L’éthique environnementale : L’élément déclencheur d’une viticulture novatrice

26 mai 2016

Le débat actuel autour de l’utilisation des pesticides en agriculture traduitune évolution profonde des attentes de la société civile en matièrede qualité des aliments et des boissons. Tous les secteurs de l’agriculturesont concernés : les fruits, les légumes, les céréales et la vigne. Lesvignobles de la façade Atlantique sont naturellement sensibles à plusieursparasites qui mettent en péril les productions. La mise en oeuvred’une protection des vignobles raisonnée et raisonnable s’avère indispensablepour maîtriser durablement la productivité. Les responsablesprofessionnels de la plupart des régions viticoles doivent faire face à desinterrogations de plus en plus fréquentes sur ce sujet sensible. Jean-Bernard de Larquier, le président du BNIC, a accepté de témoigner surtous ces aspects environnementaux

« Le Paysan Vigneron » – La conduitedes vignes Charentaises n’est-elle pasconfrontée à des évolutions plus délicatesà gérer compte tenu des niveaux de productivitéélevés ?

Jean-Bernard de Larquier– Le vignoblede Cognac vit une belle période avecune demande en eaux-de-vie soutenue.Les viticulteurs répondent aux besoinsd’approvisionnement en intervenant surles leviers de la productivité. Les vignes,après avoir connu une période de souffrance,commencent à retrouver de meilleurespotentialités de production. Lecépage généreux qu’est l’Ugni blanc lepermet et la conduite de vignes Charentaisesa renoué avec ses fondamentauxhistoriques. Les objectifs de rendementsplutôt élevés sont culturels et correspondentaux attentes de qualité. Les vinsissus de raisins d’une maturité suffisantepossèdent un potentiel d’acidité élevé quiconfèrent aux eaux-de-vie leur structurearomatique unique. Ce profil de qualité nepeut pas être obtenu en cherchant à maîtriserles niveaux de rendements entre60 à 70 hl/ha. En plus, l’évolution climatiquedepuis une dizaine d’années interfèredirectement sur le cycle végétatif etla nature des récoltes. On vendange plustôt et le potentiel de maturité de l’Ugniblanc devient plus important. Ce contextede production différent doit aussi intégrerde nouvelles réflexions concernant le respectde l’environnement. Au cours desdernières années, les thématiques environnementalessont devenues des préoccupations au sein de lasociété civile dans tous lespays développés. En tantque producteurs de raisinsdestinés à un produitde luxe commercialisédans le monde entier, nousne pouvons plus occultercette réalité.

« Le Paysan Vigneron » – Les contraintesde respect de l’environnement ne fontellespas partie de la culture de base desviticulteurs Charentais ?

Jean-Bernard de Larquier– Je pense effectivement que la très grande majoritédes viticulteurs de notre région sont soucieuxde ne pas dégrader le capital naturequi constitue leur outil de travail. Une propriétéviticole vit au rythme des saisons etdes années. Elle se gère avec une échellede temps très longue de 25, 30, 40 ans.Concilier le devenir du capital nature auxexigences économiques est aujourd’huiun challenge permanent qui conduit àmettre en oeuvre un certain nombre depratiques d’entretien du vignoble. La discrétionnaturelle et culturelle des viticulteurssur toutes les méthodes de productions,bien qu’étant réelle, ne signifie paspour autant que le respect de l’environnementn’est pas pris en compte. On nepart pas de rien ! Depuis 25 ans, beaucoupd’efforts ont été réalisés pour raisonnerla protection du vignoble différemment,mais on n’en a pas parlé. Aujourd’hui, lasociété civile affiche un intérêt pour lesproblématiquesenvironnementales et l’undes débats les plus sensibles concernel’utilisation des pesticides. On ne doit pasnier ni ignorer les attentes sociétales. Aucontraire, cela doit stimuler nos réflexionspour, d’une part, mieux expliquer nosméthodes de travail et, d’autre part, trouverdes alternatives nouvelles et progressistes.Le concept d’une appellation estjustement d’être en mesure de s’adapteraux réalités du contexte dans lequel elleévolue. Aujourd’hui, la région de Cognacdoit répondre au double défi de recherchede productivité et d’engagement fort dansle respect de l’environnent.

« Le Paysan Vigneron » – Vous pensezque l’avenir de la production viticole doitêtre réellement abordé avec une éthiqueenvironnementale dominante ?J

ean-Bernard de Larquier– Je penseeffectivement que produire des vins dedistillation avec une éthique environnementaleplus poussée est essentielpour l’avenir du vignoble de Cognac.Cette demande de la société civile doitêtre pour nous l’élément déclencheur d’une réflexion de fond pour produireautrement en se dotant de moyens derecherches novateurs. D’ici 10, 15, 20 ans,le fruit des expérimentations déboucherasur la mise en oeuvre d’itinéraires de productionsprogressistes en phase avec lesattentes de la filière Cognac. On doit imaginerles vignes de demain qui permettrontd’atteindre des niveaux élevés en utilisantbeaucoup moins d’intrants. Déjà, les travauxde recherches conduits par la Stationviticole du BNIC et d’autres organismes derecherche, l’INRA, l’IFV, ont déjà permis dedéfricher le sujet.

