Lutte contre le mildiou : Faut-il croire en l’avenir des substances SDN ?

19 mars 2009

Utiliser les défenses naturelles de la plante pour lutter contre les principales maladies de la vigne, cela fait un peu rêver ! Créer en quelque sorte les conditions pour vacciner les ceps de vignes et leur donner l’énergie et les moyens de se défendre seuls contre le mildiou, l’oïdium… cabane_3_bouteville_oc_opt.jpegCes nouvelles pistes de réflexions en matière de protection du vignoble vont-elles déboucher sur des résultats concrets ? Faut-il vraiment croire en l’avenir des nouvelles substances SDN comme moyens de lutte susceptibles de remplacer partiellement ou totalement les fongicides d’origine chimique ? Toutes ces questions sont à l’ordre du jour avec l’arrivée d’une nouvelle génération de substances d’origine naturelle qui sont expérimentées depuis quelques années. Les conditions des millésimes 2007 et 2008 représentent un contexte idéal pour évaluer leurs performances au champ. Néanmoins, les approches scientifiques pour optimiser le fonctionnement de ces nouveaux produits reposent sur des aspects de physiologie des plantes qu’il va falloir arriver à maîtriser et rendre accessibles au contexte de production des exploitations viticoles. Le challenge SDN en vigne connaît donc une nouvelle phase de recherche qui suscite un véritable intérêt.

 

La stimulation des défenses naturelles (SDN) de la vigne redevient depuis quelques années un sujet d’actualité car plusieurs acteurs de l’univers de la protection des cultures semblent développer une nouvelle génération de produits élaborés à partir de substances naturelles. Le fait de pouvoir contrôler une épidémie de mildiou en activant uniquement les défenses propres de la vigne est intellectuellement très séduisant. Maintenant, est-il possible que ces nouvelles approches de lutte soient en mesure de remplacer les moyens de lutte chimique actuels pour contrôler de puissantes épidémies de mildiou comme celles de 2007 ou de 2008 ? Pour l’instant, des travaux scientifiques importants sont engagés et on peut penser que d’ici un, deux ou trois ans… des résultats plus précis permettront de mieux connaître les avantages et les limites de ce nouveau concept de protection du vignoble.

Un intérêt grandissant des pouvoirs publics

En effet, il semble que l’utilisation des substances SDN ne peut pas être abordée de la même façon que les gammes de fongicides actuels. La nature de ces substances et surtout le fait que la plante utilise ses moyens propres pour lutter directement contre un pathogène représente une voie de lutte différente. Les pouvoirs publics manifestent un intérêt croissant vis-à-vis de l’utilisation des substances SDN en viticulture. Suite au Grenelle de l’environnement, des engagements de réduction des intrants phytosanitaires ont été actés à l’horizon de 2016 à 2018. Un certain nombre de responsables au niveau du ministère de l’Agriculture et du Service de la Protection des Végétaux considèrent que l’arrivée d’une nouvelle génération de substances SDN d’origine naturelle pourrait peut-être constituer une alternative à l’utilisation des traitements chimiques actuels. Ensuite, le contexte assez nébuleux de commercialisation des produits SDN en tant que solutions fertilisantes semble aussi un échappatoire utilisé actuellement par un certain nombre d’acteurs commerciaux. Certains font preuve de sérieux et justifient leur choix de commercialisation par un manque de moyens financiers pour aller jusqu’à un processus d’homologation. D’autres, plus opportunistes au niveau du contenu des produits, veulent profiter de l’aubaine commerciale. Une clarification des choses semble être la bienvenue pour que les viticulteurs soient justement informés sur les caractéristiques réelles de ces produits. Si leur efficacité est validée par des essais officiels, ou au contraire s’ils ne marchent pas, les viticulteurs doivent être en mesure de pouvoir accéder à l’information en pleine transparence.

