Les témoignages de cinq bouilleurs de cru

17 septembre 2009

M. Bernard Georgeon : Une grande rigueur au niveau de l’hygiène de l’alambic

M. Bernard Georgeon, de Segonzac, est un viticulteur qui distille des vins avec toutes leurs lies depuis très longtemps à la demande de son acheteur la société Rémy Martin. Sur cette exploitation, les lies sont mises en œuvre dans les vins en tout début de chauffe et cette pratique est complètement intégrée dans la conduite de la distillation. Cela commence par une sélection qualitative des vins et la mise en chaudière de vins qui sont distillés ayant de préférence réalisé leur fermentation malolactique. La distillation commence en général à la mi-novembre et dure environ deux mois avec un alambic de 18 hl de capacité. Un bon quart d’heure avant de remplir le réchauffe-vin, les lies sont remises en suspension dans la cuve en utilisant un brasseur à hélice. Cela permet de pomper dans le réchauffe-vin des vins complètement troubles et très homogènes. L’utilisation du brasseur à hélice est particulièrement efficace dans les cuves inox ou en acier revêtu d’époxy à fond conique, mais les dernières charges sont inévitablement un peu « concentrées » en lies. Le préchauffage des vins est réalisé en deux à trois heures pour limiter la montée en température à 35 à 40 °C, et les têtes et les queues y sont aussi réincorporées. Au moment du transfert du vin dans le réchauffe-vin, M. B. Georgeon veille à ce que le fond de la marmite soit refroidi et recouvert d’une fine pellicule d’eau. La chaudière n’est remplie qu’à 14 hl pour une capacité totale de charge 18 hl, ce qui permet de limiter considérablement les projections de parties solides sur la partie supérieure de la calandre. La mise en œuvre d’un aussi petit volume de charge facilite les nettoyages et surtout accentue les phénomènes de reflux qui contribuent à une meilleure sélection des vapeurs. La mise à ébullition du vin est réalisée rapidement (en environ 1 heure), mais avec une réduction progressive de l’allure de chauffe dès que les premières vapeurs atteignent 56 °C dans le col de cygne. Cela permet d’optimiser les conditions de triage des têtes qui dure environ 20 à 25 minute entre la première réduction d’allure et le coulage du premier distillat. L’arrivée des têtes est ainsi beaucoup plus étalée et leur sélection s’en trouve grandement facilitée. Le coulage du cœur est réalisé avec une progression régulière des débits jusqu’à la fin de la troisième heure et la coupe est réalisée à la dégustation. L’incorporation des lies dans les vins nécessite une hygiène parfaite de l’alambic et de toutes les canalisations annexes. Le maintien d’une parfaite hygiène est une préoccupation importante pour M. B. Georgeon qui a fait équiper sa chaudière d’un système de lavage performant qui fonctionne avec du marc et de l’eau chaude. Entre chaque chauffe, la marmite, le chapiteau, le col de cygne et toutes les canalisations annexes sont lavés et le réchauffe-vin fait aussi l’objet d’une attention particulière. La distillation avec lies a tendance à provoquer des projections de particules solides en dessous la collerette qui ne peuvent être décollées que par la puissance du système de lavage. Depuis que ce bouilleur de cru utilise son installation de lavage à poste fixe, l’entretien de l’alambic s’est nettement amélioré et le fond de la marmite « s’encrasse » moins. Néanmoins, un grand nettoyage en ouvrant la chaudière est effectué régulièrement (environ tous les 8 à 10 jours) en descendant dans la marmite.

