Une Famille Composite

10 mars 2009

Le négoce bordelais n’est pas un mais pluriel, à l’image de ses 57 appellations, de ses 10 à 12 000 châteaux. Depuis des centaines d’années, les métiers, les savoir-faire, les univers s’entrecroisent, rejoints cette dernière décennie par une nouvelle génération de metteurs en marché.

 

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Francis Cruse.

« Bordeaux, le plus grand marché de niches du monde ! » Cette expression de Jean-François Mau (maison Yvon Mau) reprise par Francis Cruse renvoie bien sûr à la multiplicité de l’offre – les fameuses 57 appellations bordelaises et ses milliers de châteaux. Il fait également écho à un négoce bordelais composé de nombreuses structures, très fragmentées entre ses différents métiers, les différentes régions de production, les différents types de vins et de marchés. Faut-il y voir un handicap ? Oui et non. Sans doute la « puissance de feu » du négoce bordelais n’est-elle pas tout à fait ce qu’elle devrait être. Mais la segmentation des activités, associée à une indéniable spécialisation, n’a pas que des inconvénients. Par ailleurs, comme partout, la concentration est en marche et l’émiettement du négoce pas aussi grand qu’on le dit parfois. Sur les 400 sociétés pratiquant l’activité de négoce à plein-temps, 30 à 40 sociétés réalisent « 80 % du business ».

typologie

Pas facile de dresser une typologie du négoce bordelais, tant il existe de catégories et de croisements entre les strates. Cependant, deux grandes familles se distinguent : le négoce éleveur et le négoce distributeur. Comme son nom l’indique, le négoce éleveur achète les vins en vrac et les élève dans ses chais. « Notre boulot à nous, indique un membre du négoce éleveur, c’est tout de même de faire un choix pour le compte de nos clients et d’apporter une valeur ajoutée en terme d’élevage. Nous portons cette responsabilité qualitative. » Cette forme de négoce pèse lourd. Elle représente 46 % des achats de Bordeaux soit près de la moitié des volumes. Cette activité de négoce éleveur a toujours constitué le cœur de métier de la place de Bordeaux. Autrefois tous les vins de Bordeaux, y compris les grands crus, partaient du quai des Chartrons pour le monde entier, après avoir été élevés dans les chais du bord de la Garonne. Aujourd’hui les grandes maisons de Bordeaux continuent d’assumer cette fonction de négoce éleveur, les Baron Philippe de Rotschild, Castel, Ginestet, CVBG, Dourthe Kressman, Borie Manou, Dulong, Calvet, Cordier… Elles sélectionnent les vins, les élèvent et les mettent en bouteille chez elles. Une petite partie s’en va sous le nom de château – « mise en bouteille par Ginestet » – mais le plus gros de la troupe est commercialisé directement sous la marque du négociant : Mouton Cadet, N° 1 de Dourthe… Il s’agit alors de vins d’assemblage de différentes propriétés, de différents châteaux.

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Répartition des exportations de vins de Bordeaux en bouteilles* par tranche de prix (euros/litre), en 2005 (% volume total)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par rapport au négoce éleveur, le négoce distributeur, lui, fait profession d’acheter les vins en bouteille, particulièrement dans les grands crus (qui ont depuis longtemps abandonné la vente en vrac) mais aussi dans les lieux plus modestes. Cette activité concerne 42 % des volumes du Bordeaux. La mise en bouteille s’effectue au château par le château lui-même et le négoce achète ces bouteilles. Un système un peu intermédiaire s’appelle le « rendu mise » : le négoce achète le vin en vrac mais en confie la mise en bouteille au producteur (en rémunérant sa prestation de service). Il peut aussi, mais beaucoup plus rarement, effectuer lui-même la mise en bouteille au château. Cette activité de « rendu mise » porte sur 12 % des volumes. Enfin, pour être exhaustif, il faudrait dire un mot du négoce vinificateur qui, à Bordeaux, représente une toute petite partie de l’activité. Quelques maisons achètent des raisins à la viticulture et les vinifient.