De nombreuses spécialités SDN testées en vignes depuis 1980

Depuis le début des années 80, beaucoup d’entreprises ont essayé de développer des spécialités SDN pour lutter contre le mildiou et l’oïdium, mais très peu de ces projets ont débouché en raison de l’absence ou de l’insuffisance d’efficacité des produits et d’un manque de moyens financiers des entreprises pour pousser plus loin les réflexions techniques. Les grands industriels de l’agrochimie ne semblent pas avoir réellement investi dans des démarches de recherches spécifiques sur les produits SDN et seule la société Rhône Poulenc a développé une molécule de synthèse ayant un effet SDN à la fin des années 70. Il s’agit bien sûr du fosétyl aluminium associé à des matières actives de contact qui est aujourd’hui fabriqué et commercialisé par le groupe Bayer CropScience. Dans l’univers de la grande rang_vigne_opt.jpegculture, la société Goëmar a développé et fait homologuer au milieu des années 90 un fongicide sur céréales, le Iodus (à base de crèmes d’algues), dont la commercialisation n’a pas connu le succès escompté. Dans l’univers des fournisseurs de produits de protection des cultures, des entreprises de tailles plus modestes s’intéressent plus fortement aux substances SDN depuis une dizaine d’années. Une partie de ces acteurs travaille sur de nouvelles substances d’origine naturelle et d’autres développent des composés de synthèse « cousins germains » du fosétyl. Le manque de moyens financiers de ces plus petits opérateurs leur rend inaccessible l’engagement dans des démarches d’homologation qui sont incontournables pour pouvoir revendiquer une utilisation sur les maladies de la vigne et ensuite commercialiser les produits en tant que fongicides. Il semble aussi que dans cet univers de fournisseurs, certains acteurs à la déontologie contestable et surtout attirés par un business juteux essaient de tirer profit de ce contexte nébuleux. En effet, les petites sociétés qui ont développé ces produits les commercialisent souvent en tant que solution foliaire fertilisante, car l’accès à la commercialisation de cette famille de produits est beaucoup plus facile. Il suffit que la formule de fabrication réponde à une norme (de concentration en divers composés) sans qu’il soit nécessaire de s’engager dans un long et coûteux processus d’homologation. L’étiquetage de ces produits mentionne leur activité en tant que produits fertilisants et tous les aspects concernant d’éventuelle activité fongicide ne peuvent être mentionnés. Le contexte de commercialisation des produits SDN est donc raccroché à celui des fertilisants, ce qui nuit considérablement à la juste information des utilisateurs et à la crédibilité réelle ou injustifiée des diverses substances. Ce contexte n’est guère propice à la transparence de l’information et les services du ministère de l’Agriculture semblent avoir la volonté de mettre en place un environnement réglementaire à la fois plus efficient et accessible à des acteurs de l’agrochimie de dimensions plus modestes. Les dérives actuelles inquiètent l’Administration qui réfléchit à la mise en place d’une procédure d’évaluation des produits SDN qui tienne compte de la spécificité de ces produits, et notamment pour tous ceux qui sont d’origine naturelle. Il s’agirait en quelque sorte d’une démarche d’homologation dite simplifiée pour les substances SDN d’origine naturelle qui représentent beaucoup moins de danger au niveau toxicologique. Les services du SRPV ont lancé cette année une expérimentation nationale (dans les principales régions viticoles françaises) sur plusieurs nouvelles substances SDN pour à la fois mieux connaître le comportement au champ de cette nouvelle famille de produits (sur le plan de l’efficacité) et alimenter la réflexion sur un protocole d’évaluation simplifié.

