Globalisation Du Luxe, Une Opportunité Et Un Risque

21 février 2009

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Sébastien Dathané, directeur du CIEDV.

La globalisation de l’économie mondiale ouvre de belles perspectives aux industries du luxe qui voient arriver denouveaux invités à la table de la consommation sélective. Les ventes de Cognac, en phase ascendante, profite de cette ouverture. Mais, revers de la médaille, les codes du luxe ont tendance à se brouiller. La qualité intrinsèque du produit ne sert plus forcément de repère. La niche du luxe ressemble de plus en plus à une auberge espagnole.
Comment faire valoir sa différence en captant le désir aspirationnel des nouvelles générations ?

 

 

Réflexion d’un négociant : « Dans une économie globalisée, une frange de gens s’enrichit et ne sait pas quoi faire de son argent. Ces consommateurs qui ont beaucoup de moyens deviennent blasés. Ils ont tout vu, tout bu, difficile de les surprendre. » C’est sans doute à ce marché « blasé » que le Cognac aura de plus en plus à faire dans les années à venir et, avec lui, les alcools premium de tradition. Sébastien Dathané, animateur du CIEDV (Centre international des eaux-de-vie et boissons spiritueuses de Segonzac), observe que le mètre étalon des alcools premium – les Singles Malts et les Cognacs au-dessus de 35 $ la bouteille – a beaucoup évolué ces cinq-six dernières années. Dorénavant la catégorie compte de nouvelles recrues comme les Tequila, Vodka et autre Cachaca « ultra-premium », vendues aussi chères voire plus chères que les Cognacs et Singles Malts. « C’est plutôt une bonne nouvelle pour le Cognac, remarque l’animateur du CIEDV. Cela signifie que le marché devient important pour les alcools premium. Mas cela pose aussi la question de l’image et du statut. Quand on sait qu’un alcool qui coûte 2 $ à produire peut être vendu 60 $, quel lien existe-t-il encore entre le prix et la qualité intrinsèque du produit ? Les alcools techniques, au cahier des charges complexes, ont certainement des questions à se poser. C’est en tout cas un phénomène sociologique à suivre. Et ce d’autant plus que les gens qui achètent ces produits « sont tout à fait capables de décrypter l’offre. Ils savent pertinemment ce qu’il y a dans la bouteille. Mais ils recherchent autre chose, sans doute un certain standing lié au prix, une histoire, une aura autour du produit ». Des alcools comme le Cognac ou le Scotch Whisky sont-ils encore en mesure d’inspirer du désir ? Bien sûr que oui. Leurs substantielles progressions de ventes le prouvent. Mais plus que jamais, leur attractivité dépend du prix. « Toute leur image est basée là dessus, ils n’ont pas d’autres choix », relève le jeune directeur qui poursuit : « Réflexe vital de la part des metteurs en marché : ne pas baisser les prix ! Sur un marché comme les Etats-Unis “où tout se passe”, le prix est largement représentatif de valeur. Le plus gros danger serait donc que des acteurs soient tentés de diminuer leurs tarifs pour ravir quelques parts de marché à leurs concurrents. Peut-être est-ce d’ailleurs ce qui est en train de se produire à la marge, même si cela reste un épiphénomène, très limité
en volume ».

