Eh non ! Le vin ne détient pas la place de n° 1 en matière de vente de boissons alcoolisées. Il est largement détrôné par les spiritueux, qui représentent près de la moitié du marché mondial. Par contre, 60 bouteilles de spiritueux sur 100 appartiennent à la catégorie des alcools locaux, à des années-lumière des marques internationales. Sur le thème de « qui l’eut cru », Sébastien Dathané, du Ciedv, a tricoté un exposé fourmillant d’infos en deuxième partie de l’AG du SGV, le 31 mai dernier.
Créé en 2000 sur le site de l’Université des eaux-de-vie de Segonzac, le Centre international des eaux-de-vie et boissons spiritueuses a, comme son nom l’indique, un champ d’investigation qui dépasse largement le strict champ des eaux-de-vie de vin. Avec 20 000 données sur son site internet, le Ciedv est en passe de devenir le centre-ressource en matière de connaissance des spiritueux. Ce qu’il faut bien qualifier de succès doit beaucoup à Patrick Brisset, président de la structure depuis cinq ans, à Sébastien Dathané le chargé de projet et à ses deux collaboratrices, sans oublier les financeurs, Conseil régional, Conseils généraux, Communauté de communes de Grande Champagne. S. Dathané a également signalé que Segonzac était en train de créer un pool assez rare en France où Université et professionnels travaillaient ensemble. Le Ciedv collabore en effet avec la faculté de droit de Poitiers qui délivre deux masters à Segonzac : le master professionnel en droit, gestion et commerce des spiritueux ainsi que le master en commerce international.
Qui ne donnerait pas le vin comme la boisson alcoolisée la plus répandue au monde. Eh bien non ! Avec une part de marché mondiale de 16 %, le vin arrive largement derrière les spiritueux (47 % des ventes mondiales de boissons alcoolisées). A deux exceptions près – Afrique pour des raisons religieuses, Australie par l’empire exercé par la bière, d’ailleurs en train de vaciller – les spiritueux colonisent la planète et tout particulièrement l’Asie. C’est dans cette partie du monde que se vend la moitié des spiritueux. Pour autant, il ne s’agit pas forcément de marques ou de produit connus. C’est même plutôt le contraire. Sébastien Dathané a insisté sur cet aspect, blackboulant au passage quelques idées reçues. « Dans le monde aujourd’hui, a-t-il dit, quatre bouteilles de spiritueux sur dix sont d’origine indéterminée, soit par absence d’outils de contrôles et de statistiques, soit par volonté délibérée des pays. » Un autre chiffre corrobore cette remarque : 60 bouteilles vendues sur 100 appartiennent à la catégorie des alcools locaux. On les retrouve tout particulièrement en Amérique du sud et en Asie. Les produits sont vendus sur place, à des prix généralement très faibles. C’est le cas du Soju, une liqueur coréenne titrant 25 % vol., qui a le goût de la Vodka. Dans son pays, elle vaut 2,50 € HT. « Dans certaines régions du monde, note l’animateur du Ciedv, l’alcool fait presque office d’aliment, par les calories qu’il apporte mais aussi par sa relative innocuité. Paradoxalement, il est parfois moins risqué de boire de l’alcool que de boire de l’eau. »
Le cognac : 1 % en volume
Dans le concert des spiritueux, le Cognac occupe une place infinitésimale : 1 % en volume. Mais en valeur il se rattrape, comme on le verra plus loin.
A considérer les marques internationales, catégorie à laquelle appartient le Cognac, deux leaders apparaissent : Bacardi et Smirnoff. Ce sont tous les deux des alcools blancs, Rhum pour Bacardi et Vodka pour Smirnoff. Rien d’étonnant à cela. Le marché américain absorbe la moitié des marques internationales de spiritueux. Et les Américains raffolent des cocktails, pour lesquels les alcools blancs représentent d’excellentes bases de mélanges. Le Cognac, quant à lui, bat des records de valorisation. Si la première marque de Cognac arrive, en volume, au 40e rang des marques internationales, elle grimpe au 4e rang en valeur. « C’est comme ça. Le Cognac a la capacité de créer de la valeur ajoutée », souligne S. Dathané. « Il le doit à son statut qualitatif, acquis depuis des siècles et dont les viticulteurs sont les garants. Mais aussi à ses marques qui appartiennent à des groupes puissants, qui possèdent des moyens de distribution et de communication importants. »
« Diageo arrive en tête des groupes de distribution mondiaux. Il pèse deux fois plus que le second, ce qui n’est pas sans incidence sur le climat concurrentiel du secteur des spiritueux », relève le chargé de projet du Ciedv. Dans ce contexte, comment se positionnait le groupe Allied-Domecq, qui a fait l’objet d’une OPA (offre publique
d’achat) de Pernod-Ricard ? Il arrivait en seconde position, derrière Diageo. Très présent aux Etats-Unis, son portefeuille compte des marques internationales de grande notoriété comme Malibu, Ballantine’s, Courvoisier, Stolichnaya… Qu’est-ce qui lui a valu alors de se retrouver en position d’opéable ? S. Dathané émet deux hypothèses : un capital dilué entre de nombreux petits actionnaires et peut-être une stratégie de groupe pas totalement en phase avec l’orientation du secteur. « Depuis dix ans, on s’aperçoit que la stratégie de base des grands groupes a été de se recentrer sur leur cœur de métier, tout en diversifiant leurs portefeuilles vins et spiritueux, pour éviter de concentrer les risques. » A ce jeu, Pernod-Ricard s’est montré l’un des plus performants. Des Scotch-Whiskies aux anisés en passant par les alcools blancs Gin, Tequila, Vodka, sans oublier des vins et les « prêts à boire », son portefeuille présente une grande richesse. En reprenant une partie des marques d’Allied-Domecq, Pernod-Ricard se rapproche de Diageo.
