Un test de taille tardive « fiancée » pleinement réussi

22 février 2018

            Les gelées  de printemps du millésime 2 017 ont impacté la production des vignobles Paul Giraud mais dans des proportions moindres que celles de 1991. L’intensité du sinistre a été moins forte dans les situations de mi-coteaux et très pénalisante dans les secteurs bas sauf dans un îlot de 7 ha qui avait été fiancé. La situation d’extrême sensibilité de plusieurs parcelles situées dans une cuvette basse et froide a été transformée en un champ d’essai d’une nouvelle stratégie de taille tardive fiancée. Les résultats s’avèrent très intéressants sur le plan de la productivité et de la qualité des bois de taille.

Le vignoble de Paul Giraud à Bouteville est implanté comme beaucoup de propriétés de cette zone de Grande Champagne dans une diversité de situations géographiques, des pleins coteaux, des mi-coteaux et aussi des secteurs de plaine. Les zones les plus basses naturellement sensibles au gel printemps représentent des surfaces significatives et la conduite des vignes tient compte de ce risque. Lors des trois matinées de gel du printemps 2017, les dégâts ont touché toutes les zones exposées avec un gradient d’intensité corrélé à l’altitude du parcellaire. Seule, une grosse dizaine d’hectares de cette propriété a été totalement épargnée.

 

20 à 30 % de la surface du vignoble sont exposés à un risque de gel de printemps

 

            Jean Paul Giraud qui a été confronté au gel historique de 1991, est pleinement conscient que 20 à 30 % de la surface de son vignoble peut-être régulièrement exposée à des sinistres réguliers. En 1991, l’intensité plus forte du gel avait occasionné des dégâts à des niveaux de hauteurs élevés dans les coteaux et le rendement moyen n’avait pas dépassé 40 hl/ha. L’importance de ces aléas climatique a été à l’origine d’une réflexion globale sur la conduite des vignes implantées dans les zones les plus basses. À l’origine, des cordons hauts à ports libres avaient souvent été implantés dans ces parcelles ultrasensibles. Ces vignes qui n’ont pas toujours bien vieilli, ont été renouvelées en privilégiant des niveaux d’établissement hauts, des arcures hautes semi-palissées à 1,20 m de hauteur. Joaquim Fernandes, le chef de cultures de cette exploitation de 44 ha qui possède une parfaite connaissance des spécificités du parcellaire, gère l’organisation des travaux d’hiver en tenant compte de la sensibilité au gel des différents îlots. Toutes les interventions d’entretien du palissage sont effectuées à la fin de l’automne pour dégager du temps et tailler les zones basses tardivement. Néanmoins, si des gelées de fortes puissances se produisent fin avril, les tailles tardives complètes de fin mars ne font que limiter que très partiellement les dégâts.

 

Un test de taille tardive « fiancée » réalisé en 2017 dans un îlot de 7 ha très sensible

 

            La zone la plus sensible de cette propriété, regroupe un ensemble de parcelles, les Guélies, d’une surface totale de 7 ha qui « gèlent de peur ». Leur situation dans la plaine située entre Bouteville et Saint-Même-Les-Carrières dans une cuvette favorise des niveaux de températures bas plus marqués quelle que soit la saison. À l’automne, c’est dans cet endroit de faible altitude (20 à 25 m) que tous les ans, les premières gelées se produisent et font tomber la végétation précocement. Le renouvellement récent du vignoble dans cet îlot a permis d’implanter uniquement des arcures hautes semi-palissées qui sont dans la force de l’âge. J Fernandes a décidé d’aller plus loin dans son approche de taille tardive dans les sites exposés au gel en s’appuyant sur l’expérience d’une petite propriété qu’il a suivi en 2015 et 2016 : « J’ai suivi une initiative de taille en fiançailles très tardive dans une petite propriété très exposée au gel. Une parcelle d’environ 1 ha devant laquelle je passais fréquemment avait échappé au gel du printemps 2016. J’ai observé le comportement de la vigne durant toute la saison et au moment des vendanges, la charge de récolte était très satisfaisante alors que juste à côté, elle était très maigre. Le niveau de rendement avait été de 8 hl d’AP/ha au lieu de 3 à côté. Des discussions avec le propriétaire de cette vigne ont fini de me convaincre. J’ai pensé que l’on pourrait peut-être essayer ce mode de taille en fiançailles dans l’îlot des Guélies ».

           

Comment organiser les travaux de fiançailles ?

