D’un abord très agréable avec toutes les personnes quels que soient leur origine et leur statut social, il savait en trois paroles créer les bases d’un dialogue respectueux. Le personnage avait une humeur joviale, se plaisait à être un peu provocateur mais respectait profondément ses interlocuteurs. C’était un travailleur hors norme, exigeant avec lui-même et les autres, qui avait un profond respect pour tous les corps de métiers. Fier de ses origines, ce fils de forgeron de Boisredon n’a jamais oublié d’où il venait. Il était profondément attaché à ses origines du sud de la Saintonge et ne s’est jamais éloigné de ce territoire rural. La réussite professionnelle qu’il a connue au sein de la société Chalvignac n’avait pas changé l’homme.
Un cursus d’études brillant
Le petit dernier de la famille Sorin à Boisredon était un enfant vif, dynamique et ayant de la personnalité. Il a accompli avec beaucoup de facilité tout son cursus scolaire en primaire et en secondaire. Le jeune homme, doté de capacités intellectuelles bien supérieures à la moyenne, a trouvé sa voie à l’entrée en faculté à Bordeaux. Il a suivi un cursus en sciences économiques et décroché un DEA. Étant issu d’un milieu modeste, il a financé ses études en étant surveillant dans divers établissements de l’agglomération bordelaise. La personnalité de Michel Sorin s’est affirmée et l’étudiant hyperactif s’est progressivement transformé en jeune homme doté d’une capacité d’analyse rare et d’un esprit brillant. Cela n’a pas laissé indifférent les enseignants qui l’ont incité à multiplier les expériences différentes par le biais de stages de longues durées en entreprises et dans divers ministères. Durant ces années d’études à Bordeaux, le jeune homme a vécu une période de sa vie riche qui l’a littéralement construit sur le plan professionnel et à titre personnel.
Une ambition : réussir sa vie professionnelle et personnelle au cœur de la Saintonge
M. Sorin a fait une courte carrière d’enseignant en science éco., mais ce métier ne lui allait pas. Son souhait était de devenir entrepreneur mais le jeune homme n’était pas un citadin. Vivre à Bordeaux, à Paris ou dans n’importe quelle grande ville était pour lui impossible. La campagne et la nature saintongeaise lui manquaient terriblement et, pour rien au monde, il n’aurait manqué une ouverture de la chasse. Au début des années quatre-vingts, M. Sorin et sa jeune épouse Martine se sont « enracinés » à Saint-Ciers-du-Taillon. L’opportunité pour Martine Sorin d’exercer son métier de pharmacienne dans le sud de la Saintonge a été le ciment d’un projet de vie familiale heureux. Le rêve de M. Sorin de concilier une ambition professionnelle forte et une vie familiale au cœur de sa région d’origine allait rapidement prendre forme. Le métier d’enseignant en science éco. ne représentait qu’un travail « alimentaire » transitoire et envisager une belle carrière dans de grandes entreprises à 500 ou 1 000 km des siens n’était pas non plus un objectif personnel. Il n’a jamais envisagé de s’éloigner des clochers de Boisredon et de Courpignac.
La renaissance de Chalvignac a mobilisé toute son énergie
Par contre, devenir entrepreneur a toujours été un challenge personnel pour M. Sorin. D’ailleurs, son épouse a toujours été stupéfaite de sa détermination : « Rien ne lui faisait peur, il savait s’adapter à toutes les situations et adorait s’intéresser à des domaines d’activité qu’il ne connaissait pas du tout. » Le hasard d’un contact indirect avec Jacques Bel en 1983 a scellé le top départ de sa vie d’entrepreneur. J. Bel, qui venait de reprendre une toute petite entreprise de fabrication d’alambics Chalvignac à Jarnac-Champagne, cherchait un proche collaborateur. Les alambics charentais, l’univers professionnel de la région de Cognac, le milieu des équipements vinicoles étaient complètement étrangers à Michel Sorin, mais son esprit vif et curieux l’a incité à relever ce challenge. Le courant est tout de suite passé entre les deux hommes qui se sont investis dans le projet de renaissance d’une entreprise dont le marché naturel était complètement atone au début des années quatre-vingts. Les montages d’alambics étaient rares et la maintenance arrivait à peine
à pérenniser l’activité. J. Bel, qui au début des années quatre-vingts occupait un poste de
responsabilité à la société Wesper de Pons, a confié le développement commercial de Chalvignac à M. Sorin. Du haut de ses 28 ans, le jeune homme s’est investi à 200 % dans ce nouveau « job », en faisant preuve d’un pragmatisme et d’un sens des affaires avisé.
