les PME du Cognac souffrent de la tension du marché : Interview de Lilian tessendier, membre du SMC

9 mai 2012

La production de Cognac dépasse largement les ventes. Pourtant la région est plongée, dans une situation de pénurie, avec son corollaire, la tension sur les prix. Premières exposées : les PME du Cognac. Lilian Tessendier décrit la problématique des petites maisons de négoce, à l’heure où se discute, en région, le rendement Cognac 2012.

 

 

p9.jpgLilian Tessendier est membre du conseil d’administration du SMC (Syndicat des Maisons de Cognac). Le président du syndicat, Philippe Coste, a confié à Lilian Tessendier et à Jérôme Royer la co-responsabilité des questions de production, de marché d’amont, de rendement en adéquation avec les besoins.
Lilian Tessendier est président de la société Tessendier. L’entreprise embrasse à la fois les activités de distillateur, marchand en gros, viticulteur. La société a également développé une petite activité de négoce. Sa particularité ? « A des degrés divers, toucher à tout ». Ayant conduit de longue date une politique contractuelle assez engagée, la société possède de gros stocks, ce qui ne l’empêche pas aujourd’hui de devoir procéder à des allocations de marchandise. « Nous privilégions nos clients fidèles au détriment de clients plus occasionnels. »

Que se passe-t-il aujourd’hui en matière d’approvisionnement ? Nous sommes confrontés à une situation pour le moins paradoxale, sur laquelle l’ensemble du négoce ne porte pas forcément le même regard. Sur la récolte 2010, la région a produit 660 000 hl AP et, sur la récolte 2011, nous allons certainement franchir le seuil des 700 000 hl AP. Les sorties, elles, représentent peut-être 560 000 hl AP, évaporation et réserves de gestion comprises. Pourtant tout se passe comme si nous connaissions une grave situation de pénurie. Les PME du Cognac ont beaucoup de mal à s’approvisionner. Dans ces conditions, les prix atteignent des sommets.

Comment expliquez-vous cet état de fait ? Chez les maisons de Cognac, existe clairement un décalage entre les prévisions de croissance et les prévisions d’achat. En d’autres termes, le négoce achète beaucoup plus que ses prévisions de ventes pourraient l’inciter à le faire. Alors que les prévisions de hausse se situent entre 3 et 5 % l’an, les achats dépassent très largement ces taux. Le manque de disponibilité ainsi créé trouve son corollaire dans une tension très forte sur les prix.

Peut-on dire que la viticulture pratique la rétention ? A mon avis, ce n’est pas le phénomène marquant. Bien sûr, la viticulture a le souci de reconstituer ses stocks. L’expérience a montré que les stocks aidaient à passer les caps difficiles. Elle contractualise aussi davantage, dans la mesure où les opérateurs achètent plus que prévu. Par ailleurs, dégageant un meilleur revenu, les viticulteurs ont moins besoin de vendre, en volume. Pour autant, le déterminisme essentiel à cette pénurie me semble résider dans la manière dont le négoce gère ses plans d’achat.

De quelle façon ? Tout le monde voit le Cognac progresser. Conséquence : la peur du manque s’installe. Les opérateurs suréagissent, en sachant que les volumes qui ne seront pas achetés aujourd’hui ne pourront pas être vendus demain. Qui plus est, le Cognac a la particularité de se bonifier avec le temps. Quand il y en a trop, on peut toujours le garder. Dans ces conditions, il est plus facile de sur-réagir que de sous-réagir.

Voyez-vous dans l’attitude du grand négoce une volonté « d’assécher le marché » au détriment du petit négoce ? Franchement, je ne fais pas partie de ceux qui font ce procès d’intentions aux grandes maisons. Je pense davantage que leurs plans d’achat se basent sur des perspectives à moyen et long terme et qu’elle souhaite acquérir une quantité de marchandises conforme à leurs prévisions. C’est vrai qu’à partir du moment où le disponible est un peu serré pour tout le monde, nous nous retrouvons tous en compétition. A la fois, je crois que le grand négoce n’a pas la volonté d’étrangler les petites maisons ; mais à la fois aussi, les gros opérateurs mettent tous les moyens qu’il faut pour s’emparer des volumes. Certes, nous sommes dans une concurrence « normale ». Mais il convient aussi de restaurer un certain équilibre. Les PME doivent pouvoir trouver de la marchandise.

