Millésime 2010 : Festina lente … « Hâtez-vous lentement »

1 février 2011

La Rédaction

La qualité, une fois de plus, est au rendez vous ! Dame nature nous gâte pour la seconde année consécutive mais elle a joué avec notre patience. Souvenez-vous, fin Août, tel un film d’Hitchcock qui tient en haleine son public, après un été particulièrement sec, nous levions tous les yeux au ciel en espérant que le déluge inévitable tardera un peu. Nous n’avions quasiment jamais connu des vendanges aussi longues. Premier coups de sécateurs dès début septembre jusqu’au dernières tries en moelleux après mi-novembre. Nombreux étaient les touristes, viticulteurs ou consultants décontenancés de ne pas se retrouver bloqués derrière une machine à vendanger ou une benne…vendanges presque fantômes car morcelées et étalées.

 

 

Des conditions climatiques idéales avant et pendant la récolte…

L’année a bien commencé : la pousse des vignes a été lente et régulière, sans accident climatique de grande envergure et dès le mois de juillet une période sèche s’est installée sur notre région de façon durable. La vigne et son enracinement profond est particulièrement adaptée à ces conditions climatiques et, très vite, le profil d’un beau millésime s’est présenté…

La première conséquence positive aura été la faible utilisation de traitements. En l’absence de pluie, il y a peu de maladies et la tâche est facilitée pour les vignerons. Les raisins sont naturellement beaux et mûrissent dans les meilleures conditions.

Un autre aspect du climat est également important sur la même période : les températures du mois d’août sont relativement clémentes. A part quelques jours très orageux et caniculaires en milieu de mois, les températures moyennes journalières du mois sont relativement tempérées, ce qui favorise le bon développement et la conservation des arômes du raisin…

Autre facteur très particulier du millésime, le manque d’eau bénéfique au départ devient inquiétant ; certains craignent un blocage physiologique, vignes qui commencent à souffrir, les fenêtres aromatiques pour les cépages blancs les plus précoces semblent fugaces… Dame nature définitivement joueuse décide de faire un pied de nez aux anti-irrigations en apportant ponctuellement l’eau suffisante pour maintenir la vigne dans son rôle de mère nourricière pour le raisin.

Dans ce contexte idéal, les vignerons prennent leur temps et ont une grande liberté pour organiser leurs chantiers. La récolte a démarré dès les premiers jours de septembre, calmement, au fur et à mesure de la maturité des baies et des cépages…

Tous cépages confondus, la qualité sanitaire est parfaite.

Les Vins Blancs : très bon niveau général

Les conditions particulièrement sèches de la maturation vont avoir un effet très positif sur la qualité des raisins blancs récoltés.

Des teneurs en sucre élevées, des pellicules saines à très saines, des arômes bien présents et un niveau d’acidité soutenu donnent dans l’ensemble des raisins très bien équilibrés…

Sous d’excellentes conditions climatiques (quelques pluies salvatrices au bon moment), les vinificateurs ont choisi de ramasser le plus tôt possible des raisins mûrs, sains et encore dotés d’une certaine acidité, ou bien de laisser le temps aux vignes d’accumuler encore plus de sucre, d’arômes, de richesse… et deux profils de vins se dessinent clairement à l’issu de ce choix : vifs et frais, ou riches et puissants. Faciles à vinifier grâce à leur équilibre sucre/acide, ces vins ont très bien réagi au travail des lies en cuve ou barrique en donnant du gras et du volume venant parfaitement équilibrer les acidités…

Sur le cépage Sauvignon, les jus récoltés présentent une intensité aromatique soutenue doublée d’une belle complexité : les arômes exotiques qui caractérisent ce cépage quand il est très mûr, côtoient dans les moûts les arômes variétaux de buis, de genêt, de bourgeon de cassis que les baies les moins mûres avaient précieusement conservés dans le feuillage, à l’abri des rayons chauds du soleil de l’été…

Les Sémillons ont acquis progressivement un bon niveau de maturité… Leur récolte s’est passée elle aussi sous d’excellentes conditions climatiques, à la faveur des nuits fraîches et de cet automne décidément très sec. Les raisins ramassés sont d’excellente qualité. Mûrs, sains et aromatiques, ils sont relativement faciles à vinifier en particulier dès que l’on dispose de bons équipements de maîtrise des températures. Les meilleurs lots sont vinifiés en barriques.

Les arômes floraux, de fruits jaunes, presque muscatés dans certains cas, participeront à la complexité aromatique et le haut niveau de maturité permettra de donner en bouche le volume et la rondeur attendus de ce cépage.

Des Sauvignons riches et volumineux, des Sémillons aromatiques et vifs (une fois n’est pas coutume), des Muscadelles dorées aux arômes de pain d’épice et homogènes vont constituer les assemblages de ce millésime 2010 d’un très bon niveau général.

Les vins blancs moelleux récoltés dans la même période avec des raisins sains et mûrs ont des vertus similaires aux secs. Ils ont de plus un pouvoir combinant très faible, gage de qualité et de stabilité sur de tels produits.

Les Vins Rouges : Excellentissimes !