 

            L’ensemble de la taille dans cette propriété est réalisé par quatre salariés permanents pour essayer de maîtriser la longévité des souches. J Fernandes considère que la mise en œuvre de pratiques respectueuses des principes Guyot-Poussard représente un gage de longévité des souches. Il a d’ailleurs été le lauréat de plus concours de taille régionaux et nationaux et possède un solide bagage pratique et théorique dans ce domaine. Le fait de tailler en une seule fois très tardivement les parcelles sensibles au gel ne représentait pas pour lui une solution suffisante : « La réalisation d’une taille complète très tardive à la fin du mois de mars retarde la sortie des bourgeons de la base des lattes mais pas dans des proportions suffisantes pour les préserver des gelées durant la deuxième quinzaine d’avril. Avec l’évolution climatique, les débourrements interviennent de façon de plus en plus précoce et c’est pour ces raisons que le principe d’une taille tardive fiancée en deux temps me paraît être une meilleure solution ». L’intérêt de J Fernandes pour cette pratique devait être confronté à la réalité du déroulement des travaux d’hiver de la propriété. Quelle organisation allait-il être possible de mettre en œuvre pour « fiancer » les 7 ha de vignes de l’îlot des Guélies ?

 

Quatre interventions indissociables à bien maîtriser

 

            La principale contrainte de la taille en fiançailles réside dans l’exigence de la réaliser tardivement entre le 10 et 25 avril pour qu’elle soit pleinement efficace. Cela peut à première vue représenter un facteur limitant pour réaliser des surfaces importantes. La démarche technique de taille mise en œuvre dans cette propriété associe à la fois la recherche d’une première intervention très tardive et des principes pour fiancer les bois spécifiques. J Fernandes a choisi de mettre en œuvre une taille tardive fiancée. La démarche se décompose en quatre phases distinctes dont la maîtrise est essentielle pour vraiment retarder le débourrement des bourgeons. La première taille dite de sélection des lattes et des coursons intervient entre le 10 et 20 avril au moment ou le débourrement commence. Les lattes sont coupées à leurs longueurs finales (8 à 9 bourgeons) en laissant tous les entre-coeurs. Les coursons sont taillés normalement en respectant les courants de sève. À cette époque, les bourgeons sur les entre-coeurs sont souvent au stade un à deux feuilles étalées alors que ceux de la base des lattes ne sont pas encore poussés. Le tirage des bois est effectué dans la foulée avec beaucoup de facilités car les deux fils releveurs ont été préalablement baissés avant la taille. L’attachage des lattes avec les entre-coeurs intervient aussitôt la taille afin de limiter les phénomènes de casse de bourgeons déjà développés. La seconde taille de finition qui permet d’enlever les entre-coeurs n’est réalisée qu’après la période de fin du risque maximal tout à fait fin avril ou début mai.

 

Bien coordonner les interventions, de taille de sélection, de tirage des bois et d’attachage

 

            Les spécificités de la taille tardive fiancée engendrent des besoins en main-d’œuvre accrus durant une période de 15 jours à partir de la mi-avril. L’objectif est d’effectuer la taille de sélection le plus tard possible, puis de tirer les bois et d’attacher dans la foulée. Le fait de réaliser très rapidement ces deux dernières interventions est important pour limiter les pertes de bourgeons développés et les effets de brûlures liés aux écoulements de sève. Le choix d’attacher les vignes en arcure favorise au moment du débourrement la sortie plus précoce des bourgeons présents sur les entre-coeurs et à l’extrémité des lattes. Dans des vignes en arcures hautes établies à 1,20 m de hauteur, le travail d’attachage se déroule dans des conditions plus confortables propices à de bons débits de chantier. La présence des entre-coeurs ne s’avère par gênante pour plier et les attacher les lattes. Ensuite, la taille de finition peut se dérouler avec un certain décalage dans le temps car l’élimination des entre-coeurs n’a pas de caractère d’urgence.

 

Un pic de demande de main-d’œuvre maîtrisé grâce à un échange de travaux avec une autre propriété

 

