CGO : Interview d’Armelle Bénard

23 décembre 2011

Peut-on dire que, économiquement, la région du Cognac change de braquet ? Oui et non. D’un côté, la crainte d’un retournement de situation imprime toujours les esprits et ce d’autant plus en ces temps chahutés. Mais de l’autre, force est de constater que des changements majeurs s’amorcent. Les revenus viticoles s’améliorent et, surtout, la concentration des exploitations se poursuit. Dans ce contexte, l’optimisation des prélèvements fiscaux et sociaux connaît un regain d’actualité. Impôt sur les sociétés, structures sociétaires, holding… Ces outils, jusqu’alors réservés à une frange d’entreprises, ont tendance à se « démocratiser » ou, en tout cas, à passer la rampe. A la recherche d’économies d’impôt et de charges sociales s’ajoutent des objectifs organisationnel et patrimonial liés à la transmission des entreprises. Trois cabinets comptables intervenant en zone viticole – CER, CGO, PWC – expriment leurs réflexions sur le sujet. Jean-Marc Girardeau, président de la commission juridique du BNIC, évoque la PHP (Provision pour hausse de prix) qui, elle aussi, est une conséquence du moment.

 

 

p30.jpgFace à des structures viticoles qui grossissent, le CGO travaille sur les régimes fiscaux mais aussi sur les structures juridiques multi-sociétés, sociétés « côte à côte », holding. L’intérêt organisationnel et patrimonial va bien au-delà le strict intérêt fiscal.

Aujourd’hui, selon vous, la viticulture charentaise a-t-elle des besoins d’optimisation fiscale ?

Les structures viticoles grossissent, les patrimoines deviennent plus importants. C’est clair qu’un besoin d’optimisation fiscal et social se dessine, mais il n’est pas le même partout. Il différera selon l’accès au marché du Cognac, le niveau des contrats… Dans certaines situations, nous voyons des revenus viticoles beaucoup progresser, moins ailleurs. Je dirais que les dossiers qui, en régime de croisière et de manière récurrente, présentent un niveau de résultats en dessous des 100 000 € (soit tout de même un chiffre d’affaires d’environ 350 000 €) peuvent encore trouver leur bonheur dans le régime des BA classiques (Bénéfices agricoles fiscalisés à l’IR, à l’Impôt sur le revenu). Ils disposent déjà de pas mal de moyens d’optimisation : stock évalué au prix de revient et non à la valeur vénale, moyenne triennale, DPI (Déduction pour investissement), DPA (Déduction pour aléas), étalement des revenus exceptionnels sur sept exercices… Toutes choses dont les exploitations agricoles sont d’ailleurs les seules à bénéficier. Les BIC (Bénéfices industriels et commerciaux) ne disposent pas de tels outils.

Et pour les revenus les plus importants ?

La clé de raisonnement repose évidemment sur la combinatoire entre le droit des sociétés et le régime fiscal. En viticulture, face à des revenus significatifs, une société
comme la SAS (Société par action simplifiée) présente à mes yeux beaucoup d’intérêts. L’exploitant a l’opportunité de devenir cadre salarié. Il profite d’énormes avantages sociaux. En fonction de l’âge, il peut quasiment doubler sa retraite. En prévoyance, il dispose d’indemnités journalières. En cas de décès, sa veuve accède à un capital décès. Au niveau protection sociale, il s’agit vraiment d’une des meilleures formes de société. Et, cerise sur le gâteau, la SAS permet de conserver pendant cinq exercices le régime d’imposition à l’IRBA (Impôt sur le revenu sur les bénéfices agricoles), à condition d’opter pendant les cinq premières années (article 239 bis a b du CGI – Code général des impôts). Bien entendu, au bout des cinq exercices, l’exploitation passera ipso facto à l’IS (Impôt sur les sociétés) et il s’agit-là d’une option irrévocable. Mais, durant les cinq années, la SAS aura cumulé les avantages de l’IR (DPI, etc.) et de l’IS, dans la mesure où ses revenus professionnels n’auront pas été soumis à cotisations sociales. Les autres formes de sociétés (EARL, SARL…) ne peuvent y prétendre. Dès lors qu’elles sont taxées à l’IR, leurs revenus professionnels sont soumis à cotisations sociales. Et, au-delà du plafond de sécurité sociale, les exploitants paient à fonds perdus.

