Consensus autour de l’appellation – Je crois que tous les négociants sont pour l’appellation d’origine. N’oublions pas que l’AOC Cognac a été créée par les négociants. Toutes les maisons se rassemblent autour de
l’idée d’appellation, importante pour le Cognac, surtout dans une perspective de défense du produit contre d’éventuelles contrefaçons. Personne ne met en doute cet aspect. L’AOC représente une sécurité pour le Cognac et c’est pour cela que les négociants l’ont « inventée » en 1936. Il fallait protéger le lien au terroir, les façons de faire et, in fine, la typicité qui en découlait. Maintenant, pour quelle raison, je l’ignore, le travail de constitution de l’appellation n’a pas été mené jusqu’à son terme, l’agrément n’ayant jamais été mis en place durant toutes ces années. Or l’agrément constitue la pierre angulaire du système INAO, une nécessité absolue pour que l’appellation soit indiscutable. Mais c’est l’une des caractéristiques de l’Institut des appellations d’origine de mettre beaucoup de temps à faire les choses.
Les conditions de l’agrément – Qu’est-ce qu’un agrément ? Ni plus ni moins que la reconnaissance ou la constatation, pour un produit AOC donné, que les conditions de production définies ont bien été respectées. Sur quoi porte l’agrément ? En ce qui concerne le Cognac, il va sans dire que le produit d’appellation est l’eau-de-vie et non le vin. Et, selon l’adage maintes fois entendu, « le Cognac est Cognac à la sortie de l’alambic ». En ce sens, on peut considérer que ce sont les bouilleurs de cru et les bouilleurs de profession, c’est-à-dire les distillateurs en général qui génèrent le produit d’appellation. L’agrément vise donc à vérifier si les conditions de production ont bien été respectées : variétés, cépages, degré du vin, rendement, conditions de distillation, période de distillation, type d’alambic, volume… Pour nous et à l’unanimité dans la région, l’eau-de-vie qui coule de l’alambic est du Cognac. Tout le reste rentre dans les conditions de commercialisation du Cognac compte 0 jusqu’à… X années, le temps que nos produits trouvent leurs marchés. Les Douanes, et le BNIC par délégation des Douanes, assurent le contrôle du vieillissement. Il s’agit d’une mission traditionnelle de l’interprofession, que celle-ci fait bien et je ne vois pas pourquoi il faudrait la confier à d’autres. L’interprofession, avec les Douanes et la DGCCRF ont travaillé sur un nouveau texte réglementant le vieillissement. Celui-ci devrait sortir sous peu.
Simplicité des procédures – Pour revenir à l’agrément, un produit d’appellation qui l’ignorerait aurait une appellation inachevée. Quelqu’un de mal intentionné pourrait remettre en cause sa nature. Vous ne trouverez personne dans la région qui soutienne le contraire. Le problème tient dans la crainte que l’INAO complique énormément les procédures. Toute l’action des professionnels a consisté à dire « oui, il faut une reconnaissance mais tout ceci doit rester simple ». L’idée de l’appellation est quelque chose d’extraordinaire mais il ne faut pas tomber dans le juridisme ou des procédures compliquées qui n’apporteraient pas grand-chose.
Pas un vin, une eau-de-vie – Les manières d’envisager l’agrément, telles que décrites au départ par l’INAO, n’étaient pas toujours très adaptées à nos problèmes. Nous ne sommes pas un vin mais une eau-de-vie, notre production roule sur de gros volumes et l’eau-de-vie est un produit d’assemblage, un assemblage qui intervient très tôt dans le stade d’élaboration. Tout ceci explique que l’on ne puisse pas se satisfaire de contrôles bureaucratiques à chaque étape de la mise en œuvre. Si la procédure d’agrément telle qu’elle se dessine aujourd’hui échappe à cet écueil, c’est que la région s’est accrochée à sa demande d’un agrément réel mais simple. Surtout, nous ne voulions pas multiplier les étapes d’agrément. Ce qui coule de l’alambic est du Cognac et la suite, c’est du vieillissement, sous contrôle des administrations. Mais ce n’était pas tout de le dire, fallait-il encore l’obtenir. Ce qui semble acquis aujourd’hui est le fruit d’un grand nombre de réunions, qui se sont étalées sur un peu plus de deux ans. Je pense pouvoir direqu’avec l’INAO, nous avons avancé dans une meilleure compréhension des spécificités du Cognac. On n’élabore pas du Cognac comme on élabore du Bordeaux ou du Bourgogne.
