Ce groupe de maladies est devenu un danger majeur pour la pérennité des vignes. L’interdiction d’utiliser l’arsénite de soude depuis l’automne 2001 a littéralement fait revenir l’esca, le BDA et l’eutypiose au premier plan des préoccupations viticoles. Il n’existe plus aucun moyen de lutte chimique qui soit susceptible d’empêcher l’évolution de l’esca et du complexe des trois maladies qui, malheureusement, sont présents dans beaucoup de parcelles et au sein des mêmes souches.
Les maladies bois, un problÈme grave qui concerne tous les vignobles
L’arrêt brutal et précipité des traitements d’hiver est donc en train de favoriser l’extériorisation des symptômes et, au fil des années, le véritable pouvoir de nuisance de ces trois maladies va se révéler. Heureusement, les printemps 2002 et 2003 n’ont pas été humides et propices à l’extériorisation des symptômes, mais cette situation n’est que conjoncturelle car le climat printanier des vignobles de la façade atlantique est naturellement humide, frais et donc propice à leur développement. Il paraît indéniable que, dans les 5 ans à venir, le taux de mortalité des souches augmentera d’une manière très significative dans les parcelles âgées de plus de 15 ans, et l’état actuel des connaissances et des recherches ne laisse malheureusement espérer aucune alternative de lutte chimique préventive ou curative. La filière viticole nationale, européenne et mondiale est donc complètement désarmée vis-à-vis de l’esca, de l’eutypiose et du BDA.
La nécrose bactérienne, bien que présente de façon plus locale dans différents vignobles en Charentes, le nord de la Gironde, le Gers, une partie du vignoble méridional et en Emilie-Romagne en Italie, reste latente. Là où elle est identifiée, cela contraint les producteurs à maintenir une couverture fongicide préventive permanente (à base de cuivre) durant chaque printemps. Par ailleurs, les techniciens ont remarqué la très bonne cohabitation dans les parcelles touchées de la nécrose bactérienne avec les autres maladies du bois, et c’est pour cette raison que l’on parle très souvent d’un complexe de maladies du bois qui regroupe l’esca, l’eutypiose, la nécrose bactérienne et le black dead arm (identifié ces dernières années).
Un manque d’investissement dans la recherche fondamentale depuis 15 ans
Pendant longtemps, la réalisation des traitements d’hiver a permis de stabiliser l’extériorisation de ces maladies (en particulier de l’esca et probablement le BDA), et les professionnels et les responsables de l’Administration n’ont jamais pris la juste mesure de la gravité de la situation. En effet, les rendements ne « chutaient » pas, ce qui, techniquement, s’explique par la capacité de compensation des ceps partiellement touchés ou encore sains. Seuls, les responsables des grands crus du Bordelais se sont inquiétés du risque qualitatif que représentaient ces maladies vis-à-vis de la pérennité des vieux ceps et donc des parcelles les plus âgées et les plus qualitatives. Les industriels de l’agrochimie n’ont jamais misé à long terme sur le développement d’un marché de la protection phytosanitaire contre les maladies du bois. Cela a été aussi un frein pour le développement des recherches fondamentales sur les cycles épidémiques des maladies. Bien que consciente de la situation, la communauté technique n’a pas réussi à mobiliser suffisamment de moyens financiers et d’énergies pour créer un pool de recherche sur les aspects fondamentaux. Or, la lutte contre les maladies du bois, esca, eutypiose et nécrose bactérienne est « un vieux sujet » qui a fait l’objet, au milieu et à la fin des années 80, de vastes opérations de communications en Charentes et dans le Bordelais.
Ces actions avaient comme finalité de sensibiliser les viticulteurs aux mesures prophylactiques et à l’époque tous les intervenants de la filière technique s’étaient fortement impliqués. 15 ans plus tard, l’état d’avancement des connaissances n’a que peu progressé suite à une certaine démobilisation générale. Le grave problème maladies du bois a donc été « éludé » par l’ensemble de la filière professionnelle au profit d’autres préoccupations certes importantes, mais qui n’amputaient pas directement la pérennité des plantations et la valeur du capital viticole.
Durant toute la décennie 90, moins de 5 chercheurs en Europe ont travaillé à plein temps sur les maladies du bois alors que déjà bon nombre de techniciens et de responsables professionnels étaient conscients que « les jours de l’arsénite de soude étaient comptés ». Face à une telle situation, l’arrêt de l’utilisation de l’arsénite de soude a été perçu comme la résultante d’une décision administrative arbitraire et prématurée. C’est peut-être un peu vrai mais de toute façon la prolongation d’utilisation d’une ou deux années supplémentaires n’aurait pas été suffisante pour construire des stratégies de lutte chimique opérationnelles.