Les substances SDN simulent une attaque de pathogène

Le principe de la stimulation des défenses naturelles est assez facile à expliquer mais par contre sa mise en œuvre au niveau des végétaux semble très complexe. Les plantes lorsqu’elles sont agressées par un parasite déclenchent une série d’actions de défense pour essayer d’endiguer l’agression des pathogènes. Dès qu’une attaque est détectée, des signaux d’alerte sont émis (les phénomènes d’élicitation) et diffusés au niveau des cellules et la plante mobilise alors toute son activité pour activer des réactions de défense spécifiques à l’agression. La pulvérisation de substances SDN sur les plantes non touchées par le parasitisme provoque l’enclenchement de mécanismes de réactions de défense avant que l’agression réelle par le parasite ait lieu. Ces substances reconnues par la plante provoquent en quelque sorte le démarrage d’un processus de lutte par anticipation. Ensuite, lorsque la plante est effectivement contaminée par le parasite, elle est déjà dans une dynamique de défense active, ce qui lui permet d’être plus efficace vis-à-vis de l’agression. Les mécanismes de défense sont très complexes car ils font intervenir de multiples voies de signalisation et d’activation. Les principales voies de défense concernent le renforcement des parois cellulaires, la production d’enzymes susceptibles de dégrader le pathogène et l’émission de composés toxiques pour les champignons. La nature des produits SDN interfère aussi sur les mécanismes de réactions des plantes. Certains produits agissent comme des potentialisateurs, c’est-à-dire qu’ils ne provoquent pas une activation immédiate des réactions de défense mais en accélèrent fortement le déclenchement au moment où le pathogène attaque la plante. M. Nicolas Aveline, l’ingénieur de l’Entav-ITV qui a en charge le dossier sur l’utilisation des substances SDN en viticulture, considère que jusqu’à présent les produits SDN testés par les équipes de l’ITV donnent des résultats souvent intéressants en laboratoire ou en serre mais restent décevants au champ. « Au sein de l’ITV, mes collègues ont testé depuis le début des années 80 beaucoup de produits SDN en comparaison des fongicides classiques. Les résultats au laboratoire et en serre sont souvent très encourageants mais dès que l’on les applique au vignoble, cela s’effondre. Au mieux, on a des efficacités secondaires. Pourquoi un tel écart d’efficacité ? Que se passe-t-il au champ ? Les scientifiques qui travaillent sur ces sujets expliquent que dans la nature de nombreux facteurs d’origines diverses viennent interférer, se cumuler. L’arrivée d’une nouvelle génération de substances depuis quelques années est peut-être en mesure de faire évoluer les efficacités sur les principaux parasites de la vigne. Les SDN représentent une des pistes à travailler dans l’optique de la réduction des intrants. »

Des produits qui fonctionnent avec la physiologie de la plante

Les substances sont donc de par leur nature et leur mode d’action de la plante des produits très différents des fongicides chimiques actuels. Des fongicides à base de soufre mouillable, de mancozèbe, de folpel, d’IBS, d’anilide… se comportent comme des produits de surface dont leur réussite repose avant tout sur deux éléments indissociables, la capacité de la matière active à agir directement sur le champignon et le niveau de couverture de toute la surface foliaire et des raisins. La réussite d’un traitement chimique est liée en grande partie à la capacité de l’applicateur à réaliser une protection de surface de grande qualité et tout le raisonnement des stratégies de lutte repose actuellement sur les caractéristiques de couverture des différents produits. En résumé, plus on met de produits sur les feuilles et les raisins, plus on installe des moyens de lutte directs contre les champignons. Avec les substances SDN, la démarche est tout rot_brun_2_opt.jpegautre puisque le produit n’a aucune efficacité directe sur le champignon. Son mode d’action simule une attaque d’un pathogène et provoque chez la vigne l’enclenchement de réactions de défenses spécifiques à l’agresseur. La pulvérisation de la substance SDN ne joue aucun rôle vis-à-vis de maladies comme le mildiou et l’oïdium. La réaction de lutte est uniquement créée par la plante et on peut penser que les aspects de physiologie et de comportement agronomique durant tout le cycle végétatif sont en mesure d’interférer sur tous ces mécanismes. L’influence des conditions climatiques sur le développement de la vigne est forte et le facteur climat est un élément incontrôlable qui crée certaines années beaucoup de soucis aux viticulteurs. Par exemple, un mois de juin sec et chaud stimule l’activité physiologique, la photosynthèse et la croissance végétative de la plante « marchent bien ». Par contre, des conditions pluvieuses et froides ont l’effet inverse sur la physiologie de la vigne. La croissance est lente et la plante souffre de ces mauvaises conditions et on voit des grappes filer, des symptômes de chlorose apparaître, la pollinisation est perturbée… Les variations naturelles de vigueurs entre les parcelles devront-elles être prises en compte ? Les conditions d’hygrométrie et de températures au moment des traitements ne seront-elles pas en mesure d’influencer l’assimilation des doses de déclencheur d’effets SDN ? Les conditions d’utilisation des produits SDN ont donc besoin d’être étudiées et travaillées sur le plan scientifique pour proposer aux viticulteurs des méthodes d’application rationnelles et adaptées au fonctionnement des propriétés viticoles. Il est probable que les principes des stratégies de lutte avec cette famille de substances reposeront sur des approches différentes. Les aspects de croissance végétative seront peut-être à observer plus finement pour optimiser l’efficacité du mode d’action « stimulations des défenses naturelles ». L’autre question que l’on peut se poser est de savoir si ces substances SDN ne pourraient pas être associées à des doses réduites de fongicides chimiques pour en quelque sorte tirer profit de deux stratégies différentes et peut-être complémentaires.