Par quel moyen ? Au cours des discussions sur le rendement Cognac 2012, la viticulture nous dit : « Vous nous demandez de produire beaucoup alors que la question ne porte pas sur les volumes mais sur le disponible. Les quantités produites trouveront-elles toujours preneurs à terme ? » Je peux comprendre son raisonnement. Il s’agit d’un problème de confiance dans le marché, tout à fait légitime.

Que répondez-vous à cette interrogation ? Nous, PME du Cognac, nous disons que – c’est vrai – produire plus ne va pas régler tous les problèmes. Sans doute, à la marge, un coup de pouce sur le rendement aiderait-il une frange de gens à vendre un peu plus, à réaliser des investissements qu’ils ont décalés dans le temps. Mais ce que nous préconisons, avant tout, c’est d’augmenter de manière significative la quotité librement commercialisable. Ainsi, pour la récolte 2012, nous proposons de réduire le volume des réserves de gestion et, parallèlement, de donner plus d’ampleur à la partie libre, celle susceptible d’être acquise par le négoce. Ce serait également une façon d’aider les PME à mieux structurer leur approvisionnement par une politique contractuelle.

Qu’en est-il de cette politique contractuelle ? La part contractuelle au sein des PME augmente chaque année, réduisant d’autant la part des achats libres. Les PME accèdent à une sécurité d’approvisionnement et à des coûts maîtrisés, qui les mettent un peu à l’abri des aléas. Ceci dit, le marché contractuel des petites maisons est d’un coût plus élevé que celui des grandes maisons. Pour l’instant, la viticulture considère qu’un contrat avec une petite maison comporte plus de risques. Et, comme le risque a un coût…

Quand vous appelez à un rendement commercialisable plus élevé, avez-vous l’impression d’être entendu par vos interlocuteurs, négoce et viticulture ? Aujourd’hui, PME du Cognac et grandes maisons font partie du même syndicat, le SMC (Syndicat des Maisons de Cognac). Les discussions y sont parfois animées, mouvementées, chacun défend son clocher mais le dialogue s’avère positif. Nous faisons entendre notre voix et nous sommes entendus. Les viticulteurs nous entendent aussi et j’ose espérer que la fixation du rendement 2012 reflétera cette écoute.

Vous prônez un rendement « libre » en hausse. Et si le climat commercial venait à se calmer, ou se retourner ? Eh bien nous reverrions notre copie l’année suivante. L’avantage du mode de calcul du rendement mis en place par le BNIC, c’est que les chiffres sont révisables tous les ans. Le système nous évite de surproduire sur le long terme, comme cela a pu se produire dans les années 90. Cette capacité à réagir vite, nous l’avons vérifiée en 2009. Quand nous nous sommes aperçus du tour que prenait la crise économique, nous avons très vite réajusté le tir. Cette réactivité a permis de tuer dans l’œuf toute velléité de chute des cours. La baisse des prix a duré à peine quelques mois. L’outil de calcul permet aujourd’hui d’éviter de persister dans l’erreur.

Qui dit problématique des volumes, dit problématique des prix. Où en est-on aujourd’hui ? Sur le marché libre des eaux-de-vie, les prix atteignent des sommets. Dès maintenant, on peut dire que ces niveaux de prix empêchent de vendre le Cognac a des marges normales. Sur les comptes 2, les prix des grandes maisons naviguent autour de 1 200-1 250 € l’hl AP. Sur le marché libre (non contractualisé), ils sont plus proches des 1 600-1 700 € l’hl AP quand ce n’est pas 1 800 €. Les comptes 4 se situent très nettement au-dessus des 2 000 € l’hl AP et les comptes 6 jeunes dépassent allègrement les 3 000 €. Depuis quelques années, il y a un tel développement des ventes de VSOP que certains se disent « un compte 2 acheté cher aujourd’hui fera, malgré tout, un compte 4 pas très cher dans deux ans ». On voit déjà tout un tas de maisons de Cognac faire l’impasse sur la sortie en compte 2 pour privilégier la réalisation en compte 4. De toute façon, compte tenu du prix de revient du compte 2, les ventes de VS ne sont plus rentables. Je ne serais pas surpris de voir diminuer, d’ici quelques mois, ces mêmes ventes de VS baisser.

