Un viticulteur témoigne de son expérience

28 mars 2009

1030_17.jpegLivreur Courvoisier à travers la coopérative de bouilleurs de cru ACBC, Eric Gauche fait partie des pionniers de l’HACCP. Il a complètement intégré la démarche depuis plus d’un an et possède donc le recul suffisant pour en parler.

Eric Gauche ne nourrit pas d’états d’âme à l’égard de l’HACCP. Il en fait un passage obligé. « La loi nous l’impose et notre acheteur aussi. C’est une des conditions pour rester livreur chez lui et voir nos contrats renouvelés. » Cela dit, au-delà de l’aspect incitatif, il avoue avoir eu « l’esprit ouvert sur la question ». « Je m’aperçois que ce que nous découvrons en agriculture, d’autres l’appliquent depuis dix ou quinze ans. Nous devons rassurer sur nos méthodes de travail. » Alors que rien ne l’y obligeait si ce n’est le strict respect de la réglementation, le viticulteur a étendu la démarche HACCP à sa production de Pineau et de vin de pays.

Dès le 1er semestre 2001, le conseil d’administration de la coopérative ACBC, sensibilisé par la maison Courvoisier, réfléchit à un diagramme de fabrication du Cognac ainsi qu’à une pré-identification des risques. Les livreurs chargés de mettre en place la démarche sur leurs propres exploitations en voient leur tâche grandement facilitée. Mais Eric Gauche se dit un cas doublement particulier dans la mesure où il accueille durant 12 semaines sur deux ans une stagiaire, Stéphanie Martin, dont le rapport de stage est justement consacré à l’impact de la mise en place d’une démarche HACCP chez un bouilleur de cru. Bien que la démarche reste sous la responsabilité du viticulteur, la jeune femme l’aide à concevoir les documents, notamment dans leur version informatique. Parallèlement, un CD a été créé, reprenant la trame des différentes fiches. Il est à la disposition de tous les livreurs Courvoisier.

Un classeur blanc, un classeur bleu… pour les fournisseurs Courvoisier, ces deux couleurs symbolisent la double approche de la démarche HACCP, à la fois assez théorique et abstraite dans le descriptif du process de fabrication, des risques associés et des actions à mettre en place (objet du classeur blanc) et plus concrète dans son aspect « enregistrements ». En effet, se retrouvent dans le classeur bleu tous les documents pouvant servir de preuves comme le calendrier de traitement, les fiches de suivi de vinification, les fiches techniques, le résultat des contrôles, le suivi des incidents, le suivi de production… En bon technicien sensible au côté pratique des choses, Eric Gauche a tendance à considérer l’enregistrement des pratiques comme l’aspect le plus positif de la démarche, ce qui lui apparaît comme le plus gratifiant.. « On retrouve tout en un même lieu. Auparavant, comme beaucoup de mes collègues, je notais mes interventions sur un calepin mais mes documents étaient épars. Aujourd’hui, je sais où les chercher. C’est un peu la mémoire de l’exploitation. » Côté classeur blanc, paradoxalement, la difficulté tiendrait presque à trop de simplicité. « Il faut se forcer à énoncer des choses évidentes » note E. Gauche. Ainsi, en face de la rubrique « Vendange », première étape de son diagramme de fabrication, le viticulteur s’est-il contenté de mentionner deux mots, correspondant selon lui à deux points sensibles, dits encore « points critiques à maîtriser » (CPM) : « calendrier de traitement » et « hygiène de la machine à vendanger ». Rien que de très attendu direz-vous. Mais la méthode HACCP, semble-t-il, ne réclame pas autre chose. « On ne va pas réinventer l’eau chaude. » De même, E. Gauche démystifie volontiers le problème de la formulation, qui pourrait sembler un obstacle à certains. « A la limite, la manière de dire les choses n’est pas très importante dans la mesure où vous savez les expliquer. » Pour illustrer la démarche HACCP à son maître de stage, Stéphanie Martin avait eu recours à une image. « Pensez que vous tombiez malade pendant les vendanges et que vous fassiez appel à une personne extérieure. Pour vinifier sans votre aide, elle aurait besoin d’une trace écrite. » Le viticulteur a trouvé cette remarque éclairante.

