Le millésime 2010 s’est globalement déroulé dans un contexte climatique particulier dont certains aspects se sont révélés propices au développement de la vigne alors que d’autres ont pénalisé l’état des souches et des raisins. Au chapitre des bonnes nouvelles, il y a eu la très belle sortie de grappes, la discrétion du mildiou et de l’oïdium, et une absence d’accidents climatiques majeurs (gel et grêle). Les sources d’inquiétudes ont été les mauvaises conditions de floraison, la très forte mortalité des souches cet été et l’hétérogénéité de comportement des parcelles et des souches à la suite d’un été très sec. L’apparence d’un beau potentiel de récolte en début de saison a mobilisé toute l’énergie des viticulteurs qui depuis quelques années étaient confrontés à des sorties de grappes pas très abondantes. Jusqu’à la mi-juin, les choses se sont bien passées mais ensuite fraîcheur et pluies au plus mauvais moment de ce mois et une forte sécheresse estivale ont eu un fort impact sur le vignoble.
La vigne et les raisins « expriment » le réchauffement climatique
L’état des vignes en cette fin de mois de septembre permet d’observer une forte hétérogénéité de comportement des parcelles dont l’origine est à mettre en relation à la fois avec l’été très sec et la mise en œuvre d’itinéraires agronomiques adaptés aux caractéristiques des sols. Si un certain nombre d’aspects permet de qualifier le millésime 2010 de « facile » en raison principalement de la discrétion du parasitisme et de la facilité à pouvoir réaliser les travaux en vert, d’autres constituent une source d’inquiétude majeure pour la pérennité des parcelles et la qualité du millésime. Le réchauffement climatique annoncé par de nombreux experts semble s’affirmer depuis le début de la décennie 2000 dans tous les vignobles de la façade atlantique. Après deux années de forte sécheresse estivale avec un phénomène de canicule en 2003 et 2005, une fin de saison 2009 tout à fait exceptionnelle (des niveaux de températures inégalés en septembre et jusqu’à la mi-octobre), 2010 est aussi marqué par un été très sec mais sans « coup de chaleur » prolongé. La vigne comme toutes les plantes pérennes possèdent une forte capacité d’adaptation aux aléas climatiques. L’un des indicateurs de l’impact de l’évolution climatique est la date de récolte et depuis 20 ans le potentiel de maturation des cépages de notre région s’est nettement accru. Il y a 30 ans, avoir terminé la récolte des Ugni blancs le 5 ou le 10 octobre était un fait rarissime ; au cours de la décennie 2010, cela est arrivé trois fois. On ne peut plus nier cette réalité et le millésime 2010 est aussi marqué par une sécheresse estivale sans précédent. Le comportement végétatif des souches et la structure qualitative des raisins « expriment » les effets du climat.
Un début de cycle végétatif un peu plus tardif et une belle apparence de récolte
En début de saison, le débourrement s’est effectué avec une petite semaine de retard par rapport aux données moyennes et seules les zones très basses ont été touchées par le gel du 14 mai. L’incidence de cet accident climatique n’aura pas de conséquence sur la récolte globale de la région car le potentiel de grappes au moment du débourrement était important. La charge d’inflorescences bien supérieure à celle des deux dernières années faisait « plaisir à voir » et ensuite la première quinzaine de mai a été propice à une pousse homogène. Cette belle sortie dans l’ensemble de l’aire de production de la zone délimitée a donné du « baume au cœur » aux viticulteurs après des cycles végétatifs compliqués, du mildiou en 2007 et 2008, et des dégâts de grêle considérables en 2009. Le seul « bémol » vis-à-vis de cette belle apparence de production concernait les vignes situées dans les zones basses qui avaient été totalement défoliées par un gel d’automne précoce du 16 au 19 octobre 2009. Dans ces vignes, beaucoup de bourgeons sur les bois de taille ne sont pas sortis et la charge d’inflorescences s’en est trouvée affectée. La zone du Pays Bas mais aussi de nombreux bas de parcelles dans toute la région ont été touchés par ces dégâts de gel d’automne. Dans les jeunes plantations en deuxième et troisième feuilles, les dégâts ont été encore plus spectaculaires puisque parfois, 30 à 70 % des plants (et souvent les plus vigoureux) ont été détruits. Par la suite, de la mi-mai jusqu’à la mi-juin, le climat plutôt sec alternant périodes chaudes et fraîches a fait pousser la vigne de manière séquencée, mais au moment des relevages l’état végétatif était assez homogène. La floraison des cépages précoces, Chardonnay, Sauvignon et Colombard, s’est déroulée sous le soleil durant la première décade de juin.