Ce serait gênant ? Moi je crois que ce serait gênant. Au début des années 1990, la question s’est posée : ne ferait-on pas mieux de supprimer les ventes de VS ? Et puis, la crise est arrivée et l’économie du Cognac a redémarré avec le VS. C’est vrai que l’histoire ne se répète jamais mais je persiste à penser que le VS est nécessaire à notre filière. C’est le seul produit à cycle moyen terme sur lequel nous ayons une assez bonne vue. Pour tout le reste, il devient plus compliqué d’établir un prévisionnel. Ensuite, j’avoue mon manque d’appréciation dans le débat marketing sur la juste place du VS dans la gamme des Cognacs.

Des PME du Cognac se retrouvent-elles d’ores et déjà en difficulté ? Aujourd’hui, des PME sont très exposées et l’on peut effectivement craindre, pour ces entreprises très exposées, des soucis de rentabilité et d’activité dans les mois qui viennent. Maintenant, les petites et moyennes entreprises du Cognac ont déjà traversé des années difficiles. Beaucoup d’entre elles se sont diversifiées. Elles ne vendent pas que du Cognac. Elles seront sans doute conduites à faire des arbitrages, pousser les feux sur d’autres spiritueux, en réduisant la voilure sur le Cognac. C’est d’ailleurs bien là le problème : ne pas pouvoir alimenter de manière correcte la catégorie Cognac, dans toutes ses composantes.

Qu’entendez-vous par là ? Aujourd’hui, personne n’est capable de répondre à la demande des marchés émergents, pas plus les petites maisons que les grandes. On ne peut pas vendre ce que l’on n’a pas distillé il y a 5 ou 10 ans. On voit alors se mettre en place des phénomènes d’allocations.

Les marchés traditionnels sont plutôt stables, voire en diminution. Mais toute la zone Asie progresse très fortement sur les qualités supérieures, avec la Chine en tête de pont. Si l’Inde finissait par s’ouvrir – ce qui arrivera un jour – nous serions bien incapables, pour l’heure, de fournir le marché. Pour revenir à la Chine, plus un marché progresse, plus le degré de dépendance à son égard augmente et plus il convient d’être vigilant.

Dans la région de Cognac aujourd’hui, le sujet des plantations est-il un sujet tabou ? Absolument pas. Avec une production de 11 hl AP/ha, nous sommes à la limite du rendement physiologique de la vigne. Et nous n’imaginons pas une seconde la possibilité d’une gelée. La flavescence dorée inquiète beaucoup de monde. Il est clair que si nous voulons avoir la capacité, à long terme, de fournir le marché du Cognac, si nous voulons que les ventes continuent de se développer, il va falloir que le débat sur des plantations complémentaires se pose. Qu’il se pose de manière réfléchie mais qu’il se pose et même de façon urgente. Nous, PME, nous disons qu’autant il est sain d’imaginer une augmentation du vignoble, autant il nous paraît très dangereux de rentrer dans un système totalement libre. Le système de plantation disons « contrôlé » nous paraît un bon système. Et si ce sont les professionnels qui maîtrisent le système, il sera moins dangereux dans le temps. Nous adhérons pleinement à un projet où les plantations seraient contrôlées par les professionnels.

Que vous inspire la situation régionale, en ce printemps 2012 ? Nous avons des choix à faire, des décisions à prendre, des problèmes à résoudre. Mais tout cela, finalement, ce ne sont que des bons problèmes. J’ai commencé à travailler en 1992, pendant la crise, une crise qui m’a marqué au fer rouge. Aujourd’hui, je suis optimiste, prudent mais optimiste.

 

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