Une interview de Cyril Camus, directeur général des Cognacs Camus

12 février 2010

Le jeune P-DG des Cognacs Camus partage sa vie entre Cognac et la Chine. C’est dire qu’il connaît bien le marché chinois. Il porte sur lui un regard d’autant plus nuancé qu’informé. Non, le marché chinois ne sauvera pas à lui seul la région. Oui, le marché chinois constitue aujourd’hui l’une des principales réserves de croissance. D’où une concurrence exacerbée entre les marques et l’investissement de moyens puissants, tant humains que financiers.

 

 

cyril_camus.jpg« Le Paysan Vigneron » – Donnez-vous raison aux Charentais quand ils voient dans la Chine leur planche de salut ?

Cyril Camus – C’est un fait, la Chine représente à ce jour une des seules poches de croissance du Cognac si ce n’est la seule. La crise économique mondiale a tout de même affecté le pays fin 2008/début 2009 mais sans doute moins qu’ailleurs et à coup sûr moins longtemps, avec des effets disparates selon les régions et les secteurs d’activité. Si les chiffres d’exportation accusèrent un léger tassement sur 2009, je confirme que la consommation de Cognac en Chine demeure très élevée. Le Cognac reste porteur et profite de la croissance. Maintenant, il ne faut pas rêver. Les arbres ne montent pas au ciel ! Si la région pense que son avenir passe par la Chine, elle se trompe. La Chine restera un marché important pour le Cognac mais le pays à lui seul ne sortira pas la région de la crise. Tout au plus pourra-t-il un peu enrayer la chute. Il faut bien voir que, tant bien même les volumes doubleraient en Chine dans les deux ans à venir, ils compenseraient à peine ce que nous avons perdu en une seule année sur l’ensemble du monde. Par ailleurs, dans les grands centres urbains chinois, le marché du Cognac tend vers la maturité. Son rythme de développement est appelé à se calquer sur la croissance annuelle, ce qui n’est déjà pas si mal dans un pays comme la Chine, qui connaît des taux de progression de 10 % l’an. A Shanghai ou à Pékin, les ventes de Cognac sont d’ores et déjà quasi stables. Elles n’augmentent qu’au rythme du développement des classes moyennes mais pas plus vite. Par contre, à coup sûr, l’intérieur du pays recèle encore de belles opportunités. Mais, globalement, si le Cognac vise de manière récurrente les 10 % de hausse annuelle en Chine, ce sera déjà un beau score.

« L.P.V. » – La Chine constitue-t-elle un marché à haute valeur ajoutée ?

C.C. – Tout est relatif. En effet, c’est un marché principalement de VSOP, présentant donc une bonne valeur ajoutée. Cette qualité représente les deux tiers des ventes, l’autre tiers se composant d’XO et qualités supérieures. Mais là encore, ne cédons pas à l’optimisme béat. La Chine est un pays où les alcools importés subisse nt des droits et taxes élevés. Sur une bouteille de VSOP, le montant des droits et taxes divers doit friser les 10 €, pour un prix de vente consommateur d’environ 32 €. Au final, la profitabilité n’est peut-être pas meilleure qu’en Europe même si, c’est vrai, la majorité des ventes s’effectuent en compte 4 et plus, avec certaines ventes positionnées sur le très haut de gamme. Mais pour combien de temps ? Dans leur cycle de développement, beaucoup de pays suivent la même courbe. En phase d’économie ascendante, les consommateurs manifestent le besoin de consommer des produits chers et valorisants mais ce tropisme ne dure pas éternellement. Quand le taux de croissance se stabilise, se réduit parallèlement la part des dépenses de prestige.

« L.P.V. » – On dit souvent que les Chinois aiment le Cognac.