Ce statut de salarié cadre ne s’adresse qu’à la SAS ?

Pour l’instant oui, en général, mais pourquoi ne pas demander au niveau national que ce régime s’étende à toutes les sociétés civiles agricoles, sur option du chef d’entreprise ? Certes, il s’agirait d’une réforme de fond mais qui ne tente rien n’a rien. Les avantages sociaux attachés à la SAS sont tellement importants ! Et la MSA n’y perdrait pas, car l’on s’adresse tout de même à des structures qui mettent en œuvre des salaires conséquents, de l’ordre de 2 500 € par mois. Les prélèvements sociaux ne diminuent pas mais ils permettent d’obtenir un meilleur statut pour le même coût.

L’IS, l’impôt sur les sociétés est souvent présenté comme « la » forme d’optimisation sociale et fiscale.

Bien sûr, le régime d’IS est intéressant. Contrairement à l’IR, qui fonctionne par tranches d’imposition, l’IS prévoit un prélèvement forfaitaire (15 % jusqu’à 38 120 € de résultat, 33,1/3 % au-delà). Surtout les revenus professionnels échappent au prélèvement MSA. N’y reste soumis que le salaire du dirigeant, que l’on s’arrange à rendre inférieur au plafond de S.S. Pourtant, le régime de l’impôt sur les sociétés ne s’adresse pas à tout le monde. A l’IS, l’idée est de s’accorder un salaire mais de ne pas prélever de trésorerie. Car, sinon, cela s’appelle une « distribution de dividendes ». Et ces dividendes sont fiscalisés à l’IR mobiliers, en revenus de capital après un abattement de 40 % et un abattement fiscal de 3 050 E pour un couple ; mais avec une CSG de 13,5 % sur les revenus distribués avant abattement. Clairement, l’objectif consiste à éviter la distribution. La trésorerie est faite pour rester dans l’entreprise. Elle sert à financer les investissements, à payer le foncier.

Pensez-vous que le taux de l’IS puisse augmenter ?

Au niveau européen, on parle d’uniformiser l’assiette mais je ne pense pas que la France touche à son taux d’IS, notre pays ayant déjà un taux parmi les plus élevés de l’UE. Par contre, il est plus probable de voir le taux de CSG augmenter sur les revenus du patrimoine.

Vous parliez plus haut de la combinaison droit des sociétés/IS. Comment cela se traduit-il ?

Passer à l’IS ex abrupto, en une seule fois, coûte bien trop cher. Car le changement de régime s’assimile à une cessation d’activité. Même s’il y a moyen d’atténuer les effets de la cessation d’activité – pas d’exonération des plus-values professionnelles ni des profits sur stock –, il y a les DPI à réintégrer au taux marginal d’imposition. Même chose pour la moyenne triennale. Si, à l’IR, l’exploitation avait opté pour la moyenne triennale, à l’IS, elle devra payer la différence entre le résultat de la dernière année et la moyenne triennale, au taux marginal d’imposition. C’est pourquoi, il est préférable d’aménager le passage à l’IS. On peut le faire en créant des multi-sociétés ou des sociétés « côte à côte ». La question se pose souvent lors du départ à la retraite des parents. Le fils, qui recevait 50 % du résultat, va en percevoir l’intégralité. Il nous demande de trouver une solution. Il y a aussi les cas, plus rares, de destockages massifs d’eaux-de-vie, de l’ordre de 800-1 000 hl AP. Le fils qui crée sa société va le faire en exonération de plus-value. Elle va lui permettre de réamortir le matériel. Ses nouvelles productions d’eaux-de-vie tomberont dans sa structure personnelle. Il n’y aura pas partage entre les parents et le fils. Et le passage à l’IS se fera sans avoir à réintégrer les avantages fiscaux liés à l’IR.

