Libéralisation des droits de plantation – Sénat : l’Europe viticole du refus

10 mai 2011

La résistance européenne à la libéralisation des droits de plantation s’organise. Démonstration publique et politique en a été faite au Sénat le 4 avril dernier, à l’occasion d’un colloque sur les droits de plantation. Si l’unanimité s’opère parmi les régions viticoles européennes et leurs élus, la Commission campe toujours sur ses positions. Question du jour : peut-on intégrer les droits de plantation à la négociation PAC afin d’obtenir la révision de l’OCM vin.

 

 

Le Sénat, ses ors, ses fastes et surtout sa charge symbolique. La Chambre du Sénat, sise Palais du Luxembourg, incarne la politique du bon sens, celle des élus de terrain. Un bon sens – ou plutôt un défaut de bon sens – maintes fois dénoncé au sujet de la libéralisation des droits de plantation. Rapide retour sur les faits. En 2006, la Commission européenne et son ultra-libéral commissaire européen à l’Agriculture de l’époque, Mariann Fischer-Boel, propose la non-reconduction des droits de plantation. Autant dire leur suppression. Deux ans plus tard, en 2008, le Conseil des ministres européens de l’Agriculture vote la nouvelle OCM vin, y compris son chapitre sur l’abolition des droits de plantation. A partir du 1er janvier 2016 – échéance repoussée au 1er janvier 2018 pour les Etats qui le demanderaient – les droits de plantation n’existeront plus. Fermez le ban ! Assez vite cependant, la résistance s’organise dans les régions viticoles. Chef de file en France, la CNAOC (Confédération nationale des appellations d’origine) qui, en ce 4 avril 2011, était l’une des puissances invitantes aux côtés de FranceAgriMer et du Sénat, en la personne de Gérard César, député de la Gironde. Au Sénat, G. César préside le groupe d’études « Vignes et vins ». A travers le colloque, il s’agissait de faire la démonstration publique et politique d’une Europe viticole soudée dans la défense de ses droits de plantation. Objectif pleinement atteint. Dans leurs communications respectives, parlementaires et responsables viticoles italiens, espagnols, français, hongrois, ont fait preuve d’une belle unanimité.

En début de matinée, Bruno Le Maire, le ministre français de l’Agriculture, est venu leur apporter un soutien de poids. Participait aussi au colloque le chef de l’unité « Vins » de la commission agricole européenne, l’Espagnol Jesus Zorilla. Sans surprise, le haut fonctionnaire européen fit entendre un autre point de vue, démontrant, s’il le fallait, que l’affaire est loin d’être close.

« une folie économique, une faute politique »

Discours viril, discours engagé, discours de combat… Bruno Le Maire n’a pas mégoté son intervention. Même Pierre Aiguilas, président de la CNAOC, en a rosi de plaisir. Il n’en attendait pas tant. « Le maintien des droits de plantation, a dit B. Le Maire, n’est pas une position du passé. C’est une position moderne, une position d’avenir. » Et de poursuivre sur sa lancée : « Leur libéralisation serait à la fois une folie économique et une faute politique. » Folie économique car les produits agricoles « ne sont pas des produits comme les autres. Quand les prix s’effondrent, on ne ferme pas le robinet des volumes. Cela ne se passe pas comme ça ». Le ministre français de l’Agriculture a donné comme exemple d’encadrement le « paquet lait » que la France s’attache à défendre dans les négociations de la PAC. « A défaut d’outils d’intervention de ce type, ce sont des centaines de milliers de producteurs laitiers qui disparaîtraient en Europe. C’est cette solution que nous souhaitons étendre à toutes les filières agricoles en Europe. » Le responsable politique français a dénoncé la position « naïve, désolante, navrante » d’une Europe qui s’engagerait dans une libéralisation à tout va alors que « le Brésil, l’Amérique, la Chine n’ont pas ce genre d’attitude ». Faute politique enfin « parce qu’une chute des prix ne pourrait que faire le lit du populisme. Il ne faudrait pas s’étonner ensuite que les viticulteurs réagissent, réagissent fortement, réagissent mal. Je vous le dis en guise d’avertissement ! » Sur le calendrier d’intervention, Bruno Le Maire s’est montré plus évasif. Il a indiqué son intention de rencontrer ses homologues européens pour « adresser ensemble une lettre commune à la Commission », lui demandant de maintenir les droits de plantation. Un peu plus tard dans la journée, un fonctionnaire du ministère de l’Agriculture a tenté de donner un peu de chair aux propos du ministre. Sans vraiment y parvenir.