Michel Sorin et Jacques Bel : un tandem gagnant
Comme la chaudronnerie cuivre n’était plus au début des années quatre-vingts un secteur porteur, une diversification de l’activité s’imposait. Pourquoi ne pas se lancer dans la fabrication de cuves de vinification en inox dont l’utilisation commençait à se développer dans le Bordelais. C’était un marché neuf et dès la première Foire de Bordeaux avec le distributeur historique, Christian Levêque de Cadillac, les commandes tombent. Les chaudronniers cuivre ont eu au départ un peu de peine à maîtriser les tôles inox mais, très vite, le savoir-faire est acquis. Dès 1985, l’activité cuve inox de Chalvignac monte en puissance. L’atelier du centre-bourg trop petit est rapidement transféré dans de nouveaux locaux implantés sur le site actuel. J. Bel et M. Sorin ont été « un tandem gagnant », le premier avait pris en charge les aspects techniques et l’organisation de l’usine, le second développait le commercial. J. Bel ne cache pas que les rapports humains qu’il a entretenus avec son associé ont été riches : « Michel Sorin était un homme courageux, intelligent et très vif d’esprit. Il avait la capacité de renverser des situations commerciales délicates. D’un abord jovial, il était très accessible et savait aussi faire preuve de professionnalisme. »
Un sens de l’écoute et une capacité d’analyse rare
La collaboration entre les deux hommes s’est révélée très rapidement fructueuse et M. Sorin est devenu actionnaire de Chalvignac. Son sens de l’écoute pour analyser très vite les besoins réels des gens et surtout sa capacité à discuter avec tout le monde faisaient la différence. M. Sorin aimait les gens et possédait une aptitude à adapter son discours à des publics d’horizons très différents. Passer une heure le matin dans les vignes en hiver pour vendre une cuve de 100 hl et, l’après-midi, rencontrer un maître d’œuvre pour un projet d’unité coopérative était des situations qu’il appréciait. L’homme était intelligent, exigeant, respectueux des autres et surtout un fin commercial. Bien que les aspects techniques ne l’intéressaient pas réellement, la vente d’installations de chais de plus en plus sophistiqués était devenue son quotidien.
Un homme de dialogue ui allait à l’essentiel
M. Sorin était un gros travailleur, un battant qui commençait ses journées très tôt et essayait de les terminer pas trop tard pour passer un petit moment avec ses enfants et son épouse. Sa famille était très importante pour son équilibre personnel et professionnel. Néanmoins, l’homme était un vrai courant d’air, qui se complaisait dans l’action permanente. Chaque matin, il était au bureau à 7 heures et, ensuite, partait en clientèle. Chalvignac a connu jusqu’à la fin des années quatre-vingts une phase de développement forte grâce à la demande de cuves inox et l’entreprise a acquis une notoriété en réalisant de plus en plus de grosses unités. Bien que la société ait grossi, M. Sorin connaissait personnellement chaque salarié et faisait preuve à leur égard de sens d’humanité. Il avait un profond respect pour le travail des ouvriers, savait les écouter, leur parlait parfois cash mais était juste. La recherche d’un dialogue avec lui ne pouvait s’instaurer qu’en allant à l’essentiel. C’était un chef d’entreprise dont l’énergie et le flair étaient communicatifs.
Une immersion réussie dans l’univers du Cognac
Dès 1986, il avait perçu les frémissements de la reprise de l’économie du Cognac et l’atelier chaudronnerie cuivre en sommeil a été progressivement réactivé. À partir de 1989, Chalvignac a su profiter du marché porteur des alambics. Le petit « poucet » de la distillation était sur toutes les affaires et cela a commencé à inquiéter les grands concurrents. M. Sorin a su faire preuve au début des années quatre-vingt-dix d’un grand sens de l’écoute et de persuasion pour positionner Chalvignac dans le petit univers de la distillation. L’homme a ouvert beaucoup de portes et s’est tissé un réseau de relations fortes. L’implantation de la nouvelle distillerie du Gibeau à Marignac a consacré le savoir-faire de Chalvignac. La réalisation en 1992 de la moitié du chantier de la nouvelle distillerie de Gal-
lienne de la maison Martell a encore fait grandir l’entreprise. M. Sorin avait réalisé son rêve en moins de 10 ans : devenir un entrepreneur res-pecté et humain. L’homme avait de la « vista » et ses idées et ses projets collaient au marché. Quand la fabrication des alambics a brutalement chuté à partir de 1995, Chalvignac a su redéployer son activité en devenant un constructeur de cuves inox dans toutes les grandes régions viticoles françaises.
