Réforme De La Dernière Chance Ou Balle Dans Le Pied ?

22 février 2009

ocm.jpgSi tout le monde s’accorde à penser qu’une nouvelle OCM vin est nécessaire, les avis divergent sur son contenu. A la vision « conservatrice » de certains s’oppose une vision plus libérale partagée – pour faire court – par la Commission européenne, les entreprises d’aval et les pays non producteurs. Alors, l’Europe des producteurs contre l’Europe des marchands et des consommateurs ! Pas si simple. Des courants transversaux existent, défendant notamment une approche « conquérante » des marchés alors que l’Europe serait taxée de défendre des positions purement défensives. Par ailleurs les Etats membres producteurs expriment leurs propres contingences, issues de leur histoire et de leurs choix stratégiques. Une chose est sûre ! La nouvelle OCM sera le fruit d’un compromis. Face à une date de mise en œuvre annoncée pour juillet 2008, les négociations sont largement entamées et des arbitrages devront être rendus courant 2007.

 

Pourquoi une réforme de l’OCM vin ? L’OCM vitivinicole actuelle s’applique depuis 2000 et, apparemment, n’a pas tenu toutes ses promesses. Pourtant conçue dans un esprit de dynamique de marché, elle serait largement passée à côté de ses objectifs. Alors que la consommation mondiale de vin progresse – 235 millions d’hl vol., en augmentation de 2 à 3 % l’an – les pays européens producteurs ne profitent pas autant que d’autres de cette manne. Ils se sont fait tailler des croupières par les pays du nouveau monde. Et la crise de croissance que connaît actuellement un pays comme l’Australie ne change pas l’analyse de fond. Les grands pays viticoles généralistes que sont la France, l’Espagne ou l’Italie ne sont pas aujourd’hui les mieux placés dans la course mondiale. L’Europe exporte 14 millions d’hl vol. sur les pays tiers mais en importe 11,7 millions d’hl. Le solde d’échange avec les pays tiers se dégrade. La faute à qui ? Sans doute à un problème de complexité de l’offre, doublé d’une question de coûts de production supérieurs et donc de compétitivité générale avec les pays tiers.

« un espace de liberté »

A l’intérieur de la Communauté, la compétition entre régions aboutit bien souvent à une neutralisation croisée. D’où la demande de l’aval – souvent relayé par l’amont – d’un « espace de liberté » intéressant tout à la fois les pratiques œnologiques et l’étiquetage. Est évoquée également la baisse de consommation sur le marché intérieur, encore que tout le monde ne partage pas cette opinion. « En France par exemple, le marché intérieur s’est stabilisé. Il a moins perdu en dix ans qu’il ne perdait auparavant chaque année. »

Certes mais au détour d’un transfert de consommation, les vins de table rouges sont confrontés à une crise sans précédent. Certains n’hésitent pas à parler à cet égard de crise « centennale », qui ne trouverait pour seul équivalent que la crise viticole des années 30. Les distillations de crise, initialement conçues pour répondre à une situation exceptionnelle, s’enchaînent tous les ans. Elles concernent à chaque fois 10 à 12 millions d’hl vol., sans démontrer véritablement leur efficacité sur les cours. L’Europe à 25 chiffre l’excédent conjoncturo-structurel à 20 millions d’hl vol., pour un vignoble européen de 4 millions d’ha. « Avec les outils que l’on a, on ne sait plus faire » reconnaissent les technocrates bon teint. Qu’en sera-t-il après l’adhésion, le 1er janvier 2007, de deux « gros morceaux » viticoles – la Bulgarie et la Roumanie – crédités à eux deux de 400 000 ha de vignes ? La Commission européenne a prévenu ! Elle souhaite fonctionner à budget constant. Aujourd’hui, le budget annuel consacré à l’OCM vin s’élève à 1,3 milliard d’€. La moitié du budget est consacré aux distillations (prestations viniques et autres distillations), 33 % à la restructuration et 24 % à l’abandon définitif. Le budget annuel de la nouvelle OCM porterait sur 1,5 milliard d’€, avec une enveloppe spécifique « arrachage » de 2,4 milliards d’euros sur cinq ans pour financer « une sortie en douceur » des surfaces en trop. Car les pays non producteurs de l’UE, principales contributeurs, ne souhaitent pas financer des programmes de destruction. Par ailleurs l’OCM vin, comme toute organisation commune de marché, se doit d’être « OMC compatible », c’est-à-dire évacuer le plus possible les aides et les soutiens nationaux et communautaires.

C’est sur cette trame, largement validée par la filière, que s’inscrit la 4e réforme de l’OCM vin en 37 ans.