Et le client !
Et le client dans tout cela ! Pour décrypter son comportement d’achat, Sébastien Dathané est parti du très grand écart de prix existant entre les alcools locaux et les marques internationales. Le Havana club, le rhum emblématique du groupe Pernod-Ricard, est vendu cinq fois plus cher qu’un Rhum brésilien. A 4 € HT prix de vente consommateur, une Vodka russe coûte 10 fois moins que la Vodka Grey Goose qui s’affiche à New York à 33 $ la bouteille. Entre un brandy mexicain et un litre de Cognac il y a en moyenne 42 $ de différence (8 $ d’un côté et 60 $ de l’autre). Qu’est-ce qui justifie de telles divergences de tarifs ? Réponse de l’animateur du centre des eaux-de-vie : « Pour la marque locale, la matière première coûte souvent moins cher mais surtout, elle ne dépense pas d’argent en publicité, la distribution est locale et elle travaille à marge très faible. Son chiffre, elle le réalise sur les volumes. A contrario, la marque internationale connaît des prix de revient bien supérieurs. Non seulement le coût du liquide peut s’avérer, selon les produits, nettement plus élevé mais il faut y ajouter les frais de packaging, de publicité, de distribution à l’échelon mondial sans oublier la marge, qui peut atteindre dans certains cas 20 à 25 %. »
Malgré tout, les marques internationales attirent le client alors qu’en règle générale « il n’y connaît rien ». C’est en effet la thèse soutenue par S. Dathané, celle qu’il s’est forgée après moult dégustations à l’aveugle. « En dehors de l’amateur éclairé, dans 40 % des cas, un consommateur sans repère visuel est incapable de distinguer entre un Whisky, un Rhum et un Cognac. » La marque est donc consubstantielle du produit comme le produit l’est de la marque. « Cela marche dans les deux sens », relève le chargé de projet. Au-delà des critères objectifs et rationnels, chacun sait que la marque véhicule d’autres éléments plus immatériels, ces fameuses valeurs de l’inconscient et de l’imaginaire. Pour les Hispano-Américains par exemple, le Rhum Bacardi est bien plus qu’un simple alcool de canne. Il fait référence à Cuba – alors que la société a quitté l’île depuis 1953 – il évoque la salsa et les vacances au soleil. Surtout, avec son logo en forme de chauve-souris – le symbole du bonheur dans le monde hispanique – en achetant une bouteille de Bacardi le consommateur achète « un peu de bonheur en liquide. » C’est l’inconscient qui parle. Le Cognac fonctionne sur le même ressort outre-atlantique, sauf qu’il incarne virilité, luxe et réussite sociale. A tel point que de jeune américains n’hésitent pas à voler des bouteilles de Cognac dans les liquor stores. Impensable dans la vieille Europe. Pour l’image de marque, le prix constitue un élément essentiel. Baisser le prix, c’est presque toujours casser le mythe. Il n’y a pas de hasard si, sur les marchés porteurs, les prix sont toujours élevés. Attention toutefois à ne pas franchir la ligne jaune. C’est semble-t-il ce qui est arrivé au Cognac sur le marché japonais et ce qui, dit-on, guetterait la Vodka haut de gamme sur le marché américain. A 60 $ la bouteille, elle titille les entrées de gamme des Cognacs X.O. S’il existe un axiome de base, c’est bien celui-là : on peut vendre cher mais à condition de ne pas décevoir le client. Pour illustrer son propos, S. Dathané a relaté la mésaventure arrivée à Cardhu, un Single malt réputé du nord-est de l’Ecosse. Par définition, un Single malt est un Whisky à base d’orge maltée, issu d’une seule distillerie. En 2004, victime de son succès et manquant de marchandise, Cardhu a eu l’idée de compléter son approvisionnement par des produits provenant d’autres distilleries pour élaborer un Pure malt, tout en gardant la même présentation. Tollé général dans le Landernau écossais et parmi les amateurs. La confusion allait-elle s’installer entre les Single malts et les Pure malts ? Cardhu a fait profil bas et il est rentré dans le rang. Le consommateur est peut-être un béotien mais on ne le trompe pas. C’est toute la subtilité attachée à la gestion des valeurs de la marque.
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