M. Michel Bonnin : L’incorporation des lies dans les vins juste avant la mise au courant

M. Michel Bonnin, de Challignac, a commencé sa carrière de bouilleur de cru en distillant des vins avec leurs lies mais ensuite, pendant une quinzaine d’années, il n’a mis en œuvre que des vins clairs. Ce n’est qu’à la demande d’un de ses acheteurs qu’il s’est remis à distiller des lies, il y a trois ou quatre ans. La production de l’exploitation est distillée dans des alambics de 25 hl sans réchauffe-vin et ce viticulteur ne cache pas qu’il craint toujours de faire coller les lies au fond de ses chaudières. C’est d’ailleurs la prise en compte de ce risque qui l’a amené à opter pour une mise en œuvre des lies dans les vins juste avant la mise au courant. Les vins aussitôt leur fermentation sont conservés sur toutes leurs lies dans des cuves d’une contenance de 300 hl et, après un bilan qualitatif, ils sont préparés pour la distillation. Le vin clair de chaque cuve est soutiré et les lies sont stockées séparément (environ 20 hl de lies prédiluées) afin de pouvoir les réincorporer de façon homogène dans chaque chauffe de vin. La distillation d’une cuve de 300 hl est réalisée en à peine quatre jours et ainsi les lies n’ont pas le temps de s’altérer. Un volume d’environ 23 hl de vins clairs est mis en charge et à l’approche de l’ébullition, un apport de 2 hl de lies prédiluées est rajouté dans la chaudière. M. M. Bonnin est présent en permanence dans la distillerie pendant toute la durée des mises à courant et l’incorporation des lies a lieu quand les premières vapeurs arrivent dans le col de cygne au moment où la traditionnelle casserole tombe sur le massif. Les lies sont bien agitées avant d’être pompées dans la chaudière afin qu’elles soient bien homogènes et faciles à répartir sur l’ensemble des charges. Les tuyauteries d’alimentation sont rincées au vin après chaque charge de lies pour éviter tous risque de contact ultérieur de fractions solides avec le fond chaud de la chaudière. La mise au courant est retardée d’environ 20 à 30 minutes du fait du refroidissement de la charge de vin. Les prélèvements de têtes sont réduits au niveau des chauffes de vins (environ 5 l) et des chauffes de brouillis à moins de 1 %. La coupe du cœur est réalisée au verre avec une certaine prise de risque. Les lies apportent du corps aux eaux-de-vie, ce qui semble apprécié par certains acheteurs. M. M. Bonnin porte une attention particulière à l’hygiène de l’alambic. Les deux chaudières sont équipées d’un système de lavage automatique et entre la chauffe de vin, la marmite, le chapiteau et le col de cygne sont nettoyés efficacement mais toutes les projections au niveau de la partie supérieure de la calandre ne sont pas décollées, et c’est pour cette raison que tous les 5 à 6 jours un nettoyage intérieur total est réalisé (manuellement avec un Karcher à eau chaude). La seule contrainte supplémentaire liée à la distillation des vins avec toutes leurs lies se situe au niveau des nettoyages de l’intérieur de la chaudière qui sont plus fréquents.

M. Christian Rouger : Les bons vins font les bonnes lies

M. Christian Rouger s’est mis à distiller ses vins avec des lies depuis quelques années pour répondre à la demande d’un acheteur. Cette évolution, qui a modifié de façon très nette la structure des eaux-de-vie, est venue dans le prolongement d’une modification des pratiques de vinification. Depuis maintenant une dizaine d’années, sur cette exploitation, le traitement de la vendange est réalisé avec des équipements et des méthodes beaucoup plus douces. L’installation de réception de la vendange et de pressurage a été considérablement modifiée pour limiter l’extraction de bourbes ; des décantations rapides en sortie de pressoirs ont été systématisées et le bon déroulement du processus fermentaire est surveillé de près. La conjonction de tous ces éléments a permis d’améliorer la qualité des vins et aussi la nature des lies qui sont moins compactes et beaucoup plus faciles à mettre en œuvre. M. Ch. Rouger considère que la distillation avec lies apporte une richesse aromatique supplémentaire aux eaux-de-vie, mais c’est aussi une pratique qui présente des risques. Toute sa réussite repose sur l’homogénéité de la mise en œuvre des lies et c’est pour cette raison qu’il a opté pour l’incorporation des lies dans le vin. Un brasseur à hélice permet de remettre en suspension les lies dans la cuve avant de réaliser la charge. L’alambic de 20 hl est équipé d’un réchauffe-vin dont l’utilisation est limitée avec les lies. En effet, après avoir remis en suspension les lies avec le brasseur dans la cuve, c’est du vin bien laiteux qui est pompé dans le réchauffe-vin. La durée de préchauffage a été volontairement limitée entre 1 h 30 à 1h 45 selon la température du vin au départ. Un brassage du contenu du réchauffe-vin juste avant la charge de la marmite permet de bien remettre en suspension les lies. Le remplissage de la chaudière est effectué après un rinçage abondant à l’eau dont l’objectif est double. Il s’agit bien sûr de nettoyer l’intérieur de la marmite du chapiteau et du col de cygne, mais aussi d’assurer le refroidissement du fond de la chaudière pour éviter les risques de collage. Les prélèvements de têtes pour la bonne chauffe ont été réduits à 1 % et une courbe de coulage du cœur est réalisée avec une montée en débit progressive jusqu’à la 4e heure. La coupe est réalisée sans prise de risque particulière mais la qualité des vins permet de descendre plus bas. La maîtrise des températures de coulage des différentes fractions de distillats contribue aussi à la révélation du potentiel aromatique des eaux-de-vie. M. Ch. Rouger constate que la distillation avec lies occasionne plus de dépôts à l’intérieur de la marmite et ce malgré un lavage à grande eau entre chaque chauffe, et il est obligé de réaliser plus régulièrement des grands nettoyages.

