Les Hauts de talmont : des vins « authentiques »

26 décembre 2014

La notion de vins issus de grands terroirs viticoles est généralement « la chasse gardée » des régions viticoles françaises presti-gieuses qui cultivent cette spécificité. Au sein de la microfilière Vins de Pays Charentais, l’engagement dans des itinéraires de production de ce type est plus rare compte tenu de la difficulté à bien valoriser les vins. Le petit vignoble des Hauts de Talmont a choisi de cultiver sa différence en misant sur les potentialités du terroir de la falaise crayeuse dominant l’estuaire de la Gironde. Une démarche globale de production et de vinification a été mise en œuvre depuis 15 ans pour faire des vins authentiques qui aient le « goût du lieu ».

p41.jpgAu fil des années, le vignoble des Hauts de Talmont est devenu un véritable « laboratoire d’idées et d’initiatives » destiné à la production de vins exprimant et respectant un terroir très spécifique. Lionel Gardrat, Michel Guillard et Jean-Jacques Vallée ont souhaité développer, au début des années 2000, un projet viticole ambitieux conci-
liant le réalisme économique et une éthique de production qualitative pleinement res-pectueuse de l’environnement. Cette philosophie de production s’est affirmée au fil des millésimes et actuellement le respect de l’îlot écologique de la falaise crayeuse de Talmont est une préoccupation essentielle. Les trois associés ont abordé le métier de façon pragmatique en essayant d’analyser chaque année l’impact de la nature sur les raisins. Cela a nourri l’évolution de toute la conduite de ce vignoble de 5,50 ha.

Les colombard de Talmont ont une identité qualitative différente

Leur premier objectif a été de produire un vin blanc sec en réhabilitant un cépage régional, le colombard, dont la notoriété s’était effritée. Le microclimat tempéré par la proximité de l’estuaire, la nature des sols très calcaires, un sous-sol limitant les stress d’alimentation hydrique et un savoir-faire au niveau de la culture de la vigne confèrent aux raisins de colombard des caractéristiques aromatiques qui aujourd’hui ne font plus débat. Les vins de colombard des Hauts de Talmont ont exprimé au fil des millésimes une identité qualitative bien différente de celle des standards des colombard dans le vignoble des Côtes de Gascogne. L. Gardrat, qui élabore depuis longtemps des colombard dans sa propriété de Cozes, a toujours été frappé de la différence de structure entre les deux productions pourtant seulement distantes de 10 km à vol d’oiseau. D’un côté, les vins présentent une exubérance aromatique propre à ce cépage et, de l’autre, les arômes plus nets et les saveurs en bouche plus amples font carrément penser à des vins d’un autre univers. La signature qualitative des vins de Talmont, qui n’a cessé de s’affirmer au fil des récoltes, traduit un effet terroir fort. Les efforts progressifs et incessants au niveau des pratiques culturales ont permis de révéler cet effet terroir.

Des vins rouges de merlot « talmondisés »

La nature des sols et le microclimat ont incité les trois associés à planter un petit vignoble rouge (2 ha) sans chercher à introduire un cépage oublié ou innovant. Un environnement de production aussi particulier que celui de la falaise de Talmont leur semblait prometteur pour élaborer des rosés et rouges de fortes identités avec du merlot. Or, ce cépage qui a fait la notoriété des meilleurs crus du Bordelais, à une petite centaine de kilomètres d’ici allait-il permettre de faire un vin aussi spécifique que le colombard en blanc ? Les trois associés vignerons ont toujours été convaincus des potentialités du terroir pour élaborer des vins rosés et rouges « talmondisés » et non pas des vins seulement typés merlot. Le challenge a été abordé en s’entourant de divers experts du monde du vin ayant la réputation d’être des promoteurs du terroir. L’observation des premiers cycles végétatifs a été riche d’enseignements pour comprendre le déroulement de la maturation dans des sols très calcaires emprunts d’une atmosphère en permanence tempérée. De telles conditions sont propices à l’obtention de tannins doux et complexes quand les arrière-saisons sont ensoleillées. Au fil des années, L Gardrat s’est rendu compte que les soins apportés aux vignes en matière de maîtrise de la vigueur et d’aération de la zone fructifère avaient une influence déterminante sur la qualité finale des raisins.