ALCOOL BRUN : UNE POSITION PLUS BATAILLÉE

Aujourd’hui plus que jamais, le prix légitimise donc le produit dans la pyramide de consommation. Fuite en avant peut-être mais marche en vant quand même. Par contre, la position des alcools bruns se révèle plus complexe que par le passé et plus bataillée aussi. Tout simplement parce que ces alcools bruns rivalisent avec des opérateurs qui n’utilisent plus les mêmes arguments qu’eux. « Les alcools bruns premium furent tranquilles pendant des années car ils occupaient un créneau sur lequel personne n’allait. Aujourd’hui, ce créneau est largement fréquenté », note S. Dathané. Fait révélateur : un rappeur américain s’est fait dernièrement le chantre d’une Vodka. Signe d’une transgression des traditionnelles segmentations de marché américaines ? Ce fait rejoint peut-être la réflexion de Jean-Dominique Andreu (Cognacs Ferrand), qui considère le marché américain comme « très mature » voire en train de se tasser. « On sait tous que le commerce connaît des cycles. La chance du Cognac est d’être présent sur un très grand nombre de marchés, marché américain, pays de l’Est, Europe du Nord, Chine, Japon… Sur ces différentes vagues, il arrive toujours à surfer. Mais je ne suis pas très optimiste en ce qui concerne le marché américain, où le Cognac subit les assauts de la Vodka, de la Tequila, sans parler de la concurrence directe avec le Whisky. Une marque de Tequila comme Patron, positionnée haut de gamme, a pris des parts de marché au Cognac. Si, avec plus de quatre millions de bouteilles de Cognac écoulées par an, le marché américain est toujours très fort, à mon sens, il a atteint son apogée et amorce aujourd’hui une descente. Certes, des marques s’avèrent pus performantes que d’autres mais en terme de progression globale, je suis assez pessimiste. » A noter que des opérateurs importants ne partagent pas son opinion.

LA PUISSANCE ASIATIQUE

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Une zone où le Cognac progresse, c’est l’Asie. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à consulter les statistiques ou lire le communiqué du BNIC paru en août 2006. « L’Extrême-Orient est la zone géographique où l’accroissement des expéditions de Cognac est la plus rapide : + 20 % sur un an, + 27,4 % sur deux ans. » D’ores et déjà, il semblerait que la Grande Chine représente le deuxième marché du cognac une fois amalgamées les expéditions sur la Chine intérieure, Taïwan et les plaques de distribution de Singapour et de Hong Kong. En tout, l’Extrême-Orient aura absorbé 90 504 hl AP à fin juillet 2006, soit 22 % du marché du Cognac. Seul bémol à ces bons résultats : les Whisky(e) y « cartonnent » encore plus.