« Le Paysan Vigneron » – L’engagementdu vignoble de Cognac dans une stratégiede culture en viticulture biologique neconstitue-t-il pas une alternative ?

Jean-Bernard de Larquier– Je ne pensepas que la viticulture biologique soit unedémarche adaptée au contexte de productionde la région de Cognac en raisonde nos exigences de productivité élevées.Les principes culturaux de la viticulturebio me paraissent cohérents et respectables,et les gens qui la pratiquent sontcourageux. Néanmoins, diverses étudesmettent en avant que la production bioengendre une diminution de productivitésignificative. Si les 75 000 ha de larégion de Cognac passaient en bio, onmanquerait d’eaux-de-vie et il faudraitcultiver 120 000 à 130 000 ha de vignespour retrouver les niveaux de productionactuels. On peut imaginer que lesapports de soufre et de cuivre (même utilisésà des doses par hectare moindres) surdes surfaces beaucoup plus importantesauraient aussi un impact environnementalau niveau de l’ensemble du territoire.Je pense réellement qu’il faut choisirune voie plus innovante pour penser unvignoble de Cognac plus écologique dansune à deux décennies.

« Le Paysan Vigneron » – Selon vous,quelles sont les voies de recherche prioritairespour créer le vignoble innovant etéco-responsable dans les années 2025 à2050 ?

Jean-Bernard de Larquier– Je pense quecertaines choses peuvent être envisagéesà court terme pour optimiser les pratiquesculturales actuelles et d’autres à plus longterme pour trouver les cépages du futur.C’est un chantier qui peut paraître énorme,mais déjà beaucoup d’initiatives sont encours et les viticulteurs deviennent beaucoupplus réceptifs aux aspects de viticulturedurable. Dans un premier temps, untravail plus approfondi doit être engagésur l’agronomie, l’optimisation desmoyens de raisonnement de la protectiondu vignoble et des conditions d’applicationdes traitements. Ce sont des thèmesd’étude récurrents qu’il faut sûrementpousser plus loin. Les pistes en matièrede biocontrôle, de mise au point d’outilsd’observation des parasites et d’aide à ladécision novateurs, d’essais de moléculesnouvelles d’origine naturelle… représententdes évolutions à court et moyen termes à nepas négliger. Ensuite, les moyens d’applicationde la pulvérisation doivent continuerd’évoluer. La limitation des dérives (dansl’air et au niveau du sol) et le confinementconstituent le socle des pulvérisateurs dedemain. Le deuxième volet à plus longterme est de travailler la sélection variétalepour rechercher des cépages ayantune résistance d’origine naturelle auxprincipales maladies, le mildiou, l’oïdiumet le Botrytis. C’est à mon sens la piste laplus sérieuse pour construire une filièrede production Cognac peu consommatriced’intrants phytosanitaires dans quelquesdécennies.

« Le Paysan Vigneron » – L’améliorationvariétale représente donc une voie d’avenirmajeure pour limiter durablementl’utilisation des intrants phytosanitaires ?

Jean-Bernard de Larquier– Ce n’est pasun hasard si beaucoup de recherches sontdéjà engagées sur ce sujet dans de nombreuxpays viticoles. Le BNIC a décidédepuis les années 2010-2011 de remobiliserles efforts de recherches sur les aspects desélection. Le dossier de recherche sur lescépages résistants issus de méthodes desélection naturelles ne peut être conduitque sous la tutelle de la Station viticole duBNIC. En effet, les spécificités de productionde la filière Cognac en matière de niveau derendements élevés, de maturité des raisins,de teneurs en acidité des vins ne sont pastravaillées dans d’autres régions viticoles.Des travaux sont engagés par la Stationviticole en partenariat avec d’autres organismesen France pour créer « les Ugniblanc du futur » résistants aux maladieset adaptés aux évolutions du climat.C’est à mon sens un dossier majeur qu’ilfaut aborder avec professionnalisme etefficacité.

« Le Paysan Vigneron » – Les perspectivesde créer des cépages Cognac résistants àplusieurs maladies sont tout de même unchantier qui s’inscrit dans le long terme ?

Jean-Bernard de Larquier– Les aspectsde sélection variétale incluant le caractèreUgni blanc pour obtenir les cépages dedemain constituent la priorité des priorités.Cela va effectivement demander du temps,mais certains résultats laissent penser quela dynamique de sélection engagée depuis10 ans est sur la bonne voie. Le fruit dutravail de recherche se poursuit ensuitepar des tests en grandes parcelles (avecvinification et distillation) qui sont toujourslongs. Jusqu’à présent, beaucoup de freinsréglementaires ont limité l’évolution desréflexions sur les cépages du futur dans lesdifférentes appellations. Des démarchesauprès des organismes de tutelle sontactuellement engagées pour réduire lescontraintes d’expérimentation en pleinchamp et faciliter les procédures d’agrémentdes nouveaux cépages. Nous avonsbon espoir que les choses avancent rapidementcar le contexte environnementaldevient de plus en plus lourd. Une telleévolution pourrait accélérer la création desUgni blanc du futur. Je vous donne rendez-vous  à partir de 2030.

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