Les Beaux Arbres Font Les Bonnes Barriques

3 mars 2009

Le cycle de vie d’une futaie entre le moment où les glands germent et l’abattage de très belles grumes obéit à une échelle de temps qui est totalement décalée par rapport à notre époque où tout va vite. Beaucoup de viticulteurs n’ont pas conscience que les barriques qu’ils ont achetées cette année ont été fabriquées avec du bois provenant d’arbres ayant l’âge respectable de 150 à 200 ans. Entre le moment où les glands font leur première pousse et la coupe des arbres, les hommes ont accompli un travail énorme pour valoriser à la fois une activité économique et un patrimoine. Le bois de chêne utilisé pour la fabrication des barriques est issu de forêts cultivées avec des objectifs de qualité comparables aux exigences réalisées dans les vignes pour obtenir des raisins de qualité. Les conditions culturales des chênes français destinés à la tonnellerie reposent sur des pratiques de sylviculture bien établies dont la fiabilité a été maintes fois confirmée.

La demande mondiale de barriques de chênes français ne risque-t-elle pas d’entraîner une surexploitation des forêts françaises qui à terme ne permettraient plus d’assurer la régénération des massifs forestiers ? Cette interrogation ne semble pas inquiéter M. Pascal Jarret, le responsable du service technique et recherche de la région Centre-Ouest à l’ONF (l’Office national de la forêt), qui estime que cette crainte n’est pas justifiée car, toutes régions confondues, la chênaie française avec une surface avoisinant 4 millions d’ha connaît une augmentation régulière de sa surface depuis

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M. Pascal Jarret, responsable technique à l’ONF.

plusieurs décennies. Le plus grand bassin de production de la forêt de chênes est concentré sur la grande zone atlantique qui regroupe près de 1 100 000 ha. On retrouve dans cette zone les massifs forestiers mythiques de Tronçais, de Jupille et de tout le Centre de la France. Les merrains issus de cette zone bénéficient d’une grosse « cote » auprès des tonneliers et de leurs clients historiques, les grands domaines viticoles français et maintenant mondiaux. Ce bassin de production spécialisé dans les grains fins bénéficie de démarches de gestion de la forêt exemplaires qui ont été définies à l’époque de Colbert et qui se perpétuent aujourd’hui grâce au travail de l’ONF. Il n’est pas prétentieux de dire que l’ONF, qui a en charge la gestion de 20 % de la surface de la chênaie atlantique (essentiellement des futaies), joue un rôle majeur dans la conduite de pratiques de sylviculture optimisées et respectueuses de l’écosystème. Les massifs forestiers du Limousin, de Bourgogne, de l’Adour et des Vosges constituent les autres zones d’approvisionnement en bois merrains historiquement plus spécialisées dans les grains moyens et gros prisés pour le vieillissement des eaux-de-vie de Cognac. La demande de bois pour la tonnellerie a été très forte jusqu’en 2002 et en moyenne la chênaie française permet de fabriquer l’équivalent de 250 000 à 300 000 fûts/an.

100 000 chênes/ha au départ pour en obtenir 80 200 ans plus tard

L’ONF, qui gère directement les forêts domaniales et communales, a mis en place une politique de développement des chênaies remarquable dont le capital de bois de qualité unique au monde fait des envieux. La gestion des forêts de chênes est sans aucun doute une démarche qui nécessite un engagement dans la pérennité dépassant très largement celui des vignobles. La durée de vie d’une chênaie est en moyenne trois à cinq fois supérieure à celle d’une plantation viticole. La conduite de parcelles de chênes sessiles en futaies entre la phase de semis naturel et l’abattage final des arbres est un engagement dans le temps de 150 à 200 ans et celle des taillis sous futaies se situe entre 120 et 150 ans.

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La première éclaircie au bout de 15 à 20 ans.

