Dans quel état d’esprit les viticulteurs charentais abordent-ils ce début d’année ? Il est sans doute un peu tôt pour le dire. Les vignerons mettent souvent à profit les assemblées générales de coopératives et sica associées pour se forger une opinion ou, du moins, étayer leur ressenti de la situation. Et le cycle de ces réunions débute juste. Quant aux syndicats viticoles, qui offrent une autre source d’information et surtout des lieux privilégiés d’échange, ils viennent juste d’entamer leurs rencontres de terrain. Ainsi, les viticulteurs préfèrent réserver leurs commentaires. Par contre s’il y a une profession qui est en mesure d’apprécier le « moral des troupes », c’est bien la profession comptable. Tous les jours, ses conseillers travaillent à l’intérieur des systèmes de production. Ils auscultent les comptes et, ce faisant, « sondent les reins et les cœurs » de leurs clients. Une position qu’ils partagent d’ailleurs avec les banquiers mais dans une perspective différente.
Que dit la profession comptable ? Elle constate pas mal d’incertitudes mais aussi la remontée d’éléments positifs. A coup sûr le bon chiffre de sorties Cognac du mois de décembre 2009 en fait partie. Certes, la chute des ventes était déjà enrayée depuis quelques mois mais la hausse de 20 % des expéditions sur le dernier mois (par rapport à décembre 2008) fait figure d’heureuse nouvelle. « Les marchés ont l’air de se redresser ou, en tout cas, de moins accuser le coup que l’on aurait pu imaginer. » Surtout, cette impression est corroborée en viticulture. Des maisons qui, il y a trois mois, étaient prêtes à différer leurs achats, sont revenues aux enlèvements. Ouf de soulagement dans les rangs viticoles. « Le moral était plus bas en novembre qu’aujourd’hui. » Maintenant, chacun sait que rien n’est acquis. Les comptables notent une très grande hétérogénéité de situation. « Chaque cas est vraiment unique, personne n’a les mêmes débouchés, la même trésorerie. » En ce qui concerne les débouchés, la profession comptable relève la place essentielle tenue aujourd’hui par la politique contractuelle. En ces temps troublés, elle incarne la stabilité. Non seulement « elle permet d’avoir une meilleure visibilité » mais elle offre un indéniable facteur de compétitivité aux entreprises qui en bénéficient. Un témoin use d’un euphémisme pour décrire l’état d’esprit qui anime les vignerons en ce début d’année 2010 : « Mes clients ne sont quand même pas trop déçus par les maisons de négoce. »
A entendre les comptables, le problème majeur de la viticulture aujourd’hui, « c’est la tréso-rerie », une trésorerie qui s’affirme comme le « nerf de la guerre ». Beaucoup d’exploitants « ont du mal à joindre les deux bouts ». Cette situation, à quoi faut-il l’imputer ? A la baisse du rendement ? « Les – 12 % sont une chose mais ce n’est pas non plus dramatique en période de crise et surtout on partait de relativement haut. » Les hommes du chiffre pointent davantage les deux dernières récoltes, faibles chez certains. Et surtout ils évoquent le niveau d’engagement financier, qui a notablement progressé ces trois dernières années. « Une masse d’investissement a été réalisé, dans le foncier comme dans l’outil de production, avec, à la clé, des annuités de remboursement élevées. Si l’on y ajoute les prélèvements sociaux et fiscaux, c’est « chaud », surtout chez les exploitants classés dans la catégorie des investisseurs. Ils ont un peu de mal. » Conséquence : la période qui s’ouvre est plutôt au « repositionnement ». « Le renouvellement du matériel ou les mises aux normes sont un peu mis sous le boisseau. Avant de repartir vers une nouvelle dynamique de développement, la viticulture est en train de digérer la période précédente. » Si les trésoreries sont tendues, les conseillers de gestion ne notent pourtant pas de situations financières désespérées. Non seulement parce que la récolte 2009 ne pose pas de problème criant de rentabilité mais aussi parce que les banques manifestent un bon degré d’accompagnement. « Naturellement, les prêts sont octroyés selon les critères financiers classiques mais l’on perçoit, de la part des banques, une volonté affirmée d’accompagner la viticulture. Aujourd’hui les relations redeviennent sereines, comme avant la crise. » La profession comptable insiste sur la maîtrise des coûts de production. « Notre mission à nous consiste à tout faire pour que les coûts soient maîtrisés. Si l’on peut passer à 8, l’on passera à 8 même s’il faut 9 ou 9,5 pour que tout le monde vive bien. Nous ne sommes pas dans le débat politique. » La réserve climatique continue de susciter des commentaires. « Elle sécurise les exploitations mais représente aussi une mise de fonds de départ, qui n’est pas sans participer à la faiblesse des trésoreries. » Les comptables s’interrogent sur le fonctionnement de cette réserve climatique (voir page 7), encore flou. « La profession ne souhaite peut-être pas communiquer trop vite mais la vie continue, des sociétés se créent, d’autres s’arrêtent. Il nous faut des réponses. » Un certain nombre évoque l’affectation, en rappelant que la prochaine affectation de récolte aura lieu dans cinq mois. « Mais pour affecter, faut-il encore savoir ce qu’on livre. Souhaitons que le négoce se positionne suffisamment tôt. »