Une interview de Jean-Bernard de Larquier, chef de famille de la viticulture au BNIC

31 janvier 2010

Dans un environnement complexe comme celui du Cognac, la position de chef de famille de la viticulture au sein de l’interprofession est tout sauf facile. En place depuis 2008, Jean-Bernard de Larquier témoigne du recul nécessaire qu’implique sa fonction. Améliorer la situation économique de la viticulture fait partie de ses priorités, dans le respect « des grands équilibres régionaux ».

jblarquier.jpg« Le Paysan Vigneron » – C’est en octobre 2008 que vous avez été désigné par vos pairs au poste de chef de famille de la viticulture au BNIC. Quel est votre état d’esprit aujourd’hui ?

Jean-Bernard de Larquier – J’ai une conviction forte : dans cette région, les choses ne fonctionnent que si les deux familles – négoce et viticulture – sont proches et si toutes les tendances, au sein d’une même famille, se parlent. Il s’agit, certes, d’un exercice compliqué mais néanmoins indispensable. En mai 2008, les élections à l’ADG ont eu lieu, non sans quelques vicissitudes. Le renouvellement des membres de l’interprofession du Cognac aurait dû intervenir très vite, en juillet 2008. Nous avons cependant préféré différer cette échéance au mois d’octobre, pour prendre le temps de construire. De toute évidence, la viticulture avait intérêt à se doter d’un lieu d’échange. C’est ainsi que fut créée la FVPC, la Fédération des viticulteurs producteurs de Cognac, qui rassemble le SGV et le SVBC. Il a été décidé que la FVPC désignerait les membres appelés à siéger à l’interprofession, selon la clé de répartition adoptée à l’époque. Dans ce contexte, mes collègues m’ont demandé d’assumer les fonctions de chef de famille de la viticulture, tandis que Christophe Véral devenait président de la FVPC. J’ai accepté, en sachant pertinemment que ce ne serait pas chose aisée.

« L.P.V. » – Qu’implique la fonction de chef de famille au BNIC ?

J.-B.D.L. – Elle implique un certain recul. En tant que chef de famille, je suis devenu le représentant de l’ensemble de la viticulture à l’interprofession. Qui dit recul ne signifie pas que j’abandonne mes propres conventions mais je dois essayer de tenir compte de toutes les sensibilités, autant que faire se peut. Dans le même temps, la famille du négoce a su elle aussi se réunir au sein du SMC, le Syndicat des maisons de Cognac. Ce type d’organisation doit permettre de dialoguer de manière plus sérieuse et équilibrée au sein de l’interprofession.

« L.P.V. » – Selon vous, quel est le rôle d’un chef de famille ?

J.-B.D.L. – Au titre de la viticulture, je répondrai qu’il s’agit de faire avancer l’ensemble de la mécanique ; regarder de quoi est constitué notre produit ; où il en est de la construction de son environnement et voir ce qui lui manque pour aller plus loin. Cette perspective commande de s’intéresser non seulement à la production mais aussi au marché, un marché que nous avons en partage avec l’autre famille. Cette composante oblige le chef de famille de la viticulture à avoir des échanges avec le chef de famille du négoce, afin de prendre en compte les attentes du marché. La réciprocité est vraie. La famille viticole attend du négoce qu’il écoute la parole de la viticulture, telle qu’issue des négociations entre les différents courants de pensée et ceci dans un cadre réglementaire qui a beaucoup évolué ces dernières années. Nous avons vu la création des Comités de bassin, des ODG (Organisme de défense et de gestion de l’appellation), toute chose qui s’applique désormais au Cognac, de la même manière que pour les autres AOC. Dans un contexte où il a fallu faire valoir nos spécificités, nous nous en sommes plutôt bien sortis. Les différents courants de pensée ont su préserver une unité de travail sur les sujets essentiels, l’environnement réglementaire, la défense de l’appellation. Aujourd’hui, je crois pouvoir dire que notre produit avance et ce sera d’autant vrai que nous serons unis et non pas divisés.

« L.P.V. » – La crise n’impacte pas trop négativement le Cognac ?

J.-B.D.L. – Si le négoce souffre aujourd’hui dans son activité commerciale, il ne pâtit ni de carence d’image ni de manque d’énergie. Les investissements demeurent. Ainsi, quand l’économie redémarrera, le Cognac repartira lui aussi.

« L.P.V. » – La baisse du rendement Cognac a suscité une levée de boucliers.