Une floraison perturbée qui a favorisé le millerandage et l’hétérogénéité des grappes
L’arrivée d’une période pluvieuse entre le 13 et le 20 juin a fortement perturbé la floraison des Ugni blancs et des Merlot. Pluie et fraîcheur ont entraîné une mauvaise pollinisation et un étalement de la floraison sur pratiquement deux semaines. Certaines grappes atteignaient le stade grains de plomb quand d’autres commençaient juste leur floraison. Les observations de la Station Viticole du BNIC ont confirmé le retard de la fin de la floraison d’environ une semaine pour les Ugni blancs et la fin de la floraison en situation moyenne s’est terminée le 24 juin. Le retour d’un climat sec et plus chaud à partir de 20 juin a laissé à penser dans un premier temps que le potentiel de production était sauvé. La nouaison a commencé rapidement et c’est à ce moment-là que des différences de taille de baies importantes sont apparues entre les grappes et parfois aussi sur les mêmes grappes. Un phénomène de tri engendrant du millerandage s’est alors produit. A ce stade de développement de la vigne, il était très difficile d’en apprécier les conséquences. Les MPerlot ont tout de suite extériorisé des pertes de production beaucoup plus importantes, avec bien sûr de fortes disparités selon les sols. A la mi-juillet, le retour d’un climat chaud avait fait grossir rapidement les baies et pour beaucoup de viticulteurs dans les parcelles d’Ugni blanc, le phénomène de millerandage ne semblait finalement pas très important. Néanmoins, l’analyse aguerrie de certains producteurs et de quelques techniciens mettait déjà en évidence à la fois l’importance du phénomène de millerandage sur certaines grappes et les écarts importants de stades de développement entre les baies. Le beau temps durant tout le mois de juillet a permis d’atteindre le stade pleine fermeture des grappes avec un fort décalage selon les parcelles et les grappes.
Août chaud le jour et frais la nuit a amplifié l’hétérogénéité de maturation
Début août, la continuité du beau temps sec semblait avoir permis aux parcelles de rattraper leur retard. L’absence de pluies significatives depuis la fin juin avait permis aux viticulteurs de relâcher leur protection contre le mildiou, même si début juillet quelques attaques s’étaient localement déclarées à la faveur de pluies plus abondantes. Le tout début de la véraison dans les Ugni blancs est intervenu le 10 août, à une date proche des valeurs moyennes constatées au cours des dix dernières années. Cependant, c’est à partir de ce moment-là que l’hétérogénéité des stades développement des baies a commencé à s’extérioriser. Le climat d’août marqué par des chaleurs raisonnables et constantes le jour, de la fraîcheur de la nuit et une absence de pluies significatives dans la région depuis le 20 juin ont aussi gêné le déroulement du processus de maturation. Les différences d’amplitude thermiques entre les journées et les nuits en 2010 au cours des mois d’août et septembre sont une spécificité de ce millésime. Cela a eu un impact sur le déroulement du processus de maturation qui s’est déroulé avec une certaine progressivité dans la montée en puissance des TAV potentiels, au niveau de la chute de l’acidité, dans le rapport acides tartrique et malique (teneur en acide malique supérieure à celle de 2009). L’état de sécheresse s’est amplifié au fil des semaines et de nombreuses parcelles dans la région ont exprimé des symptômes de stress hydrique. Les vignes situées sur des sols superficiels et/ou conduites en enherbement en plein ont été les plus concernées. En parcourant le vignoble, l’état visuel des feuillages des parcelles situées en sommet de coteaux sur des sols légers ou en fond de vallée sur des terres plus profondes attestait aussi des différences de sensibilité à la sécheresse. D’une manière générale, les vignes dont les sols ont été travaillés mécaniquement depuis la mi-mai ont semblé mieux résister. Les effets nature du sol et du sous-sol, charge de grappes, l’âge des vignes et l’état physiologique des parcelles semblent aussi avoir joué à plein sur le déroulement du processus de maturation. Deux ou trois journées avec des pics de chaleur dans le courant de la deuxième quinzaine d’août (autour de 35 °C) ont occasionné des dégâts de grillure assez spectaculaires dans les parcelles. La fréquence des symptômes et les niveaux de mortalité plus élevés des souches liée à l’esca sont aussi des éléments qui amplifient l’hétérogénéité de charge de grappes dans les parcelles.
