oenotourisme : le défi de la structuration de l’offre

1 septembre 2016

En France l’œnotourisme ressemble à la prose du Bourgeois Gentilhomme. On en fait presque sans s’en rendre compte. Mais sait-on le vendre ? Eternel tension entre savoir-faire et faire savoir. Pourtant, le secteur s’avère stratégique dans bien des régions, où il sert de porte d’entrée aux visiteurs. «La guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires » disait Clémenceau. C’est ce qu’on dut penser les parlementaires qui ont consacré un colloque au sujet de l’Œnotourisme.

A l’Assemblée nationale, il y a le groupe d’étude viticultures, qui rassemble de nombreux élus de régions viticoles. Catherine Quérté, député de Charente-Maritime, en est sa présidente. Le Sénat possède l’exact pendant – le groupe d’étude de la vigne et du vin – présidé par Gérard César,  élu de Gironde. Et puis existe aussi l’ANEV, l’association nationale des élus de la vigne et du vin, coprésidé par Philippe Martin, député de la Marne et François Patriat, sénateur de Côte d’or. Où l’on voit que la filière possède encore de solides appuis. Depuis l’an dernier, ce trio – Assemblée nationale, Sénat, ANEV – joue collectif pour proposer un colloque à thématique viticole. Cette année, place à l’œnotourisme, dans l’enceinte du Sénat (en 2015, c’était à l’Assemblée nationale), le 21 juin dernier.

 

Portail oenotouristique

 

Pourquoi ce choix de l’œnotourisme ? Au moins deux raisons l’expliquent ? L’ouverture, le 1er juin, de la Cité du vin à Bordeaux, un outil à dimension nationale et internationale (voir article page…) ; la création, en début d’année, du premier portail œnotouristique français – visitfrenchwine.com – une initiative portée par le CSO (Conseil supérieur de l’Œnotourisme) et soustenue par Laurent Fabius himself, alors ministrère des affaires étrangères et, à ce titre, ministre de tutelle du tourisme. On pourrait aussi parler de l’épisode récent autour de la Loi Evin mais ceci est une autre histoire.

C’est en 2009 qu’apparaît le Conseil supérieur de l’œnotourisme. Ses parrains en sont les ministères du tourisme et de l’agriculture. Quant à son organisme de tutelle, il s’appelle Atout France, le bras armé de l’Etat en matière de promotion touristique.

 

Label Vignobles et Découvertes

 

 La naissance du CSO est concomitante à celle du label Vignobles & Découvertes, chargé, pour la première fois, de qualifier l’offre oœnotouristique française (57 destinations labellisées à ce jour, plus de 4 000 prestataires).  Le CSO hérite de plusieurs missions : participer à la labellisation Vignobles & Découvertes, être une instance de réflexion et de proposition en matière d’œnotourisme, servir de trait d’union entre le monde de la viticulture et celui du tourisme. En 2009, le premier président du CSO n’est autre que Paul Dubrule, fondateur du groupe hôtelier Accor et, accessoirement, propriétaire d’un vignoble dans le Lubéron. Quand, en 2014, il passe la main, on pense à Florence Cathiard pour le remplacer. Propriétaire du château Smith Haut-Lafitte à Bordeaux, F. Cathiard est surtout « l’inventeur » avec sa famille, du concept de vinothérapie, de la ligne de produits Caudalie, du complexe des Sources de Caudalie…Une sucess story qui dure depuis plus de dix ans. Au sujet du CSO Florence Cathiard s’entend dire – « Qu’est-ce que ce « machin » ? Je n’y vais que si je peux faire bouger les choses. »

 