On parle de plus en plus de « holding ». Qu’est-ce qu’un holding et pourquoi faire ?

Le holding est une société qui détient des parts dans une autre société. Pour qu’un holding puisse se constituer, la société « mère » holding doit détenir au moins 5 % de la société « fille ». Concrètement, j’ai en tête le cas d’un holding, type société civile, qui détient 49 % des parts d’une SCEA. Cette dernière est composée de M. X personne physique. La société « fille » SCEA exploite le foncier. Elle est imposée à l’IS. Elle fait remonter une partie de ses dividendes ainsi que le loyer du bail rural à la société « mère » holding soumise à l’IS. Dans un mouvement d’aller-retour, les résultats du holding vont servir à financer le foncier. En quelque sorte, le holding sert de passerelle. Il organise le transfert de trésorerie de la société de production – la SCEA – à la société patrimoniale holding. Avant de redescendre, tout remonte vers le haut de la société, sans passer par les associés personnes physiques. On évite ainsi la ponction fiscale sur les revenus des capitaux mobiliers et notamment la fameuse CSG à 13,40 % actuellement.

L’intérêt principal du holding, il réside où ?

La création d’un holding doit être sous-tendue par un intérêt organisationnel et patrimonial. Le holding sert à organiser, à séparer le patrimoine immobilier du patrimoine professionnel (stock, matériel). Au niveau fiscal, le système de holding va permettre de déduire les sommes déjà fiscalisées au niveau de la fille (les dividendes) des résultats de la mère (holding). Ainsi je neutralise le double appel de l’IS. Il n’y a pas de revenu fiscalisé au niveau du holding. A noter tout de même que ce montage se raisonne au cas par cas. Il s’adresse aux gros dossiers et surtout aux personnes qui savent gérer les multi-structures. C’est le préalable obligé. A l’IS, il arrive que des chefs d’entreprise prélèvent plus que leur rémunération. Dans un holding, si ça n’est pas décidé en AG, cela s’assimile à de la distribution illégale. Le fait « de ne pas prélever dans la bonne case » peut engendrer des conséquences fiscales terribles. Avec la holding, nous sommes déjà dans l’optimisation de haut vol.

Pendant longtemps, les GFA ou SCI (Sociétés civiles immobilières) imposés à l’IR ont permis d’organiser la gestion du foncier. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Plus les structures grossissent, plus le patrimoine foncier devient important, plus les revenus fonciers sont élevés avec, à la clé, les revenus mobiliers fortement fiscalisés à l’IR et aux prélèvements sociaux. Dans ces conditions, l’option IS s’impose souvent. Ceci dit, on entre alors dans une autre logique. Je le répète. A l’IS, l’idée n’est pas d’utiliser la trésorerie pour vivre, mais de laisser cette trésorerie disponible au sein de la société, pour acheter le foncier, payer les plantations. Par ailleurs, il convient de bien apprécier les conséquences de l’IS par rapport à l’IR. A l’IS, on va pouvoir amortir les bâtiments, les plantations. Ce faisant, on va diminuer le revenu imposable. Par contre, en cas de vente du bien, on majorera les plus-values (prix de vente – valeur nette comptable). Il faut avoir ces données en tête.

En tant que fiscaliste, responsable du pôle conseil du CGO, vous participez au comité technique fiscal du réseau AS (Accompagnement stratégique) lié à la FNSEA. Qui faites-vous ?

Nous sommes six membres, issus de cabinets comptables. Cela nous permet entre autres d’émettre des propositions au niveau national. J’étais à Paris le 8 novembre dernier. J’ai demandé à ce que la région de Cognac puisse bénéficier des dispositions de l’article 163-OA du CGI relatives aux revenus exceptionnels. Pour s’appliquer, cette mesure suppose que le revenu exceptionnel soit supérieur à la moyenne des revenus nets globaux des trois années précédentes. Entre 2001 et 2004, cette question a suscité pas mal de jurisprudence. Aujourd’hui, par prudence, nous nous interdisons d’utiliser ce régime de quotité lié au 163-OA, alors même que des besoins d’optimisation existent dans la région délimitée Cognac.