une logique défaite

Après l’intervention de l’homme politique français, Jesus Zorilla, chef de l’unité « Vins » de Bruxelles, a pris la parole. Et l’on s’est assez vite aperçu du caractère quasi irréconciliable de la position de la Commission vis-à-vis de celle des régions viticoles. La Commission développe son propre raisonnement, est mue par sa propre logique. Pour tout dire, elle ne semble pas disposée à changer d’avis. Le haut fonctionnaire européen, en poste au bureau du vin depuis 2009, a d’abord pris la précaution d’indiquer « que la Commission, au stade actuel des choses, n’était pas là pour prendre position mais pour appliquer le règlement voté par les ministres ». En clair, son mandat consiste à mettre en route la réforme vin, y compris la libéralisation des droits de plantation. Le haut fonctionnaire s’est tout de même interrogé sur les raisons qui avaient conduit la Commission à proposer, en 2006, l’élimination des droits de plantation. « La Commission, a-t-il dit, avait constaté que le secteur du vin était extrêmement segmenté. Des secteurs très compétitifs côtoyaient des secteurs qui l’étaient beaucoup moins. Des vins se vendaient à 0,15 cents d’€ le litre. Le système n’était pas équilibré. Sur au moins deux pays de l’UE, l’Allemagne et le Royaume-Uni, les vins des pays tiers taillaient des croupières à nos propres vins. Il fallait redonner de la compétitivité à nos vins. Nous avons changé le règlement sur l’étiquetage, modifier les pratiques œnologiques en les calquant sur les recommandations de l’OIV. Nous avons aussi adopté un plan d’aide à la filière viti-vinicole, plan qui connaît un grand succès. » Le haut fonctionnaire ne s’y est pas trompé. Concernant le plan d’aide, il a mis en relief l’enveloppe d’arrachage. « Nous allons pouvoir financer 175 000 ha d’arrachage alors que les demandes d’arrachage portent sur 400 000 ha. » Il a aussi insisté sur les droits de plantation non utilisés dans les réserves nationales, que ce soit en France, en Italie ou en Espagne. « Tous ces éléments nous font penser que le danger n’est pas bien grand de voir les plantations exploser à l’issue de la libéralisation des droits. » J. Zorilla a également évoqué des prix de la vigne certes plus élevés que le prix de la terre arable dans certains endroits mais pas systématiquement. « Parfois, la différence est bien mince. Cela prouve que la vigne ne dégage pas de rentabilité nettement supérieure. Le pouvoir d’attractivité de nouvelles plantations s’en trouve relativisé d’autant. » En fin d’intervention, le fonctionnaire européen a effectué un dégagement sur les cahiers des charges et les interprofessions. « Avec les cahiers des charges des AOP/IGP, nous disposons d’un moyen de contrôler le rendement, de s’assurer que les vins produits correspondent aux qualités requises. En France, la plupart des vins rentrent dans ce cadre. Nous trouvons qu’il s’agit-là d’un moyen très important pour réguler. Nous voyons aussi, toujours en France, que les interprofessions conduisent un vrai travail d’intervention sur les marchés. Pour nous il s’agira, dans le futur, d’un outil très important. » Conformément à la culture européenne de la concertation et du lobbying, le chef du bureau du vin a lancé un appel. « En 2012, la Commission va rédiger un rapport d’étape sur la réforme du vin. Dans ce cadre-là, nous analyserons tous les éléments disponibles. Si vous disposez d’études qui puissent être utilisées, nous serons très honorés et reconnaissants de les recevoir. »

désaccord face à la commission

Sans attendre et en direct, représentants viticoles et parlementaires ont exprimé leur désaccord face à la décision adoptée en 2008. Chacun y est allé de sa sensibilité. Quand les Hongrois redoutent l’implantation de grands groupes financiers « russes ou chinois » qui planteraient des milliers d’ha de vignes dans leur pays « en transition », les Espagnols pointent du doigt éléments commerciaux (dégradation du prix) et risque de désertification des zones arides alors que l’Italie ou la France s’inquiètent davantage du détournement de notoriété.