La notion d’autodiagnostic

La notion d’autodiagnostic imprègne la méthode HACCP. Ce qui est valable chez le voisin ne l’est pas forcément chez vous. Ainsi, toujours pour rester dans la première phase de description du parcours de fabrication et d’identification des points critiques, au volet « transport de vendange » E. Gauche a simplement indiqué « hygiène des bennes ». Certains de ses collègues de l’ACBC sont allés plus loin dans l’analyse des dangers en citant les risques de projections. Mais ils sont amenés à transporter la vendange sur d’assez longues distances alors que les vignes d’Eric Gauche sont relativement proches du siège d’exploitation. « Je donne juste à mon salarié la consigne de ne pas rouler trop vite si les chemins sont boueux. » Du transport de la vendange, on passe tout naturellement à la réception de la vendange (avec deux points critiques listés par le viticulteur : hygiène des tuyaux et des pompes et hygiène de la cuverie) pour s’acheminer vers la distillation via le pressurage. « Ce diagnostic n’est pas figé dans le temps, indique le viticulteur. Tous les ans il convient de s’y pencher et de voir si des points ont changé. » Dans le classeur blanc proposé par Courvoisier, cette exigence est d’ailleurs formalisée sous l’intitulé « système de revue périodique de l’étude des risques ». Eric gauche a acheté cette année 12 mètres linéaires de tuyaux inox pour remplacer des tuyaux plastiques. Il l’a consigné.

Une chose est de détecter les dangers, une autre de trouver les moyens d’y remédier. C’est le volet « actions » ou plan d’intervention. A noter que tous les points critiques à maîtriser (PCM) relevés au cours de l’autodiagnostic n’ont pas vocation à entraîner la mise en place d’un plan d’action. Ce sera le cas seulement pour les plus graves d’entre eux, sachant que l’échelle d’évaluation du risque (gravité, fréquence et détection) va de 1 à 5. Eric gauche a retenu pour sa part cinq points critiques réclamant une procédure particulière de traitement correctif. A titre d’exemple citons le point critique n° 5 correspondant à ce qu’il a appelé « la fuite constatée sur le serpentin de la chaudière ». Face à ce danger potentiel, le viticulteur a listé une série d’actions et de consignes de travail, citées ici dans leur intégralité, pour bien illustrer la méthode dans ce qu’elle a d’approche personnelle, liée à la réalité de l’exploitation : « stopper la distillation ; transférer le lot de brouillis ou d’eau-de-vie concerné vers la cuve n° 14 ; nettoyer le puits de 83 hl ; après réparation, nettoyer le serpentin à l’eau chaude suivi d’un rinçage à l’eau froide ; relancer une autre chauffe de vin ou de brouillis ; en parallèle, décider de la conformité des lots par dégustation et recherche des traces de pollution par analyse ; faire un diagnostic de quelques lots d’eau-de-vie antérieurs ». Et comme l’HACCP ne va pas sans traçabilité, il est précisé en parallèle que l’incident devra figurer sur la fiche « suivi des incidents » et la réparation sur la fiche « relevé des interventions du matériel de distillerie », les deux faisant partie du classeur « enregistrements ».

Enregistrer c’est prouver

Dans l’esprit de la méthode HACCP, enregistrer c’est pouvoir dire que l’on fait bien ; que face à un danger, on a su prendre les bonnes dispositions et que l’on est capable d’en apporter la preuve. E. Gauche revient sur l’aspect « bibliothèque » du classeur consacré aux enregistrements. Il apprécie de pouvoir ranger au même endroit son calendrier de traitement mais aussi son relevé de désherbage et son relevé de fumure. Obtenir les fiches techniques des fournisseurs d’huile, de graisse, de produits détergents ou de produits œnologiques n’a pas toujours été facile au début mais maintenant « ils s’y mettent », sous la pression répétée de leurs clients. Le viticulteur avoue un seul échec, auprès d’un fabricant de joint de tuyau. Il souhaite balayer une idée reçue, celle selon laquelle le viticulteur ne pourra pas procéder lui-même à ses travaux d’entretien ou de maintenance. « C’est faux. Simplement, il faut pouvoir justifier de l’alimentarité des produits employés et pour ce faire demander les attestations. » Ses interventions, il les notait auparavant sur un agenda. Maintenant, il les écrit toujours à l’atelier mais les reporte sur la fiche de maintenance du matériel. Quitte à noter ce qui ne relève pas à proprement parler de la démarche HACCP. « J’ai changé le filtre des huileurs du pressoir. Bien que cela n’entre pas en contact avec la vendange, je l’ai quand même consigné, pour en garder la trace. » Côté suivi de vinification, le viticulteur continue d’utiliser le cahier de vinification de la Chambre, qu’il a inséré en l’état dans son classeur. Par contre, il a demandé au service œnologique de le faire évoluer pour prendre en compte les aspects traçabilité. « En cas de problème, il faut être capable de remonter à la parcelle. »