Le fosétyl aluminium, premier SDN de synthèse dont l’effet SDN n’est mis en avant que depuis quelques années

La première matière active ayant une efficacité fongicide en viticulture a été le fosétyl aluminium. A la fin des années 70, la société Rhône Poulenc a lancé (en 1978) plusieurs fongicides à base de fosétyl aluminium en mettant en avant l’effet de systémie, la longue rémanence, mais à l’époque on ne parlait pas d’effet SDN. Les équipes de chercheurs qui ont travaillé sur ce dossier ont dû tout de suite voir que cette matière active « fonctionnait » de manière très différente. D’abord, l’un des premiers constats était d’observer que sur le mildiou de la vigne, l’utilisation du fosétyl aluminium seul ne permettait pas d’obtenir des niveaux d’efficacité suffisants sur la maladie alors qu’associée avec du folpel au départ (au mancozèbe, du métirame de zinc), les rémanences pouvaient atteindre 12 à 14 jours. Ensuite, les essais ont révélé que si des rognages intervenaient dans les 4 ou 5 jours suivant le traitement, la rémanence du traitement s’en trouvait pénalisée. Depuis le départ, le positionnement des spécialités à base de fosétyl au sein de la grande famille des produits dits systémiques (devenus pour la plupart des pénétrants aujourd’hui) a été différent. L’application des traitements en préventif par rapport aux épidémies a toujours été un message fort et parfois difficile à faire passer. Les anilides qui étaient arrivés sur le marché à peu près en même temps ont connu un succès éphémère puisqu’ils ont été confrontés à des phénomènes de résistances. Le fosétyl, trente ans plus tard, semble l’une des rares matières actives à longue rémanence toujours pas affectée par la résistance. Le mode d’action spécifique longtemps méconnu a en quelque sorte assuré la longévité technique de son utilisation dans l’ensemble des vignobles français et européens concernés par le mildiou. Le rachat des activités d’agrochimie de Rhône Poulenc par la société Bayer CropScience a été un déclic au niveau des communications techniques sur les produits à base de fosétyl de la gamme. L’effet SDN a commencé à être présenté plus largement aux ingénieurs et techniciens des services officiels et un discours de fond s’est instauré. Des travaux de recherches ont été relancés pour mieux comprendre comment cette matière active fonctionnait dans la plante. Le fosétyl aluminium stimule les défenses naturelles de la plante qui préparent en quelque sorte les cellules à initier des mécanismes de défense. Un phénomène d’activation des défenses se produit avant l’agression du champignon et lorsque le mildiou attaque réellement la vigne, la plante émet des éliciteurs en plus grande quantité. Ce phénomène provoque à son tour une production accrue de molécules qui agissent sur des voies différentes pour générer diverses substances de défense. L’association avec une matière active de contact à dose réduite confère aux spécialités commerciales une rémanence dite longue de 12 à 14 jours qui se réduit à 10-12 jours en année de forte pression.

Les acides Phosphoreux ou les phosphanates, la deuxième génération de SDN qui est source de polémiques

La seconde génération de spécialités ayant un mode d’action de type SDN concerne des produits à base d’acide phosphoreux qui sont des « cousins germains » du fosétyl Aluminium. Au milieu des années 90, plusieurs entreprises ont essayé de commercialiser des spécialités d’acide phosphoreux en tant que fertilisants foliaires dont l’action principale est un effet SDN pour lutter contre le mildiou (dans la mesure où elles sont associées à des fongicides de contact comme le folpel ou le métirame de zinc). Les entreprises qui ont choisi de développer ces solutions fertilisantes à base d’acide phosphoreux sont souvent rentrées en conflit avec les firmes d’agrochimie produisant des spécialités à base de fosétyl aluminium. Un climat de fortes polémiques commerciales et juridiques s’est instauré entre ces deux familles de produits et leurs sociétés d’origines.