Suivi d’aval – En ce qui concerne le suivi aval qualité, j’ignore s’il fait partie intégrante de l’INAO. Je ne sais pas si toutes les appellations d’origine ont un suivi d’aval. Par contre, ce que je sais, c’est que l’interprofession a travaillé depuis deux ans sur un texte suivi d’aval, qui ne nous a pas encore été demandé par l’INAO. Elaboré par une commission composée de négociants, bouilleurs de profession, viticulteurs, bouilleurs de cru, il s’agit d’un texte compliqué à mettre en œuvre. Examiné par le comité permanent du BNIC, ce dernier a demandé à ce qu’il soit simplifié. Il nous reste à trouver le temps d’en discuter. On pourrait sourire de l’empressement de l’INAO à nous voir « boucler » l’affaire relative au suivi d’aval qualité. Pour ne retenir qu’un seul exemple, celui de l’agrément, la vélocité de l’INAO n’a pas été démontrée. Il a fallu plusieurs CRINAO successifs et moult réunions pour que le projet aboutisse enfin.
Contraintes qualité – Chaque maison a ses propres contraintes qualité en matière d’eau-de-vie. Si l’agrément devient obligatoire, les exigences spécifiques des maisons ne seront pas levées pour autant. Les deux choses ne sont pas antinomiques mais complémentaires.
Rendements différenciés – Le dossier INAO, sous le feu de la rampe, ne doit pas nous faire oublier que la région de Cognac est en surcapacité de production. D’où la proposition du Plan d’adaptation de la viticulture charentaise qui repose sur plusieurs volets, dont celui du renforcement de l’AOC Cognac. Mais ce n’est pas le seul même si, apparemment, il a avancé plus rapidement que les autres. Les propositions doivent être émises par M. Zonta dans un rapport dont la présentation nous a été annoncée plusieurs fois ; nous l’attendons. Le Plan d’adaptation peut avoir une physionomie bien différente selon que les débouchés différenciés soient confirmés ou infirmés. Dans ce dernier cas, que feraient les viticulteurs ? Ils pourraient tout affecter au Cognac et le problème ne serait pas résolu.
L’interprofession, incontournable – Nous demandons instamment que l’interprofession participe à la rédaction du règlement d’application qui viendra compléter le décret d’appellation. Il y a des choses à préciser concernant les prélèvements d’eau-de-vie, les chais de vieillissement, sans parler de l’affectation des surfaces. Bien sûr, il faut aller vite et nous aussi souhaitons avancer rapidement sur le Plan d’adaptation mais faut-il encore que ce soit acceptable et faisable.
Partage de la plus-value – Je crois que ce serait une grosse erreur de faire croire aux gens que, sous prétexte d’INAO, il y aura un plus grand partage de plus-value. Je pense sincèrement que ce serait un mauvais coup porté au Cognac que de vouloir faire progresser de façon dramatique le coût des eaux-de-vie. Notre souci de négociants est de trouver ensemble avec la viticulture, le meilleur moyen d’améliorer les coûts de production. Tout le monde y trouvera son compte, y compris la viticulture. Quelque part, nous sommes persuadés que la solution passe par une production de plus d’hl sur moins d’ha. Je ne pense pas que les viticulteurs survivent longtemps à 5 hl AP/ha. Il faut augmenter la production à l’ha.
Une machine à remonter les cours – C’est vrai, l’INAO pourrait jouer comme une « machine à remonter les cours ». Mais je ne suis pas sûr que ce serait une bonne chose pour la région. Le Cognac a besoin d’être compétitif. Il faut bien se rendre compte que les choses ont terriblement évolué depuis 20 ou 30 ans. A l’époque, le Cognac avait beaucoup moins de compétiteurs. Aujourd’hui, de nouveaux concurrents sont arrivés, des spiritueux comme le Rhum blanc, la Vodka, la Tequila… L’offre consommateurs s’est multipliée avec des produits aux coûts de production extrêmement bas mais vendus à des prix rémunérateurs, quoique plus faibles que ceux du Cognac. Nos concurrents dégagent des marges qui leur permettent de réaliser des investissements publicitaires autrement plus importants que ce que peut s’autoriser le Cognac. Le négoce a en charge le développement des marges du Cognac. Si nous devons produire cher un produit de qualité, nous serons laminés, littéralement laminés par nos concurrents. Bien sûr, on peut en arriver à la situation de l’Armagnac, produit de niche à 15 000 hl AP. Mais là, il y aura des dégâts dans la région. Je pense qu’il y va de l’intérêt bien compris de la filière Cognac de trouver des moyens pour améliorer ses coûts de production tout en vivant correctement de son travail. Les viticulteurs doivent avoir un revenu correct, ce qui signifie que les négociants doivent acheter les eaux-de-vie à un prix correct. Par contre, ce n’est pas en permettant à la viticulture
d’être constamment en état de surcapacité de surfaces que l’on contribuera à améliorer la situation.