C.C. – Sans doute et certainement plus dans le sud que dans le nord du pays, davantage tourné vers le Whisky. Mais, en même temps, la Chine reste un continent où les gens ne se déterminent pas en fonction d’une catégorie mais pour une marque. Ils ne vont pas choisir entre un Whisky ou un Cognac. Ils vont choisir une marque plutôt qu’une autre. D’où, au passage, le travail déterminant réalisé par les marques de Cognac, qui ont vraiment installé la catégorie en Chine. Ce qui ne signifie pas que n’importe quelle marque puisse prendre pied dans le pays. Le « ticket d’entrée » est très élevé. Sont présentes en Chine les grandes marques avec trois d’entre elles beaucoup plus visibles que les autres : Hennessy le leader, Martell et Rémy Martin. Je pense que nous arrivons au cinquième rang même s’il est très difficile d’accéder aux chiffres. On a coutume de dire que sur l’ensemble des marchés du Cognac, les cinq premières marques réalisent plus de 80 % des expéditions. En Chine, ce pourcentage doit approcher les 95 %. Le marché chinois s’avère très difficile d’accès, surtout pour les maisons qui ne sont pas intégrées à un groupe. Les circuits de distribution brillent par leur complexité et leur densité. Ils se caractérisent par une myriade de lieux de ventes, divers et variés, entre les magasins, les bars, restaurants, boîtes de nuit. La grande distribution, telle que nous la connaissons en France, est très peu représentée en Chine. Elle occupe une part relativement faible des ventes. Selon les villes, le nombre de clients – les établissements de vente – oscille entre une centaine et plusieurs milliers. En terme de force de vente, cela suppose d’avoir une très bonne couverture et de disposer d’une grande puissance financière car, en fait, vous achetez votre présence dans les lieux de vente.

« L.P.V. » – Comment se présente le marché des spiritueux en Chine ?

C.C. – Schématiquement, il se répartit en trois grands blocs : Cognac, Whisky et alcools locaux, en sachant que les alcools importés représentent toujours moins de 1 % de la consommation totale. A considérer la dynamique du marché, de nombreuses ressemblances apparaissent avec le Japon du milieu des années 80 : mêmes profils de consommateurs, même part congrue du Cognac par rapport aux alcools locaux. Une différence notable existe pourtant. Alors que le Japon était un pays d’abord adepte de la catégorie Cognac et ensuite des marques, l’inverse se vérifie en Chine. Les marques l’emportent sur la catégorie. Souhaitons que cette différence soit source de durabilité. En ce qui concerne la Chine, la grande question est de savoir quels sommets les ventes atteindront avant de baisser ? Au Japon, la chute des ventes, une fois entamée, ne s’est jamais interrompue. Sincèrement, je ne pense pas que le même cycle s’applique à la Chine.

« L.P.V. » – Avec la crise, les maisons de Cognac ont-elles la tentation de « lever le pied » en Chine, en terme d’investissement ?

camus.jpgC.C. – Non, c’est tout le contraire qui se passe. La Chine étant le seul marché en réserve de croissance, les maisons ont tendance à y investir encore plus. Vraiment, aujourd’hui, la Chine est devenue le champ de bataille sur lequel s’affrontent toutes les grandes maisons. Cela se traduit par plus de monde sur le terrain, des équipes sur place renforcées, plus de publicité, une présence accrue dans les night-clubs, des achats d’espaces et de linéaires qui s’envolent… Tous les signaux clignotent. L’investissement à la bouteille, le nombre d’euros mis derrière chaque flacon grimpent de façon impressionnante. Les méthodes de commercialisation et la concurrence se font de plus en plus agressives. Toutes ces maisons ont besoin de faire du chiffre, à n’importe quel prix. Elles sont prêtes à y consacrer des moyens financiers et humains considérables. Tant mieux pour la catégorie.

« L.P.V. » – Et vous dans ce concert ?

C.C. – La maison Camus a créé sa propre filiale de distribution en Chine il y a presque deux ans. On y trouve des équipes dédiées, une structure administrative sur place, des vendeurs, de la logistique. La structure est principalement basée à Shanghai, avec des bureaux et des équipes dans six villes.

« L.P.V. » – Comme s’appelle votre filiale ?

C.C. – Elle s’appelle Yuanliu, ce qui évoque l’idée d’un cours d’eau qui prend sa source très loin et ne s’arrête jamais de couler. Ce nom véhicule des notions d’origine, de tradition et aussi de constance dans l’effort, des valeurs auxquelles notre maison est très attachée. Aujourd’hui, tous nos produits sont distribués par Yuanlui, filiale qui compte une quarantaine de collaborateurs.

« L.P.V. » – Pour votre maison, il s’agit d’un gros effort financier.

C.C. – Effectivement, c’est une mise de fonds importante mais qui se justifie largement par notre foi dans le marché chinois et le plutôt bon positionnement de notre marque. Les Cognacs Camus sont bien implantés en Chine, notamment dans les lieux de prestige. Ils correspondent à une attente des clients, en particulier sur le haut de gamme. Sur la catégorie Extra – vendue en moyenne deux fois et demie plus chère qu’un XO – nous faisons partie des gros opérateurs, aux côtés des Hennessy Paradis, Rémy Extra ou Martell Extra.

