Environnement-santé : pesticides : des produits à risque
La pire des choses ! Se voiler la face. Les produits issus de la chimie organique de synthèse sont tout sauf des produits anodins. Ce n’est peut-être pas un hasard si les statistiques médicales enregistrent une telle augmentation de cancers et autres affections comme la maladie d’Alzheimer… Au cocktail environnemental (particules fines, pollutions diverses…) vient se greffer le cocktail des pesticides. Dans ce domaine, les agriculteurs sont les premières victimes des produits qu’ils mettent en œuvre. Un sujet délicat s’il en est. Qui, de l’économie ou de l’écologie, doit l’emporter ? « Les deux mon capitaine » serait-on tenté de dire. L’industrie est-elle en mesure de commercialiser des molécules moins agressives pour le système immunitaire ? Les agriculteurs vont-ils modifier leurs pratiques ? Il est clair qu’une prise de conscience existe. « En tout cas, l’on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas » lance Paul François, l’agriculteur du nord-Charente qui a tenu tête à Mosanto (inhalation à forte dose d’un herbicide aujourd’hui retiré du marché, le Lasso). Avec d’autres, dont Jacky Ferrand, de Gondeville, il a fondé l’association Phyto-Victimes.
Rapporteur, fin 2012, d’une mission d’information sur les pesticides – « Pesticides : vers le risque 0 » – la sénatrice Nicole Bonnefoy veut voir dans la contribution parlementaire « un moyen de s’engager dans une nouvelle voie ». Une voie qui est déjà bien balisée. A titre d’exemple, la région Poitou-Charentes a été précurseur dans la mise en place d’un réseau de mesure des pesticides dans l’air, animé par l’association ATMO. En 2006 et 2012, deux campagnes de prélèvements furent réalisées en milieu viticole, dans les communes de Juillac-le-Coq et Saint-Preuil. Objectif : mesurer l’importance des pesticides dans l’air.
Face au défi posé par l’agrochimie, un agriculteur (Jean-Luc Lassoudière) exprime son ressenti et celui de bien d’autres : « Trop de chimie, pas assez de science. »
Dépassé notre système immunitaire ! C’est ce que disent un certain nombre de médecins. « On ne peut plus se contenter de remplacer une molécule par une autre. Un jour, il faudra bien changer de paradigme. »
Il y a quelque mois, la Chambre d’agriculture de la Charente organisait une table ronde à Segonzac autour du lien entre résidus de pesticides (dans l’air notamment) et la santé. Participaient à cette rencontre un médecin généraliste et homéopathe de La Couronne, Patrick Fontanaud, Agnès Hulin, ingénieur-conseil d’ATMO, le Réseau régional de la surveillance de la qualité de l’air, Bernard Gauthier, viticulteur à Malaville, à l’époque vice-président de la Chambre d’agriculture 16, Laurent Duquesne, conseiller agricole chargé, entre autres, du bassin versant du Né. Pourquoi avoir choisi Segonzac comme lieu de réunion ? Parce que la petite ville se situe au centre d’un bassin viticole important et, comme chacun sait, la viticulture est fortement consommatrice de produits phytosanitaires. La vigne représente 3 à 4 % de la SAU française mais consomme 14 % des pesticides utilisés dans l’Hexagone. C’est donc avec une certaine logique que le réseau ATMO Poitou-Charentes a conduit deux campagnes de mesure de la qualité de l’air à Juillac-le-Coq et Saint-Preuil, en 2006 et 2012 (voir pages 40-44). Le matériel de prélèvement, installé en centre-bourg (là où respire la population), est entouré de plusieurs centaines d’ha de vignes. Des endroits stratégiques pour déterminer la présence de pesticides dans l’air en zone viticole.
Entre 10 et 15 m3 d’air respirés chaque jour
Pourquoi la Chambre d’agriculture avait-elle choisi de centrer le propos sur la qualité de l’air ? Parce qu’en matière de santé et d’environnement, il faut bien faire des choix, tant il paraît impossible de tout balayer. Par ailleurs, les esprits sont plus familiers de la relation des pesticides avec l’eau où les aliments qu’avec l’air. Et pourtant ! Tout au long de l’année, un individu respire passivement, chaque jour, entre 10 et 15 m3 d’air. Au moment de l’application des pesticides, 30 à 40 % de la pulvérisation passe dans l’air et, après l’application, les quantités restant dans l’atmosphère seraient encore plus importantes que celles diffusées au cours de l’application. Bien sûr, une fois dans l’air, les pesticides subissent toute une série de dégradations. Mais certains éléments persistent plusieurs jours, voire plusieurs semaines.
Sur toute la région Poitou-Charentes, le réseau ATMO a identifié plus de 400 molécules différentes, herbicides, fongicides et insecticides. En terme de fréquence dans l’air, les deux familles des herbicides et des fongicides remportent la palme, suivies d’assez loin par les insecticides (8 % des éléments détectés). Sans surprise, les calendriers d’application collent avec la mesure de pesticides dans l’air.
« 2012 : année à folpel »
En zone viticole, les fongicides sont très largement dominants. Leur quote-part s’élève à 71 % de l’ensemble, avec une intensité qui dépend des conditions climatiques de l’année. En ce sens, l’année 2012 a pu être qualifiée « d’année à Folpel ». La matière active, très volatile, a été retrouvée dans l’atmosphère pendant la période de traitement, à la dose de 70 ng (nanogramme/m3), soit 4 à 5 fois supérieure à la moyenne des autres années. Le plus surprenant peut-être est la rémanence de certaines matières actives dans l’air. Bien qu’interdit depuis 2003, le Lindane (insecticide de la famille du DDT) se retrouve encore dans pratiquement tous les prélèvements.
