Les productions d’eaux-de-vie nouvelles de l’année 2001 semblent avoir fortement été marquées par la qualité des vins et leurs conditions de production. Le mois de septembre, à la fois bien ensoleillé et froid pour la saison, a eu des conséquences sur le déroulement de maturation des raisins. Au moment de la récolte, l’état sanitaire des raisins était bon mais le niveau de maturité en terme de TAV potentiel a été fortement influencé par la date de récolte. Les techniciens de la société Hennessy ont remarqué que les productions d’eaux-de-vie issues à la fois de zones gelées et de vins d’un titre alcoométrique élevé présentaient des caractéristiques aromatiques particulières. L’état de maturité des raisins au moment de leur récolte semble avoir joué un rôle déterminant sur le plan qualitatif, et cela relance un débat technique intéressant sur l’appréciation de la maturité idéale des raisins destinés à la production de vins de distillation.
L’année 2001 a été marquée par un déroulement de la maturation assez particulier, qui semble avoir eu une incidence qualitative sur la typicité aromatique de certains lots d’eaux-de-vie et également sur les productions viticoles de la façade atlantique. Dans le Bordelais, les Cabernet Sauvignon ont eu beaucoup plus de mal à mûrir que les Merlot, et à l’issue des cuvaisons certains lots de vins extériorisaient des notes végétales caractéristiques des vendanges récoltées à un niveau de maturité incomplet. En Charentes, les productions d’eaux-de-vie nouvelles issues des zones qui avaient subi des dégâts de gel au printemps dernier semblent avoir extériorisé une typicité aromatique liée à une maturité imparfaite des raisins. Jean Pineau, le directeur de recherche et le responsable environnement de la maison Hennessy, estime que le phénomène s’est extériorisé cette année car les vins étaient par ailleurs parfaits sur le plan analytique. Il n’y avait aucun autre défaut qui pouvait en quelque sorte jouer un effet masquant. La qualité globale des eaux-de-vie nouvelles de la récolte 2001 est correcte mais peut-être un peu décevante compte tenu de l’apparente bonne qualité de la vendange qui a été rentrée dans les chais.
Une production d’eaux-de-vie en 2001 pleinement marquée par la qualité des vins
Les productions de l’année sont assez hétérogènes et fortement marquées par la qualité du vin et les conditions de production. Les meilleurs lots qui présentaient un bon équilibre, des parfums riches, une élégance et une bonne rondeur en bouche, ont généralement été élaborés à partir de vins d’un TAV plutôt moyen et vinifiés dans de bonnes conditions technologiques (décantation des moûts, mise à bonne température pour la fermentation, prise rapide de fermentation et régularité du processus fermentaire). D’autres lots moins complexes extériorisaient des caractéristiques aromatiques plus hétérogènes avec parfois des notes d’amertume et de dureté allant même jusqu’à l’apparition de quelques notes de champignon en rétro-olfaction. Ces caractéristiques se sont développées de manière plus systématique sur les vins issus des zones gelées et ayant un titre alcoométrique élevé (supérieur à 10 % vol.), et aucune modification de la conduite de la distillation n’a permis de les atténuer. Les eaux-de-vie élaborées dans ces mêmes zones gelées à partir de vins d’un titre alcoométrique compris entre 8,5 et 9,5 % vol. n’extériorisaient pas ces caractéristiques aromatiques. Ces observations laissent à penser que l’appréciation du niveau de maturité des raisins adapté à la production de vins de distillation constitue un sujet technique important.
La phase de maturation physiologique des raisins intervient en août et en septembre
La climatologie entre la mi-août et la fin du mois de septembre joue un rôle déterminant sur l’évolution de la maturation des raisins. L’année dernière, le mois de septembre a été marqué par une longue période sèche et froide pour la saison. Les niveaux de températures nocturnes et des journées étaient nettement inférieurs aux valeurs moyennes et cela a eu une incidence sur les mécanismes physiologiques des plantes. L’activité photosynthétique de la surface foliaire n’a pas « fonctionné » à plein, ce qui a pénalisé le déroulement de la maturation. Dans de nombreuses parcelles, l’augmentation du titre alcoométrique potentiel a été assez lente durant tout le mois de septembre alors que la véraison était intervenue de manière assez précoce. Les températures froides pour la saison n’ont pas permis à la vigne de bénéficier pleinement des durées d’ensoleillement plutôt importantes. Par la suite, une période plus chaude et ensoleillée s’est installée durant tout le mois d’octobre et cela a laissé croire que la maturation se poursuivait dans de bonnes conditions. Or, la brutale remontée des températures a plutôt favorisé une maturation par phénomène de concentration que par véritable fonctionnement physiologique de la plante. Dans les zones gelées, le cycle végétatif avait un certain retard (lié à un second débourrement plus tardif) et la période de froid du mois de septembre semble avoir été encore plus pénalisante. Ces raisins ont commencé leur véraison avec 8 à 10 jours de retard et leur évolution en septembre a été aussi assez lente. Les chaleurs de début octobre ont fait progresser de manière assez spectaculaire le TAV potentiel de ces raisins compte tenu de la faible charge de grappes sur les ceps, mais cette maturation au « finish » reposait principalement sur un phénomène de concentration.