« L.P.V. » – Où se situe le « cœur de marché » en Chine ?

C.C. – Clairement, le cœur de l’activité se situe sur le marché domestique. Compte tenu de la population chinoise, c’est sur ce créneau que réside le gros gisement volumique. Traditionnellement, deux pics de consommation émaillent l’année : en octobre, lors de la fête de la Lune et durant le Nouvel an chinois, dont la date fluctue entre janvier et février selon le calendrier lunaire. A 80 %, les ventes en magasins se réalisent au cours de ces périodes. Il y a ensuite la consommation en bars et boîtes de nuit, souvent le fait d’hommes d’affaires, sur frais de représentation. Ce marché n’est pas sans rappeler celui du Japon du début des années 80 même si je ne crois pas qu’il s’oriente de la même façon. Hors business, la consommation personnelle en bars et boîtes de nuit reste moins importante et bien moins stable, notamment auprès de la frange des plus jeunes consommateurs. Ces nouveaux consommateurs « zappent » très facilement d’une marque à l’autre, d’une catégorie à l’autre, dans une attitude de découverte. Ils consommeront aussi bien de la Vodka, du Rhum ou de la Tequila, à vrai dire ce que le club mettra en avant. Dans l’univers de la nuit, il faut bien voir que les établissements serviront le produit qui donnera le plus d’argent. Si c’est une marque de Vodka, ce sera de la Vodka, si c’est une marque de Cognac ce sera du Cognac. Le poids relatif des marques est directement lié à l’investissement consenti. Inutile de dire que ce type de consommation est éminemment volatil. Les Chinois qui consomment du Cognac pour son goût – il y en a – se recrutent davantage sur le segment des achats en magasin. Mais dans ce contexte, attention à la concurrence exercée par les vins, certainement plus dangereuse pour le Cognac que celle des autres spiritueux. Les vins, tout particulièrement les vins français, et au premier chef les grands crus, jouissent d’une très belle image en Chine. Ils donnent de la « face » à celui qui en consomme ou qui en fait consommer. Aujourd’hui un Lafitte-Rotschild est aussi connu et prisé qu’une grande marque de Cognac. Compte tenu des volumes disponibles, nul besoin de pousser les ventes. L’offre ne suffit pas à satisfaire la demande.

« L.P.V. » – Qu’en est-il des produits locaux ?

C.C. – Leur image est généralement excellente et certains connaissent des taux de progression à faire pâlir les autres spiritueux. Prenons le cas de l’alcool de sorgho Maotai que nous distribuons sous la marque ombrelle « Spirits of China by Camus » dans les magasins Duty free. Aujourd’hui, cette marque n’arrive pas à combler la demande. Le prix le plus bas observé pour une bouteille de Maotai s’élève à 70 €.

« L.P.V. » – Tous marchés confondus, comment voyez-vous l’avenir du Cognac ?

C.C. – Aujourd’hui, il semble que la chute des ventes soit enrayée. Mais la région est tombée de haut et à un niveau relativement bas. Dans la tourmente, elle a tout de même perdu environ 2 millions de caisses. Elément rassurant, les bases actuelles paraissent assez stables, ce qui représente un gros changement par rapport aux dix-huit mois passés. On ne gère pas la stabilité comme on gère la baisse. La stabilité confère davantage de visibilité, elle permet de se projeter dans l’avenir. En ce qui concerne le futur, je ne pense pas qu’un marché à lui seul change les équilibres régionaux. Je crois beaucoup plus au travail qui reste à faire en terme de réinsertion du Cognac dans le quotidien du consommateur. Sur la quasi-totalité des marchés, que constate-t-on ? Les pays où le Cognac se consomme de façon classique affichent des fréquences de consommation faibles. En fait, les seuls marchés générateurs de croissance, les Etats-Unis, le Japon à l’époque, la Chine aujourd’hui, sont des marchés sur lesquels les opérateurs ont réussi pendant un certain temps à inscrire le Cognac dans le quotidien du consommateur. Quand on arrive à ce résultat, les ventes se démultiplient. Pour proférer une lapalissade, il est plus intéressant de vendre une bouteille par semaine qu’une bouteille par an. Il faut rendre hommage à une marque et à une maison comme Hennessy d’avoir réussi ce challenge aux Etats-Unis. C’est pour cela que les fondamentaux du Cognac aux Etats-Unis restent très sains et que le marché américain redémarrera dès que l’économie repartira.