Les acteurs commercialisant du fosétyl Al considéraient que le business des acides phosphoreux en tant que solutions fertilisantes était un acte de concurrence déloyale. Les seconds acteurs dont les structures économiques sont plus modestes ont estimé pour leur part que le fait de devoir s’engager vers un processus d’homologation complet était trop lourd financièrement, d’où leur engagement dans la commercialisation de leurs spécialités en tant que solutions fertilisantes. D’un point de vue technique, un certain nombre d’expérimentations sur les spécialités à base d’acide phosphoreux ont eu lieu dans diverses régions viticoles françaises (en général à la demande des entreprises commercialisant ces produits). M. Jean-Louis Soyez, de la société Proval-Agrochimie, est l’un des ardents défenseurs des produits à base d’ions phosphoreux et dès 1995 il a mis en expérimentation son produit, le Proval PK2, auprès de divers organismes officiels en France en conseillant toujours son utilisation en association avec des fongicides de contact. Apparemment, le SRPV de Cognac a testé le PK2 au début des années 2000. La FD CETA de Charente-Maritime a aussi testé plusieurs spécialités d’acide phosphoreux. M. Christophe Terrier, l’ingénieur de la FD CETA, considère que les différentes spécialités d’acides phosphoreux ont donné des résultats intéressants sur mildiou en association avec des matières actives de contact alors que seuls ils décrochaient. Dans ces essais, les associations avec du folpel donnent les meilleurs résultats mais restent très légèrement inférieures aux efficacités obtenues avec la spécialité de référence, le Mikal. Dans le Midi de la France, M. Bernard Molot, de l’ITV de Nîmes, a aussi testé l’utilisation de spécialités à base d’acide phosphoreux associées à des fongicides de contact (résultats publiés pages 26 à 29). Les conclusions des essais de l’ITV de Nîmes confirment aussi que les préparations à base d’acide phosphoreux ou de phosphanates révèlent un niveau d’efficacité proche ou identique à celui d’un fongicide classique systémique. B. Molot estime que sur les plans technique et environnemental, les spécialités à base d’acide phosphoreux associées à un fongicide de contact n’apportent rien de plus et qu’elles ne constituent pas une approche nouvelle de la protection du vignoble. Un certain nombre de petits distributeurs ont choisi depuis longtemps de promouvoir ces spécialités à base d’acide phosphoreux dont la part de marché est restée marginale jusqu’au début des années 2000. Depuis quelques années, la demande d’acide phosphoreux semble avoir nettement augmenté dans des vignobles comme le Bordelais, les Charentes et la Vallée de la Loire. Les viticulteurs y voient plusieurs intérêts, traiter à un coût moindre sans prendre de risque (écart de prix de 30 % par rapport à des spécialités à base de fosétyl Al) et aller plus loin dans la modulation des doses respectives de fongicides de contact et d’acide phosphoreux (selon l’état physiologique de la plante et la période du cycle végétatif). Le témoignage du viticulteur en pages 30-31 illustre parfaitement la réflexion technique liée à l’utilisation de l’acide phosphoreux. L’augmentation nette des ventes de ces produits en tant que solutions fertilisantes intéresse de plus en plus de petites sociétés d’agrochimie qui souhaitent profiter de cette opportunité. Or, si certaines petites firmes sont sérieuses et font preuve de fiabilité et de constance dans leurs fabrications, les nouveaux venus auront-ils la même déontologie ? Comme l’univers réglementaire et de commercialisation des solutions fertilisantes est fort peu contraignant, les garanties de qualité de fabrication de ces produits se résument à la bonne foi des fournisseurs. Il n’y a pas de procédure officielle qui valide l’efficacité, la toxicologie pour l’environnement… d’où des inquiétudes sur le business des acides phosphoreux. Les acteurs sérieux souhaiteraient pouvoir faire valider leurs spécialités par un cadre réglementaire plus simple et plus abordable sur le plan économique.