M. Joël Fouquet à Saint-Martial-sur-le-Né : Le choix du double apport dans le vin et en surcharge pour mieux doser

M. Joël Fouquet s’investit complètement dans la conduite de la distillation chaque hiver et l’incorporation des lies est réalisée à la fois d’une manière importante et complètement maîtrisée. Ce bouilleur de cru a réalisé des efforts importants pour optimiser la conduite des vinifications, en intervenant sur les programmations des cycles de pressurage, en réalisant des décantations rapides des moûts et en portant une attention particulière à la régularité du déroulement du processus fermentaire. La cuverie, dont la capacité unitaire ne dépasse pas 150 à 200 hl maximum, constitue un avantage vis-à-vis des échanges thermiques durant la fermentation alcoolique et aussi par rapport aux capacités de distillation de l’alambic (15 hl de charge). Dès la fin des fermentations, il réalise un bilan qualitatif sur l’ensemble de sa récolte pour sélectionner les meilleurs vins car cela lui permet d’aborder la distillation avec beaucoup plus de sérénité. Avec le recul, M. J. Fouquet a observé sur son exploitation, d’une part que les meilleurs vins de distillation ont généralement un titre alcoométrique compris entre 8,5 et 9,5 % vol., et, d’autre part, que l’effet origine des parcelles joue un rôle déterminant sur la richesse aromatique finale des eaux-de-vie. La distillation est réalisée dans un alambic de 18 hl avec un réchauffe-vin mais sans aucun automatisme pour gérer les courbes de coulages et les coupes. Ce bouilleur de cru distille à plein temps pendant presque deux mois et il estime que la conduite des chauffes nécessite une présence quasi permanente. La conduite de la distillation est gérée pour répondre aux attentes qualitatives de la société Rémy Martin qui recherche des eaux-de-vie riches et structurées. C’est pour répondre à cette attente que M. J. Fouquet distille des lies en les incorporant à la fois dans les vins et en surcharge au cours du coulage des secondes. Il a choisi cette technique de double apport pour optimiser leur dosage sur les plans quantitatif et aromatique. Les soins apportés à la vinification permettent d’avoir des lies qui sont plus faciles à homogénéiser du fait de leur moindre compacité. Avant de réaliser le pompage dans le réchauffe-vin, les lies sont remises en suspension dans la cuve en utilisant un brasseur à hélice et le préchauffage des vins bien troubles ne dépasse 35 à 40 °C de température. Le réchauffe-vin est équipé d’un tuyau de traverse droit, ce qui limite considérablement les risques de collage et facilite aussi son nettoyage. La charge de la chaudière est volontairement limitée à 15 hl et la mise au courant est réalisée rapidement et d’une manière progressive à l’approche du début du coulage. L’allure de chauffe est réduite en réalisant trois paliers successifs, le premier à l’arrivée des vapeurs au niveau du collier du chapiteau, le second au niveau du raccord bayonnette et le troisième à la sortie du robinet de détour. Cette mise au courant progressive accentue les phénomènes de reflux dans le chapiteau et depuis que M. J. Fouquet pratique cette technique, la sélection des têtes est beaucoup plus facile à maîtriser. Les prélèvements de têtes sont effectués par la dégustation en cherchant à les minimiser et durant la bonne chauffe, les derniers litres sont isolés et déguster ultérieurement pour juger ou pas de l’opportunité de les réincorporer dans l’eau-de-vie. Au cours du coulage du cœur, les débits horaires sont parfaitement maîtrisés (une courbe de coulage) et la coupe est réalisée au verre sans chercher à prendre de risques excessifs. Une demi-heure après le début du coulage des secondes, une surcharge de 4 à 4,5 hl de lies prédiluées est réalisée. Le coulage de ce distillat, qui est réalisé à 14 °C (comme un brouillis), est isolé et il sera réincorporé dans les brouillis dans la limite d’un volume maximum de 30 %. En fin de coulage, la dégustation régulière des queues permet de gérer leur fractionnement supplémentaire dans les vins à des niveaux de richesse alcoolique variables. M. J. Fouquet est très vigilant vis-à-vis de l’hygiène de l’alambic sans pour autant être un adepte du cuivre trop propre. La marmite, le chapiteau, le col de cygne et le réchauffe-vin sont lavés entre chaque chauffe de vin, mais l’intérieur de la chaudière se salit moins depuis que la charge a été réduite à 15 hl.