            L’organisation du chantier de taille de sélection, de tirage des bois et d’attachage doit être conduite avec efficacité et cela mobilise une forte demande de main-d’œuvre concentrée sur environ deux semaines. J Fernandes qui était pleinement conscient de cette contrainte, a essayé d’anticiper tous les autres travaux d’hiver pour avoir un maximum de disponibilité en main-d’œuvre à partir de la mi-avril : « Vouloir tailler les 7 ha de l’îlot des Guélies en seulement deux semaines n’était pas un challenge très simple à relever. La présence dans ces vignes jeunes d’un palissage métallique parfaitement en état représentait déjà un avantage important. C’est, certes, un investissement plus lourd au départ mais cela génère par la suite des économies de temps de travaux substantielles. Tous les travaux d’entretien du palissage de l’ensemble de la propriété ont été effectués aussitôt les vendanges. Ensuite, on a commencé à tailler le reste du vignoble assez précocement pour ne pas prendre de retard. Le tirage des bois et l’attachasse se sont déroulés assez facilement durant l’hiver 2016/2017 car les conditions climatiques n’ont pas été trop difficiles. Le 20 mars, les travaux d’hiver dans les 37 hectares restants étaient terminés. Des discussions avec une autre propriété qui était un peu en retard, nous ont permis de réaliser un échange de travaux. Plusieurs salariés permanents de chez nous sont allés travailler pendant deux à trois semaines dans cette exploitation. En retour, à partir du 10 avril, nous avons pu bénéficier du renfort de deux personnes supplémentaires. Une équipe de 6 personnes a effectué l’ensemble des travaux dans l’îlot des Guéries en un peu plus de deux semaines ».

 

Une exigence de technicité pour réaliser la taille de sélection

 

            Les travaux de taille de sélection, de tirage des bois et d’attachage ont été réalisés de manières simultanées dans chaque parcelle. Les trois tailleurs étaient suivis de deux personnes qui tiraient les bois dans la foulée. La réalisation de la taille dans des arcures semi-palissée établies à 1,20 permet au personnel d’avoir une bonne vision sur les bois qu’ils sélectionnent. Il faut avoir un regard différent sur la structure des sarments. Le fait de laisser tous les entre-coeurs sur les lattes est une habitude de taille que le personnel arrive à bien maîtriser au bout d’un à deux jours. La coupe de la latte à la bonne longueur (8 à 9 bourgeons) nécessite par contre un peu plus de dextérité et de l’expérience. Le tirage des bois n’est pas très pénible compte tenu de la hauteur d’établissement des vignes. L’attachage a été en grande partie effectué par une seule salariée très performante dans ce travail (plus de 200 lattes/heure de pliées avec une pince électrique Pellenc). Dès que l’ensemble de ces interventions ont été finies sur toute la surface, la taille de finition a commencé. L’opération de coupe de tous les entre-coeurs se déroule de manière très rapide et ne demande pas de compétences particulières. L’ensemble des travaux d’hiver était terminé à la fin avril au moment des trois matinées de gel.

 

10 heures/ha de travail supplémentaires et une production moyenne de 7,5 à 8 hl d’AP / ha

 

            La principale interrogation concernant cette pratique de taille tardive fiancée est bien sûr d’ordre économique. Quelle la charge de travail supplémentaire engendre cette démarche ? Les relevés de temps de travaux précis effectués par J Fernandes apportent des réponses concrètes sur ce sujet : « Dans ces vignes larges et hautes bien établies (3 m sur 1,10 m), les conditions de travail sont globalement bonnes. Les relevés l’ensemble des temps de travaux nous confortent dans le bien-fondé de cette initiative. Le temps de taille de sélection a été 25 heures/ha, celui du tirage des bois de 18 heures/ha et l’attachage de 15 heures/ha. La deuxième intervention de taille de finition pour couper les entre-coeurs a nécessité 10 heures/ha Au final, l’organisation de taille tardive fiancée engendre une surcharge de travail de seulement 10 heures/ ha. Ce coût finalement assez modique a été très bien valorisé en 2017 par des gains de production importants. On a eu une récolte moyenne de 7,5 à 8 hl d’AP/ha dans ces parcelles alors que dans des situations de gel  à 100 %, la production ne dépassait pas 3 hl d’AP/ha. Le vécu de cette première année de taille en fiançailles nous a amené à reconduire l’initiative au printemps 2018 toujours sur  15 à 20 % de la surface du vignoble. Les exigences de besoins en main-d’œuvre concentrées sur le mois d’avril représentent  une réelle contrainte. Nous réussissons à la maîtriser sur 7 hectares mais envisager d’étendre cette pratique sur le double de surface ne nous paraît pas possible ».