moins produire

En 2006, la grande idée de la Commission et du commissaire européen à l’Agriculture, Mariann Fisher Boël, est de dire que, s’il y a surproduction, il vaut mieux prendre le problème à la base – en essayant de moins produire – plutôt que d’essayer de traiter sa conséquence, les excédents. C’est pour cela que la Commission, dans son rapport, propose de financer l’arrachage volontaire de 400 000 ha de vignes de 2008 à 2013 (avec une possibilité dérogatoire pour les VQPRD). A l’évidence, cette incitation forte à l’arrachage massif concentre les craintes d’une partie de filière, qui fischer.jpgredoute une perte de potentiel, alors que les autres pays viticoles de la planète continueraient de se développer. Et ce n’est pas la proposition de libéraliser les plantations en 2013 qui est de nature à rassurer les euro-sceptiques. « Incohérence ! » s’insurge-t-on. « La proposition qui vise conjointement à décapitaliser puis à libéraliser conduira à arracher les vignes en coteaux pour les replanter dans la plaine. Se mettront en place des stratégies industrielles “coût-volume” qui joueront au détriment de la qualité. » Bien sûr tout le monde ne partage pas cet avis, notamment les gens de l’aval. Beaucoup d’entre eux pensent qu’un arrachage doit être « brutal » pour avoir des chances de réussir. « Nous savons bien qu’un arrachage soft n’a aucun impact sur le revenu des viticulteurs. » Pour inciter à l’arrachage, la Commission a sorti « la grosse artillerie ». Elle propose, dès l’entrée en vigueur de la nouvelle OCM, l’abandon de toutes les mesures de distillation et de régulation de marchés (aides au stockage, aux jus de raisin…). Révolution dans les chaumières ! La filière va tenter de sauver la distillation des prestations viniques, non seulement pour des motifs environnementaux mais aussi pour préserver l’outil de distillation. Car comment peut-on imaginer ne jamais revoir des distillations de crise !

les pratiques œnologiques au cœur du débat

Un autre point capital concerne les pratiques œnologiques et l’étiquetage. Comment se mettre au diapason marché ? En ce qui concerne les pratiques œnologiques, l’Europe suggère de s’en remettre aux normes OIV (Office international de la vigne et du vin). Ce point précis ne fait pas débat. Une proposition beaucoup plus polémique concerne la levée de l’interdiction de vinifier des moûts Pays tiers à l’intérieur de l’UE. Dans une belle unanimité, tous les interlocuteurs parlent d’une provocation de la Commission, inapplicable. « Ce serait un cheval de Troie énorme. » C’est vrai que l’enjeu n’est pas mince. Il s’agirait rien moins que de transférer l’acte de naissance du vin du terroir à la transformation, avec, au passage, une captation de la valeur ajoutée par l’aval au détriment de l’amont. Au plan de l’étiquetage, la nouvelle OCM prévoit l’instauration de trois catégories de vins, vin sans indication géographique (ancienne catégorie des vins de table), vins avec indication géographique (dans laquelle pourraient se retrouver les vins de pays par exemple) et vin sous AOP (appellation d’origine protégée) qui reprendrait peu ou prou la grande catégorie des AOC. A l’intérieur de cette catégorie, la Commission introduit une nouvelle segmentation entre AOC « normale » et AOC dite « resserrée ». Dans ce « rebattage de cartes », toute la question consistera à savoir où se situera le curseur. Des appellations génériques n’auront-elles pas vocation à rejoindre les IGP, dans un compagnonnage avec les ex-vins de pays ? Toutes les AOC accéderont-elles au statut d’AOC « resserrées » ? Ce débat rejoint celui de la segmentation s’exerçant au niveau mondial. « Aujourd’hui, commente Alain Vironneau, président de l’interprofession bordelaise, le commerce mondial se partage en trois ou quatre catégories, les basic wines, appelés à disparaître à terme, les premium, vins festifs vendus entre 3 et 10 $ la bouteille et les “icônes” dépassant les 50 $ la bouteille. Bien sûr, tout le monde a envie de se classer parmi les “icônes”, ces vins de rêves, nous-mêmes comme nos collègues italiens ou espagnols. » Face à cette demande mondiale, l’offre française paraît particulièrement dispersée. A titre d’exemple, la France compte 473 appellations, 150 vins de pays, pour une production viticole qui se répartit pour moitié entre vins de table et de pays et vins d’appellation.

soutien à l’aval

Principale critique adressée par les professionnels du vin à la proposition de la Commission : son silence quasi total sur le soutien accordé à l’aval. Rien ou presque sur la communication sur le vin, rien ou presque sur le soutien aux entreprises. Ce qui vaut à la réforme d’être souvent qualifiée de « malthusienne », pas assez « conquérante », « purement défensive ». Commentaires d’un expert français : « La Commission évoque comme problème majeur le manque de compétitivité mais ne se donne pas les moyens d’y remédier. Il ne s’agit pas d’un problème de “compétitivité prix” mais bel et bien d’un problème de “savoir produire et vendre les produits attendus par les consommateurs”. D’où la nécessité de non seulement intervenir en amont mais aussi sur l’aval. » Beaucoup relèvent le fait que dans un pays comme l’Espagne, les entreprises de l’aval s’entendent déjà à exploiter les enveloppes européennes, contrairement aux entreprises de l’Hexagone. Réponse d’un metteur en marché français : « En Espagne, c’est facile, la règle est connue d’avance : 50 % des aides aux investissements vont aux metteurs en marché et 50 % aux producteurs. En France, c’est plus compliqué. Les structures sont considérées comme trop petites, trop grosses, pas assez spécialisées… Il faut pratiquer des avances. En ce qui concerne la promotion collective, c’est un peu la même chose. D’abord les budgets européens sont très faibles : 6 millions d’€ pour un budget annuel de 1,3 milliard d’euros. Ensuite, nos acheteurs nous trouvent confus, inorganisés, chaque région ayant tendance à promouvoir son vin sans se préoccuper des autres. D’où des campagnes qui se télescopent. Quand l’Australie mène une campagne de promotion, elle le fait au nom de tout le pays. »

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