Un arrêt de sa carrière professionnelle mûrement réfléchi
Tout allait bien pour lui ! Pourtant, dès le début des années quatre-vingt-dix, lors de discussions, il lançait parfois sous forme d’une boutade : « à 45 ans j’arrête tout ». Personne n’y croyait réellement sauf lui car, au fond de lui-même, il avait le sentiment de ne pas passer assez de temps avec sa femme et ses enfants. Certes, il savait se rendre disponible pour sa famille quand il le fallait mais, hormis les dimanches, le temps lui manquait pour profiter des plaisirs simples de la vie. L’envie profonde de vivre autrement l’a amené à décider d’arrêter sa carrière professionnelle à un moment où personne ne s’y attendait. En 1999, il a cédé l’ensemble de ses parts de l’entreprise à J. Bel pour redevenir l’authentique Michel Sorin. Du jour au lendemain, il a choisi de retrouver les fondamentaux de la vie avec sa famille proche et ses vrais amis.
Une deuxième vie dévouée à ses proches et à ses amis
M. Sorin a abandonné définitivement l’habit d’entrepreneur reconnu pour vivre simplement et sans contrainte comme un homme de la terre. Dans le petit bourg de Saint-Ciers-du-Taillon, son existence depuis 15 ans a été heureuse, riche et très ouverte vers les autres. Sa personnalité chaleureuse lui a permis de nouer de nouvelles relations et la porte de son domicile était toujours ouverte. Il avait désormais le temps d’écouter, d’analyser, de prendre du recul sur les choses et appréciait de jouer le rôle de consultant amical. Faire profiter de son expérience des amis était devenu son quotidien. L’emploi du temps du dynamique retraité s’est rapidement rempli. Sa priorité a été d’être disponible pour ses grands enfants et son épouse. À partir de la mi-septembre, la chasse devenait pour lui une activité institutionnelle qu’il pratiquait en ayant un vrai respect pour le gibier et la nature. Traquer les bécasses était sa grande passion. Chaque année, ils partaient avec son épouse faire des voyages à l’étranger en mode baroudeur pour nouer des relations directes avec des gens de tous horizons. Par exemple, la beauté de la baie de Ha Long au Vietnam ne l’avait pas laissé indifférent, mais il avait nettement préféré les échanges directs avec de nombreux anonymes de cette région.
Un homme attaché à la terre devenu agriculteur
M. Sorin était redevenu un homme apaisé, attentif et toujours aussi généreux, qui prenait le temps de vivre les choses à son rythme. Il a noué des relations amicales avec des nouvelles personnes totalement étrangères à son passé d’entrepreneur. Tous ces nouveaux amis parta-geaient les mêmes valeurs d’hommes de la terre profondément attachés à leur territoire. Depuis plusieurs années, un nouveau projet avait germé dans l’esprit du jeune retraité : devenir agriculteur. L’homme énergique avait une profonde envie de mettre les pieds dans la terre et il l’a fait ! Son épouse et sa famille l’ont encouragé à aller au bout de ce projet. Depuis trois ans, M. Sorin exploitait avec beaucoup de sérieux une trentaine d’hectares de céréales sous la tutelle de Jean-Louis Pello, un ami agriculteur très proche.
Il savait conjuguer l’amitié avec un grand A
Les labours, les semis, les moissons, la chasse… avaient rapproché les deux hommes. J.-L Pello, qui a partagé le quotidien de M. Sorin depuis quelques années, ne cache pas qu’il se retrouve aujourd’hui un peu orphelin : « Je ne le connaissais que depuis une dizaine d’années mais c’était quelqu’un de généreux, de riche et de très sincère. Les discussions avec lui étaient toujours enrichissantes car il avait un regard avisé sur les choses et un point de vue économique et financier pertinent. Michel savait d’où il venait et était resté simple malgré sa réussite. Il possédait le bon sens des hommes de la terre et être devenu agriculteur a été un moment fort pour lui. Il était très discret sur lui-même et sa personnalité exubérante cachait une nature assez angoissée à l’égard de ses proches. » M. Sorin aimait les gens et savait conjuguer l’amitié avec un grand A. Le 20 août dernier, il avait fêté ses 60 ans, entouré de ses enfants et de ses proches amis. Il croquait toujours la vie à pleines dents et l’a malheureusement quittée prématurément après une dernière journée de chasse. Son épouse et ses trois enfants sont aujourd’hui profondément affectés par ce drame imprévisible et l’équipe de la revue Le Paysan Vigneron tient à leur apporter son soutien.
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