les vautours de l’appellation

25 février 2017

Ce n’est pas illégal mais ça n’est pas moral. Cela ne vous rappelle rien ? Comme l’affaire qui agita la France ces derniers temps, l’histoire des transferts (d’autorisation de replantation) dégage une odeur de poudre. Ou de boule puante au choix. Quelque part, des petits malins prennent en otage ceux qui respectent la loi ou, pour mieux dire, le bien commun, qu’on appelle aussi dans nos contrées l’appellation. Car qu’est-ce qu’une appellation ? L’INAO, l’Institut national des appellations d’origine, en donne la définition suivante – « Un espace délimité dans lequel une communauté humaine construit, au cours de son histoire, un savoir-faire collectif de production ». Communauté humaine, collectif…Comme les autres appellations, l’AOC Cognac s’est construite autour de ces concepts d’auto-contrôle et de patrimoine commun. Ils sont les garants de la valorisation du produit et donc, quelque part, du revenu des producteurs. Qu’à la marge des francs-tireurs fassent sauter le verrou de la production – même de façon limitée – c’est prendre le risque d’une implosion à terme du système.

On devrait pourtant être instruit du risque. Avec la réforme des plantations de 2012, la viticulture européenne est passée à deux doigts de la dérégulation de son potentiel de production. A force de ténacité, elle a réussi à redresser le cap. Pour se faire étriller par une poignée d’individualistes patentés, d’opportunistes forcenés !

Ce qui inquiète aujourd’hui, ce ne sont pas tant les surfaces en cause – 300 ou même 500 ha sur un vignoble de 75 000 ha – que l’effet boule de neige dénoncée par les  Jeunes Agriculteurs 16 / 17. « Si nous laissons faire, à combien s’élèverons les transferts l’an prochain, à 2 000, 3 000 ha ? Stoppons la dérive pendant qu’il en est encore temps. »

Eric Tesson, le juriste de la CNAOC pointe, lui, le risque de « détricotage » d’une régulation obtenue de haute lutte. « Cette dérive des transferts est la négation du dispositif de régulation mis en place en 2013. Et plus nous nous rapprocherons de 2030 (fin programmé du système des autorisations), plus le phénomène risque de prendre de l’ampleur. Nous devons juguler le phénomène maintenant. »

Dans la nuit du 25 au 26 janvier 2017 des panneaux ont fleuri dans l’aire délimitée Cognac. Destinée à débusquer les « vautours » – au sens propre, ces rapaces nécrophages qui se nourrissent essentiellement de carcasses d’animaux – l’action a été conduite par la Commission viticole des J.A (jeunes agriculteurs) 16/17. Ils en avaient inauguré le principe l’an dernier à Segonzac par la – « Cérémonie des vautours », au lieu-dit de la « Table d’orientation ».

Face aux dérives toujours d’actualité, les jeunes ont décidé de repartir au combat . «Cette fois-ci, nous espérons être suffisamment dissuasifs.  Sinon, il faudra refaire une action et, pourquoi pas, sortir une liste de noms » a indiqué Julien Massé, co-responsable de la commission viticole des J.A avec Gaëtan Bodin.

Ainsi, entre 22 h et 2 h du matin, une cinquantaine de jeunes – 15 / 20 pour la Charente, 25 en Charente-Maritime –  ont distribué des panneaux dans les communes de Saint Germain de Lusignan, Saint Martial sur le Né, Marignac, Biron, Saint Eugène, Jonzac, Archiac, Meux, Clion (en 17) ; Bréville, Saint Cybardeaux, Gimeux, Bouteville, Segonzac (en 16). Les critères de distribution étaient les suivants : à l’entrée des principaux bourgs viticoles (Archiac, Segonzac, Rouillac), à l’entrée des villages abritant un « vautour », voire devant les maisons ou exploitations concernées.

Bien relayée en région, l’action a connu une couverture médiatique nationale assez exceptionnelle : Le Parisien, La Matinale d’Europe 1…Parallèlement, les J.A sont en contacts permanents avec leurs homologues du Muscadet mais aussi des Pyrénées Orientales, plus réactifs et surtout plus nombreux. « Nous essayons de travailler ensemble plus bloquer tout ça ».

La motivation du syndicalisme jeune ! « Pour pérenniser les installations, nous avons besoin de perspectives économiques stables. Et ce n’est pas un prix du foncier dégradé qui nous aidera. A meilleure preuve, il y a davantage d’installations en Champagne de Reims que dans le Muscadet. »

Si l’UGVC – le syndicat viticole filière – ne participe aux actions, il est totalement solidaire de la démarche. Les jeunes l’admettent sans difficulté – «L’UGVC est davantage dans la discussion avec les autres acteurs de la filière. Cela dit, notre cible n’est pas le négoce. Nous rencontrons aussi ses représentants.»

De retour « aux affaires » l’an dernier, la Commission viticole des J.A 16 et 17 a bien l’intention d’exister et de se faire entendre. Les prédateurs de l’appellation la trouveront sur leurs passages.

Sur l’année civile 2016, les expéditions de Cognac ont représenté 501 500 hl AP. Un volume en augmentation de 6 % par rapport à 2015. Sans surprise, l’Alena (Amérique du Nord dont USA) se classe en tête : 43 % des expéditions, 40,5 % du chiffre d’affaires. Sur cette zone, les expéditions ont progressé de 14,2 %. Avec 28 % des volumes et 33 % du chiffre d’affaires, l’Extême-Orient arrive en deuxième position. Son taux de progression s’élève à + 1 %. Quant à l’Europe, les expéditions de Cognac y affichent  un recul de  – 1,2 %.

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