Un état sanitaire des raisins quasi parfait jusqu’au 20 septembre
A la fin août, l’hétérogénéité de maturation des grappes restait importante et les effets de sécheresse devenaient de plus en plus marqués dans les « petites terres ». Les pluies autour du 8 au 10 septembre, d’environ 20 à 30 mm (localement 50 mm), étaient les bienvenues mais auront-elles été suffisantes pour relancer le processus de maturation ? Dans les vignes très touchées par la sécheresse, le côté tardif et l’importance limitée de ces précipitations risquent d’être insuffisants pour relancer la physiologie des souches et le processus de maturation. Par contre, dans les parcelles ayant été peu ou pas touchées par le stress hydrique, ces pluies sont arrivées au bon moment et en quantités suffisantes. En effet, trop d’apport d’eau en cours de maturation risque d’engendrer un gonflement rapide des baies, une dilution très importante, des phénomènes d’éclatement et l’apparition de foyers de botrytis. Or en 2010, l’état sanitaire des raisins de l’ensemble des cépages au 20 septembre est particulièrement bon. Que ce soit dans les Sauvignon, les Merlot, les Colombard et les Ugni blancs, les foyers de botrytis sont quasi inexistants.
Bien peser les avantages et les inconvénients d’une récolte précoce ou tardive
La véritable question que se posent tous les observateurs du vignoble charentais est de savoir quand il va falloir commencer les vendanges pour rentrer des raisins ayant atteint la maturité idéale pour le Cognac ? Les techniciens des grandes maisons de Cognac plaident pour un déclenchement assez précoce des vendanges à partir du 23 au 27 septembre pour conserver suffisamment d’acidité. Leurs craintes est d’élaborer des vins manquant d’acidité dont la conservation au cours de l’hiver sera plus difficile. Les millésimes de forte maturité comme 2003, 2005 et 2009 ont confirmé la sensibilité accrue aux altérations de conservations des vins les moins acides, d’où l’importance de porter une attention particulière à l’évolution de l’acidité totale et du pH au cours de la maturation pour déterminer la date de récolte idéale de la vendange Cognac. Certains œnologues de terrain et de nombreux viticulteurs semblent un peu moins pressés de lancer les machines dans le vignoble car ils ont justement pris la mesure de la plus forte hétérogénéité de maturité des grappes dans les parcelles. En 2009, les raisins avaient mûri de façon plus homogène, ce qui justifiait pleinement une récolte précoce pour conserver de l’acidité. En 2010, la floraison très étalée, des stades de baies hétérogènes à la véraison et les fortes amplitudes thermiques en août et septembre ont fait évoluer la maturation différemment d’une souche à l’autre et d’une parcelle à l’autre. Chaque îlot de sol et de terroir a exprimé de manière très différente cette hétérogénéité et les effets parcelles sont forts. Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour dire que rechercher la sur-maturité des raisins destinés à élaborer des vins de distillation représente un non-sens sur le plan qualitatif. Par contre, quels sont les risques liés à une récolte précoce à sous-maturité ? Dans de telles conditions, le décrochage des raisins va nécessiter de mettre en œuvre des fréquences de secouage assez élevées, qui accentuent les phénomènes de chute de feuilles dans la vendange et un taux d’éclatement des baies nettement plus élevé. La conjonction de ces éléments risque d’amplifier les phénomènes de trituration et l’obtention de moûts plus bourbeux lors des phases de traitement de la vendange et d’extraction des jus qui sont à l’origine de défauts de type herbacé et de la lourdeur dans les eaux-de-vie nouvelles.
Pour faire face à l’hétérogénéité du millésime 2010, suivre de près la maturité du parcellaire
La prise en compte de tous ces éléments montre à quel point les enjeux qualitatifs liés à la date de vendange sont importants pour la qualité des eaux-de-vie. En 2010, bien observer l’évolution de la maturité des raisins dans les différents îlots terroirs des propriétés paraît être le seul moyen de cueillir les grappes à une maturité suffisante pour minimiser les phénomènes d’hétérogénéité et aussi conserver un équilibre sucre/acidité en phase avec les attentes Cognac. La recherche du meilleur compromis en matière de date de récolte est une démarche personnelle que doit conduire chaque viticulteur en fonction de ses objectifs de production (ses engagements qualitatifs et commerciaux) et des contingences matérielles du chantier de récolte et de l’installation de vinification. La durée totale de vendange doit aussi être intégrée dans la réflexion de recherche de la date de début et de fin de récolte. En effet, une propriété qui vendange son vignoble en 10 jours peut effectivement aborder la gestion de date de récolte en tenant compte prioritairement de l’état de maturité des différents îlots terroirs. La souplesse et la réactivité d’intervention permettent dans ces conditions d’attendre la maturité. Par contre, dès que les vendanges dépassent une durée de 15 jours, les critères logistiques prennent beaucoup plus d’importance. L’enjeu est alors de se fixer une date butoir de fin de vendange qui ne mette pas en péril la qualité des derniers raisins récoltés. Bien cerner l’état de maturité du parcellaire doit alors permettre de déclencher la récolte avec une certaine anticipation sur les terroirs précoces pour récolter l’ensemble des surfaces dans de bonnes conditions.
