertissant, ils ne seraient pas lésés, « qu’ils ne gagneraient pas moins demain ». On leur a dit que sur moins d’ha, ils pourraient produire autant, au moins jusqu’en 2006. Nous devons tenir notre promesse, c’est très important pour nous. Or l’affectation des surfaces risque de s’appliquer dès 2003, et, dans un régime INAO, on ne considère que les surfaces en production. Le calcul du « droit à produire » s’opérera sur une base plus faible. Il faut donc que les curseurs soient revus à la hausse.

« Le Paysan Vigneron » – Dans un courrier commun avec les deux Chambres d’agriculture 16 et 17, le SGV Cognac a soutenu la proposition des « 80/20 % » émanant de Charente-Maritime, qui prévoit que les viticulteurs ne puissent pas affecter plus de 80 % de leur surface au Cognac.

Ph.B. – Cela fait partie des incitations fortes à affecter à d’autres destinations que le Cognac, comme de couper le débouché jus de raisin sur les ha Cognac. C’est une règle d’équité et une garantie supplémentaire même si, personnellement, je ne crois pas aux grands débordements. A 8 de pur, il y aurait certainement très peu de gens à tout affecter au Cognac. Mais le système des « 80/20 % » joue comme un garde-fou et, en cela, nous le défendons. Reste à savoir quel organisme peut le faire respecter. Si on regarde du côté de l’AOC, un système en qui nous avons confiance, c’est l’écueil. Car, sous le régime de l’AOC, ne pourraient être prises en compte pour le calcul des 80 % maximum d’affectation, que les vignes Cognac, en éliminant toutes les surfaces déjà reconverties ou arrachées. Quelque chose contraire à notre logique et que nous ne pouvons pas accepter. Dans ces conditions, l’Etat apparaît comme le seul recours. Pour l’instant, nous n’avons pas de réponse sur la faisabilité d’une démarche obligatoire.

« Le Paysan Vigneron » – Etes-vous décidé à vous battre pour l’obtenir ?

Ph.B. – Bien sûr ; car les solutions destinées à introduire plus d’équité sont tout sauf marginales. Ceci étant, nous ne basons pas toute notre démarche là-dessus. Si les « 80/20 » s’avèrent impossibles à décrocher, faut-il rester dans l’ancien système ? Nous disons casse-cou !

« Le Paysan Vigneron » – Ainsi, par exemple, vous ne seriez pas prêt à remettre en cause le principe des 8 de pur si vous n’obteniez pas les « 80/20 » ?

Ph.B. – Pour l’instant, nous présentons le projet tel qu’il devrait être. Dans ce schéma, l’affectation Cognac limitée à 80 % apparaît comme une source d’équité supplémentaire. Nous saurons au mois de mars, avec la remise du rapport Zonta, si ce système est possible. Ensuite, les viticulteurs trancheront, comme d’habitude, avec tous les éléments en main. Mais, pour se déterminer, ils doivent avoir l’information la plus claire et la plus limpide possible. Etre responsables, c’est aussi savoir se remettre en cause en fonction d’événements extérieurs, ne pas être buté sur aucune position.

« Le Paysan Vigneron » – Ne craignez-vous pas que l’unité ait du mal à résister dans les prochains mois ?

Ph.B. – Nous avons su réaliser l’unité quand il l’a fallu. Certains aimeraient sans doute se persuader du contraire. Mais dans les moments cruciaux, la région a su se rassembler. Ce fut le cas avec les 120 hl du rendement agronomique. C’est l’unité régionale qui a permis de l’obtenir. Si nous voulons aboutir sur les dossiers importants qui nous attendent, il faudra parler d’une seule voix.

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