Dans les habits de député européen

10 février 2009

Elue du Parlement européen depuis le 20 juillet 2004, Marie-Line Reynaud partage son temps entre Bruxelles, Strasbourg et Jarnac. Vie et travail d’un député européen, préalablement élue de la 2e circonscription de la Charente à l’Assemblée nationale de 1997 à 2002.

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Marie-Line Reynaud et Marianne, son assistante à Jarnac.

 

« Le Paysan Vigneron » – Les élections européennes ont eu lieu le 13 juin 2004. Un petit rappel du mode d’élection au Parlement européen ne serait pas inutile.

Marie-Line Reynaud – Il s’agit d’un scrutin de listes, à la proportionnelle, à un tour et par grandes régions. La France est découpée en 8 circonscriptions régionales, dont une pour les Dom-Tom. Pour ma part, je figurais sur la liste du Parti socialiste du grand Ouest, circonscription qui regroupe la Bretagne, les Pays de la Loire et le Poitou-Charentes. Emmenée par Bernard Poignant, de Quimper, notre liste a remporté 5 des 10 sièges attribués à la zone. Ce très bon score m’a permis d’être élue alors que j’étais en position charnière, au 4e rang. Avec 36 % des voix au Parti socialiste, la Charente est le département qui a le plus voté socialiste après le Finistère, département de la tête de liste.

« L.P.V. » – Quelles étaient vos motivations pour briguer un mandat de député européen ?

M.-L. R. – J’ai une maîtrise de droit international et communautaire et j’étais donc tout naturelement sensibilisée à l’Europe. Par ailleurs, en tant que député national, j’ai pu constater l’impact des directives et des règlements européens sur le droit français. Je souhaitais voir « l’envers du décor ». Ma candidature à un mandat de parlementaire européen a été facilitée par la parité des listes européennes – on parle de listes « chabadabada », un homme, une femme, un homme, une femme… – rendue obligatoire en France par le gouvernement Jospin. Depuis l’élargissement à 25, le Parlement européen compte 732 députés et sur ce nombre, il y a environ 40 % de femmes.

« L.P.V. » – Qu’en est-il des possibilités de cumul entre un mandat de député européen et un mandat de député français ?

M.-L. R. – Quand l’élection au Parlement européen s’est appliquée pour la première fois, en 1979, il était possible de cumuler les deux mandats. Puis sous le gouvernement Jospin ont été introduites des règles de non-cumul pour les ressortissants de villes de plus de 3 500 hab. En France, l’élection des députés nationaux aura lieu en 2007. Dans la mesure où la mandature européenne dure 5 ans, de 2004 à 2009, et que ma ville, Jarnac, compte 4 700 habitants, j’aurais donc à faire un choix en 2007. Car s’il est interdit de cumuler, rien n’empêche de briguer d’autres mandats et de démissionner.

« L.P.V. » – Quel est votre agenda de parlementaire européen ?

M.-L. R. – En fait mon temps s’organise entre mes trois lieux de travail : Bruxelles, où se réunissent les commissions et les groupes de travail du Parlement, voire les mini-sessions de vote ; Strasbourg où se tient la session plénière du Parlement, une fois par mois ; et Jarnac, le lieu de ma permanence. Au début de notre mandature, on nous a remis le planning de l’année : semaines bleues et roses à Bruxelles, rouges à Strasbourg et jaunes pour les semaines dites de « circonscription » correspondant à des déplacements du député européen dans le cadre de délégations ou autres. En règle générale, je suis à Bruxelles ou à Strasbourg 4 jours par semaine, du lundi au jeudi soir. D’un point de vue pratique, je prends le train de 8 h 15 à Jarnac le lundi matin et j’arrive à Bruxelles à 14 h. Pour Strasbourg, je prends l’avion à Bordeaux. Au Parlement, vous êtes reconnu quand vous êtes présent. Cela n’empêche pas que les rangs de l’hémicycle soient souvent clairsemés le jeudi après-midi, les députés ayant hâte de rentrer chez eux.