Renforcement de l’AOC, du « pipeau » ? – Nous étions déjà AOC mais honnêtement, le renforcement de l’AOC n’est pas du « pipeau ». Nous sommes en train de mettre en place ce que l’on aurait dû installer il y a 50 ans. Ceci étant, la qualité Cognac est là. On ne vend pas 400 000 hl AP par an depuis une vingtaine d’années sans que le produit ne soit de qualité. L’INAO est utile au Cognac. Il nous permet de positionner le Cognac comme un produit unique, ce que nous croyons qu’il est. L’INAO nous aide également à nous défendre mais je ne pense pas que, grâce à l’INAO, la qualité du Cognac va évoluer terriblement. Quoiqu’aient pu en dire certaines personnes, quand ils ont été reçus pour la première fois au BNIC. Un terrain d’entente peut être trouvé avec l’INAO mais le Cognac n’a pas eu besoin de l’INAO pour se développer et pour devenir le produit de qualité reconnu dans le monde entier, tel qu’il est aujourd’hui.
Syndicat de défense – Le syndicat de défense doit représenter toutes les compétences, du viticulteur qui incarne le lien au terroir en passant par les bouilleurs de cru, les bouilleurs de profession qui créent l’appellation et dans ce concert, les négociants aussi ont leur place. Ma connaissance du fonctionnement de l’institution me fait malheureusement dire que l’INAO écoute avant tout les viticulteurs. Les négociants sont généralement oubliés ou bien on leur concède un strapontin. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que certains d’entre nous veuillent compenser par le volume sonore le peu de sièges dont ils disposent.
Forums – Il ne faut pas s’illusionner. Ce n’est pas au sein de l’INAO mais dans les coopératives associées, les groupements et à l’intérieur des maisons elles-mêmes que continueront de s’exercer prioritairement les relations entre viticulteurs et négociants. Il est normal que les problèmes globaux d’une profession se discutent dans une enceinte collective. Mais dans ce contexte précis, je crains que l’INAO ne soit un miroir aux alouettes. Il a été dit par certains représentants viticoles siégeant à l’INAO – ils l’ont dit hors région et un peu moins fort à l’intérieur de la région – que l’INAO allait redonner du pouvoir à la viticulture. Il ne faudrait pas que l’INAO se traduise par des changements dramatiques. Par ailleurs, convient-il de déplacer les forums de discussion ? Ils étaient à l’interprofession jusqu’à maintenant. Est-ce vraiment nécessaire de créer un nouveau forum INAO. A mon avis, c’est assez ridicule. D’ailleurs, l’INAO prône toujours le fait que les décisions se prennent à partir de la base. « Les idées, disent-ils, doivent venir du terroir, ce sont les gens de la région qui sont le mieux placés pour connaître les problèmes. La structure nationale n’est là que pour entériner les propositions de la base. » Dans cette logique-là, nous demandons que l’on reconnaisse nos pratiques, qui ont fait leurs preuves. En terme de chiffre d’affaires, nous sommes tout de même la plus grosse région viticole grâce à nos spiritueux, au coude à coude avec la Champagne. Ce résultat émane d’habitudes de production bien rodées et d’un type de relation viticulture/négoce qui est ce qu’il est, qui peut être amélioré mais certainement pas à coups de décrets ou d’arrêtés ministériels. Les négociants, les viticulteurs et tous ceux qui participent à la filière Cognac doivent s’asseoir autour d’une table et essayer de résoudre leurs problèmes. La solution ne viendra pas d’en haut.
Présidence du BNIC – Je n’ai pas de commentaires à faire. Au nom de l’alternance viticulture/négoce, la présidence doit normalement revenir à un négociant. Je sais qu’il existe des rumeurs faisant circuler mon nom. Mais les élections ont lieu au mois de juillet et un débat devra avoir lieu au préalable au sein de la famille du négoce.