Frapper à la bonne porte

12 février 2009

L’obtention de rendements différenciés – 130 + 50 ou 70 hl vol./ha – sur les vignes autres que celles affectées au Cognac conditionne en grande partie le passage d’un régime de double fin à un régime d’affectation. Mais pour obtenir gain de cause, faut-il encore frapper à la bonne porte ! Un pool d’interlocuteurs bien introduit dans le sérail vitivinicole nous dit comment les choses pourraient se passer.

 

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La première question à se poser est de savoir si cette libéralisation des rendements peut être envisagée comme une affaire strictement charentaise ou si elle intéresse les autres régions ? Les réponses obtenues ne laissent pas planer le doute : les autres régions ont leur mot à dire. La raison en est réglementaire. En effet, aujourd’hui, la zone délimitée Cognac partage avec l’ensemble des régions françaises au moins deux décrets relatifs au rendement : le rendement maximum de 100 hl/ha applicable aux vins de table produits dans les exploitations « mixtes » qui revendiquent du vin de pays (jouant dans les cadres 2 et 3 de la déclaration de récolte) ; et le même rendement maximum mais appliqué, cette fois, à tous les cadres, pour pouvoir bénéficier des aides au stockage et à l’enrichissement. L’introduction en Charentes d’une limite de rendement plus haute sur les ha vins de table et jus de raisin consisterait à faire bouger ces deux curseurs. Et dans la mesure où la production d’une zone est susceptible d’interférer sur une autre, il convient, sinon de demander l’aval des autres régions, du moins d’en discuter avec elles. Ou alors, il faudrait partir du principe que l’on exclut du bénéfice des rendements différenciés toutes les exploitations charentaises produisant des vins de pays ou demandant des aides au stockage et à l’enrichissement. Ce qui ne semble tout de même pas l’esprit retenu. Ainsi le nouveau décret d’appellation Cognac, en cours de validation par les professionnels, indique-t-il l’existence de rendements différenciés. Une mention qui n’est pas que de pure forme.

Comment s’y prend-on pour faire évoluer un cadre réglementaire ? Première chose : les demandeurs – les Charentais en l’occurrence – doivent précisément dire ce qu’ils veulent. Deuxième chose : ils doivent rencontrer leurs collègues des autres régions. Pour ces aspects de rendements vins de table et jus de raisin, le contact privilégié semble être le conseil de direction de l’ONIVINS et plus précisément son président, Denis Verdier. Outre son mandat à la tête de l’ONIVINS, ce dernier est aussi président de la Confédération des coopératives viticoles de France. Plus largement, il apparaît comme le leader naturel de la viticulture française des vins de table/vins de pays et donc l’interlocuteur « légitime » des Charentais sur le dossier de la libéralisation des rendements. Si le ministère de l’Agriculture peut aider à l’organisation du dialogue, la « prise de langue » peut aussi se faire en dehors de lui. De toute façon, l’inscription des rendements différenciés à l’ordre du jour du conseil de direction de l’ONIVINS n’apparaît pas comme la « porte d’entrée » du dossier mais bien comme sa « porte de sortie ». L’onction du conseil de direction de l’ONIVINS n’interviendra qu’en « bout de course ». Avant, il apparaît nécessaire que le dialogue s’instaure entre professionnels.

D’ailleurs, en guise de contacts informels, le terrain n’est pas totalement vierge. Une amorce a déjà eu lieu en janvier 2004. Mais ces travaux d’approches ne sont pas révélés « conclusifs », sans parler d’être concluants. Intervenus très tôt, alors que la réforme du décret d’appellation Cognac n’en était qu’à son ébauche, sans doute manquait-il de matière. Plusieurs réunions de travail ont déjà eu lieu au ministère de l’Agriculture. Cependant, des questions sont restées en suspens, comme celle de savoir si, oui ou non, les Charentais voulaient continuer à pouvoir accéder aux aides au stockage et à l’enrichissement (notion de plafond de rendement agronomique, considéré jusqu’à présent par la France comme consubstantielle de telles aides) ; ou encore quel différentiel de rendement ils souhaitaient réellement entre les vins Cognac et les vins autres. Sans doute d’autres réunions techniques seront-elles nécessaires pour affiner ces points de détails et permettre de se « caler ».

« Un paquet global »

A qui revient la charge de porter le dossier ? On assigne généralement ce rôle à l’interprofession, une interprofession comprise au sens strict – le BNIC – mais aussi au sens large des deux familles, viticulture et négoce. « Tout interfère sur tout. C’est un paquet global. » En ce qui concerne le calendrier, il est dit « que ce dossier doit être prêt dans l’année ». Car 2006 s’affirme de plus en plus comme une date pivot. « La Commission européenne nous informe qu’elle ne présentera pas son projet de révision de l’OCM avant 2006. Mais, par défaut, cela signifie que ce projet peut tomber en 2006. Même si, en théorie, nous avons deux ans devant nous, le dossier est suffisamment complexe pour nous y préparer dès maintenant, quitte à procéder à des ajustements par la suite. » Par ailleurs, en off, un autre planning semble se préciser, celui des négociations informelles entre grands pays viticoles européens (France, Italie, Espagne), afin de présenter à la Commission européenne des propositions communes sur l’avenir de la viticulture. « Cette recherche de consensus représente le seul moyen que nous ayons d’influer sur le projet de texte de la Commission », estime-t-on du côté des organisations viticoles. L’idée consiste à ce que, courant 1er semestre 2005, à l’intérieur de chaque pays, les positions entre régions s’harmonisent pour ensuite En France s’intègre dans ce dispositif la remontée des desiderata par bassins de production organisée en ce moment par l’ONIVINS (voir interview de J.-F. Bertran de Balanda pages 29 à 31).