A côté de la dichotomie négoce éleveur/négoce distributeur, l’approvisionnement des marchés constitue une autre ligne de partage du négoce bordelais. Un négoce très spécialisé concerne les grands crus, pour des achats en primeurs. Ces négociants achètent les vins dès leur naissance, au moment de la vinification. Leur mise en marché – au grossiste ou au consommateur final – s’opère deux ans plus tard, après élevage et mise en bouteille sur la propriété (sauf exception, tous les crus présentant une certaine notoriété pratiquent la mise en bouteille au château). Dans la grande famille du négoce bordelais, on trouve aussi des négociants plus ou moins spécialisés par régions. Il y a les négociants dits « rive gauche » (Médoc, Graves…) et ceux dits « rive droite » (Saint-Emilion, Pomerol…) ; des négociants plus tournés vers les vins intermédiaires des cinq Côtes de Bordeaux ; ceux qui se sont fait une spécialité des vins d’entrée de gamme, des petits châteaux, des Bordeaux, Bordeaux supérieurs ; les négociants qui s’intéressent aux vins liquoreux (Sauternes, Monbazillac…). Les circuits de distribution dessinent encore d’autres clés de répartition, entre le négoce qui travaille essentiellement à l’export (90 % de l’activité de certaines maisons) ; le négoce très équipé pour s’attaquer à la grande distribution (temps de réaction très rapide, livraisons en flux tendu) ; des spécialistes des CHR ou encore des cavistes, grossistes ou carrément du particulier. Bordeaux abrite le plus gros opérateur français de VPC (vente par correspondance) de vins, les Vins de la Marjolaine.

Toutes catégories confondues, le négoce bordelais met en marché 70 à 75 % de la production bordelaise de vins (pour les grands crus jusqu’à 99 %). La viticulture – coopération, chais particuliers – se charge de commercialiser le solde. Dans des appellations comme Bordeaux, Bordeaux supérieurs, Côtes, la vente directe est très représentée, surtout en France et à l’export proche (Belgique, Suisse, Hollande…). A ce jour, le négoce reste le spécialiste du grand export. Cependant, sous l’effet de la crise, des coopératives de producteurs regardent de plus en plus sérieusement ces marchés.

une tendance à la concentration

Côté entreprises, Bordeaux n’échappe pas à la tendance mondiale à la concentration et au rachat. Depuis une dizaine d’années, les grands groupes français de vins se retrouvent à Bordeaux : Castel, les Grands Chais de France, Ballande, Taillant, Val d’Orbieu… Ils commercialisent non seulement du Bordeaux mais toute la gamme des AOC et des vins de pays. Des groupes étrangers s’implantent également : exemple du groupe espagnol Freixenet, qui a racheté Yvon Mau.

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Exportations mondiales de vins de Bordeaux par couleur (en milliers d’hl)

 

 

 

 

 

 

 

Sur la place de Bordeaux, des regroupements s’opèrent : les maisons Dulong et Calvet reprises récemment par les Grands Chais de France, Sovex-Voltner par le groupe Ballande ou encore la constitution du groupe Oenoalliance associant plusieurs maisons de négoce – André Quancard, Vinyrama, Promocom… – sous l’égide de la Caisse des dépôts et consignation. Présents dans 160 pays, les vins de Bordeaux mobilisent un chiffre d’affaires d’environ 3 milliards d’euros – dont 1 milliard d’€ à l’exportation – pour 650 millions de bouteilles vendus annuellement (par comparaison, le chiffre d’affaires du Cognac s’élève à 1,5 milliard d’€ pour 170 millions d’équivalent bouteilles). « Vu de Bordeaux, nous nous sentons très importants mais, à l’échelle de la planète, Bordeaux représente 2 % de l’offre de vin » resitue un négociant. « La force de Bordeaux, poursuit-il, c’est son nom, qui reste magique partout dans le monde. Quel est le dénominateur commun entre un Bordeaux générique, un château Petrus, château Yquem ou Lafitte-Rotschild ? C’est Bordeaux. »

 

 

 

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