La Composante Grande Distribution

8 mars 2009

A travers son positionnement « marque distributeur », la distillerie des Moisans à Sireuil est un acteur majeur du marché français du Pineau, à côté d’autres sociétés comme H. Mounier (Reynac), Ugnicognac S.A. (Jules Gautret) ou la Compagnie de Guyenne (Coste). Elle intervient aussi sur le Cognac. P-DG de l’entreprise depuis cinq ans, Patrick Mourlhon décrit les politiques tarifaires aval, qui conditionnent en partie celle de l’amont.

« Le Paysan Vigneron » – La distillerie des Moisans est aussi connue sous le nom de distillerie Bru.

Patrick Mourlhon – C’est en effet Roland Bru, décédé en 1997, qui a fondé l’entreprise. A sa mort, ses deux filles, Véronique et Pascale, ont souhaité maintenir l’entreprise familiale qui compte, en plus de la distillerie, 60 ha de vignes, 40 en Fins Bois et 20 en Grande Champagne. Au départ, la distillerie n’était que marchand en gros puis, à côté du vrac, elle a développé une activité bouteilles. Mais n’ayant pas de marque établie, elle s’est rapprochée de la grande distribution, via la marque distributeur. La société n’a pas toujours été indemne de « guerres de clochers ». Sans doute faut-il y voir l’effet d’un certain éloignement avec l’épicentre de Cognac, qui vous rend tout de suite plus suspect. S’y ajoutait aussi la réputation d’être un « casseur de prix », « d’acheter à pas cher ». Pyrénéen d’origine, je suis arrivé en Charentes il y a cinq ans. Je venais de chez Carrefour où j’étais acheteur liquide pour le groupe. A l’époque, j’avais pour interlocuteurs certains acteurs locaux. Mon atterrissage ne fut pas toujours vu d’un très bon œil. En tant que marque distributeur Pineau/Cognac, l’entreprise était déjà positionnée auprès de l’enseigne Intermarché. Aujourd’hui, nous fournissons également toutes les marques distributeurs de Carrefour en Pineau/Cognac, celle de Sainsburry en Angleterre en Cognac uniquement ainsi que de nombreux clients allemands, danois… De 2 millions d’€, le chiffre d’affaires bouteilles est passé à 9-10 millions d’€. Cette évolution s’est accompagnée d’une série d’investissements sur le site de Sireuil, redéploiement qui n’est toujours pas terminé. Par ailleurs, nous tentons de nous battre sous nos propres couleurs à l’export, notamment en Asie et aux Etats-Unis. Un commercial spécifique export s’y emploie. En outre, depuis le début de l’année, nous avons monté avec d’autres partenaires une structure Moisans export dont le bureau est à Paris et dont l’objectif consiste à s’attacher de nouvelles compétences pour travailler davantage les produits à forte valeur ajoutée et haut de gamme. La distillerie possède beaucoup de stocks et il paraissait intéressant de transférer ces vieux comptes en bouteilles.

« L.P.V. » – Est-ce une manière de prendre de la distance avec la grande distribution ?

patrick_mourlhon.jpgP.M. – Il est clair que nous allons essayer au fil du temps et avec beaucoup d’humilité de substituer ou du moins de compléter notre engagement auprès de la grande distribution par un autre pan d’activité. Etre en prise directe avec la grande distribution ne constitue pas une fin en soi même si, quelque part, c’est incontournable. Il convient de trouver le juste milieu, le bon compromis. La grande distribution possède ses forces et ses faiblesses. Si les marges s’avèrent plus faibles que sur les produits à marques, les coûts ne sont pas les mêmes non plus. Vous n’avez pas à payer les forces de ventes, les commerciaux sur le terrain, les voitures, les notes de frais… Les produits se retrouvent d’office en magasin. Certes, ce positionnement n’assure pas le « panache » d’une société comme le ferait une marque. Mais, en ce qui nous concerne, nous recherchons moins le panache que la préservation de l’emploi qui est notre priorité. L’entreprise emploie une trentaine de personnes, sans parler de l’effet induit sur les fournisseurs.