La présence de beaux bois de taille pour le printemps 2018


            Les vignes de l’îlot des Guélies dans l’ensemble jeunes (moins de 15 ans) possèdent une bonne « vitalité » sur le plan agronomique ce qui a aussi contribué à leur bon redémarrage suite au gel. Les températures dans ces zones sont descendues jusqu’à – 6 °C au printemps dernier ce qui a provoqué des dégâts proches de 100 %. Dans les parcelles fiancées, une proportion significative des bourgeons de la base des lattes n’était pas du tout débourrée au moment du gel. Leur développement ultérieur a permis de porter une charge de raisins de première génération correcte qui a mûri dans de bonnes conditions. Le constat de l’état de la végétation en cette fin de mois de janvier en atteste : « Dans toutes les parcelles fiancées, on voit très nettement le bon développement des 3 ou 4 premiers rameaux de la base de la base des arcures. Cette végétation généreuse a porté des grappes de tailles normales et représente aussi une bonne base de taille pour le printemps 2018. On va pouvoir s’appuyer sur des sarments bien placés, aoûtés et fructifères alors qu’ailleurs, trouver des belles lattes et des coursons dans le sens des courants de sève n’est pas simple ».

 

Un rendement moyen de 80 hl/ha avec des TAV de 9,5 à 10 % Vol

 

            Le redémarrage de la végétation dans les parcelles fiancées a été globalement un peu décalé mais beaucoup moins que les îlots gelés à 100 %. En fait, 30 à 40 % des bourgeons principaux non gelés se sont développés à partir de début mai. Bien que la climatologie dans cette période n’ait pas été très propice, le redémarrage des parcelles fiancées a été surprenant  Les pousses issues des bourgeons non gelés ont débourré avec une dizaine de jours de retard par rapport à la végétation des parcelles non gelées et aussi une avance significative vis à vis des vignes nationalement gelées. Un petit décalage de stades a été observé tout au long de la saison mais les bonnes conditions estivales, l’ont partiellement estompé au fil des semaines. La nature des terres de champagne profonde de la zone des Guèlies peut favoriser le développement de la pourriture après des séquences de pluies abondantes en septembre. Cette année, la structure des grappes de première génération compactes avec des baies très serrées a incité J-P Giraud à privilégier la recherche d’un bon état sanitaire des raisins. La récolte est intervenue fin septembre sans attendre une maturité en sucres maximale. À l’issue des vinifications, le rendement moyen s’établit autour de 80 hl/ha avec des teneurs en alcools entre 9,5 et 10 % vol.

 

                                                                                  

Les 4 interventions  de la taille tardives fiancée  mise en œuvres sur le Vignoble Paul Giraud :

 

 

– 1 : Première phase de taille de sélection du 10 au 25 avril :

Sélection de la future latte en conservant  tous les entre-coeurs et taille normale des coursons et coupe du bois  à sa longueur finale ( 8 à 9 bourgeons)

– Une première phase de taille intervenant en présence de bourgeons développés sur les entre-coeurs -et l’extrémité des longs bois ( au stade 1 à 2 feuilles étalées)

 

2 : Tirage des bois aussitôt la première phase de taille :

L’extraction des bois intervention dans la foulée de la taille pour limiter la casse de bourgeons développés

 

3 : Attachage des lattes aussitôt le tirage des bois:

– Intervention à réaliser dans les 1 à 2 jours suivant le tirage des bois

– L’attachage immédiat limite les pertes de bourgeons développés et les  phénomènes de brûlures des bourgeons par les écoulements de sève.

 

– 4 : Deuxième phase de taille de finition de fin avril à début mai :

Élimination de tous les entre-coeurs et nettoyage final  des lattes déjà attachées

 

 

 Les points clés de la technique de taille tardive fiancée des vignobles Paul Giraud:

 

Une pratique mise en œuvre pour la première fois en 2017 sur 7 ha dans l’îlot le plus sensible au risque de gel

Le net retard du débourrement des 3 ou 4 premiers bourgeons de la base des lattes les protège totalement des risques de gel et leur permet ensuite de porter des raisins de première génération

Les 7 ha de vignes fiancés en 2017 ont produit 80  hl/ha, alors que les parcelles gelées à 100 % ne dépassaient pas 30 hl/ha.

Un gain économique très important avec 7,5 à 8 hl d’AP / ha de production régulière

Des besoins en main-d’œuvre supplémentaires de 10 heures / ha liés essentiellement aux deux phases de taille.

Un moyen efficace de se prémunir des risques de gel sur 15 à 20 % de la surface maximum.

L’exigence d’avoir une disponibilité en main-d’œuvre suffisante dans la deuxième quinzaine d’avril.

Une technique bien adaptée dans des vignes jeunes établies en arcures hautes semi-palissées

La première phase de taille de sélection en avril demande de l’attention et des compétences.

Une qualité des bois de taille bien meilleure

Les retards de maturité occasionnés par la taille en fiançailles ne sont perceptibles que lors des millésimes tardifs mais ceux-ci sont de plus en plus rares.

Une sensibilité accrue à chlorose quand les conditions climatiques sont très favorables.

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