Les SDN : un moyen de moduler la lutte

19 mars 2009

L’utilisation de préparations d’ions phosphoreux associées à du folpel ne représente pas une pratique de lutte innovante contre le mildiou. Par contre, la mise en place d’une stratégie de protection du vignoble spécifique à l’utilisation de calendriers de traitements à base de fosétyl et d’ions phosphoreux constitue une démarche très intéressante. Elle l’est d’autant plus quand l’expérimentation est conduite sur l’ensemble d’une propriété viticole importante de la région de Cognac. Les vignes saines que nous avons visitées en cette fin du mois de juillet attestent de l’efficacité de cette technique. Depuis 20 ans, un viticulteur a mis en place un concept de protection spécifique aux substances SDN et il nous fait part de son expérience en gardant l’anonymat.

« Le Paysan Vigneron » – Quels sont les éléments qui vous ont amené à construire vos calendriers de traitement de manière différente ?

M. le viticulteur – L’importance de la surface du vignoble que nous avons à traiter dans la journée nous a amenés à envisager l’application des traitements d’une manière très différente. Notre approche a été d’essayer de concilier une gestion plus économique de la protection tout en cherchant à optimiser les aspects de raisonnement de la lutte. J’ai commencé à utiliser du fosétyl il y a plus de 20 ans et dès le départ j’ai senti que les caractéristiques de cette matière active permettaient d’aborder la lutte contre le mildiou de manière très différente. L’emploi de cette substance SDN associée au folpel sur la propriété s’est accompagné d’un changement complet des pratiques de traitements à la fois au niveau de la pulvérisation et de la stratégie de lutte. La pulvérisation des produits est effectuée en tenant compte de la réceptivité de la plante, ce qui nous oblige parfois à traiter la nuit certains jours d’été. Le chantier de pulvérisation a été optimisé en minimisant les pertes de temps liées au chargement des appareils. On s’est investi dans la connaissance de la sensibilité aux parasites (le mildiou, l’oïdium, le botrytis) de notre parcellaire. L’ensemble de ce travail nous a permis de construire une stratégie de protection du vignoble différenciée qui tienne compte des différences de sensibilité des îlots de terroirs. Arriver à différencier des approches de traitements au sein d’une propriété d’une centaine d’hectares est pour nous un moyen essentiel de tenir compte et de respecter l’environnement. Au fil des années, on est arrivé à construire des calendriers de traitements modulables en dose et cadence d’application en tenant compte des variations de sensibilité des parcelles et de la notion d’îlot de terroir homogène. Chaque semaine, les traitements sont modulés en tenant compte des niveaux de risque des parasites, de la sensibilité du parcellaire et du climat passé et à venir. Le fosétyl a été l’élément qui a été à l’origine de toute cette démarche mais à un certain moment les approches de raisonnement ont atteint des limites en raison de la rigidité des spécialités commerciales. Pour aller plus loin je suis passé, il y a dix ans, à des ions phosphoreux complétés avec du folpel car le fait que les deux produits soient différenciés apportait plus de souplesse pour moduler la lutte.

« R.L.P. » – Qu’est-ce que vous apportent de plus les ions phosphoreux par rapport au fosétyl Al ?

M. le viticulteur – D’un point de vue strictement technique, les ions phosphoreux n’apportent rien de plus. C’est seulement le fait de pouvoir utiliser deux produits différents qui est intéressant. Les ions phosphoreux et le folpel me paraissent être un couple indissociable pour la réussite de notre démarche de lutte. Les deux produits sont vraiment complémentaires et l’utilisation de deux spécialités différentes permet de pousser la réflexion plus loin au niveau de la modulation de la lutte dans les différents îlots de terroirs. Moduler la lutte ne se résume pas à une simple démarche de réduction de dose, cela va beaucoup plus loin. Les préparations d’ions phosphoreux présentent aussi l’avantage d’être d’un prix beaucoup plus abordable que les spécialités à base de fosétyl et j’avoue que l’aspect économique a été important. Le folpel me paraît être un fongicide de contact d’un grand intérêt technique vis-à-vis du mildiou et du botrytis. Les désagréments qu’il peut occasionner vis-à-vis du personnel travaillant dans les vignes (certaines allergies cutanées), nous avons réussi à les minimiser avec notre stratégie de traitements modulable. Nous utilisons la même base de produits pour traiter le mildiou du début à la fin de la campagne : une bouillie associant une concentration identique de folpel et d’ions phosphoreux. Dans chaque secteur homogène de lutte, nous testons tout au long de la saison notre stratégie de traitement à partir d’un protocole sur une parcelle pilote : Un témoin 0 traitement, une modalité 50 % de la dose, une modalité 100 % de la dose et une modalité 200 % de la dose. L’observation (une à deux fois par semaine) de ce réseau de parcelles pilotes nous permet de constater l’efficacité de notre stratégie et d’adapter en permanence les traitements. La modulation s’effectue en jouant sur les largeurs traitées, soit nous intervenons sur une demi-face de rang alternée, soit nous intervenons sur deux faces de rang à des cadences qui varient entre 7 à 14 jours. La seule limite de cette stratégie est le temps investi dans l’observation, mais les résultats économiques confirment que c’est un investissement rentable. Je n’ai pas construit seul cette démarche de lutte. Je me suis appuyé sur des compétences techniques extérieures à la fois pour choisir les préparations d’ions phosphoreux les plus efficaces, pour mettre en place les îlots de terroirs et au niveau de la pulvérisation. Il m’a fallu pratiquement deux décennies pour maîtriser cette stratégie et j’avoue aujourd’hui que chaque année l’observation du vignoble me fait avancer.

