Si sa vie n’est pas un roman, on pourrait presque dire qu’elle se rapproche d’une fugue, d’une mélodie, d’un cantabile, en tout cas rien d’assommant ; une forme légère, spirituelle, douée d’une fantaisie propre à « ré-enchanter le monde ». Normal ! Monique Fillioux chante, depuis toute petite. Ses parents, Roger et Denise Gosselin pratiquaient l’art lyrique en presque professionnels. Son père, ténor, avait failli intégrer l’Opéra de Paris sous le nom de scène de Jean Nell (Denise Delmont pour sa mère, soprano). Et puis un changement de directeur en avait décidé autrement. Roger Gosselin poursuivra une brillante carrière à Gaz de France. Mais, dans les embouteillages parisiens, la famille chante en canon, ce qui fait sourire les autres passagers des « auto ». Monique se verrait bien « rat de l’Opéra – elle pratique la danse classique – ou musicienne. Ne joue-t-elle pas du piano depuis l’âge de 6 ans. Mais ses parents ne l’entendent pas de cette oreille. « Tu seras juriste ma fille ! » Direction, la faculté de droit, spécialité droit des affaires. Mais, après sa maîtrise, Monique ne veut pas vivre à Paris ni « finir notaire en province ». « Pascal, dit-elle, m’a offert la campagne sur un plateau. » Ce sera donc Juillac-le-Coq, canton de Segonzac et ses croupes vallonnées de Grande Champagne. Monique tombe sous le charme. Plus de danse, plus de piano (pour un temps) mais des bourgeons de vigne qui éclosent au printemps, un cheval (Poppy, 1,72 m au garrot), un chevalet et, bien sûr, ces arômes de Cognac qu’elle découvre avec son mari. La musique, pourtant, lui « trotte » dans la tête. « En tapant les factures de mes clients, en collant les étiquettes de lettres, j’ai toujours chanté, j’ai toujours dansé. J’ai toujours eu deux musiques, celle que l’on vit tous les jours et la musique, la vraie. »
Le temps passe. En 2003, Christophe, le fils de la famille, rejoint le domaine de La Pouyade. Monique continue de « raconter l’histoire des Cognacs Jean Fillioux », un domaine où elle excelle. A Pascal, l’art d’assembler les belles eaux-de-vie, de créer des Cognacs de propriétaire ; à elle le soin de faire partager cet art, « en conteuse passionnée mais très loyale ». « Vous connaissez nos hommes de l’ombre, nos rats de chais. Ils ne savent pas se mettre en lumière. C’est donc là mon travail. C’est comme un artiste et son manager. »
L’association mets/Cognac
Elle ne se contente pas de « mettre en musique » les notes de dégustation de son mari. Elle fait aussi passer des messages, comme l’association mets-Cognacs. Alors que l’idée fait aujourd’hui florès à Cognac, les Fillioux « pratiquent » depuis une vingtaine d’années. Monique a même écrit un joli livret Réception à La Pouyade avec ses meilleures recettes (et celles de sa mère, excellente cuisinière), en français et en anglais. Goûteux et convaincant.
Aujourd’hui, après 36 années consacrées au Cognac, Monique Fillioux a décidé de prendre un peu de recul. « J’ai l’impression d’avoir dit tout ce que j’avais à dire. » Bien sûr, elle restera une ambassadrice du Cognac. Mais elle estime que « le monde change et qu’il appartient à la nouvelle génération de raconter les choses, à sa façon ».
Quels sont les projets de Monique ? On vous le donne en mille ! La musique naturellement. La vérité commande de dire qu’elle s’y est remise depuis… 14 ans. Quand, enfin, elle trouva un professeur de chant qui lui correspondait. Ce sera Nicole Boucher, d’Angoulême, mezzo-soprano, qui a longtemps chanté à l’opéra de Tours.
« Nicole a eu l’intelligence de comprendre que ma vie, c’était le Cognac mais que j’avais aussi envie de progresser. Elle m’a proposé de jolies choses. »
Depuis toutes ces années, Monique Fillioux se rend une fois par mois à Angoulême, à la rencontre de son professeur.