Ce concept d’optimisation, que recouvre-t-il à vos yeux ?

Le but, évidemment, consiste à atténuer les prélèvements sociaux et fiscaux. Toutefois, l’idée n’est pas d’éluder l’impôt ou les cotisations sociales mais plutôt de ne pas payer à fonds perdus. Tout ceci doit se faire dans les limites du raisonnable. Les exploitations viticoles de 60 ha et plus disposent aujourd’hui de beaucoup de moyens pour atténuer cette pression, si l’on pense à l’optimisation fiscale, au droit des sociétés (holding, SAS, multi-sociétés…). Parmi les pistes d’optimisation, existent aussi l’usufruit temporaire et le démembrement de propriété, que nos collègues de la Marne pratiquent un peu. Nous y réfléchissons aussi, même si l’on n’a pas encore vraiment franchi le pas.

Pour un fiscaliste, la viticulture recèle-t-elle un intérêt particulier ?

Au CGO, nous avons la viticulture mais aussi l’ostréiculture et l’agriculture traditionnelle. Les deux premiers domaines d’activité se prêtent à un traitement fiscal moins classique que le lait ou les céréales. L’augmentation des résultats et le volume patrimonial des structures nous obligent à élaborer de nouveaux schémas d’optimisation. Je dirai que l’optimisation participe à l’épanouissement technique du conseiller (sourire).

Une formation de juriste
Originaire de l’Orne, en Normandie, Armelle Bénard a obtenu une maîtrise de droit privé à Caen. Puis elle a prolongé son cursus d’un DESS « Audit en conseil de gestion de l’entreprise agricole » à Paris. Son stage de DESS, elle l’a accompli chez Christophe de Langlade, avocat fiscaliste au barreau de Compiègne, « la » référence en matière de fiscalité agricole. A. Bénard a intégré le CGO (Centre de gestion Océan) en 1997, en tant que juriste. Dès 1999, elle s’est spécialisée en fiscalité. Aujourd’hui, Armelle Bénard est responsable du service juridique et du Pôle Conseil du centre. Mathieu Guiho, conseiller d’entreprise, en est le responsable adjoint. Le Pôle Conseil chapeaute le service juridique du CGO, le service fiscal, le service de gestion et le service social exploitant. Il compte 21 collaborateurs : sept juristes, six conseillers d’entreprise sous la responsabilité de Matthieu Guiho, quatre fiscalistes, une conseillère en droit social exploitant et trois assistantes. « Les juristes, explique Armelle Bénard, ont au minimum une formation bac + 5 en droit, les conseillers d’entreprises sont tous ingénieurs agricoles. Les conseillers d’entreprises ne délivrent ni conseil juridique, ni conseil fiscal. C’est un peu la spécificité du CGO que de ne pas mélanger les métiers. Tout devient tellement technique que la tendance va à la très grande spécialisation. Bien entendu, sur les dossiers, nous travaillons ensemble. » La responsable du Pôle Conseil indique que son service connaît un fort développement, tant en chiffre d’affaires qu’en volume d’activité.
Armelle Bénard fait partie du Comité technique fiscal national du réseau AS (Accompagnement Stratégique), réseau de centres de gestion auquel adhère le CGO. Composé de 6 membres, le comité se réunit régulièrement à Paris. Gilles Perrin, directeur AS entreprises de la Marne, en est l’animateur. « Sur le traitement fiscal de l’activité viticole, nous échangeons beaucoup avec la Marne » commente A. Bénard. Chaque année, le CGO propose un catalogue d’une cinquantaine de formations sur le plan juridique, social, gestion et, bien entendu, fiscal. Ces formations, qui au départ étaient réservées à l’équipe comptable du CGO, sont maintenant ouvertes à l’ensemble des 50 centres du réseau AS.

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