« L.P.V. » – Sur un marché, comment arrive-t-on à faire progresser la fréquence de consommation ?

C.C. – Cela résulte sans doute d’une subtile alchimie autour de la méthode de consommation, du mode de consommation. Le Chinois boit le Cognac soit pur, soit sur glace, jamais en cocktail. Il le boit soit pendant le repas, soit après dans les clubs mais pas du tout en digestif. La notion de digestif n’existe pas en Chine.

« L.P.V. » – Et la féminisation de la consommation ?

C.C. – C’est compliqué. Je ne vois pas une marque influencer un type de comportement culturel car la consommation des femmes est éminemment liée à la culture. Il y a des pays où les femmes boivent de l’alcool, d’autres où elles n’en boivent pas du tout. Les Chinoises consomment peu d’alcool ou alors un peu de bière et de cocktails. Les uns et les autres, nous nous essayons à sortir le Cognac d’une consommation occasionnelle, en essayant de trouver des éléments déclencheurs. Pour nous, le Cognac Ile de Ré fut une façon d’introduire de la diversité, en incitant nos clients à le boire plus régulièrement. Rémy Martin propose de consommer du Cognac glacé – Rémy freeze – à l’aide d’une machine…

« L.P.V. » – Votre épouse est chinoise et réside avec vos enfants en Chine. Comment organisez-vous votre temps ?

C.C. – La maison est en Chine et le bureau en France (sourire). En fait je vis et travaille entre les deux pays, les deux cultures. Ce double ancrage représente sans doute une force. En tout cas, je ne concevrais pas d’être uniquement basé en Chine. Pour faire du bon travail, j’ai besoin de retrouver mes racines cognaçaises, d’être au contact de l’entreprise et de ses fournisseurs C’est essentiel pour moi que la société reste ancrée à Cognac. Par contre, commercialement, la Chine constitue un de nos axes forts de développement. C’est aussi le pays natal de mon épouse. J’y passe plus de temps que sur d’autres marchés.

« L.P.V. » – Pour dire un mot de l’amont, comment envisagez-vous les relations viticulture/négoce ?

C.C. – C’est compliqué. Une grande incertitude pèse sur la période, avec beaucoup de variables à intégrer en même temps. Par contre, si l’on peut parler de réussite, c’est bien celle de la politique contractuelle. Elle me semble apporter une certaine stabilité aux relations viticulture/négoce. Au niveau interprofessionnel, le dialogue doit se poursuivre, en essayant de se poser les bonnes questions. Ce travail commun a déjà permis d’accompagner la croissance. De la même manière, il contribuera sans doute à surmonter une période plus difficile. Si la région souffre d’un déséquilibre, la situation me paraît tout de même moins dramatique que celle du milieu des années 90.

En 2008, la maison Camus a réalisé un chiffre d’affaires de 50 millions d’€. Furent embouteillées à Cognac 388 000 caisses de 12 bouteilles de spiritueux, dont 60 % de Cognac. La société emploie 179 salariés, exporte dans plus de 140 pays et travaille avec une centaine de partenaires viticulteurs, dans le cadre de relations contractuelles. La famille possède 135 ha en Borderies, un cru qui incarne la signature de la maison. Les principaux chais de stockage de la société se trouvent à La Nérolle, commune de Segonzac tandis que la mise en bouteilles est toujours basée à Cognac, dans le « carré Camus » à l’angle de la rue Marguerite-de-Navarre et du parc François-1er. Cyril Camus, né en 1971, représente la cinquième génération de cette entreprise familiale qui a su rester indépendante. Connue pour sa créativité et sa réactivité au marché, la maison Camus a développé de nombreuses gammes. Les dernières en date s’appellent la gamme Elégance et la gamme Camus Ile de Ré Fine Island Cognac. La première met en scène un assemblage de Cognacs des cinq crus tandis que la seconde creuse le sillon des « Bois à terroir ». Dans l’un et l’autre cas, le goût de Cyril Camus va à des Cognacs très légers en bois, qui laisse l’eau-de-vie s’exprimer librement.

 

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