Les substances attestant d’un état de maturité incomplet sont apparemment plus présentes dans les vins ayant un TAV élevé
J. Pineau rappelle que lorsque la maturation se réalise par des phénomènes de concentration, le processus naturel de transformation des constituants présents dans les baies ne s’effectue pas dans les meilleures conditions vis-à-vis des exigences qualitatives de la production d’eaux-de-vie fines et aromatiques. Cette réflexion s’appuie sur des observations concrètes réalisées cet hiver au cours des approches de sélection des vins avant la distillation. Cette année, l’état de maturité des raisins au moment de la récolte (soit précoce tout début octobre ou plus tardivement dans la deuxième partie de ce mois) semble avoir eu une incidence sur les caractéristiques aromatiques des eaux-de-vie. Toutes ces observations n’ont pas un caractère scientifique mais elles expriment un « effet année « qui a été amplifié dans les zones gelées (sûrement en raison du retard végétatif). Les propos de J. Pineau sur ce sujet sont d’ailleurs intéressants par leurs caractères cohérents et pragmatiques : « Durant une phase de maturation par phénomènes de concentration, ce n’est pas l’augmentation des niveaux d’acidité et du TAV qui sont gênantes. Par contre, la présence d’autres substances pas mûres au 1er octobre, qui se concentrent aussi au fil des jours, interfère sur la typicité traditionnelle des eaux-de-vie nouvelles.
Avec le recul, on peut penser que l’extraction de ces substances attestant d’un état de maturité incomplet semble s’être accrue proportionnellement à l’augmentation de la teneur en alcool des vins. Les nombreuses dégustations que nous avons réalisées dans les distilleries à la fois sur les vins avant distillation et les eaux-de-vie obtenues ultérieurement ont été très enrichissantes. Dans les zones gelées, la dégustation des vins d’un TAV supérieur à 10 % vol. (ne présentant aucun défaut sur le plan analytique) nous permettait déjà de percevoir des arrière-bouche un peu acres et dures, et après la distillation les EDV étaient également dures et parfois amères en arrière-bouche. »
Début octobre, l’état de maturité des raisins « exprime » les caractéristiques de l’année et du terroir
Ces réflexions posent le problème de l’état de maturité idéal d’une vendange destinée à la production de vins de distillation. Les données empiriques au niveau régional ont toujours mis en avant l’intérêt de distiller des vins présentant des niveaux d’acidité élevés et une richesse alcoolique plutôt moyenne car leur conservation est naturellement beaucoup plus facile. A l’inverse, les vins de trop faible degré contribuent aussi à favoriser l’apparition de notes aromatiques de type herbacées dans les eaux-de-vie. J. Pineau considère que l’idéal serait de pouvoir organiser la récolte lorsque la vendange atteint un titre alcoométrique potentiel compris entre 8,5 et 9,5 % vol. Cela constitue un gage de qualité vis-à-vis de la maturité proprement dite, de l’état sanitaire et de la facilité à contrôler par la suite le déroulement des processus fermentaires. La climatologie du mois de septembre et, tout particulièrement, les niveaux de températures et les durées d’ensoleillement contribuent de manière essentielle à la maturation des raisins et une très belle période en octobre n’est pas en mesure de pallier les insuffisances climatiques du mois précédent. Il n’est pas illusoire de penser que chaque année, dès les premiers jours d’octobre, les raisins d’Ugni blanc atteignent un état de maturité équilibré qui évolue peu par la suite ou alors en bénéficiant de phénomène de concentration. L’état de maturité de la récolte dans les premiers jours d’octobre traduit en quelque sorte les potentialités du millésime et du terroir. Le fait de retarder la date de vendange après le 15 octobre constitue une prise de risque supplémentaire vis-à-vis de la préservation de l’état sanitaire et de la qualité des vins de distillation. Néanmoins, on peut aussi comprendre que les exploitations ayant eu des surfaces gelées importantes au printemps dernier aient souhaité retarder un peu la date de récolte pour des raisons strictement économiques.
En présence d’une vendange imparfaite, la conduite des cycles de pressurage doit être adaptée
L’interrogation importante qui découle de la mise en évidence de cette typicité aromatique liée à une maturité anormale par concentration concerne bien sûr les moyens technologiques d’atténuer ce phénomène ? Jean Pineau considère que la conduite de l’extraction des jus est une étape sur laquelle les vinificateurs sont en mesure d’intervenir lorsqu’ils sont en présence d’une vendange imparfaite. Cette notion de vendange imparfaite recouvrent plusieurs types de situations : une maturité irrégulière des grappes due à des stress ou des accidents climatiques (grêles, gelées) ou phytosanitaires, un état sanitaire dégradé, une vendange riche en particules herbacées (débris de feuilles et pétioles). Le raisonnement du pressurage peut être abordé d’une manière différente en n’hésitant pas à pratiquer une sélection des jus (après la P2 pour les pressoirs à plateaux ou entre 800 g et 1 kg de pression pour les pressoirs pneumatiques). Le fait de ne conserver pour les vins de distillation que les 80 % de volume de jus total extraits par égouttage au cours de ces cycles se justifie par le fait que ce sont pendant ces phases que les moûts sont libérés à des niveaux de pression plus bas et avec un minimum de rebêchage. Les niveaux de pression élevés, les montées en pression brutales exercées sur les raisins associés à une succession de rebêchages intensifient l’extraction de composés souvent indésirables pour la qualité. Les volumes de jus extraits durant les derniers cycles (environ 15 % du volume total) seront donc séparés et affectés à d’autres productions. Par la suite, une décantation rapide des moûts se justifie aussi pleinement pour éliminer une fraction de moûts qui joue un rôle masquant sur la netteté aromatique des eaux-de-vie nouvelles. L’appréciation du niveau de maturité d’une vendange destinée à la production de vins de distillation devient donc une préoccupation technique d’actualité, mais aucun moyen scientifique ne permet actuellement d’apporter des éléments concrets aux viticulteurs. J. Pineau estime que, dans un premier temps, la prise en compte durant la phase de maturation (du 15 août au 1er octobre) des durées d’ensoleillement et des niveaux de températures utiles (supérieures à 15 °C) au bon fonctionnement physiologique des ceps de vignes pourraient constituer les premiers éléments pour « nourrir » cette réflexion.
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