Sur la question des rendements « vignes autres », la notion de traçabilité a pu être évoquée, traçabilité entre vins de base mousseux et jus de raisin. Si le terme de traçabilité paraît un peu excessif, en revanche « là où les Charentais seront attendus, c’est sur leur capacité à démontrer l’existence de marchés pour ces volumes et de marchés où ils seront seuls à se rendre ». En clair, ils doivent apporter la preuve qu’ils ne vont pas aller « piquer » des marchés aux autres.

Là non plus on ne part pas exactement de zéro. L’ONIVINS a procédé à un premier chiffrage des quantités et des marchés potentiellement disponibles. Son étude tend à démontrer l’impact très marginal des jus de raisin et des vins de base mousseux charentais sur les débouchés des autres régions. La région délimitée Cognac a une spécificité, celle de produire des vins de table blancs. Ces produits s’avèrent en définitive très peu concurrentiels des vins de pays blancs (Coteaux de Gascogne, Comté Tolosan…) et bien sûr des produits issus de cépages rouges. Quand les opérateurs jus de raisin recherchent des jus blancs d’une certaine typicité, ils ne recherchent pas des jus rouges, de caractéristiques différentes.

Il est d’ailleurs assez symptomatique de constater qu’une certaine fiabilité se dégage du marché des jus de raisin. Est-ce dû aux impératifs techniques du produit ou à la manière de communiquer de ses opérateurs ? Un observateur averti confirme : « La filière jus de raisin délivre un message très “carré”, toujours chiffré de la même façon. Elle dit qu’elle a besoin d’1 million-1,1 million d’hl vol. de jus de raisins blancs des Charentes. » Si les élaborateurs de base mousseux paraissent à priori intéressés par les vins charentais, leurs intentions, manifestement, ne brillent pas de la même clarté. La filière vins de base serait-elle plus attirée par les « coups » ou faut-il en chercher la cause du côté des fournisseurs de matière première eux-mêmes ? Un témoin n’est pas loin de le penser : « Les Charentais ont ceci de particulier qu’ils sont de véritables opportunistes. Ils ne manifestent aucune fidélité à d’autres marchés qu’à celui du Cognac. S’ils veulent capter durablement le marché des vins de base et justifier d’un rendement supérieur sur cette destination, ils devront faire preuve d’engagements sur ce débouché. »

« Tout est envisageable »

Concernant le niveau de rendement sur les jus de raisin – 180 ou 200 hl vol/ha – apparemment rien n’est encore fixé. « Tout est envisageable dès lors que l’on ne dépasse pas les besoins de la filière. Pourquoi pas un rendement de 200 hl/ha si le volume global est contenu. Par contre il ne faudrait pas que par le biais de trop d’affectations de surfaces un tel relèvement du plafond aboutisse à la mise sur le marché d’1,8 million d’hl de jus de raisin. »

La libéralisation des rendements demandée par les Charentes intéresse-t-elle d’autres vignobles ? « C’est un vrai sujet aujourd’hui », note-t-on du côté des professionnels. Pour ne parler que de l’autre grande région de vin de table, le Languedoc-Roussillon, un grand mouvement d’inquiétude, voire un vent de panique, souffle en ce moment sur la viticulture méridionale. En question, la compétitivité des exploitations. Faute de pouvoir augmenter les prix, pourquoi ne pas envisager d’augmenter les volumes ? Un débat encore diffus mais bien réel commence à s’instaurer sur ce thème dans le Midi. Ainsi, la proposition émise par les Charentes risque de faire des envieux. Maintenant reste à savoir si, sur des produits comme les jus de raisin ou les vins de base mousseux, une région comme le Languedoc-Roussillon a les marchés en face ? Certains professionnels méridionaux semblent en douter et voient donc plus de risques que de profits à demander la libéralisation des rendements dans leur propre région.

Question : d’un point de vue réglementaire, les rendements différenciés, pour s’appliquer, doivent-ils concerner toutes les régions où ne peuvent-ils n’en viser qu’une ? La réponse des spécialistes est claire sur le sujet : « Un cadre général ne s’impose pas. On peut très bien imaginer un dispositif spécifique aux Charentes. Simplement, on ne parlera pas des Charentes en tant que tel mais de vignobles à cépage double fin, Cognac et Armagnac. » Est-ce que cela signifie pour autant que le dialogue entre la région délimitée et les autres vignobles ne s’impose pas ? Non bien au contraire. L’absence d’opposition des autres régions viticoles est indispensable à obtenir. Dans le climat « émotionnel » qui règne dans le Midi, est-ce plus facile aujourd’hui qu’hier ? 

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