La prophylaxie : un travail fastidieux au départ qui doit s’inscrire dans la durée
La découverte récente du black dead arm par M. Philippe Larignon à l’INRA de Bordeaux (désormais intégré à l’ITV au niveau de la Station de Nîmes), dont les symptômes ont longtemps été assimilés à ceux de l’esca, confirme la nécessité de réaliser un travail de fond avant de proposer des stratégies de luttes préventives et stabilisantes. La communauté technique s’est donc mobilisée depuis deux ans pour reconstruire des démarches d’études mais il ne faut pas se leurrer, les conclusions concrètes en matière de lutte de ces expérimentations ne déboucheront pas avant 5 à 10 ans. Aussi la seule alternative pour les viticulteurs est en quelque sorte « d’apprendre à vivre » avec les maladies du bois en créant des conditions les plus défavorables possibles à leur développement dans les parcelles. En d’autres termes, la mise en œuvre de mesures prophylactiques est aujourd’hui le seul moyen de contenir la dégradation de la situation sans pour autant pouvoir « récupérer » les ceps touchés. C’est un discours qui n’est pas pleinement satisfaisant, mais pragmatique car la mise en œuvre d’une prophylaxie sérieuse a déjà montré son intérêt dans les années 80 vis-à-vis de l’esca, de l’eutypiose et de la nécrose bactérienne.
La réaction des viticulteurs vis-à-vis de ces pratiques est toujours très emprunt de scepticisme non pas en raison de leur bien-fondé mais par rapport au travail que cela nécessite. La réalisation concrète de l’arrachage des ceps morts, du ramassage des vieux bois, le marquage des pieds atteints, la préparation et la réalisation proprement dite du recépage, l’entreplantation des manquants, le perçage des ceps atteint d’esca, la réalisation de geste de taille non mutilants, une formation des jeunes plants en vert… représentent au départ un travail assez fastidieux et ingrat car les résultats ne sont perceptibles qu’au bout de 2 à 5 ans d’efforts. Par ailleurs, la priorité des chefs d’exploitation depuis de nombreuses années est de rationaliser le travail pour générer des gains de productivité et la mise en œuvre des travaux de prophylaxie a beaucoup de mal à s’intégrer dans ces démarches d’économie de coût de production.
Rénover ou pas des parcelles, c’est une décision personnelle qui se respecte
Le fait de pratiquer ou pas un entretien rigoureux des parcelles est un engagement et un choix de mode de gestion du patrimoine « plantations viticoles » qui découle de la philosophie personnelle de chaque chef d’exploitation. S’investir dans la prophylaxie, c’est se donner les moyens de prolonger la durée de vie des parcelles de 5, 10, ou 15 ans et, par voie de conséquence, d’amortir l’investissement sur des durées plus longues. A l’inverse, le fait de ne pas s’engager dans des démarches de rénovation quasi permanente des parcelles est aussi un choix de gestion qui se traduira par une exigence de renouvellement plus rapide des plantations et comptablement et financièrement cela devra aussi être anticipé. Le bien-fondé de la prophylaxie est aussi plus logique dans des parcelles de moins de 15 à 20 ans où les maladies du bois sont en théorie moins « installées ». On peut également penser qu’actuellement les méthodes pour effectuer les principales opérations de rénovation des parcelles n’ont pas été optimisées sur le plan de l’organisation du travail. L’expérience de l’évolution de l’organisation des travaux d’entretien du palissage qui, il y a encore 15 ans, étaient traditionnellement réalisés au printemps, alors que, désormais, ils sont concentrés dans la période creuse d’après vendange. Peut-être devrait-on avoir la même réflexion de recherche de productivité pour réaliser l’arrachage des ceps morts, les recépages, l’entreplantation… ? En d’autres termes, la mise en œuvre des mesures de prophylaxie a besoin de rentrer dans une phase opérationnelle de recherche de productivité, sinon son champ d’application sera limité. Dans ce domaine, le bon sens et la réactivité des viticulteurs sont souvent générateurs de progrès importants et insoupçonnés.
Bien connaÎtre ces maladies afin de les prévenir judicieusement
Contrairement à certaines idées reçues, le démarrage de la prophylaxie ne commence pas pendant la phase hivernale mais durant la période de pousse active de la vigne. La première phase du cycle végétatif constitue une période privilégiée pour, d’une part, apprécier le degré d’infestation des quatre principales maladies du bois et, d’autre part, préparer les parcelles aux interventions de prophylaxie. C’est entre la mi-mai et la mi-août que le repérage des symptômes doit s’effectuer pour définir ultérieurement les stratégies de lutte qui peuvent être soit globales vis-à-vis du complexe maladies du bois, ou soit plus spécifiques à une affection si réellement la gravité de la situation le justifie. Les viticulteurs connaissent, en général, assez bien les symptômes d’eutypiose et d’esca du fait de l’implantation historique de ces maladies dans les vignobles. Par contre, le repérage des symptômes de nécrose bactérienne et de black dead arm (BDA) pose beaucoup plus de difficultés. L’apparition de cette dernière maladie a sérieusement compliqué les opérations de reconnaissances compte tenu des risques de confusion avec l’esca (en particulier sur les cépages blancs).
On peut penser que le BDA est présent depuis fort longtemps dans nos régions mais qu’il a été assimilé à de l’esca. La nécrose bactérienne n’est pas une maladie aussi connue que l’esca car elle se développe plus localement à partir de véritables foyers infectieux. Une meilleure connaissance des symptômes et des caractéristiques de développement de ces quatre maladies s’avère donc indispensable pour mettre en œuvre des démarches de prophylaxie cohérentes et adaptées à la gravité de la situation.