Si l’ONF n’avait pas été créé pour remplir cette mission, il est fort probable que les propriétaires privés n’auraient pas planté des surfaces aussi importantes de futaies dont la croissance est lente. La conduite des parcelles de chênes nécessite aussi une véritable technicité et l’obtention de belles grumes ne relève pas du fruit du hasard. L’ONF a développé des pratiques de sylviculture pour créer les conditions les plus favorables au développement d’arbres de très grandes qualités destinés prioritairement aux usages de la tonnellerie et de l’ébénisterie. La gestion des forêts domaniales et communales est parfaitement maîtrisée et tracée dans le temps par les équipes de l’ONF. Un cahier d’aménagement spécifique à chaque forêt permet d’enregistrer toutes les interventions durant 120 à 200 ans dans chaque parcelle (entre le semis et l’abattage) afin de suivre l’évolution de la croissance des arbres jusqu’au moment où ils sont arrivés à « pleine maturité ». Les pratiques de sylviculture reposent à l’origine sur un semis naturel d’environ 100 000 chênes/ha et une succession d’interventions d’éclaircissage et d’entretien tous les 10 à 15 ans permettant de maîtriser la croissance des peuplements (en futaie ou en taillis sous futaie) et d’obtenir au final seulement 60 à 100 arbres/ha. L’observation du comportement de chaque îlot de parcelles est le seul élément pour pouvoir déclencher les interventions spécifiques des bûcherons. Les forestiers de l’ONF, lorsqu’ils favorisent l’émergence d’un semis naturel en 2006, savent pertinemment que ce sont leurs successeurs dans les années 2150 à 2200 qui procéderont à l’abattage des arbres. La conduite d’une chênaie nécessite un investissement humain et économique très important dont la valorisation est toujours sujette à beaucoup de commentaires et de tensions. D’un côté, les exploitants forestiers, les merrandiers et les tonneliers considèrent que les coupes de chênes français ont une valeur de plus en plus élevée et sur-cotée sachant que le bois représente aujourd’hui plus de la moitié du prix de revient d’une barrique. De l’autre, l’ONF et les propriétaires de la forêt privée considèrent qu’ils doivent tirer des revenus suffisants pour entretenir le potentiel de qualité de la chênaie française et assurer la pérennité économique de leur patrimoine.

L’achat de bois et la fente de plus en plus souvent intégrés par les tonneliers

Au cours des décennies 80 et 90, l’essor d’activité de la tonnellerie française a incité tous les acteurs à augmenter leur parc à bois et la progression constante de la demande de merrains de grains fins a entraîné une hausse des cours du bois et aussi une évolution de tous les métiers impliqués dans la filière. Les entreprises de tonnellerie les plus structurées s’inquiétaient de voir les cours des grumes à merrains ne cesser d’augmenter et d’autre part elles avaient la volonté de mécaniser et de rationaliser au maximum la fabrication des barriques pour réduire les charges de main-d’œuvre, augmenter leurs capacités de production et leurs marges. Les tonnelleries qui historiquement avaient l’habitude d’acheter des merrains verts ou secs sur palettes auprès d’exploitants forestiers et de merrandiers (avec lesquels ils entretenaient des relations étroites sur le plan de la qualité des bois) ont décidé d’intégrer pour une part souvent dominante de leurs besoins, les activités d’achats de bois, de fentes des grumes et de fabrication des douelles. Cela a permis à ces entreprises de maîtriser économiquement et techniquement toute la filière bois. Les entreprises de tonnellerie se sont constituées des parcs à bois conséquents mais coûteux sur le plan financier. Les économies substantielles réalisées par l’intégration des achats de bois et de la fabrication des douelles ont dû permettre de financer une part importante des nouveaux parcs de merrains. Les deux postes de charges importants dans la fabrication des barriques sont la main-d’œuvre et le prix des merrains. L’arrivée de machines assez sophistiquées dans les ateliers de tonnellerie pour toutes les opérations de préparation des douelles et de finition des barriques s’est accompagnée d’une montée en puissance des exigences qualité au niveau du bois. L’introduction de la mécanisation ne pouvait être possible que si les douelles ne présentent aucun défaut et les opérations de tri au niveau des ateliers de merranderie sont devenues beaucoup plus sélectives.

Le métier de tonnelier a considérablement évolué au cours des 15 dernières années car tout a été mis en œuvre pour à la fois limiter les charges et la pénibilité des travaux n’ayant pas une incidence qualitative sur les barriques, et concentrer les compétences humaines sur les opérations essentielles de tri du bois et de conduite des chauffes. Les gains de productivité ont permis aux entreprises de se structurer et de proposer à leurs clients une offre de barriques beaucoup plus diversifiée. La tonnellerie française est devenue une activité générant des marges financières suffisamment attractives pour que des investisseurs s’intéressent à ce métier. La maîtrise technique et économique de l’approvisionnement en bois est aussi devenue un volet stratégique pour la bonne gestion des entreprises de tonnellerie.

Chênes d’Europe de l’Est et Chênes Français, comment faire la différence ?