Herbert Dorfmann, député européen et italien de son état (comme son nom ne l’indique pas) a ouvert le ban. L’eurodéputé ne nourrit guère de doute. Dans les zones à forte valeur ajoutée, il pronostique « une explosion des plantations » en précisant que « le Parlement européen ne s’est jamais prononcé en faveur de la libéralisation ». Au terme d’une intervention dense et argumentée, Christian Paly, membre du conseil d’administration de la CNAOC et vice-président de l’Efow (Europen Federation of Origins Wines), s’est attaché à répondre point par point « à son ami Jesus », qu’il côtoie fréquemment à Bruxelles. Sur les cahiers des charges des vins sous IG tout d’abord. Pour le responsable viticole français, « les cahiers des charges des vins sous IG sont tout sauf des instruments de régulation. Ils ont une vocation qualitative et uniquement qualitative. » Il s’est également interrogé sur la valeur du « modèle » des vins du nouveau monde. « Peut-on vraiment prendre comme référence le plan stratégique australien, quand on sait qu’il a déjà conduit à l’arrachage de plusieurs dizaines de milliers d’ha. Cela laisse un tantinet songeur. » Autre question : « pourquoi l’Europe accepte-t-elle de dépenser tant d’argent pour rééquilibrer le marché viticole européen, en courant le risque de le déséquilibrer tout aussitôt par une libéralisation des droits de plantation ? Les droits de plantation sont des outils de contrôle qui ne coûtent rien. » Quant à leur supposé caractère sclérosant ou fossilisant « les droits de plantation n’ont jamais empêché nos vignobles d’évoluer. » Ch. Paly a dénoncé par avance la dangerosité d’une réglementation qui s’exercerait dans un cadre de subsidiarité (en clair laisser aux Etats membres la liberté de conserver ou non les droits de plantation). « Cette subsidiarité introduirait une distorsion de concurrence insupportable. » Pas question non plus d’encadrer les vins sous IG en libérant les vins sans IG. « La mixité des vignobles est avérée partout. Aucun marché n’est étanche. Ils sont tous imbriqués. » Christian Paly n’ignore pas les forces en présence. « Sur ce dossier, nous avons à faire à une commission pugnace et sûre de son fait. Nous pourrons l’emporter mais à condition que le maximum d’Etats membres soient unis. »

« un chiffre d’affaires de 9 milliards d’E »

Catherine Vautrin, auteur du rapport éponyme, a débuté son intervention en faisant remarquer qu’en France, les vins et spiritueux avaient dégagé en 2010 un chiffre d’affaires export d’un peu plus de 9 milliards d’€. « C’est la preuve incontestable que les droits de plantation n’ont jamais été un obstacle en France. » Catherine Vautrin, député de la Marne, a réclamé d’être vigilant sur le détournement de notoriété. « Dans le département de la Marne, une commune s’appelle Maison-en-Champagne. Elle ne fait pas partie de l’aire délimitée Champagne. Imaginez ce que cela donnerait dans un contexte de libéralisation des droits. Il s’agit-là d’un vrai danger, d’une vraie tentation de détournement. » Le sénateur de l’Aude, Roland Courteau, a laissé parler son cœur. La libéralisation représenterait pour lui « une rupture énorme, un coup tordu. Quelles personnes de bon sens peuvent cautionner un tel système ? » Il trouve quelque part « blessant, humiliant, vexant » de voir, d’un côté, l’arrachage massif consenti par sa région à des fins qualitative et, de l’autre, la mise en place d’une libéralisation sans frein. « A quoi auront servi nos efforts ! ». Lui non plus ne sous-estime pas le risque de voir arriver des grands groupes financiers. Il dénonce par avance le cercle vicieux d’une baisse des prix, d’une baisse des investissements et « au bout du bout, une moindre qualité ». Même approche de l’Espagnol Piertro Ruiz, président de la conférence des conseils régulateurs. Il a ciblé la perte de patrimoine, le risque de désertification des régions méditerranéennes. « Nous échangeons souvent avec Jesus sur ces aspects. Les droits de plantations sont absolument stratégiques. Il faut les protéger. »