En 2005, en Chine, le Scotch Whisky ne fut pas loin de représenter deux fois les ventes de Cognac, avec un taux de progression assez décoiffant : 89 % (source IWSR – International Wine and Spirit Record – Juillet 2006).Sur le créneau des alcools importés, en volume, la marque de Scotch Whisky Chivas Regal (groupe Pernod-Ricard) caracole en tête (+ 120 % de progression par rapport à 2004). Avec des quantités estimées à un peu plus du tiers de Chivas, Hennessy VSOP a progressé de + 59,8 % en 2005. Arrivent ensuite par ordre volumique décroissant Johnnie Walker Black (groupe Diageo + 63 %), Rémy Martin VSOP (+10,7 %), Jack Daniel’s (groupe Brown-Forman Beverages + 56,9 %), Hennessy XO (+ 50 %), Martell Cordon Bleu (+ 50 %), Absolut (+ 50 %), Rémy Martin Club (+ 35 %), Martell VSOP (+ 40 %). Après une période – les années 2000 – où le Whisky se situait très en dessous du Cognac, il a rattrapé son retard et finalement dépassé le Cognac. Un chiffre circule : en Asie, les Whiskies pèseraient dix fois plus que le Cognac, si l’on ajoute aux Whiskies importés les Whiskys locaux, nombreux et variés.
Pour ne parler que des alcools premiums, Sébastien Dathané évoque l’efficacité redoutable des opérateurs du Scotch Whisky qui groupent leurs moyens quand il s’agit de pénétrer les marchés. Naturellement, les maisons de Cognac ne sont pas en reste. Certaines d’entre elles font partie des tout premiers annonceurs TV de la branche alcool. Par ailleurs, elles travaillent à rajeunir leur cible et leur image autour d’une consommation de Cognac décomplexée (avec du jus de fruit, du tonic, des boissons énergétiques, en cocktails). Car le Cognac, « découvreur » du marché chinois il y a trente ans, est parfois perçu comme « l’alcool de la vieille génération, celle des 40 ans et plus » alors que le Whisky séduirait la tranche d’âge des 25-30 ans, jeunes cadres actifs et argentés. Pragmatiques, les maisons de Cognac ne baissent pas les bras. « C’est juste une question de stratégie et d’investissement ». Et des moyens, le Cognac en dispose encore. Suivant un classement récent, Hennessy n’apparaît-elle pas comme la 3e marque mondiale en terme de chiffre d’affaires, devant deux autres marques qui vendent chacune plus de 20 millions de caisses (contre quatre millions pour Hennessy). « Il s’agit d’une performance fantastique, absolument remarquable » applaudit un opérateur charentais. A l’image de cette grande marque, le Cognac possède donc quelques munitions pour ferrailler sur le marché asiatique. Qui plus est, si les maisons de Cognac voient dans les Whisky(e) des concurrents sérieux, elles ne les considèrent pas nécessairement comme d’irréductibles ennemis. « Les gros investissements consentis par le Scotch peuvent même nous aider, dans la mesure où ils imposent l’image et le goût des alcools occidentaux. Les jeunes générations considèrent le Whisky comme un choix possible. Ce n’est pas le seul. » Par contre, ce qui est vrai, c’est que le marché chinois du Cognac est complètement dominé par les grandes maisons, et encore n’y sont-elles pas toutes. Des sociétés comme Courvoisier ou Camus, certes présentes en Chine, arrivent en deuxième rideau. Sans doute est-ce pour cette raison que des sociétés moyennes ont tendance à voir dans les marchés de l’Est, notamment la Russie, « le réservoir des années futures ». Et ce même si, à court terme, le marché russe est en panne pour cause de sérieux dysfonctionnements paperassiers (voir article page 38).
A l’époque où les ventes de Cognac étaient au plus haut – en 1989-1990 – les pays scandinaves (Suède, Finlande, Norvège) absorbaient 4 % des expéditions. Aujourd’hui, ils représentent 6,5 % des ventes de Cognac (plus si on y ajoute le Danemark). Après une progression assez soutenue, ces marchés se sont stabilisés, voire affichent un léger déclin. La Finlande arrive en tête (11 100 hl AP livrés sur 12 mois à fin juillet 2006), suivie de la Norvège (10 507 hl AP) et de la Suède (3 267 hl AP). Hervé Bache-Gabrielsen, de la maison éponyme, parle de la Norvège comme d’un marché stable, à l’économie toujours dopée par la manne pétrolière. Sur ce marché, il note la création d’un nouveau segment, celui des « Cognacs bruts », de style « rustique ». Sa maison a remporté l’appel d’offre lancé par le monopole d’Etat sur ce créneau de vente. A l’usage, la gamme de Cognac « purs et rustiques » fonctionne plutôt bien. Elle s’appuie sur une sélection d’eaux-de-vie plus fruitées à la base. Si la Vodka jouit d’une forte audience sur les marchés nordiques, il semble que le Cognac préserve ses parts de marchés. Selon H. Bache-Gabrielsen, le portefeuille de vente est assez équilibré entre les qualités VS, VSOP, XO, même si les jeunes qualités l’emportent d’une longueur. Le démantèlement des monopoles d’Etat en Suède et en Finlande – membre de l’Europe depuis le 1er janvier 1995 – un temps envisagé par l’UE pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles, ne s’est pas concrétisé. Les marchés de monopoles existent toujours et restent à la fois bataillés et réglementés. Ce qui ne présente pas que des inconvénients. « A partir du moment où vous proposez un très bon rapport qualité/prix et que vous êtes référencé, la distribution de vos produits devient assez sereine. Elle est assurée dans tous les magasins du monopole. »