Une remise en cause des pratiques viticoles et de vinification

p42.jpgLa démarche de production des vins des Hauts de Talmont a connu une profonde évolution depuis la création du vignoble en 2003. La densité de plantation (plus de 4 000 ceps par hectare) et la structure du palissage haut représentent des éléments fondamentaux pour le pilotage raisonné et raisonnable des rendements. La mise en place d’une stratégie d’interventions culturales à la fois innovantes et adaptées aux spécificités du site représentait des leviers techniques pour sortir « le meilleur de la terre ». L’implantation de ce vignoble neuf a été l’occasion pour L Gardrat de s’interroger sur ses méthodes de producteur de raisins et de vinificateur : « Ce projet a été pour moi une opportunité extraordinaire qui m’a permis de me recentrer sur les fondamentaux du métier. Mes convictions de viticulteur et de vinificateur ont été littéralement bousculées par la production de ce petit vignoble. D’année en année, la typicité des vins élaborés sur la falaise de Talmont m’a fait prendre cons-cience de l’importance de l’effet terroir. Les raisins récoltés à belle maturité donnaient toujours des choses surprenantes et très différentes de mes autres productions à Cozes. » Dès la plantation, le petit vignoble de 5,5 ha de colombard et de merlot a été cultivé en prenant soin du devenir des souches et des raisins. La recherche d’une productivité moyenne, régulière et de niveaux de maturité poussés était l’objectif prioritaire. L’alimentation et la conduite des ceps de vignes ont été abordées de façon raisonnée en évitant les excès et en te-nant compte du microclimat du site. Les méthodes de culture conventionnelles, qui donnaient déjà satisfaction au niveau de la qualité des vins, ont incité L. Gardrat à aller plus loin.

Les vins issus de la biodynamie sont plus authentiques

Le jeune viticulteur avoue qu’il accomplit une conversion intellectuelle très progressive motivée à la fois par une fibre écologique et une curiosité permanente en matière de qualité des vins. Un concours de circonstance a amené L. Gardrat à participer à des dégustations organisées par un ami restaurateur qui voulait refaire sa carte des vins : « Il y a quelques années, un ami restaurateur m’a invité à participer à des dégustations de vins de diverses régions viticoles. Cet exercice m’a beaucoup intéressé car c’était l’occasion de découvrir une diversité de vins issus de systèmes de production conventionnelle, bio et de la biodynamie. J’ai goûté de très bons vins bio et aussi des moins bons. Les productions conventionnelles alternaient aussi de belles réussites et aussi des déceptions. Par contre, je m’étais très souvent arrêté sur des vins produits en biodynamie qui avaient tous un style commun. J’avais la sensation de goûter des produits différents, des vins simples et authentiques, toujours nets sur le plan des arômes et ayant une expressivité naturelle en bouche. Cette typicité m’a interpellé et c’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser à la biodynamie. Je me suis dit qu’à Talmont, la biodynamie pouvait être un moyen d’aller plus loin dans notre recherche d’un vin extériorisant le goût du lieu. »

La biodynamie prend en compte tous les aspects du vivant

À partir du début des années 2010, L. Gardrat a fait part à ses associés de son souhait de changer le mode de culture du vignoble des Hauts de Talmont. L’engagement dans ce nouveau challenge s’accompagnait d’une prise de risque sur le plan économique car les niveaux de rendements seraient moindres mais les vins seraient plus authentiques. Le projet de conversion en biodynamie a été mis sur les rails à partir de 2011. L. Gardrat ne cache pas que pour lui, le bio ne représentait pas une alternative suffisante : « L’approche bio ne m’a jamais réellement convaincu car j’avais simplement le sentiment de ne pas remettre totalement en cause le système de culture. Avec le bio, on ne fait que remplacer un système de prévention des parasites avec des éléments plus respectueux de l’environnement. Mon envie était de tenter de m’affranchir partiellement de l’utilisation des molécules quelle que soit leur origine. La biodynamie me paraît répondre à cette attente en allant beaucoup plus loin et en prenant en compte tous les aspects du vivant. Cela permet de renforcer la vitalité et la résistance naturelle des ceps de vignes en améliorant les échanges racine/sols et feuilles/atmosphère. Le vignoble des Hauts de Talmont a été engagé dans la conversion en biodynamie à partir de 2011. La transformation de la conduite du vignoble a représenté un virage important au niveau de la qualité des vins de colombard et de merlot. Les rendements sont plus modestes mais les vins sont plus vrais. Il a fallu aussi apprendre un autre métier et cela n’a pas toujours été simple. »