« il faut résoudre le problème »

Ricardo Ricci Curbastro préside la Federdoc, Fédération interprofessionnel italienne qui regroupe l’essentiel des vins d’appellation de la péninsule. « En 2008, a-t-il souligné, l’accord sur l’OCM vin résulta d’un compromis. Peut-être qu’à l’époque n’existait-il pas de meilleur compromis. Mais aujourd’hui, il faut que la commission fasse des efforts pour résoudre le problème. Nous ne disons pas à la commission qu’elle s’est trompée. Non, mais ce dossier ne peut pas être occulté. Faire des erreurs n’est pas grave en soit. Persévérer dans l’erreur serait diabolique. » Le président du Chianti, Guiseppe Liberatore, a fait état d’une mesure conduite depuis dix ans dans son appellation : le plan triennal interprofessionnel. « Tous les trois ans, nous vérifions les conditions économiques de l’appellation et, sur cette base, nous regardons si le potentiel de production correspond aux besoins. Cette expérience existe déjà à grande échelle. Si vous le désirez, nous pourrons vous fournir des données. »

Avant G. Liberatore, Catherine Vautrin avait évoqué elle aussi la piste interprofessionnelle comme un échappatoire possible à la libéralisation. Elle a appelé à « une régulation repensée – « comment faire encore mieux » – en conservant une interdiction de planter. » Et de proposer « une gestion interprofessionnelle placée au cœur de la régulation de production, avec un accord professionnel quinquennal révisable chaque année. »

A l’heure des questions/réponses et des réactions de la salle, Yves Bénard, président du Comité national vin et eaux-de-vie de l’INAO, s’est prononcé sans ambiguïté pour le maintien des droits de plantation. Lui aussi a insisté sur les dangers d’une concurrence déloyale et, comme le sénateur Courteau, a exprimé ses craintes d’une remise en cause des efforts consentis. « En 1974, une région comme le Languedoc-Roussillon comptait 434 000 ha de vigne. Au nom des efforts qualitatifs, elle a fait disparaître plus de 150 000 ha pour arriver aujourd‘hui à 260 000 ha. Faut-il vraiment courir le risque de rebattre les cartes ? »

comment revenir sur une décision ?

Le débat au Sénat l’a prouvé. L’Europe viticole semble unie sur la défense des droits de plantation, à la nuance près du rôle des interprofessions, encore à éclaircir (voir plus loin). Par contre une question se pose, cruciale : comment revenir sur une décision déjà prise au plan communautaire ? C’est ainsi que les notions de « fenêtre de tir » et de calendrier se sont retrouvées sur le devant de la scène le 4 avril. D’autant plus qu’en la matière, plusieurs positions s’affrontent. Il y a d’abord la position – où plutôt l’absence de position – de la Commission. On l’aura compris ! Pour la Commission européenne, le sujet de la date de révision ne fait pas débat… puisque de révision, il n’en est pas question. Pourquoi revenir sur quelque chose qui a déjà été voté. Et pourtant, la doctrine de la Commission est-elle aussi tranchée qu’il y paraît à première vue ? Pas si sûr. Dacian Ciolos, le commissaire européen à l’Agriculture, n’est pas un clone de Mariann Fischer-Boel. Par ailleurs, la Commission n’est pas complètement sourde aux arguments de terrain. Elle voit bien se lever une bronca au sein des régions viticoles européennes. D’une manière ou d’une autre, elle devra en tenir compte politiquement. Sans doute est-ce pour cela qu’il y a un mois, en Allemagne, D. Ciolos a entrouvert une porte. Il a dit en substance : « Donnez moi des “biscuits” – autrement dit des arguments – pour voir si, éventuellement, nous pouvons faire quelque chose. »

