Le risque d’apparition de phénomènes de résistance au mildiou, suite à l’utilisation de fongicides ayant un mode d’action unisite, est un élément qui interfère fortement dans la mise en œuvre des calendriers de traitements. Les acquis scientifiques évaluant les risques de résistance ont comme objectif premier d’anticiper ce type de dérives en permettant de mettre en place une gestion préventive de l’utilisation des différentes familles de fongicides. Après la terrible année à mildiou 2012, beaucoup de techniciens et de viticulteurs abordent le cycle végétatif 2013 avec appréhension. Le contexte de début de saison n’a rien de réconfortant. Suite à un hiver très pluvieux, les œufs d’hiver sont mûrs et le climat de fin avril-début mai alterne pluies et soleil. La crainte d’un développement d’une épidémie précoce n’est pas à écarter !
anticiper les résistances pour mieux gérer la protection du Vignoble
Depuis de nombreuses années, un réseau national de surveillance de la résistance aux principales maladies de la vigne – le mildiou, l’oïdium et le botrytis – a été mis en place par les organismes officiels. Cela débouche tous les ans sur la publication d’une note technique nationale de gestion de la résistance qui est rédigée par un groupe de travail réunissant des intervenants émanant de la Direction générale de l’Alimentation, sous-direction de la Qualité et de la Protection des Végétaux (DGAL – SDQPV), de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire (Anses), de l’INRA, de l’IFV, du CIVC et des chambres d’agriculture. Depuis 2012, le plan de surveillance de la résistance aux produits phytosanitaires a été intégré dans l’axe 5 du plan Ecophyto, dans le cadre du suivi des effets non intentionnels des pratiques agricoles. Les prélèvements de feuilles et de fractions de grappes provenant des principales régions viticoles françaises sont analysées par le laboratoire de l’Unité de Résistance aux produits phytosanitaires de l’Anses à Lyon. D’autres données issues du terrain, comme des essais d’efficacité des fongicides en situation de résistance au laboratoire, permettent aussi de nourrir la réflexion technique du groupe de travail. La note répond à deux objectifs indissociables : la présentation d’un état des lieux national de la situation de la résistance aux trois maladies et la diffusion de recommandations d’utilisation pour les fongicides concernés par la résistance. La publication technique concerne l’ensemble des familles de matières actives entrant dans la composition des spécialités commerciales autorisées pour la protection du vignoble. Les informations se limitent à la gestion des résistances et pas à l’efficacité intrinsèques des différentes matières actives.
Le plan de surveillance de la résistance au mildiou réalisé au cours de l’été 2012 a concerné deux familles de fongicides, les QII (Quinone Inside Inhibitors) dans toutes les régions viticoles françaises et les CAA (Carboxylic Acid Amides) dans seulement trois vignobles (la Bourgogne, la Champagne et la région Rhône-Alpes). Le suivi des résistances pour cette maladie est effectué par des tests biologiques. Le mildiou est de loin une affection très dangereuse dont un mauvais contrôle provoque des pertes de récoltes importantes. En 2012, la pression parasitaire extrême a engendré localement des dégâts conséquents, qui ont été en mesure de fragiliser l’équilibre économique de certaines propriétés.
La surveillance de la résistance au CAA limitée à trois vignobles
La sélection des premières souches résistantes au CAA (le diméthomorphe) en France remonte à 1994. Les recommandations d’utilisation limitant le nombre d’applications à deux traitements par an (positionnés en préventif par rapport à l’épidémie) ont permis de préserver l’efficacité des principales matières actives pendant assez longtemps. L’arrivée de nouvelles matières actives, l’iprovalicarbe en 2003, puis le benthiavalicarbe et la mandipropamide en 2009 et, enfin, le valifénalate en 2010 a entraîné un net développement des traitements avec ces spécialités depuis 10 ans. Les tests de résistance au diméthomorphe (DMM) et à l’iprovalicarbe ont débuté à l’échelon national en 2003. Les résultats de ces travaux au laboratoire ont mis en évidence dès cette époque l’existence de populations résistantes à la fois aux deux matières actives. L’étude a été poursuivie au vignoble et en 2006 la résistance croisée entre les deux fongicides a été constatée dans plusieurs régions viticoles. Les premiers signes de la progression de la résistance au CAA dans le vignoble français sont apparus en 2007 et en 2008, deux années de fortes pressions à mildiou. C’est en 2009 que les tests ont révélé une expansion forte et quasi généralisée des sites résistants dans la plupart des régions viticoles. Depuis deux ans, les instances nationales ont décidé de limiter la surveillance de la résistance au CAA à uniquement trois vignobles (la Bourgogne, la Champagne et la région Rhône-Alpes) en réalisant des tests sur l’iprovalicarbe. Les résultats dans ces trois régions des années passées ont mis en évidence qu’ils étaient représentatifs des autres régions viticoles françaises. L’échantillon de 35 parcelles suivies fait donc l’impasse sur des vignobles comme l’Aquitaine, les Charentes et tout le Val de Loire dont la forte sensibilité à la maladie fait pourtant l’unanimité. La rigueur budgétaire au niveau des services de l’Etat est sans aucun doute l’élément qui a pesé lourd dans cette décision. Le coût unitaire d’un test biologique de résistance au mildiou se situe autour d’une centaine d’euros (sans les frais de prélèvement et d’expédition des échantillons). Les services techniques régionaux des interprofessions n’ont pas jugé prioritaire de poursuivre ce travail de surveillance de la résistance des CAA. Or, dans ces mêmes zones, la puissance de l’épidémie en 2012 a mis à mal beaucoup de stratégies de traitements, certaines fragiles et d’autres qualifiées de fiables où l’impact de la résistance au CAA est désormais clairement mis en cause.
La résistance au CAA toujours aussi préoccupante
Depuis 2009, les sites sensibles demeurent malheureusement peu fréquents (10 % en moyenne), même si une légère remontée a été constatée en 2012 (20 %). Ce constat ne peut pas être considéré comme une véritable amélioration de la situation car, jusqu’en 2006 dans ces trois régions, plus de 60 % des parcelles étaient exemptes de souches résistantes. Dans les vignobles des Charentes et du Bordelais, où les utilisations de fongicides à base de CAA ont dépassé en moyenne plus de 2 traitements par an, l’absence de démarches de surveillance des résistances est jugée préoccupante par de nombreux techniciens de terrain. Le mildiou représente dans ces deux régions le risque majeur de perte de récolte après les accidents climatiques (gel, grêle et coulure). On ne doit pas oublier qu’au cours des 6 dernières années, trois cycles végétatifs ont été affectés par des épidémies puissantes. La résistance aux fongicides de la famille des CAA demeure donc un sujet de préoccupation majeur qui a incité le groupe de travail à maintenir des prescriptions d’utilisations restrictives pour le cycle végétatif 2013 : les applications sont limitées soit à une seule intervention positionnée en préventif ou éventuellement deux positionnées de façon non consécutives.
Les QII pas encore concernés par les phénomènes de résistance
Bibliographie :
− Jacques Grosman, expert national de la filière vigne auprès de la DGAL.
− Synthèse nationale du plan de surveillance 2012 des résistances au mildiou de l’Anses.
− Note technique commune pour la gestion de la résistance 2013 au mildiou, à l’oïdium et au botrytis.