Une maîtrise difficile lors du cycle végétatif 2013

Le changement de cap en matière de conduite du vignoble a commencé à partir de la récolte 2011, qui était un millésime particulier. Le bel été avait favorisé les conditions de maturation des merlot à Talmont mais l’ambiance océanique avait réussi à tempérer le contenu des baies. L. Gardrat a vinifié des raisins de belles consistances, mûrs, mais sans excès non plus et le vin, bien qu’étant issu de vignes jeunes, a surpris des palais avertis. En 2012, le premier cycle végétatif conduit pleinement en biodynamie a donné des frayeurs à ses propriétaires puisqu’une forte coulure a pénalisé fortement les rendements. Le petit volume vinifié a permis d’élaborer des vins pleins et très frais, où l’impact de la terre commençait à apparaître. 2013 a été un millésime très difficile d’un bout à l’autre de la saison et L. Gardrat ne cache pas que le manque de maîtrise au niveau de la mise en œuvre de la biodynamie s’est avéré pénalisant vis-à-vis du mildiou : « 2013 a été pour moi et mes associés une année à la fois difficile et très formatrice. Avec la biodynamie, il ne faut pas se laisser déborder par les maladies. J’ai pris conscience des raisons de l’échec de la lutte contre le mildiou en 2013, ce qui m’a fait beaucoup avancer en 2014. » Les pertes de récoltes liées au mildiou et les mauvaises conditions de maturation de l’automne 2013 n’ont pas permis d’obtenir des raisins d’une richesse suffisante pour élaborer des vins rouges de forte typicité.

Un millésime 2014 attendu

Le millésime 2014 était donc attendu avec beaucoup d’impatience. Ce troisième cycle végétatif conduit en biodynamie a été abordé avec beaucoup d’abnégation par L. Gardrat. Le viticulteur a observé un retour de la vie des sols et un développement végétatif des parcelles plus homogène. La floraison s’est bien déroulée et le potentiel de grappes s’annonçait normal. Ensuite, une meilleure maîtrise de la lutte préventive contre le mildiou à partir de la mi-juillet, grâce à l’utilisation de cuivre associé à de la silice, a permis de contrôler la maladie tout au long de la saison. Courant juillet, la réalisation d’un échardage (l’élimination des entre-coeurs présents à la base des rameaux) a favorisé l’aération de la zone fructifère. L’intérêt de cette pratique est de réduire la présence des précurseurs d’arômes de verdeur qui migrent dans les baies pendant la maturation. La véraison des merlot qui a débuté vers le 10 août a traîné tout le mois. Le climat humide faisait encore craindre une phase de maturation finale délicate. Heureusement, le retour du beau temps de septembre a bonifié les raisins dont la récolte a pu être retardée au maximum.

De beaux raisins qui « goûtaient bien la terre de Talmont »

L. Gardrat considère que les vins de merlot des Hauts de Talmont s’inscrivent dans un style de produit riche mais pas sur-concentré, qui présente une structure aromatique et gustative équilibrée associant de la netteté soutenue et une certaine complexité : « Dans notre région, la qualité d’un millésime est directement liée au climat entre le 15 août et le 30 septembre. Cette année, on a eu des frayeurs au départ mais ensuite tout s’est arrangé. On a pu attendre le niveau de maturité optimum pour récolter les raisins de merlot. Les vendanges ont été repoussées deux fois pour profiter du beau temps et finalement les vendanges à la main des deux hectares de merlot se sont déroulées le 4 octobre. Les raisins étaient vraiment beaux et goûtaient bien la terre de Talmont. La période de conversion du vignoble en biodynamie s’est terminée cet automne avec l’obtention de la certification Demeter. La vendange à la main me paraît être un moyen important pour conserver tout le potentiel de qualité accumulé dans les baies. »