La méthode HACCP préconisée par la maison Courvoisier prévoit la traçabilité des contenants bois, fûts, tonneaux. Eric Gauche s’est donc attelé à l’inventaire de l’ensemble de ces fûts par âge, origine. Ce faisant, il s’est aperçu que de la gestion des fûts et des lots à la déclaration des stocks il n’y avait qu’un pas, qu’il serait idiot de ne pas franchir. Un groupe de travail au sein de la coopérative ACBC s’est donc mis en chasse d’un logiciel que les viticulteurs testent en ce moment. « Tout cela converge vers plus de rationalité » constate le viticulteur. « Les premières années, dit-il, la démarche HACCP/traçabilité réclame du temps mais ensuite, ce n’est plus qu’une remise à jour. Depuis que mon listing de fûts est fait, je me borne à rajouter le fût neuf à la liste. Ce n’est pas plus compliqué que cela. » Le viticulteur a présenté la démarche et documents HACCP à son salarié permanent ainsi qu’aux occasionnels. En dehors de cette sensibilisation à la démarche il ne prévoit pas de formation particulière, lui-même s’étant formé à la méthode. En terme de modification de sa pratique, E. Gauche affiche dorénavant les consignes de travail ainsi que le plan de chai, afin que quelqu’un d’extérieur à l’exploitation puisse, le cas échéant, s’y retrouver plus facilement.

C’est à partir de 2004 que la maison Courvoisier – pour ne parler que d’elle – exigera que les dossiers HACCP soient remplis. Si elle a apporté son aide jusqu’à maintenant, demain ce ne sera plus le cas. Les viticulteurs devront se prendre en charge. « Ne faudrait-il pas prévoir une aide et un suivi par la Chambre » s’interroge E. Gauche ainsi que certains de ses collègues. « On s’aperçoit que si les gens ont globalement compris la méthode, dans la pratique ils ont du mal à l’appliquer. Les stages d’initiation au concept ne suffisent pas. Ils doivent obligatoirement se prolonger par un suivi. » De même, une coopérative associée comme l’ACBC se sent un peu responsable de la démarche HACCP vis-à-vis de ses mem-bres. Elle s’interroge sur l’emploi à temps partiel d’un technicien qualité qui interviendrait en appui des viticulteurs. Mais qui dit emploi dit également frais de fonctionnement supplémentaires. Ce point fait encore débat au sein de la coopérative.

HACCP – Formations et audits

La Chambre d’agriculture de la Charente propose des sessions de formation à la méthode HACCP dans le domaine œnologique (voir programme ci-dessous). Par ailleurs deux techniciens – Patrick Vinet et Nicolas Fouquet – sont à même de réaliser des audits HACCP. Le diagnostic comprend une visite rapide des installations, la revue de la documentation, la synthèse des résultats, les remarques par rapport à l’existant et les points à améliorer. Le coût de la prestation s’élève à 90 €.

Formation HACCP – Application de la méthode à la filière Cognac – Intervenant : Patrick Vinet – Lieu : Université des EDV – Coût : 30 €/participant. Stages d’initiation : mardi 27 janvier 2004 (de 9 h à 18 h), mardi 9 mars ; stage de perfectionnement : jeudi 11 mars. Inscriptions : 05 45 36 34 00.

La Chambre d’agriculture de Charente-Maritime et plus particulièrement le département « production raisonnée » auquel appartient l’œnologue de la Chambre Valérie Baumann-Viaud se tiennent à la disposition des viticulteurs ou groupes de viticulteurs qui souhaiteraient participer à un stage de formation HACCP. Les personnes intéressées sont invitées à se manifester auprès des antennes. Technicien qualité à la Chambre, Christophe Mauger réalise des évaluations post-stages pour assurer le suivi de formation et mesurer l’état d’avancement des dossiers. Pour l’instant, la Chambre 17 ne propose pas de prestations d’audit proprement dites. Renseignements (antenne de Saintes) : 05 46 93 71 05.

La Chambre d’agriculture de la Gironde a intégré dans son programme de formation du premier semestre 2004 plusieurs stages HACCP. Leur intitulé : « HACCP : de la théorie à la pratique ». Ces sessions portent sur deux journées et demie. Elles se dérouleront à Pauillac les 7, 14 et 21 janvier, à Saint-Savin les 27 janvier, 3 et 10 février, à Cadillac les 1er, 23 et 30 mars, à Soussac les 25 mars, 1er et 8 avril. Contacts : Chambre d’agriculture de la Gironde (service formation) : 05 5679 64 11.

 

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