M. Jacky Frégeau :  Une bonne maÎtrise de la gestion des volumes de vins et de lies

M. Jacky Frégeau, à Burie, distillait des vins clairs depuis plus de 25 ans et c’est à la demande de l’un de ses acheteurs qu’il s’est remis à « passer » des lies au début des années 90. Au départ, il a eu peur de faire « coller » sa chaudière de 25 hl mais ce n’est jamais arrivé. La prise en compte de ce risque a été déterminante dans le choix d’incorporer des lies en surcharge durant le coulage des secondes. Ce bouilleur de cru s’est organisé pour assurer une bonne répartition des lies dans les bonnes chauffes et aussi pour en maîtriser leur conservation dans des conditions optimales. La vinification étant réalisée dans des cuves de grandes capacités de 400 à 500 hl, les vins sont soutirés dans des citernes de 180 hl juste avant leur distillation. Lors de cette opération, les lies sont stockées à part dans des petites cuves pleines de 20 à 30 hl et leur transvasement facilite l’appréciation de leur qualité. Néanmoins, M. J. Frégeau estime que depuis qu’il réalise les décantations rapides aussitôt le pressurage, les lies sont de meilleure qualité et plus faciles à mettre en œuvre.

L’alambic de 25 hl permet de distiller les 180 à 200 hl de vins clairs et le volume de lies correspondant en 5 jours, ce qui limite considérablement les risques d’altération. Les chauffes de brouillis sont réalisées avec des vins clairs qui ne sont pas systématiquement préchauffés. Les prélèvements de têtes au niveau de la bonne chauffe sont limités à 0,5 % en présence de lies alors qu’avec des vins clairs, ils se situent autour de 1 %. La conduite de la bonne chauffe repose sur une courbe de chauffe où les débits vont en augmentant jusqu’à la troisième heure puis descendent régulièrement jusqu’à la coupe. Les surcharges de lies sont effectuées aussitôt la coupe du cœur réalisée et une nouvelle mise au courant a lieu presque aussitôt. Le coulage de ces secondes enrichies en lies est directement réincorporé dans les brouillis jusqu’à un titre alcoométrique de 11 % vol. et, en dessous ce niveau, les queues sont dirigées dans les vins. Durant toute cette phase, les températures de coulage sont maintenues entre 13 à 14 °C comme pour la conduite d’un brouillis. La réalisation des surcharges de lies nécessite aussi une bonne filtration des secondes chargées en lies au niveau du porte-alcoométre, car une quantité de déchets plus importante a tendance à être évacuée. Récemment, ce bouilleur de cru a fait modifier le traditionnel petit tamis de filtration des porte-alcoomètres au profit d’un système de filtration plus efficace en terme de surface de collecte de déchets. Le fait de réaliser une surcharge de lies pendant le coulage des secondes rallonge la durée totale de la bonne chauffe d’environ une heure et il convient de tenir compte de ce retard dans la gestion des chauffes précédentes et suivantes pour ne pas trop décaler le rythme de travail. M. J. Frégeau a aussi constaté que l’incorporation de lies a tendance à salir un peu plus la chaudière et il a fait équiper son alambic d’un système de lavage performant qui projette du marc et de l’eau chaude sous pression. Un nettoyage rapide et complet est réalisé entre toutes les chauffes, surtout pour éliminer les projections dans la partie supérieure de la calandre et dans le chapiteau.

A lire aussi

Campagne PAC 2024 : Tout ce qu’il faut savoir 

Campagne PAC 2024 : Tout ce qu’il faut savoir 

Depuis le 1er avril et jusqu’au 15 mai 2024, les télédéclarations de demande d’aides au titre de la campagne 2024 sont ouvertes.Voici tout ce qu’il faut savoir pour préparer au mieux sa déclaration.

La Chine et le cognac : un amour inséparable

La Chine et le cognac : un amour inséparable

Avec plus de 30 millions de bouteilles officiellement expédiées en Chine en 2022, la Chine est le deuxième plus important marché du Cognac. De Guangzhou à Changchun, ce précieux breuvage ambré fait fureur. Plutôt que se focaliser sur les tensions actuelles, Le Paysan...

error: Ce contenu est protégé