L’utilisation de l’égreneur Pellenc apporte de la netteté aux vins

p44.jpgLa vinification a été conduite avec le souci de respecter et de laisser les raisins libé-rer leur potentiel naturel dans le vin. Une telle philosophie correspond à la volonté d’élaborer un vin rouge exprimant le terroir de Talmont et non pas un merlot « marketté » typé Bordeaux et souvent surextrait. L. Gardrat ne cache pas que les conseils de Jean-Claude Berrouet, l’ancien œnologue du Château Pétrus à Saint-Emilion, lui a permis d’aller plus loin dans sa démarche d’élaboration d’un vin authentique. Ce consultant attache beaucoup d’importance aux étapes de traitement de la vendange avant la mise en cuve. Il considère que le bien-fondé de l’éraflage peut être valorisé par l’utilisation d’une nouvelle génération d’égreneur qui respecte l’intégrité des baies. L. Gardrat, qui utilise depuis longtemps des égrenoirs sur la machine à vendanger (d’ancienne génération) était assez sceptique vis-à-vis de la nouvelle génération d’égreneurs : « Les discussions avec J.-C. Berrouet m’ont amené à louer un égreneur Pellenc Selectiv’ Process en remplacement d’un égrappoir traditionnel. Je n’étais pas réellement convaincu de l’intérêt de cet équipement avant de l’avoir vu fonctionner. Depuis j’ai totalement changé d’avis. Le Selectiv’ Process effectue un égrenage en respectant parfaitement les baies et la proportion de déchets végétaux éliminés par l’appareil m’a beaucoup surpris. Bien que la vendange manuelle ait été effectuée avec rigueur, l’appareil a permis d’extraire des pétioles, des baies millerandées et des feuilles vertes ou sèches. J’ai le sentiment que les vins du millésime 2014 sont plus nets. »

Des vins de merlot 2014 pleins, équilibrés, qui sentent bon le raisin

La vinification en rouge a été conduite de manière assez classique, avec une cuvaison d’une grosse semaine et des remontages une fois par jour. L’objectif n’était pas de rechercher des surextractions mais de créer des conditions favorables à une libération la plus naturelle des polyphénols et des tannins présents dans la vendange. Le rendement moyen de 50 hl/ha et le très bon état de maturité des raisins 2014 ont bien sûr facilité les choses. Les premières dégustations des vins après l’écoulage confortent L. Gardrat : « Les merlot ont cette année un profil de qualité équilibré et très linéaire. C’est un vin plein au niveau des arômes, qui sent le raisin mûr, qui possède une couleur profonde et une véritable harmonie. La pointe d’acidité qui est actuellement présente va disparaître d’ici quelques semaines (après la fermentation malolactique), et la minéralité sous-jacente du vin actuel sera alors pleinement révélée. Je pense que c’est ma plus belle récolte de merlot depuis 2005. Le terroir de Talmont tient toutes ses promesses et le bonus de la biodynamie n’y est pas étran-ger. Les vins blancs colombard en 2014 sont aussi très subtils et généreux. Les arômes plaisants, élégants sont à relier au déroulement de la maturation très progressive et complète. Je fais aussi divers essais comme des fermentations alcooliques spontanées et des fermentations malolactiques sur les colombard, dont les résultats surprenants et encourageants nourrissent ma réflexion. Le vignoble de Talmont est en quelque sorte un laboratoire d’idées. La biodynamie a changé ma philosophie de producteurs de raisins et cela m’amène à aborder les choses différemment même dans ma propriété de Cozes. Les 40 hec-tares ne vont pas être convertis en biodynamie mais des pratiques culturales plus douces vont être introduites. »

 

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