Malgré tout, un mieux apparaît sur les insecticides et les herbicides. En cumulé, la courbe a tendance à s’infléchir. En ce qui concerne les fongicides, c’est plus aléatoire. Comme déjà dit, la climatologie interfère beaucoup.
En 1541, le célèbre médecin, astrologue et alchimiste Paracelse fondait la toxicologie moderne d’un axiome : « C’est la dose qui fait le poison. » Aujourd’hui, de plus en plus de scientifiques ont tendance considèrent que ce n’est pas forcément la dose qui fait le poison mais l’exposition. L’exposition même à de très faibles doses. Des chercheurs parlent de « courbes dose-réponse non monotones ». Mais bien sûr, plus l’exposition aux molécules de synthèse est importante, plus le système de défense naturel risque d’être dégradé.
Une augmentation inquiétante
Le docteur Patrick Fontanaud, de La Couronne près d’Angoulême, a raconté comment, au cours de sa pratique, il avait assisté à une augmentation exponentielle des cas de cancers, de maladies de Parkinson mais aussi de diabète ou de maladies cardio-vasculaires. « Je vois beaucoup plus de cancers du pancréas, de lymphomes. Durant mes études, j’avais peut-être croisé deux ou trois maladies de Parkinson. Aujourd’hui, elles sont légion. » Pour lui, un lien évident existe entre ces pathologies et un ensemble de molécules issu de l’agro-pharmacie. « La première alerte, dit-il, est venue de chercheurs américains dont le docteur Kolborn, dans les années 80, qui avaient remarqué les micro-pénis d’alligators dans un lac de Floride. L’eau des rivières environnantes contenait des résidus de DDT. Pour la première fois, nous commencions à comprendre comment des perturbateurs endocriniens pouvaient interférer sur les hormones. Se sont ajoutés à ce tableau des cas de puberté précoce chez les fillettes ou encore de cancers des ovaires. »
Le rôle des incinérateurs à déchets
La seconde étude qui alerte le jeune médecin vient de France, plus exactement du docteur Jean-François Viel, de Besançon. Il met en lumière le rôle des incinérateurs de déchets comme émetteurs de perturbateurs endocriniens, avec, à leur suite, une cohorte de cancers des ovaires, du cerveau, du pancréas. Commentaires du praticien de La Couronne : « Aujourd’hui, nous sommes à peu près sûrs que les pesticides ont une incidence sur nombre de cancers et de pathologies diverses. »
Comment expliquer ce processus ? Même si les phénomènes sont très complexes, il est toujours intéressant d’en approcher le mécanisme. Il faut savoir que ce sont les hormones produites par le système endocrinien (thyroïde, pancréas, ovaires…) qui transmettent les messages aux chromosomes, qui sont à la base des cellules constituant notre corps. Les pesticides ou autres (émanations des incinérateurs, etc.) produisent des effets mutagènes sur ces hormones et les cellules du système immunitaire. C’est pour cela qu’on appelle ces produits des perturbateurs du système endocrinien. Ces substances bloquent l’action des hormones naturelles qui ne peuvent plus agir correctement. Les hormones délivrent alors un message erroné aux chromosomes. Conséquences : ces mêmes chromosomes produisent des molécules cancéreuses en plus grand nombre. Dans ces conditions, le système immunitaire (les anticorps que nous possédons tous par dizaine de milliers) a beaucoup plus de mal à « faire le job. » Car la machine biologique est bien faite. Tous les jours, ce fameux système immunitaire élimine entre 15 et 20 molécules anormales. Mais lorsque le nombre des molécules anormales augmente, le système immunitaire est totalement débordé. Il n’est plus en mesure de réparer les chromosomes cassés et autres anomalies cellulaires.
Devant une telle situation, le médecin généraliste plaide pour un retour en arrière. « A un moment, il faudra bien changer de paradigme. “Big pharma” ne peut pas se contenter de remplacer une molécule par une autre. Elle devra nous proposer des molécules moins agressives pour le système immunitaire. »
Dans sa pratique, lui-même travaille à augmenter les défenses naturelles de ses patients.
« Le chemin sera long mais je suis optimiste. En 20 ans, j’ai vu les pratiques se modifier. Les gens se posent des questions. Nous allons dans le bon sens. »
Définition des perturbateurs endocriniens
Le terme de perturbateurs endocriniens chimiques (Endocrine disrupting chemicals, en anglais) apparaît dans la littérature scientifique en 1993, dans un article de trois biologistes, Theo Kolborn, Frederick vom Saal et Ana Soto. Les plus célébres d’entre eux sont le phénol A (BPA), certaines dioxines, le célèbre insecticide DDT, les polychlorobiphényles (PCB) ou encore le pesticide chlordécone. Au total, plusieurs centaines de molécules de synthèse sont considérées dans la littérature savante comme perturbateurs endocriniens avérés ou suspectés. A noter que selon les études, près de la moitié des expositions au BPA est liée à la consommation d’aliments en conserves (bonbonnes d’eau, boîte de conserve dont l’intérieur est gainé d’un film de résine).
Source : Journal « Le Monde », samedi 13 avril 2013 – Pages Science & Techno.