Sa conviction, largement partagée, est que l’œnotourisme en France est très diversifié, très authentique, bourré de talents mais souffre d’un déficit chronique de structuration de l’offre. Vu de Londres, New York ou Shanghai, comment s’y retrouver dans les 66 départements viticoles français, dans les 10 000 domaines visitables ? Elle défend l’idée d’un site vitrine ayant vocation à devenir le portail œnotouristique français, la porte d’entrée des touristes intéressés par le vin et sa culture. Très vite, en six mois à peine, un site est sur les rails, avec le soutien actif du Quai d’Orsay et du président du « cluster » œnotourisme à Atout France, Michel Bernard (1). Pour les non initiés, un cluster (en anglais grappe, bouquet) est un groupe de personnes défendant les mêmes intérêts. Le 9 février 2016, Laurent Fabius lance officiellement le site www.visitfrenchwine.com . Conçu d’emblée bilingue (français/anglais) il a vocation à devenir multilingue. Mais pour Florence Cathiard, il ne s’agit que d’une  première étape. « Aujourd’hui, c’est un site d’information. Très vite je souhaiterais qu’il devienne un site de réservation. » Seulement son ambition achoppe sur un problème : les moyens financiers. Et peut-être aussi sur la complexité du paysage œnotouristique français, pris en étau entre des vignobles à fort potentiel de marque – Bordeaux, Bourgogne, Champagne, Alsace – et des destinations plus confidentielles et surtout plus dispersées (Val de Loire, Provence, Languedoc, Vallée du Rhône, Vins du Bugey, Vins de Savoie…) mais qui recèlent des pépites.

 

Les attentes de l’oenotouriste

 

Qu’attend l’œnotouriste ? Etre rassuré par des destinations ayant valeur de marques ou sortir des sentiers battus ? Sans doute un peu les deux. Cela dit, en termes de structuration de l’offre, cela ne facilite pas la tâche. Comment jouer groupé quand on veut préserver les spécificités de chacun ? Comment faire pour que les grosses locomotives n’écrasent pas les fragiles libellules ?

 

Et puis il y a la dimension métier. Les Champenois l’avouent eux-mêmes – « Nous savons vendre notre vin, nous ne savons pas forcément recevoir des touristes. » Même avis de Thomas Montagne, le président des VIF (Vignerons indépendants de France) – « A 98 % nos adhérents accueillent les touristes au caveau mais combien pratiquent vraiment l’œnotourisme, sans doute pas plus de 20 %. »

 

Notion "d’expériences"

 

Car la notion « d’expériences » prend de plus en plus le pas sur la simple découverte du produit. Mais là aussi rien n’est simple. Dans l’esprit du touriste, à quoi renvoie le terme « expériences » ? Renvoie-t-il à la découverte de l’histoire de l’exploitation viticole, de la maison de négoce, du paysage viticole, du patrimoine, de la culture ou à quelque chose de plus formaté, de plus adapté aux « packages » des tour-operators ? Et les regards de se tourner vers la région de Rioja en Espagne où beaucoup de bodegas  ont édlibéremment misé sur un concept commun, celui de nouvelle architecture, avec de grands noms comme Frank Gehry, Norman Foster, Jean Nouvel,  Christian de Portampac… Dans ces conditions, l’approche groupée est forcément plus simple.

 

L’émergence de nouvelles offres 

 

Alors, quand on parle de « favoriser l’émergence de nouvelles offres », vers où faut-il se diriger ? Vers une offre que les tour-operators et autres sites de réservation peuvent facilement s’approprier où privilégier une offre plus diversifiée, plus sensible, susceptible de répondre à toutes les attentes mais avec le risque de se noyer dans la complexité ? Un véritable défi pour l’avenir. Car les enjeux sont importants et les politiques le savent. Alain Patriat n’en fait pas mystère – « La première porte d’entrée pour venir en Bourgogne est le vin, suivi du patrimoine. Quand on sait qu’un chinois emmené par un grand tour operator a un budget de 15 / 20 000 € pour la semaine, on saisit mieux les enjeux. » Même chose pour Philippe Martin.- « Nos visiteurs, à 85 %, viennent pour le vin de Champagne. » Le vin, comme formidable vecteur de communication entre les hommes. « On ne boit pas tout seul ! » Mais aussi un moyen indélocalisable de développer les territoires.

 

(1) Propriétaire et négociant dans le Vaucluse, Michel Bernard possède le château de Beauchêne, (70 ha de vignes) à Chateauneuf du Pape.

 

 En bref

 

Œnotourisme : 60 % de français – 40 % d’étrangers (Belge, britanniques, Néerlandais, Allemands, Nord-Américains, Japonais, Chinois…)

Objectif 2020 : 4 millions de visiteurs étrangers (3 millions aujourd’hui)

Vignobles & Découvertes : 57 destinations labellisées

Excédent de la balance commerciale – Parts du tourisme et des Vins & Spiritueux : 11 milliards et 10,4 milliards d’€

 

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