La génération de SDN d’origine naturelle suscite interrogations et espoirs

Il semble qu’une nouvelle génération de substances SDN d’origine naturelle fasse leur apparition depuis quelques années. Ces produits sont en général développés par des acteurs nouveaux dans la protection des cultures qui travaillent en vignes mais aussi sur toutes les cultures dites spécialisées, l’arboriculture et le maraîchage. L’arrivée de ces nouvelles substances suscite un intérêt pour deux raisons principales. Ce sont des produits d’origine naturel à base de crèmes d’algues ou d’extraits de protéines végétales qui sur le plan de la toxicité seront beaucoup plus doux que les dérivés de la chimie. Ensuite, ces projets sont portés par des entreprises nouvelles qui souhaitent investir durablement dans la protection des cultures.

Pour les viticulteurs et les agriculteurs, le fait que de nouveaux acteurs investissent durablement dans un créneau de marché qui s’est considérablement concentré depuis 15 ans est vraiment une bonne chose. Ce nouveau contexte sera-t-il en mesure de créer une saine émulation propice à l’innovation, à la recherche de nouveaux produits et de nouveaux concepts de protection ? On ne peut que le souhaiter car aujourd’hui, les viticulteurs sont demandeurs de nouveaux outils pour traiter plus juste et plus respectueusement. Les structures économiques plus modestes de ces nouveaux acteurs leur permettent d’avoir une approche assez pragmatiques des choses et une certaine réactivité. La grappe_u_b_cantagrel_opt.jpegniche commerciale intéresse mais par contre l’investissement financier pour le développement de ces produits de protection dits « alternatifs » semble lourd. A la demande de ces nouveaux venus dans l’univers des phytos, une réflexion est en cours pour adapter le processus d’homologation des produits phytosanitaires existants. Les arguments qui sont à l’origine de cette initiative reposent sur deux éléments majeurs. De par leur nature et leurs procédés de fabrication, ces substances SDN d’origine naturelle présentent beaucoup moins de risques sur le plan toxicologique et environnemental et tout le volet d’étude sur ce sujet qui est si lourd et si coûteux dans le processus d’homologation ne semble plus justifié. Ensuite, la nature de ces produits, leur mode d’action nécessitent d’autres réflexions pour pouvoir apparemment en tirer le meilleur profit. Ce sont effectivement des substances de protections des cultures différentes des spécialités phytosanitaires issues de la chimie. Aussi ne faut-il pas créer une catégorie de produits de protection des cultures nouvelles adaptées aux spécificités des produits SDN fondée sur des méthodes d’évaluations et un processus d’homologation spécifique ? Cette question, qui est actuellement en débat, suscite beaucoup de réactions car les enjeux économiques sont importants ? Les grandes firmes phytosanitaires restent pour l’instant discrètes sur le sujet mais on peut penser qu’elles ne soutiennent pas réellement un projet qui risque d’accentuer le climat de concurrence sur un marché actuellement connu et bien travaillé. Néanmoins, leurs capacités de recherche et de développement (propre ou par croissance externe) sont importantes et si le créneau de marché des SDN d’origine naturelle venait à se développer, on peut penser qu’elles ne resteront pas inactives. Les nouveaux venus dans l’univers des phytos espèrent beaucoup que le contexte réglementaire va évoluer pour en quelque sorte clarifier les choses et valider leurs démarches avant-gardistes. Par ailleurs, du côté des utilisateurs, les viticulteurs, il serait souhaitable que le contexte de commercialisation de ces produits soit clarifié (si leur efficacité au champ est validée) car sinon ces produits vont encore être commercialisés dans l’univers vaste et nébuleux des produits fertilisants qui va à l’encontre du développement technique et l’information transparente. Les responsables du ministère de l’Agriculture de l’AFSA travaillent sur le sujet et le dossier suscite des attentes et des interrogations. La première d’entre elles est capitale : « Les nouvelles substances SDN sont-elles suffisamment efficaces pour combattre une épidémie de mildiou comme celle de 2008 ? »