négociation de la pac

Pour sa part, la viticulture européenne s’est forgée au fil des mois une certitude sur le calendrier et la « fenêtre de tir ». Pour elle, aujourd’hui, il n’existe qu’une issue possible : que les droits de plantation s’invitent dès juin prochain à la négociation qui s’ouvre sur la PAC 2014-2020. Pourquoi ? Pour au moins deux raisons. A laisser traîner les choses jusqu’à la veille de l’abandon des droits, en 2014-2015, on tomberait sur une période d’intense flottement. Car, en 2014, se tiendront les élections au Parlement européen et le commissaire européen à l’Agriculture changera. Ensuite et surtout, les négociations de la PAC sont les seules négociations vraiment sérieuses programmées d’ici au 1er janvier 2016, date d’expiration des droits de plantation. Et quand on sait, comme l’a rappelé un expert « qu’à Bruxelles, les négociations se résument souvent à un vaste marchandage global, calculette à la main », on peut admettre que le vin ait tout intérêt à en faire partie. La grande peur – pour ne pas dire la grande « trouille » – de l’Europe viticole ! Qu’à être exclue des négociations PAC, la viticulture se retrouve privée, le moment venu, de toute monnaie d’échange. Certes, à ce jour, la Commission européenne n’a aucune intention d’intégrer la viticulture aux négociations PAC. Mais ne faut-il pas forcer le destin, mettre les Etats membres viticoles sous pression pour qu’ils acceptent de confondre les dossiers ? A voir les mentalités ambiantes, « y a du boulot ». Il faudra faire bouger les lignes.

atermoiements

L’un des intérêts majeurs de la rencontre du Sénat fut de constater les atermoiements, pour ne pas dire les palinodies du gouvernement français sur le sujet. Quand Bruno Le Maire, le matin, se livrait à une démonstration de force en faveur des droits de plantation, ses services, l’après-midi, exécutaient une danse du voile digne du grand turc. Certes, stratégie oblige, les fonctionnaires ne peuvent pas tout dire, surtout devant un représentant de la Commission. Mais à ce point ! Thomas Montagne, secrétaire général des Vignerons indépendants, s’en est ému : « Face à cette valse-hésitation, je considérerais presque le discours très offensif du ministre de l’Agriculture comme dilatoire. Et cela m’inquiète. Car, pour nous, il est indispensable d’être intégré à la table des négociations PAC. »

Que répond le ministère de l’Agriculture ? En gros « qu’il y aurait plus de risques que d’opportunités à inclure le vin aux négociations PAC ». Eric Allain, directeur général des politiques agricole, agro-alimentaire et des territoires, a évoqué la spécificité des mesures vit-vinicoles, une spécificité qui, a-t-il dit, n’est pas gravée dans le marbre ». « Nous ne voulons pas courir le risque de la banalisation du secteur viti-vinicole. » Réponse de Jérôme Despey, président du conseil spécialisé vins de FranceAgriMer. « Nous aussi sommes très attachés à nos outils spécifiques. Ainsi devrons-nous nous montrer très vigilants. Mais il n’est pas antinomique de bénéficier d’outils spécifiques et de participer à une négociation globale. » Même tonalité de la part de Thierry Coste, président du groupe vin du Copa-Cogeca : « à notre sens, il serait bien plus dangereux de ne pas jouer le match ».

« la mère de toutes les batailles »

Un peu plus tôt, le journaliste spécialisé François-Xavier Simon (Agraeurop), avait décrit la négociation PAC comme « la mère de toutes les batailles ». Notamment pour la France qui, sur une enveloppe européenne totale de 39 milliards d’€, émarge pour quelque 8 milliards d’€ d’aides directes PAC et se taille ainsi la part du lion. Demain des arbitrages s’annoncent sur fond de « bilan de santé de la PAC ». Faut-il y voir la difficulté française à exprimer clairement sa stratégie viti-vinicole ?