 LE REGARD DES PETITES MAISONS

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Comment les petites maisons et les vendeurs directs – entre 240 et 350 selon les estimations – vivent-ils la reprise du Cognac ? Le courant d’affaires est-il aussi porteur pour eux que pour les grands ? « Cela aide toujours un peu mais nous sommes sur des marchés de niche qui fonctionnent de manière particulière. Pour nous, ce n’est pas l’euphorie » relève une opératrice. Elle note une inflation de petites maisons – « nous sommes de plus en plus nombreux sur les marchés » – et des grandes maisons qui n’hésitent pas à venir chasser sur leurs terres. « Bientôt, nous serons la niche de la niche ! Nos produits doivent être de très grande qualité pour perdurer. Nous n’avons pas droit à l’erreur. » Un autre intervenant note le phénomène de concentration qui s’exerce à la fois du côté des groupes de spiritueux et chez les distributeurs. « Au gré des rachats, les onzième deviennent les sixième, les troisième les premier… Nous n’avons d’autres choix que de bouteilles et qui, faute de pouvoir distribuer un grand produit, en distribuent un petit. Ils s’adressent eux-mêmes à des cavistes, des restaurateurs qui manifestent un certain esprit d’indépendance. » Un autre interlocuteur se montre plus précis : « Sur un marché comme les Etats-Unis, des maisons proposent pour les fêtes de fin d’année, des bouteilles gratuites et la mise à disposition de vendeurs. Cette politique, peut-être bonne pour la viticulture, me paraît dangereuse. On achète le marché. Qui plus est, le choix se resserre alors qu’un mouvement inverse se dessinait. » Point de vue moins critique d’un producteur lui aussi présent sur les marchés. « Nos négociants font très bien leur travail. Ils investissent de grosses sommes derrière le produit. C’est typiquement français d’avoir l’air de regretter la réussite des entreprises. » Un vigneron indépendant dit préférer pour lui-même des hausses de 2 à 3 % par an « qu’il sait gérer » plutôt que des augmentations erratiques dues « à des guerres du poulet à l’envers » (boycotts de produits concurrents…). « Nous sommes gentiment en train de conforter nos marchés » confie-t-il, en reconnaissant une certaine logique à ce que « les locomotives qui ont fait la publicité retirent les premières les marrons du feu ». « Je préférerai simplement, dit-il, que les qualités vieilles progressent un peu plus vite, pour un meilleur retour à la viticulture. »travailler avec des importateurs qui, comme nous, veulent vivre, vendre des bouteilles et qui, faute de pouvoir distribuer un grand produit, en distribuent un petit. Ils s’adressent eux-mêmes à des cavistes, des restaurateurs qui manifestent un certain esprit d’indépendance. » Un autre interlocuteur se montre plus précis : « Sur un marché comme les Etats-Unis, des maisons proposent pour les fêtes de fin d’année, des bouteilles gratuites et la mise à disposition de vendeurs. Cette politique, peut-être bonne pour la viticulture, me paraît dangereuse. On achète le marché. Qui plus est, le choix se resserre alors qu’un mouvement inverse se dessinait. » Point de vue moins critique d’un producteur lui aussi présent sur les marchés. « Nos négociants font très bien leur travail. Ils investissent de grosses sommes derrière le produit. C’est typiquement français d’avoir l’air de regretter la réussite des entreprises. » Un vigneron indépendant dit préférer pour lui-même des hausses de 2 à 3 % par an « qu’il sait gérer » plutôt que des augmentations erratiques dues « à des guerres du poulet à l’envers » (boycotts de produits concurrents…). « Nous sommes gentiment en train de conforter nos marchés » confie-t-il, en reconnaissant une certaine logique à ce que « les locomotives qui ont fait la publicité retirent les premières les marrons du feu ». « Je préférerai simplement, dit-il, que les qualités vieilles progressent un peu plus vite, pour un meilleur retour à la viticulture. »

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