Le sujet est trop sérieux pour qu’il soit traité en urgence en privilégiant des exigences environnementales ou des pressions commerciales. Beaucoup de techniciens et de viticulteurs ont encore présent à l’esprit les différentes décisions administratives sur le dossier arsénite de soude et l’homologation temporaire d’un produit contre les maladies du bois. Le mildiou, c’est très sérieux, c’est l’un des parasites les plus dangereux vis-à-vis du potentiel de récolte. Souhaitons que les services techniques du ministère de l’Agriculture et de la Protection des Végétaux se donnent les moyens d’explorer l’intérêt et les limites de cette nouvelle génération de produits SDN ? La validation d’un tel sujet va nécessiter une expertise scientifique si importante qu’on peut se demander si les récentes restructurations au sein des équipes du SRPV, de l’INRA, de l’IFV… le permettront. De nombreux essais sont implantés depuis quelques années par les firmes privées et les choses avancent à leur vitesse. 2007 et 2008, deux très belles années à mildiou, c’est vraiment une opportunité pour tester de nouveaux produits ! Les premières conclusions des années antérieures privilégient en général des utilisations associées à des fongicides de contact (à doses réduites de 40 à 50 %) et pour la première fois en 2008, des essais officiels d’envergure sont conduits par le SRPV (en France et sur les sites de Bordeaux et Cognac), l’IFV et certaines équipes de techniciens des Chambres d’agriculture.

La Laminarine de la société Goëmar

La société Goëmar, forte de son expérience dans les grandes cultures avec le Iodus, a développé un projet de crème d’algues spécifique à la lutte anti-mildiou. L’entreprise a beaucoup investi depuis 25 ans dans une réflexion de protection des cultures différente reposant sur des produits d’origine naturelle à base de crème d’algues. Ce matériau est en quelque sorte la spécialité maison et l’homologation en tant que produit phytopharmaceutique d’une préparation à base berthoud_sorties_de_bu_opt.jpegde laminarine sur céréales (la matière active du Iodus) montre l’investissement de l’entreprise dans ce créneau de produits. Plutôt que de choisir un mode de commercialisation peu onéreux comme les solutions fertilisantes foliaires, Goëmar a préféré investir dans la lourde et coûteuse démarche d’homologation. Le produit est aujourd’hui présent sur le marché et comme tout SDN, son application nécessite de la technicité. Intervenir au bon stade dans la parcelle est un gage d’efficacité majeur. Résultats le produit est catalogué de pas assez souple par certains céréaliers et distributeurs, et à l’inverse de solution innovante et en phase avec les attentes environnementales par d’autres. Depuis un an, la société a relancé des essais avec une nouvelle préparation de laminarine intégrée dans un programme de lutte chimiques avec plusieurs alternatives. La finalité est d’associer la laminarine à un fongicide de contact, du folpel, du mancozèbe ou du cuivre car seule cette matière active ne possède pas une efficacité suffisante. Les stratégies reposent en début de saison sur plusieurs traitements avec des doses réduites de folpel ou de mancozèbe (de 25 à 50 %) et en fin de saison par le remplacement ou l’alternance avec des applications de cuivre. La société a mis en place des expérimentations en Bourgogne, à Bordeaux, dans la Vallée de la Loire et dans le Sud-Ouest. Pour l’instant, la démarche d’étude de la laminarine en vigne est dans une phase de redémarrage et on peut penser qu’elle n’aboutira pas avant plusieurs années.

Le sémafort de la société Tribo technologies

La société Tribo Technologies fait partie de ces nouveaux acteurs qui s’intéressent à la protection des cultures en misant sur des approches novatrices. A l’origine, l’entreprise a été créée en 2003 par un petit groupe de scientifiques et des professionnels qui ont en commun la volonté de développer sur les cultures spécialisées, le maraîchage, l’arboriculture et la viticulture, des approches de protections respectueuses de l’environnement, efficaces et en phase avec les attentes techniques et commerciales. Dans le vivier de spécialités qui sont à l’étude, l’entreprise a développé un produit vigne pour lutter contre le mildiou : le Sémafort. Il s’agit d’un éliciteur constitué de stimulateurs de défense naturelle à base d’extraits d’algues et de protéines d’origine végétale. Testé au CNRS de Strasbourg pendant plusieurs années en conditions de laboratoire, le produit est depuis deux ans mis en conditions de plein champ. Des essais ont eu lieu dans plusieurs régions viticoles dont le Bordelais et les Charentes.