La réserve n’est pas le seul fait des fonctionnaires. Au cours de la rencontre du Sénat, le négoce vin européen ne s’est pas dévoilé non plus. Mais peut-être les organisateurs ne les avaient-ils pas non plus beaucoup sollicités. Afin ne pas brouiller le message ? Pourtant gageons qu’ils auraient eu des choses à dire. L’intervention de Patrick Aigrain, chef du service « études » à FranceAgriMer, a permis de mettre en perspective les rapports des uns et des autres. Intéressant (voir encadré page 10). En toute fin de réunion, des représentants du négoce européen, espagnols notamment, sont tout de même intervenus. L’un d’entre eux a clairement dit qu’il ne souhaitait pas que soit remise en question la libéralisation des droits de plantation. « Si nous ouvrons un nouveau paquet, les compromis seront beaucoup plus délicats à trouver. Nous risquons de perdre les acquis sur la chaptalisation et sur un tas d’autres choses. La solution consiste peut-être à s’appuyer sur une réforme des interprofessions pour qu’elles puissent gérer les droits de plantation dans les bassins de production. »

Vous avez dit interprofession ! Sur ce dossier des droits de plantation, tout se passe comme si les interprofessions représentaient le nœud du problème, enjeu de pouvoir pour certains, moyen de négociation pour d’autres, souvent les deux à la fois. On dit Dacian Ciolos « preneur de l’idée interprofessionnelle », peut-être pour se dispenser de bouger sur les droits de plantation. Le ministère de l’Agriculture français ne répond-il pas à la même tentation – s’exonérer d’une négociation difficile – quand il prône « le regroupement des interprofessions pour donner une place accrue aux mécanismes de marché ». « Qui trop embrasse, mal étreint » dit le dicton. L’interprofession, un beau concept qui s’altérerait à être recyclé à l’infini.

Du phylloxéra aux droits de plantation
Quand l’histoire éclaire l’avenir

Il fut une époque, après la crise du phylloxéra, où la vigne ressemblait au secteur brassicole. C’est pour lutter contre cette industrialisation du vin que les appellations virent le jour. Aujourd’hui, la libéralisation des droits de plantation ne s’assimile-t-elle pas à une tentative de rapprocher la valeur ajoutée du vin vers les lieux de consommation et d’élaboration ? Patrick Aigrain, chef du service étude de FranceAgriMer, ne tranche pas mais ouvre des perspectives, au regard de l’histoire.
Le savez-vous ? Aujourd’hui, en Europe, seulement trois produits agricoles transformés possèdent leur propre OCM (Organisation commune de marché) : le vin, le sucre et l’huile d’olive. Ainsi n’y a-t-il pas d’OCM raisin mais une OCM vin, pas d’OCM betterave mais une OCM sucre, pas d’OCM olives mais une OCM huile d’olive. Par contre, vous n’entendrez pas parler d’OCM farine mais d’une OCM blé. Cela signifie que le vin, le sucre et l’huile, produits transformés, restent malgré tout arrimés à la famille des produits agricoles. Et donc, quelque part, que la valeur ajoutée issue de leur transformation a vocation à tomber dans l’escarcelle des producteurs ou, tout au moins, à être partagée entre producteurs et élaborateurs. Ceci n’est pas le fruit du hasard mais d’une longue histoire. Une histoire que, pour la viticulture, Patrick Aigrain raccroche à la crise phylloxérique. En 1875, le puceron ravageur décime des millions d’ha et, dommage collatéral, « fait migrer la vigne des coteaux vers la plaine. » A la limite, cela ne choque personne car l’époque est au « vin de peine », le « vin qui aida les mineurs à descendre dans la mine ». « Durant cette période, il s’est fait tout et n’importe quoi » raconte le chercheur. « On allait chercher des raisins en Grèce ou en Turquie, on ajoutait de l’eau, on pressait très fort et cela donnait du vin. La vigne se rapprochait du secteur brassicole. Les élaborateurs faisaient le vin et captaient la valeur ajoutée. » Ces excès sont nocifs pour la santé. Les hybrides producteurs directs, chargés en méthanol, « rendent aveugles, fous quand ils ne tuent pas. » Les tricheries se multiplient (d’où, en réaction, le journal Le Vrai Cognac en Charentes). Dans le Midi, en Champagne, les crises viticoles de 1909 enflamment les campagnes. En réaction à l’industrialisation du vin, une refondation s’impose. Et naîtra le régime des AOC, sculpté sur les décombres de la crise phylloxérique. Pour des raisons sanitaires, toutes les pratiques œnologiques relèvent alors de la compétence du Conseil des ministres. Conséquence adjacente : la vigne regagne les coteaux.
Aujourd’hui, d’aucuns s’interrogent. La libéralisation des droits de plantation n’est-il pas le signe avant-coureur d’une tentative de ré-industrialisation du vin, d’un rapprochement de la valeur ajoutée vers les lieux de consommation et d’élaboration ? Certes, le vin paraît encore bien loin de cet univers. Il reste par exemple indemne des pratiques de fractionnement – technique du cracking – à l’œuvre sur le lait depuis 30 ans. On ne peut toujours pas l’aromatiser tel un vulgaire yaourt. Mais quid demain, sur fond d’accords Adpic et de règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) ? Que la vigne redescende dans la plaine à cause de la libéralisation des droits de plantation constituerait déjà un bien mauvais présage.