une prévision de rendement de 120 HL/HA
Dans un tel contexte, faire des prévisions de récolte et apprécier le contenu qualitatif des raisins en 2010 est un exercice délicat. L’équipe de la Station Viticole du BNIC est chargée d’observer l’évolution de la maturation sur un réseau de 55 parcelles réparties dans l’ensemble de la région délimitée. Le premier contrôle de maturité a eu lieu le 16 août et chaque début de semaine, Vincent Dumot, l’ingénieur chargé de suivre l’évolution de la maturation, réalise avec son équipe une vaste tournée dans l’ensemble du vignoble. Les premières prévisions de récolte à la mi-août situaient les niveaux de rendement des Ugni blancs dans une fourchette de 120 à 130 hl, et un début de vendange fin septembre et début octobre. Les degrés et les acidités durant la maturation ont évolué d’une façon assez proche des valeurs moyennes, ce qui confère au millésime 2010 un potentiel de maturité assez important. On peut tout de même penser que les vendanges seront décalées d’une petite semaine par rapport à 2009. Après les pluies de début septembre, le processus a semblé se ralentir comme en témoignaient les valeurs des pH un peu plus élevées. Les vignes ont été confrontées à une situation de sécheresse prolongée que l’effet nature du sol et du sous-sol a amplifiée ou au contraire mieux régulé, qui explique les fortes différences de maturité à quelques centaines de mètre près. La forte hétérogénéité du parcellaire va jouer à plein sur la structure qualitative des grappes, parfois peu acides, encore bien acides, pauvres ou normalement pourvues en azote. Les résultats de contrôle de maturation du 20 septembre confirment une bonne évolution de la maturité avec un TAV potentiel moyen de 8,8
(% vol.) et une acidité qui baisse modérément. D’un point de vue volumique, les observations de l’évolution du poids des grappes jusqu’au 20 septembre ont permis d’affiner la prévision de rendement qui se situerait désormais autour de 120 hl/ha. Quant à la date de vendange, l’équipe de la Station Viticole indique qu’elle pourrait intervenir à partir du 27 septembre pour la plupart des viticulteurs. Cette préconisation générale doit être modulée selon le contexte spécifique des nombreuses propriétés de la région. Les effets de précocité et de retard de maturité liés à la situation géographique (plus ou moins proche de la mer), à l’exposition des parcelles, à la nature des sols, au niveau de rendements et à l’entretien des vignes seront forts en 2010, d’où l’importance de bien apprécier le potentiel de maturité à l’échelle de chaque propriété.
L’esca « attaque fort »le vignoble Charentais
En cette fin d’été 2010, même les personnes non averties qui traversent le vignoble charentais sont frappées par le nombre de souches qui au cours de l’été se sont desséchées brutalement. Le sujet de préoccupation majeur des viticulteurs de la région cet automne est l’expression de symptômes et le taux de mortalité de ceps très important dans les parcelles. Plusieurs souches par rang complètement desséchées, de nombreux bras de ceps « en souffrance », des dizaines de pieds par hectare ne produisant plus, 5 %, 7 % parfois 10 % de manquants dans des parcelles encore jeunes et à faibles densités. Peu de viticulteurs imaginaient voir les maladies du bois, l’esca, l’eutypiose et le BDA faire autant de ravages. Le constat en 2010 est donc terrible : l’esca et l’ensemble des maladies du bois représentent désormais un danger pour la pérennité et la productivité de nombreuses parcelles. Dans les propriétés où l’entreplantation n’est pas une pratique régulière, le potentiel de production a vieilli de 5 ans en un été. Si, en 2011 et en 2012, les taux de mortalité venaient à être identiques, les rendements vont inévitablement « plonger ». La décapitalisation technique sur de nombreuses thématiques viticoles et l’insuffisance des recherches sur les maladies des bois depuis 20 ans étaient jusqu’à présent des sujets qualifiés de secondaires par une majorité d’acteurs professionnels de la région. Il n’y a pas eu à Cognac et dans les autres grandes régions viticoles françaises, la volonté et un engagement véritable des professionnels pour construire une réflexion scientifique du vignoble dans la durée, recruter des chercheurs compétents et investir avec constance dans la protection du capital « souches ». Cela conduit à la situation dramatique de 2010 et aujourd’hui on peut se demander si la génération de viticulteurs actuellement « aux commandes » des propriétés ne va pas hériter de vignes « usées » ?