J.-B.D.L. – C’est un fait. La viticulture charentaise est traversée de puissants mouvements contradictoires. Il y a selon moi des idées positives de part et d’autre mais, comme toujours, il faut privilégier les lieux de concertation. Si les responsables viticoles ont une approche un peu plus précise de la construction du Cognac, la majorité des viticulteurs reste assez éloignée de cette construction et a parfois du mal à se l’approprier. Je dirai que la responsabilité de l’interprofession consiste à mettre en œuvre des outils qui permettront à la viticulture d’améliorer sa situation économique.

« L.P.V. » – De quelle manière ?

J.-B.D.L. – La réserve climatique fut le premier de ces outils. Elle existe depuis deux campagnes mais c’est vraiment la première fois que les viticulteurs ont la capacité de l’alimenter. Quelle est la mission de la réserve climatique ? La mission de la réserve climatique est d’abord d’assurer l’approvisionnement pérenne du marché du Cognac. Par ailleurs, elle consiste à éviter, en cas de faible récolte, que les viticulteurs aient à « taper » dans leurs réserves, réserve de stock ou réserve financière. C’est là sa seule finalité ; elle n’en connaît pas d’autres. En ce début de campagne, nous avons pu constater sur le terrain des distorsions d’interprétation. Unie sur le sujet, la famille de la viticulture a souhaité redéfinir la mission de la réserve climatique, avant d’aller plus loin. Cela ne sert à rien de griller les étapes, envisager la mise en place d’une réserve de gestion si l’on n’est pas capable de « border » les outils déjà à notre disposition. Avant la fin de l’année, l’interprofession va communiquer sur les véritables missions de la réserve climatique. Et l’accord interprofessionnel sera revu, pour éviter toutes dérives.

« L.P.V. » – En ce qui concerne le niveau de rendement, quelle est votre position ?

J.-B.D.L. – Nous savons très bien que la qualité du Cognac n’est pas inversement proportionnelle au rendement de ses vignes. Par ailleurs, la viticulture a besoin de se doter des moyens d’être rentable économiquement. C’est pour cela qu’existe en ce moment un certain nombre de réflexions autour de l’encadrement de la production. Ces réflexions ne remettent pas du tout en cause l’outil de calcul du BNIC à mon sens primordial. Cependant, dans la mesure où cet outil de calcul peut conduire à des niveaux de rendement inférieur au seuil économique, il nous faut trouver des solutions pour que la viticulture puisse, tous les ans, couvrir ses charges. D’autres raisons concourent à cette réflexion : si le rendement Cognac est trop bas, il ne reste plus rien pour les autres débouchés ; par ailleurs, peut-être serait-il intéressant de constituer des stocks sur le long terme, voire le très long terme. Mais tout ceci mérite d’être encadré juridiquement. Il ne faudrait pas qu’un déséquilibre trop important entre l’offre libre et le besoin de marché mette en péril l’organisation économique qui a été bâtie. C’est là toute la difficulté, au centre des débats que nous allons avoir au sein de la viticulture et ensuite avec le négoce. Nous devrons être capables de trouver le juste milieu entre le besoin économique de compétitivité des entreprises et l’équilibre régional de production. Aujourd’hui, bien sûr, nous pourrions tous avoir envie de produire davantage, pour mieux nous en sortir. Mais il faut être conscient que nous ne sommes pas en capacité de produire 10 voire 11 de pur sur 70 000 ha, alors que les besoins annuels sont de l’ordre de 500 000 hl AP. Inversement, à 6 de pur « tout le monde est mort » et même en dessous de 7,5, « on ne sait pas faire ». Le prix de revient de 6 300 € l’ha, divisé par le prix Fins Bois de 720 € donne 8,95 hl AP/ha. L’outil de calcul du BNIC devra certainement être complété du coefficient de rotation des stocks, de l’évolution des sorties par catégories et d’autres éléments encore. C’est autour de tout cela qu’il va nous falloir composer, autour de l’impérieuse nécessité économique de l’entreprise et de l’impérieuse nécessité de l’équilibre régional.

« L.P.V. » – L’an prochain, l’affectation aura lieu le 1er juillet.

J.-B.D.L. – L’entreprise ne réussira que s’il y a un effort des deux familles, si les textes nécessaires sont écrits et entérinés, si les bonnes décisions sont prises. Il faudra aussi que les partenaires de la viticulture se prononcent suffisamment tôt sur leurs intentions d’achat, de manière claire et individuelle. Je suis persuadé que l’on y parviendra, si tout le monde a envie que la région avance. A un moment où l’Europe envisage la suppression de l’encadrement des droits de plantation, il vaut mieux essayer de se focaliser sur les vraies questions plutôt que se perdre en futilités.

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