 

Droits de plantation/Interprofession : « Je suis mon pire Ennemi »
Interprofession, la solution miracle face à la libéralisation des droits de plantation ! Pas si sûr. L’interprofession, c’est moi, c’est lui. Et dans certaines circonstances, je m’y entends, à creuser ma propre tombe.
Cognac, ses riches heures et ses grandes bévues. La région des Charentes a mis trente ans à se relever d’une grosse faute, celle d’avoir planté 30 000 ha en trop, à partir des années 60. Bernard Guionnet, le déjà et ô combien regretté président de l’interprofession du Cognac, n’omettait jamais de rappeler cette fêlure originelle. A lui comme à beaucoup d’autres viticulteurs de sa génération, elle valut trente ans de vie professionnelle chaotique. Quand, le 12 avril dernier, à l’assemblée générale du Syndicat des producteurs de Pineau, les responsables professionnels à la tribune – Christian Baudry, Jean-Bernard de Larquier, Jean-Marie Baillif – ont évoqué la libéralisation des droits de plantation, ils se sont demandés tout aussitôt « comment se protéger de soi-même ». « Quand ça va bien, c’est tout autant le viticulteur que le négociant qui poussent à planter. C’est pour cela que nous avons besoin de garde-fous, aussi vis-à-vis de nous-mêmes. » « Pour ne pas dérégler le marché, la croissance des surfaces doit se faire petitement, jamais brutalement » a théorisé Ch. Baudry. « Ainsi, les systèmes de régulation doivent être très lourds. Il ne faut pas que les décisions puissent se prendre en six mois. Or les interprofessions sont capables de grande réactivité. C’est leur force mais aussi une forme de faiblesse. » Le viticulteur a cité le cas de Bordeaux, qui a augmenté son vignoble de 20 000 ha et qui, hormis les grands châteaux et les grands crus, traverse la crise que l’on sait. « Ce ne sont pas les négociants qui ont demandé l’accroissement du vignoble, ce sont les viticulteurs. Un de mes amis bordelais me parlait “du droit à l’expansion”, un droit quasi constitutionnel. A Cognac, nous avons commis la même erreur en voulant planter trop vite. Nous l’avons payé de 25 ans de crise. »
Quinze jours plus tôt, au Sénat, Patrick Aigrain, l’économiste de FranceAgriMer, avait rappelé que « le temps long de la vigne », plante pérenne, avait besoin « d’outils de gestion de marché pour raccourcir le temps et l’adapter au rythme de la demande. » Dans ce cadre-là, l’interprofession est l’outil ad hoc. Mais peut-on lui demander, tout aussitôt, « d’étirer le temps » ; transformer le temps court en temps long ? Pas sûr qu’elle soit faite pour ça… A moins d’être atteinte de schizophrénie.

 

 

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