Négoce vin : « vendre, sur tous les segments de marché »

24 juillet 2014

p39.jpgA la tête de l’UMVIN, Michel Chapoutier (Maison Chapoutier, Tain-l’Hermitage) a remplacé il y a peu Ghislain de Montgolfier (Union des Maisons de Champagne). A nouveau président, nouveau style. Si Ghislain de Montgolfier cultivait une certaine forme de dantysme mâtiné d’anticonformisme, le style de Michel Chapoutier est beaucoup plus cash, pour ne pas dire « trash ». Petit, râblé, l’homme est une boule d’énergie qui n’hésite pas à jouer – surjouer ? – le côté « bad boy », celui qui ne l’envoi pas dire.

Le jour de la conférence de presse, il venait juste d’atterrir d’un vol New-York-Paris. Etait-ce la tension nerveuse due au décalage horaire ? il a mené sa réunion sabre au clair. A ses côtés, deux hommes aux personnalités beaucoup plus retenues, Franck Crouzet (Association française des embouteilleurs distributeurs) et Jean-Marie Barillère (président de l’Union des Maisons de Champagne, par ailleurs président du CEEV, l’organe de représentation du négoce vin à Bruxelles).

Discours musclé

Cela dit, le côté « rentre-dedans » du nouveau président de l’UMVIN ne suffit peut-être pas à expliquer le discours très musclé du négoce vin. En cette veille d’échéances stratégiques pour la filière – écriture à Bruxelles des mesures d’application du nouveau régime d’encadrement des plantations, dernière main, en France, au Plan stratégique de la filière viticole 2025 – le négoce avait manifestement des « choses à dire ». Il les a exprimées, sans fioritures. Surtout que quelques jours plus tard, allait se tenir la réunion de calage de France-AgriMer sur le Plan stratégique. Dans cette perspective, sans doute était-il bon de passer quelques messages.

Le premier message envoyé par le négoce fut celui de l’affaiblissement de la filière vin française. Oh ! Pas en valeur absolue. La filière vin s’est au contraire enrichie. Mais, en valeur relative, elle aurait régressé. Démonstration : « Nos exportations ont progressé de l’ordre de 40 % en dix ans mais des pays voisins ont doublé les leurs sur la même période. Quand l’Espagne et l’Italie gagnent des parts de marché, la France en perd. Pouvons-nous nous satisfaire d’une telle situation ? » Et de poursuivre : « Face à des échanges mondiaux sur le vin qui ont quasi doublé en 12 ans (passant de 13 à 23 milliards d’€), la part de la France dans ces échanges mondiaux a diminué de moitié. De même, alors que la consommation mondiale de vin progressait de 3 %, nous avons assisté en France à une baisse des sur-
faces de vignes de – 14 % en 12 ans, assortie d’une diminution des volumes de – 22 % sur la même période. »

« Dérive malthusienne »

« Notre filière se “gamelle” » a résumé sur le ton de la colère M. Chapoutier.

Le négoce y voit l’effet « d’une dérive totalement malthusienne de la viticulture qui veut fermer le robinet de la production pour tendre les prix ». « Les producteurs défendent une approche patrimoniale au détriment d’une logique de marché. »

L’idée sous-jacente du négoce vin est de considérer que les AOP et IGP font barrage aux VSIG (Vins sans indication géographique) : « Pas de droits de plantations pour les vins sans IG ! » « Or, soutient le négoce, pour être conquérant à l’export, il faut vendre, sur tous les segments de marché. »

Là encore, les représentants de l’UMVIN ont fait assaut d’éléments chiffrés. « En France, les 432 vins sous IG représentent 90 % du volume produit mais les quantités, pour moitié, sont vendues à des prix inférieurs ou égaux à 3 € la bouteille. Des gens qui peuvent s’acheter une Skoda n’ont pas forcément les moyens de s’offrir une Rolls. En Chine, le consommateur n’en a rien à f… des différentes catégories de vins : AOP, IGP, vins sans IG. Ce qui le décide, c’est la tranche de prix. »

A été cité l’exemple du Bourgogne Pinot noir (utilisation du nom de cépage pour un vin AOC, contestée par les syndicats d’appellation) « qui se vend plus cher et mieux que s’il était un Bourgogne AOC sans mention de cépage ». « La vérité, c’est que la viticulture d’appellation a peur de la confusion avec les vins sans IG. Pourtant, c’est suicidaire qu’une filière se prive d’une source de revenu comme les vins sans IG. Conduit à 200 hl vol./ha, un hectare de vigne peut rapporter 10 000 € à un jeune agricul-teur ».

Des produits plus volumétriques

Pour le négoce, c’est une évidence. Il faut revenir vers le marché, avec des produits plus volumétriques et marketés. « Continuer à privilégier les AOP et IGP au détriment des vins sans IG, c’est aller droit dans le mur ! » « Nous disons non au déclin de la filière vin ! ».