« L.P.V. » – En quoi consiste le travail du député européen ?

M.-L. R. – Il n’a rien à voir avec celui d’un député national dans le sens où le député européen n’a pas de pouvoir de proposition législative. Alors que le député national est plus dans la « bagarre », le rôle du député européen va consister à étudier, amender, tenter d’améliorer les textes qui lui sont soumis par le Conseil et la Commission. Cela suppose un gros travail de dossier. Nous sommes aidés dans cette tâche par nos attachés parlementaires qui étudient les textes, les traduisent parfois, car leur première mouture est souvent rédigée en anglais. La semaine dernière par exemple, j’ai été amenée à examiner six rapports. Intellectuellement c’est plutôt stimulant. On apprend beaucoup. L’Union européenne est une lourde machine à produire des règles. Durant les cinq ans de sa mandature, on estime que le Parlement européen va voter 10 000 textes. Il s’est organisé pour cela. Ainsi, quand le Parlement se déplace à Strasbourg pour sa session mensuelle,il emmnène derrière lui tout son le « staff » : fonctionnaires, assistants, chauffeurs… C’est un vrai déménagement, avec nos dossiers qui nous accompagnent dans de grandes caisses appelées « cantines ».

« L.P.V. » – Sur un dossier donné, comment le Parlement adopte-t-il sa position ?

M.-L. R. – Le travail législatif du Parlement s’organise de la manière suivante : la Commission européenne saisit le Parlement d’une proposition législative. Une commission parlementaire (le Parlement en compte 17) est chargée d’établir un rapport et désigne, pour ce faire, un rapporteur. Le rapport est soumis pour amendements aux différents groupes politiques, via les coordinateurs de ces groupes auprès de la commission ad hoc. Une fois cet échange de vues réalisé, le rapport est voté en assemblée plénière. Souvent le Parlement modifie la proposition de la Commission en y apportant des amendements. C’est sa première lecture. S’en suit une navette entre Conseil et Parlement puisque, dans certains domaines, l’accord final du Parlement est indispensable. Ce principe dit de « codécision », la constitution européenne prévoit de l’étendre à la plupart des secteurs. Malgré la voix prépondérante du Conseil, il peut arriver que, faute d’accord avec le Parlement, la proposition de loi européenne ne soit pas adoptée.

« L.P.V. » – Quand on sait que plus de 700 députés siègent au Parlement, quand on voit la façon dont se prennent les décisions, n’avez-vous pas l’impression d’une certaine dilution de votre voix ?

M.-L. R. – Je n’ai pas ce sentiment. Chaque voix compte à Strasbourg. Parce que nous étions là un jeudi après-midi, nous avons pu faire passer avec une collègue député, des avancées qui nous paraissaient très importantes concernant les droits de la femme. Même chose concernant l’avis du Parlement sur la constitution. Avec le rapporteur, nous avons fait beaucoup de « ramdam ». Nous nous sommes livrés à un véritable lobbying pour que l’amendement 17 sur le droit d’initiative soit accepté. Finalement il le fut, à une grande majorité.

« L.P.V. » – Comment vote-t-on au Parlement européen ?

M.-L. R. – Le vote est personnel. Il n’y a pas de délégation comme à l’Assemblée nationale. Le vote s’effectue à l’aide d’une carte de vote. On peut donc connaître la nature du vote du député. Je trouve cela très bien. De temps en temps, il est procédé à un vote électronique, pour bien comptabiliser les députés.

« L.P.V. » – A quelles commissions participez-vous ?