« L.P.V. » – A quels niveaux de prix se situent les marques distributeurs, en Pineau comme en Cognac ?

P.M. – En Pineau, le prix de vente consommateur avoisine les 6 € (40 F) et en Cognac autour de 11,50 € pour une qualité V.S et dans une fourchette de 15,50 à 16,50 € pour le VSOP. Sur le Pineau, les marques distributeurs représentent bon an mal an 45 % du marché. Je ne possède pas de statistiques pour le Cognac mais je pense que la part des M.D navigue à peu près dans les mêmes eaux.

« L.P.V. » – Comment évolue le marché ?

P.M. – Le Pineau souffre de ne pas avoir de marques leaders incontestées, capables d’établir un niveau de prix. Les seules marques à développer une part de marché significative sont Gautret et Reynac, mais elles ne sont pas toujours en mesure de jouer ce rôle de référant. Ainsi, sur le marché du Pineau, la grande distribution a un peu tendance à aller chercher « le prix pour le prix », sachant que dans cette région désorganisée, il y a toujours quelqu’un pour vendre moins cher que le copain. Cela pose un vrai problème.

« L.P.V. » – A qui la faute ?

P.M. – Il faut bien comprendre que dans cette affaire, la distribution a une position d’attente. Elle pose une question aux fournisseurs et c’est de leurs réponses que va naître le prix de marché. Le drame, c’est que ceux qui donnent des prix bas ne sont pas toujours ceux qui vendent. Mais le prix existe désormais et fait référence. Les offres en ligne sur internet ne font qu’accentuer le phénomène. Tout cela m’inquiète. Il ne faudrait pas que les marques distributeurs deviennent demain des premiers prix « plus ».

« L.P.V. » – Qu’entendez-vous par là ?

P.M. – Traditionnellement et quel que soit le produit, le marché de la grande distribution se segmente de la façon suivante : les niches, les marques leaders, puis les marques distributeurs et enfin les premiers prix. En principe, le prix de vente consommateur de la marque distributeur est 15 % moins cher que la marque leader. Mais pour tenir cette règle, faut-il encore qu’il y ait concordance avec le prix d’approvisionnement de la grande distribution. Or, ce n’est pas toujours le cas. Et c’est pour cela que l’on se retrouve en Pineau avec des marques leaders à 6 € et des premiers prix à 4,80 €. Face à un tel resserrement du ciseau des prix, quel intérêt y a-t-il pour une grande surface à garder une marque distributeur, sauf à en faire un premier prix +. Dans ce contexte, où réside notre crédibilité de marques distributeurs ? Aujourd’hui le danger d’un nivellement par le bas existe, même si je souhaite que l’on puisse y échapper.

« L.P.V. » – Constate-t-on le même phénomène avec le Cognac ?

P.M. – C’est un peu différent. Pour le Cognac, des marques comme Hennessy, Martell, Rémy Martin, Courvoisier établissent la catégorie. Certes, des marques challengers essayent bien de squatter les terres des marques distributeurs mais c’est un peu moins gênant dans la mesure où les marques nationales font références. Reste qu’il est toujours déplaisant de voir des opérateurs vendre du Cognac à moins de 8 € la bouteille de 70 cl. Cela me fait un peu bondir de voir ceux-là même qui cassaient du sucre sur le dos de la distillerie se livrer à ce petit jeu. Ce n’est pas sérieux, la grande distribution doit vraiment nous prendre pour des « charlots ».

« L.P.V. » – A votre avis, comment risque d’évoluer le marché français ?