« R.L.P. » – Avez vous le sentiment de maîtriser l’utilisation du couple acide phosphoreux/folpel ?

M. le viticulteur – Au fil des années on acquiert plus d’expérience et plus de connaissances au niveau du comportement de son vignoble, mais chaque nouveau cycle végétatif fait évoluer ma réflexion. Nous travaillons avec un milieu naturel qui n’est pas figé. La vigne, le mildiou, l’oïdium… sont en perpétuelle évolution et nous devons rester humbles par rapport à cet environnement. Il faut en permanence se remettre en cause et avoir conscience que parfois l’environnement naturel fait preuve d’une capacité d’adaptation insoupçonnée. Les préparations d’ions phosphoreux ont pour moi des vertus qui dépassent la simple action de fongicide. Ce sont à la fois des catalyseurs de réactions d’immunités au niveau de la plante et des substrats de fertilisants apportant du phosphore et des oligo-éléments. J’utilise ces produits pour en quelque sorte vacciner un rang entier ou seulement une face de végétation. Cela constitue la clé de ma stratégie et ainsi jamais le vignoble n’est réellement sans couverture fongicide.

« R.L.P. » – Est-ce que votre approche ne s’apparente pas à une forme de sous-dosage de produit et de niveau de protection minimum ?

M. le viticulteur – Certains peuvent effectivement dire que c’est une forme de sous-dosage. Moi je persiste à penser que nous sommes dans une stratégie de couverture modulable qui a été mise en place grâce à l’utilisation du couple ions phosphoreux/folpel. Avec d’autres fongicides, je ne suis pas sûr que l’on obtiendrait les mêmes résultats. Dans le cadre d’années très puissantes comme 2007 et en 2008, la propriété n’a pas été envahie par le mildiou. On a plutôt bien contrôlé les épidémies mais les variations de stratégies de traitements entre îlots de parcelles ont été importantes. Il a fallu passer du temps dans les vignes pour arriver à moduler la couverture au bon moment (souvent en faisant d’autres travaux). La réussite d’un traitement dépend aussi beaucoup des conditions au moment de l’application. L’hygrométrie, le vent et la température ambiante interfèrent fortement sur les résultats et l’efficacité d’un traitement. Si le contexte le permet, nous tenons compte de ces éléments à chaque fois que nous traitons.

« R.L.P. » – Tenez-vous compte de l’état de développement de la vigne dans votre approche de traitements ?

M. le viticulteur – L’état physiologique de la vigne me paraît être quelque chose de très important quand on utilise des produits SDN. Regardez, cette année, la croissance végétative était lente jusqu’au 20 juin et bizarrement c’est pendant cette période que le mildiou a fait le plus de ravage. Aller voir dans les parcelles pour savoir comment la vigne « marche », c’est essentiel. Cela permet d’adapter le niveau de couverture à la physiologie de la vigne. Dans des périodes de forts risques où la croissance de la vigne est lente, il ne faut pas hésiter à moduler la couverture en substances SDN. C’est du bon sens, des souches qui poussent seulement de 10 cm par semaine en juin signifient que la photosynthèse n’est pas optimum. Sur chaque îlot de terroir, nous avons observé cette année des différences de physiologie importantes et grâce au SDN il est facile de s’adapter à ces variations de pousse. Aujourd’hui, sur la propriété, les calendriers de traitements sont donc différents d’une zone à une autre car chaque îlot de vignoble est une entité de production à part.

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