M.-L. R. – J’avais choisi deux commissions. Finalement, j’en ai obtenu une et je suis membre de trois : la commission des affaires constitutionnelles, la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres, la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures. Comme son nom l’indique, la commission des affaires constitutionnelles s’occupe de la constitution européenne. Elle-même a été créée pour cela. La commission liberté, justice est saisie des problèmes de discrimination, de protection des citoyens, de sécurité intérieure, d’europolitique, d’eurojustice… Chaque commission abrite une cinquantaine de députés et quatre ou cinq fonctionnaires. Titulaire dans les deux premières commissions, je suis suppléante dans la troisième. Mais cela ne change rien. Titulaires comme suppléants disposent des mêmes moyens et des mêmes prérogatives. Dans le cadre de cette commission, j’ai eu récemment un avis à donner sur l’inclusion sociale des dix derniers entrants. Avec l’aide de mon attaché parlementaire, j’ai étudié le rapport qui
m’avait été soumis puis pris contact avec les fonctionnaires de la commission ad hoc qui ont mis le projet d’avis en forme. Les députés européens jouissent d’une grande latitude au sein des commissions. Par contre, leur parole est très réglementée en assemblée plénière. Pas question de dépasser le temps imparti. Le chef d’un parti politique aura par exemple un quart d’heure pour s’exprimer, tel député 5 mn et pour mon avis sur l’inclusion, je disposais de 2 mn. Après, le micro est coupé. Il vaut mieux être concis et précis.

« L.P.V. » – Vous parliez tout à l’heure de délégations.

M.-L. R. – Je fais partie de deux délégations : celle pour les relations avec les Emirats du Golfe, y compris le Yémen, et celle pour les relations avec la péninsule Coréenne. Personne ne voulait y aller. J’ai au contraire tout fait pour y participer. Sur ces destinations, les Français ont tendance à laisser le champ libre aux Anglo-Saxons (qui ne s’en privent pas) alors que ces pays-là sont très importants en terme économique, géopolitique. Je pars lundi prochain avec ma délégation pour une visite d’une semaine en Arabie Saoudite. En préparation de ce voyage, j’ai reçu du service du Premier ministre un dossier sur les relations franco-arabes. Dans un autre ordre d’idée, je consacrerais ma prochaine semaine de circonscription à un stage intensif en Angleterre pour parfaire mon anglais. Je me débrouille mais j’ai des manques. Même si, parmi les nouveaux entrants, beaucoup parlent français, l’anglais reste la langue d’échange et de travail au Parlement européen.

« L.P.V. » – Quel climat règne au Parlement, surtout après l’arrivée des dix nouveaux pays ?

M.-L. R. – Si la réconciliation de la « paire européenne » franco-allemande avait eu tendance à gommer les souvenirs douloureux, ce passé resurgit avec les nouveaux entrants. Manifestement, ils ont encore beaucoup de chose à digérer : la dernière guerre, le schisme du mur de Berlin… C’est ce qui m’a le plus marqué, avec la pauvreté de leurs pays. En même temps, ils sont très heureux d’être là et de se sentir européens. Dans mon groupe politique, j’ai travaillé sur l’inclusion sociale avec l’ancien ministre hongrois du travail, une femme formidable, d’une grande richesse personnelle. J’ai l’impression qu’une vraie Europe se bâtit. Les membres du Parlement européen ne regardent pas midi à leur porte. Ils se battent pour des normes plus humaines, en s’émancipant largement des clivages politiques. En dehors des « fachos de services », il existe un esprit européen de liberté, de justice, de responsabilité.

« L.P.V. » – Vous disposez d’une permanence à Jarnac ?

M.-L. R. – J’y tenais beaucoup. Je souhaite conserver un rôle de lien social. J’y suis le vendredi et les autres jours, Marianne est là. En ce moment, nous travaillons à la création de notre site internet. Les gens viennent me voir pour me demander comment travailler dans tel pays européen, comment monter un projet associatif au plan européen ou tout simplement pour les aider dans leurs démarches administratives. Un courrier du député européen a tout de même un impact auprès des services.

Propos recueillis par Catherine Mousnier

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