« Je chante pour les souris et les araignées »
Mezzo (voix médiane, en dessous de la soprano), Monique aime la musique baroque, Bach, Händel, Vivaldi. Son musicien préféré, Philippe Jaroussky, dont elle possède l’ensemble de la discographie. « J’écoute sa musique tous les week-ends. Je chante aussi pour moi, pour les souris et les araignées » dit-elle en riant. Dans sa grande maison des hauts de Juillac, Monique Fillioux fait aussi des vocalises, au grand dam, se souvient-elle, d’une de ses chattes défunte. « La voix, c’est un instrument très délicat qu’il faut travailler. Il y a deux cordes vocales à muscler. C’est très dur physiquement. Je suis plus fatiguée après une heure de chant qu’après trois heures de cheval. Le chant réclame beaucoup d’énergie, du souffle, de l’introspection et de la patience. Il s’agit d’un art difficile. »
Avec Festi’Musique et son artiste vedette, Hervé N’Kaoua, Monique Fillioux a l’impression de « franchir une marche ». « C’est une belle, une très belle surprise » dit-elle.
Les Fillioux ne sont pas totalement novices dans l’organisation de « matinées musicales ». Depuis quelques années, ils convient toutes les fins d’été à La Pouyade une quarantaine d’amis à assister à des concerts privés. Les notes résonnent de nouveau sur le piano Erard 1930, arrivé de Paris en 1977.
Trait d’union
Comme toutes les belles histoires, la rencontre avec Jacques Baclet et Anne-Marie Mollinie fut fortuite. Cette fois c’est un piano lyre – il n’en existe pas plus de 70 de par le monde – qui servit de catalyseur. Et puis Monique Fillioux établit le trait d’union avec le Cognac. Mais elle-même se vit davantage comme un « tourneur de page », un facilitateur. « Je fus longtemps à la disposition du Cognac. Maintenant, je suis à la disposition de la musique. Je n’ai jamais eu envie de me mettre en avant » précise-t-elle. Une fréquentation plus assidue de sa chère musique qui donne la sensation de retrouver « le berceau de son enfance. »
Conçoit-elle du regret d’abandonner, ne serait-ce qu’un peu, une vie active entièrement tournée vers le Cognac ? « Non, assure-t-elle. J’ai fait mon temps. Des Blackberry et autres gadgets, j’en ai un peu assez. Quelle époque bénie où le grand-père de mon mari, en voyage vers les Etats-Unis, embarquait pour une croisière de 15 jours. Aujourd’hui, vous parcourez d’Est en Ouest le pays en vous levant tous les matins à 3 h pour prendre l’avion à 5 h 30. C’est usant à la longue. » Elle regrettera, c’est sûr, les rencontres avec ses importateurs, avec cette nouvelle génération de femmes qui, de Riga à New York passent allégrement d’un concert, d’un opéra ou d’un ballet à une recette de cuisine où à des conseils de jardinage et papotent allégrement sur la toile sans délaisser leurs affaires. D’ailleurs, Monique et Pascal Fillioux ne se sont jamais sentis étrangers nulle part. Ukraine, Japon, Finlande… partout, ils ont reçu le même accueil. « Il suffit d’être simple et naturel, se présenter humblement et gentiment et ça se passe très bien. » Une leçon de vie.
Histoire des Cognacs Jean Fillioux
l Originaire de Javrezac, Honoré Fillioux acquiert la propriété de La Pouyade en 1894.
l Il travaille avec le professeur Ravaz à la mise au point du cépage « 333 Ecole » résistant au phylloxera.
l Il invente un régulateur de température pour la distillation (photo).
l Après Honoré, quatre générations se succèdent à La Pouyade : Jean, Michel, Pascal, Christophe (avec Jean comme second prénom…
depuis Jean).
l Les Cognacs Jean Fillioux sont présents sur tous les continents.
l La Maison exporte à 90 % ses Cognacs (10 % à l’époque de Michel).