Les principaux organismes techniques de la région, le SRPV, l’ITV, les Chambres d’agriculture et la FD CETA ont cette année dans leurs essais des stratégies incluant des cycles de traitements avec du Sémafort. De nombreuses communications scientifiques à caractère fondamental ont eu lieu au cours de l’année 2007 et maintenant les réflexions au niveau du terrain vont devoir confirmer les résultats en laboratoire. Pour l’instant, les responsables de l’entreprise ne cachent pas que le travail en cours a pour finalité d’adapter la stratégie de lutte. Plusieurs stratégies semblent avoir été testées dont une série de 3 à 4 applications à 4 l/ha en début de saison (à partir du stade 3 feuilles étalées) et trois à quatre traitements de début de saison à 2 l/ha associé à des demi-doses de fongicides conventionnels.

Une centaine de propriétés réparties en Gironde, en Charentes et dans le Sud-Ouest testent sur de petites parcelles des programmes de traitements à base de Sémafort cette année. La société Tribo Technologies a confié le développement technique du Sémafort au groupe de distribution Vitivista pour tous les vignobles de la moitié sud de la France (des Charentes à Perpignan). Les résultats des essais des années 2007 et 2008 vont sûrement permettre de progresser rapidement vis-à-vis de l’efficacité au champ et des conditions d’utilisation du Sémafort.

L’Elistim de la société Ithec

La société Ithec est un nouvel acteur de la protection des cultures qui a fondé son développement en misant sur le développement de solutions naturelles pour la protection des cultures. La petite société a développé au départ une gamme de fertilisants et des produits destinés à faciliter le développement racinaire. C’est en recherchant des partenariats scientifiques que des contacts ont été noués avec le groupe Lallemand. Les relations entre ces deux sociétés ont rapidement évolué puisque le groupe Lallemand, de par sa dimension d’entreprise mondiale dans l’univers des levures (levures œnologiques, de boulangeries et ingrédients de boulangerie) et de spécialités innovantes reposant sur extraits de levures et bactéries (destinés à des usages industriels de pointe). Pour valoriser le développement de certains acquis scientifiques, la firme souhaiterait investir dans un département protection des cultures et la rencontre avec la petite société Ithec a permis de finaliser ce projet.

La petite société a intégré le groupe Lallemand il y a trois ans et depuis les choses se sont considérablement accélérées. La puissance du groupe a donné les moyens à l’équipe de J.-Marc Sanchez de porter des projets beaucoup plus ambitieux. Le développement du produit Elistim s’inscrit dans cette approche de nouvelles spécialités de protection des cultures fondée sur des préparations à base de substances naturelles ayant un effet SDN. L’Elistim est un produit sans phosphite constitué de fraction de levures purifiées qui lui confèrent un effet éliciteur. Cela enclenche au niveau des ceps des mécanismes de défense naturelle par la biosynthèse de protéine de défense ayant une efficacité vis-à-vis du mildiou. La société préconise d’utiliser l’Elistim au cours du cycle végétatif en stratégie préventive par rapport au mildiou et en association avec le programme de fongicide habituel appliqué à demi-dose. Le développement technique du produit a été confié à la société Jouffray Drillaud et de nombreux essais sont mis en place dans les principales régions viticoles françaises.

Bibliographie :

M. Patrice Rétaud, du SRPV de Cognac.
M. Philippe Reulet, du SRPV Aquitaine.
M. Nicolas Aveline, du IFV Aquitaine.
M. Christophe Terrier, de la FD CETA de Charente-Maritime.
M. Thierry Audier, de la société VitivistaM. Jean-Louis Soyes, de la société Proval Agrochimie.
M. Jean-Marc Sanches, de la société Ithec.
M. Jean-Marie Joubert, de la société Goëmar.
Divers distributeurs de Charente, Charente-Maritime et Gironde.

A lire aussi

Collectif 30 000 Martell – Objectif 0 herbi

Collectif 30 000 Martell – Objectif 0 herbi

Le projet du groupe est le maintien de la réduction significative des intrants phytosanitaires, fongicides et insecticides, d’au moins 50% par rapport à la référence et l’arrêt total du désherbage chimique, tout en maintenant la productivité. Cette viticulture...

Optimiser la qualité de pulvérisation de son appareil

Optimiser la qualité de pulvérisation de son appareil

Guillaume Chaubenit adhére au Collectif 30 000 Martell. Il a choisi de tester le programme LUMA, un programme phytosanitaire sans DSR, avec des produits 5m pour les ZNT. Changement de pratiques, année à pression forte pour le mildiou, ce jeune viticulteur, confiant...

error: Ce contenu est protégé