Pour inverser la tendance, les négociants réclament que l’aval soit davantage écouté. Concrètement, ils demandent d’être associés « à 50/50 » aux décisions, autrement dit « que les interprofessions se retrouvent au cœur de la gouvernance de la filière ». « Tout ce qui est économique doit être du ressort des interprofessions, les ODG ayant vocation à s’occuper de la partie qualité. »

Les représentants du négoce vin voient dans les droits de plantation l’exemple parfait de ce qui relève des missions d’une interprofession. Le fait que, dans la quasi-totalité des régions, le dossier se retrouve aujourd’hui entre les mains des ODG – où les négociants sont pas ou peu représentés à de très rares exceptions près* – les indispose au plus au point. « C’est du foutage de gueule ! » s’insurge Michel Chapoutier.

Plantation des vins sans IG

Un sujet exaspère particulièrement le négoce : le « non » des AOP à la demande de plantation de certains vins sans IG. En cette période charnière entre l’ancien et le nouveau régime de plantations, le monde viticole des appellations considère en effet qu’il est urgent d’attendre. Attendre quoi ? Que les règles du jeu du nouveau régime d’autorisation, en cours d’écriture avec l’acte délégué, soient connues. Pour résumer, les AOC souhaitent obtenir des garanties en termes de non-retour des vins sans IG vers les AOP et IGP.

Cette position défensive n’est pas du goût du président de l’UMVIN. « C’est une ingérence caractérisée. Occupez-vous de votre soupe et pas de celle du voisin ! » a-t-il lancé sans ambages avant de dénoncer « les petites baronnies qui gèrent le potentiel de production ».

Le nouveau régime de plantation, qui prévoit de donner à tous les segments de vins la possibilité de planter sous encadrement, donnera-t-il satisfaction au négoce vin ? Les représentants de l’UMVIN considèrent que le nouveau régime de plantation ne changera pas grand-chose : « Hier, vous ne pouviez pas planter, sauf dérogation. Demain, vous pourrez planter mais sous contingent. » Pourtant ils admettent que « l’Europe, pour nous, représente un “plus”, très clairement. » Est-ce à dire qu’aux yeux du négoce, c’est par la capacité de l’Europe à faire évoluer le nouveau régime de plantation que le progrès viendra ?

* En France, l’ODG Cognac est, à priori, le seul Organisme de Défense et de Gestion a prévoir la parité 50/50 entre viticulture et négoce. En fait, l’ODG est une section du BNIC, l’interprofession cognaçaise. En ce qui concerne le Pineau des Charentes, c’est le Syndicat des producteurs de Pineau qui est reconnu ODG. En 2008, lors de la mise en place de la réforme, a été ouvert un collège « des membres associés » réservé au négoce. Sur les 25 membres du conseil d’administration du syndicat du Pineau, le négoce dispose, statutairement, de 6 sièges (sur 25). D’autres régions, peu nombreuses, ont pu « instiller » une certaine présence du négoce, soit en leur accordant une voix consultative, soit en leur concédant une place minoritaire.

Dans la perspective imminente du bouclage de la réforme des droits de plantation, le négoce vin français hausse le ton. Il dénonce une perte de parts de marché de la France par rapport à l’Italie ou l’Espagne, stigmatise « la mainmise de la viticulture sur le robinet de la production pour tendre les prix », réclame que les autorisations de plantation soient gérées par les interprofessions et non par les ODG, appelle de ses vœux un élargissement du vignoble pour les vins sans IG. Bref ! Une position musclée, exprimée lors d’une conférence de presse tenue par l’UMVIN, l’Union des Maisons & Marques de Vin le 13 mai 2014.

Hermitage, dans la Drôme, l’une des plus belles appellations des Côtes-du-Rhône. C’est là – à Tain-l’Hermitage – qu’est installée la maison Chapoutier, depuis sa fondation, en 1808. Société de négoce, elle achète de la vendange, des vins en vrac mais possède aussi ses propres vignobles. Michel Chapoutier a rejoint l’entreprise en 1990. Dès 1996, il convertit ses parcelles de vignes à la biodynamie. Il investit l’œnotourisme (croisières œnologiques, école du vin, table d’hôtes, bistronomie…) et surtout booste les ventes de la maison M. Chapoutier, en France comme à l’étranger. Il est propriétaire de vignobles au Portugal et en Australie.

En tant que déclarant de récolte (producteur), Michel Chapoutier préside aujourd’hui l’ODG AOC Hermitage*. S’il n’est plus président de l’UMVR (Union des maisons de la Vallée du Rhône), il est toujours vice-président d’Inter-Rhône, l’interprofession des vins. Il existe même de fortes probabilités qu’il succède à Christian Paly à la tête de la structure. Viticulteur à Tavel, Christian Paly arrive au bout de ses deux mandats. Alternance oblige, un négociant va prendre sa suite.

* Dans les crus des Côtes-du-Rhône, tous les membres des ODG sont des déclarants de récolte.

 

 

 

 

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