Sur les rouges, une des règles tout d’abord était d’éviter la précipitation, que ce soit sur la date de récolte parcelle par parcelle comme la décision de la date de décuvage. Des records ont été battus : les couleurs, la suavité, les temps de macération pré comme post-fermentaire mais la teneur en alcool aussi, élevée compte tenu de la belle maturation. Ce phénomène de plus en plus fréquent donne un intérêt tout particulier aux méthodes de désalcoolisation partielle… heureusement le savoir-faire français sur les assemblages (trop souvent ignoré) et l’utilisation donc à bon escient des Cabernets permettent de tempérer ce paramètre.

Pour les cépages destinés aux vins rouges, Merlots, Cabernets francs et Sauvignons, la maturation atteint elle aussi des niveaux rarement égalés… Avec des jus très fruités les raisins présentent des signes de concentration à tous les niveaux : il y a beaucoup de sucre, des teneurs en anthocyanes très élevées, des pépins aux tanins particulièrement présents et mûrs… Les pellicules ont mis un peu de temps à mûrir mais l’ont fait sous un climat exceptionnel. Les rares averses que l’on finissait par attendre avec impatience, n’ont apporté que quelques millimètres, juste assez pour débloquer certaines situations de stress un peu excessif, mais sûrement pas pour provoquer des dégâts phytosanitaires. Quant à l’alternance nuits fraîches/journées ensoleillées, elle a permis aux pellicules encore coriaces, dures et astringentes début septembre, de gagner en fruit et en tanins soyeux…

En effet, la maturité des raisins noirs se mesure également par la qualité de leurs pellicules et de leurs pépins. Des dosages quantitatifs et qualitatifs de composés phénoliques sont réalisés.

On observait ainsi:
– une teneur en composés phénoliques totaux (DO 280) élevée qui laissait présager des vins avec une matière intéressante ;
– beaucoup d’anthocyanes, ce qui annonçait un millésime avec des vins d’une couleur soutenue ;
– des maturités de tanins de pépins rarement égalées.

En 2009, la surprise était que l’ordre d’arrivée de la maturité (arômes, couleur puis pépins) était totalement inversé par rapport à un millésime « classique ». Pour le millésime 2010, la particularité est que tout est arrivé en même temps, à condition d’être patient.

Quelle que soit la cuve, on a observé des degrés potentiels élevés à très élevés. Dans ce millésime chaud, la maîtrise des vinifications est passée avant tout par une bonne maîtrise des températures de fermentation : récolte de nuit et refroidissement des moûts ont été des armes essentielles pour la vinification de cette année.

Le moral est excellent en ce qui concerne la qualité des raisins récoltés. Les couleurs sont très profondes, les structures massives, suaves et enrobées par une richesse soutenue en alcool. Les arômes ont des caractéristiques précises passant du fruit mûr à compoté (sur le cépage Merlot) aux fruits frais et à chair jaune (sur cépages Cabernet) et offrant parfois des notes d’épices orientales (qui donnent de la fraîcheur à l’ensemble).

Il fallait cependant éviter la surenchère dans l’extraction. La beauté du millésime 2010 passera par la finesse et l’élégance de tanins qui, lorsqu’ils sont maîtrisés, sont impressionnants de féminité et d’élégance.

Et pour la suite… ?

Un grand millésime, contrairement aux idées reçues, ne se fait pas tout seul et demande toujours plus d’attention. La patience continue d’être de rigueur pour l’élevage des vins. Il ne faut pas hésiter à poursuivre longuement les bâtonnages voire même en rouge. Les effets sont bénéfiques à condition d’insister peut-être plus que d’habitude sur la durée de travail des vins sur lies. Attention cela demande certaines précautions, en particulier pour les vins rouges avec le risque de développement de levures de contaminations dans les lies. (Piloter les SO2 libres en fonction du pH et du SO2 actif).

Un adage dit que dans les grands millésimes, les assemblages précoces sont toujours plus efficients. Les vins sont particulièrement déjà agréables à l’issu des vinifications et en effet il est conseillé de réaliser les assemblages des cuves selon les objectifs fixés dès le départ.

Pour les vins destinés à un élevage en fût, le choix des barriques et des chauffes est capital. La barrique doit sublimer le vin et non l’écraser. La difficulté tient également du fait que le millésime 2009 mérite déjà un élevage long et le 2010 peut-être plus selon les objectifs. Un très bon millésime ne doit pas en effacer un autre. Il ne faut pas céder à la tentation de raccourcir prématurément l’élevage du 2009 sous prétexte d’avoir des barriques disponibles rapidement. Certains pourront anticiper et gérerun parc barriques plus conséquent mais pour les autres il existe des alternatives qui permettent de commencer le mariage vin et bois en attendant la mise en barrique définitive. Il est fortement conseillé de se faire épauler par son œnologue dans cette démarche afin de rester en phase avec les objectifs finaux et les impératifs réglementaires. n

Julien Belle
(œnologue Chambre d’agriculture de la Gironde, directeur du Centre œnologique de Cadillac)
Source : MateviFrance

 

 

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