M.P. – Sur le Cognac, il faut se faire une raison. Il n’augmentera plus, il ne pourra que diminuer. Les marques leaders assurent le service minimum ; en terme de présence elles font « juste ce qu’il faut ». Manifestement, leur objectif n’est pas la France mais l’export. C’est ainsi et pas autrement. Sur le Pineau, les grands équilibres sont radicalement différents. Contrairement au Cognac qui réalise 95 % de son chiffre d’affaires à l’export, le Pineau, sur 12 millions de litres vendus, en écoule 8 millions sur le marché français. Et quand on connaît la place de la grande distribution sur le marché français, on comprend mieux sa dimension stratégique. J’espère seulement que le Pineau trouvera une attitude plus concertée face à la grande distribution. Cela mettra du temps mais il devrait y arriver. Je crois d’ailleurs que la profession y réfléchit. La pire des choses serait que le Pineau reproduise l’exemple du Rivesaltes, c’est-à-dire jouer le volume pour le volume en rentrant ainsi dans une spirale infernale, incapable de valoriser le produit au niveau que tout le monde souhaite. Pour conférer de la valeur ajoutée à la matière première, il faut une stratégie, du marketing et pas seulement de la communication. A Rivesaltes, Jacques Séguéla, le célèbre publicitaire, a conduit une opération très coûteuse, qui s’est traduite par un flop.

« L.P.V. » – Que pensez de la progression des cours du Cognac sur le second marché ?

M.P. – La hausse des douze derniers mois fut importante. Il y a certainement danger à aller trop vite car il faut pouvoir faire passer ces augmentations de prix au niveau du consommateur et ce n’est pas évident. Quand on achète aujourd’hui des comptes 2 à 762 € l’hl AP, cela n’a pas grand-chose à voir avec les 400 € d’il y a cinq ans. Maintenant, je ne dis pas qu’il ne fallait pas voir augmenter les cours. Je suis tout à fait favorable à ce que la viticulture puisse vivre correctement de son travail, mais cette évolution doit sans doute se gérer dans la douceur.

« L.P.V. » – D’ores et déjà, sentez-vous une certaine tension au niveau de l’approvisionnement ?

M.P. – Nous avons gardé la distillerie et heureusement. Cette année, elle a permis de mieux réguler les hausses tarifaires. Sans cela, je pense que nous aurions été très très mal. Si la rétention existe effectivement, nous avons pu anticiper nos achats et prendre des positions fermes et définitives qui nous ont permis de ne pas manquer de marchandise. Par ailleurs, pour éviter la pénurie potentielle, nous nous sommes repositionnés sur certains marchés, nous en avons supprimé certains autres qui ne voulaient pas accepter de hausses de prix. Parfois, il vaut mieux se couper le doigt que se couper la main.

« L.P.V. » – Si vous aviez à choisir entre une QNV à 7 ou une QNV à 8 ?

M.P. – L’an dernier, la QNV Cognac est passée de 6 à 7, cette année on parle d’une QNV à 8. Sauf erreur de ma part, le système de la double fin va perdurer quelques années encore et, durant tout ce temps, l’on risque de patauger dans un imbroglio général. Au final, si c’est 8 de pur ce sera 8 et si c’est 7, ce sera 7. En la matière, je me sens plus spectateur que décisionnaire même si je préférerai, effectivement, que la QNV passe à 8, afin d’éviter que le marché du Cognac soit asséché par les grandes maisons. Mon prédécesseur m’a parlé d’une époque, il y a 25 ans, où les entreprises du second marché devaient payer plus cher que les grandes maisons pour avoir des eaux-de-vie. La région de Cognac est très loin du modèle champenois, marqué par un juste équilibre forgé au fil du temps entre négoce, coopératives, viticulteurs. Ici, j’ai un peu l’impression d’assister à un débat politique entre les bons, les méchants, la gauche, la droite… Le tout assorti de discours un peu stériles. Face aux grandes maisons que je respecte et qui sont incontournables, il existe une kyrielle de petites entreprises qui ont leur légitimité. Simplement, leur place n’est pas facile à trouver entre des grandes maisons protégeant leur acquis à l’exportation et des viticulteurs qui ne jurent que par le grand négoce et ses contrats.

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