Le fort intérêt pour les chênes français à grains fins durant la décennie 90 a fait grimper les prix des merrains et du m3 de grumes dans les futaies du Centre de la France gérées par l’ONF et les propriétaires privés. Pour faire face à cette demande, les tonneliers disposant d’une expérience au niveau de la filière bois et d’ateliers de fabrication ont cherché à diversifier leurs approvisionnements en bois merrains. A partir du début des années 90, des contacts ont été noués avec les forêts des pays de l’Europe de l’Est, prioritairement en Bulgarie, en Pologne, en Roumanie et en Ukraine (présentant une forte proportion de merrains à grains fins). Les grands tonneliers ont soit créé des sites de production de merrains sur place (pour maîtriser la traçabilité et la qualité), soit importé des grumes qui étaient ensuite transformées en France. On a vu apparaître aux catalogues des entreprises des barriques avec le label chêne européen de grains moyens et fins qui présentaient l’avantage d’être 15 à 25 % moins chers que les fûts de chêne français. La gestion de l’approvisionnement en bois de l’Est de l’Europe est totalement gérée par les tonneliers sans qu’aucun organisme français ou européen n’exerce un contrôle sur les aspects de traçabilité. D’ailleurs, des grumes importées de ces pays mais dont la fente est réalisée en France peuvent réglementairement prendre l’appellation chêne français alors que des merrains fendus dans le pays d’origine portent obligatoirement l’appellation chêne européen. Ce contexte réglementaire très complaisant ne contribue pas à assurer une pleine transparence d’approvisionnement entre les différents acteurs des filières bois et les utilisateurs de barriques. D’éventuelles interférences entre les palettes de merrains d’Europe de l’Est et des merrains français ne peuvent-elles pas se produire ? Seuls les tonneliers possèdent la capacité de répondre à cette question qui est tout de même importante vu le surcoût des barriques en chênes français. Quelques tonnelleries ont mis en place sur leur parc à bois des démarches de certification pour justement assurer à leurs clients la pleine transparence de leur filière chêne français depuis l’achat des bois dans les forêts. Le bon rapport qualité/prix de ces bois venus de l’Europe de l’Est a séduit un certain nombre de domaines viticoles qui semblent assez satisfaits de ce type de fûts.

Une tension quasi permanente sur le prix des bois à merrain

La tempête de décembre 1999 a modifié considérablement les données du marché puisque brusquement un volume de bois important a été disponible et les prix des grumes à merrain ont chuté de 20 %. Les merrandiers et les tonneliers ont pu renforcer leur parc à bois à des niveaux de prix de revient nettement inférieurs. La tempête avait mis « parterre » l’équivalent de plus d’une année de récolte et ces chablis (les bois tombés) ont été commercialisés à des prix réduits. Pour faire face à cette situation, l’ONF et les propriétaires privés ont diminué pendant 2 à 3 ans les surfaces d’arbres mises à l’abattage et, finalement, les cours des bois aux ventes de l’automne 2005 ont retrouvé ceux de l’automne 1999. La baisse des ventes de fûts depuis 2003 a commencé à se faire sentir au niveau des achats de merrains de grains fins à partir de l’année dernière. Au cours des dernières années, le contexte commercial des bois à merrains semble nettement plus tendu du fait, d’une part, de la diminution de la demande au niveau des tonneliers et, d’autre part, en raison de la volonté de l’ONF et des propriétaires privés de réduire les volumes mis en marché pour maintenir des niveaux de prix élevés. Les utilisateurs de barriques que sont les viticulteurs, les coopératives et les négociants ont plutôt tendance à être informés des hausses de cours des merrains plutôt que de leurs baisses. Par exemple, la chute des cours du bois suite à la tempête de 1999 ne s’est pas fait réellement sentir sur le prix des barriques neuves achetées dans les années 2003 à 2005. L’une des difficultés est justement liée au fait qu’il n’existe pas de constatations de cours des bois à merrains et c’est la loi de l’offre et de la demande qui joue à plein. Actuellement, des palettes de merrains de gros grains verts de type Limousin se commercialisent sur la base de 2 400 à 2 700 e HT/m3 et celles de grains fins verts du Centre de la France dépassent 3 000 e HT/m3. Le différentiel de valeur des merrains de gros grains était beaucoup plus important (de l’ordre de 30 %) jusqu’en 2004, mais l’augmentation des besoins dans le vignoble de Cognac a fait remonter les cours. Ces derniers chiffres ne sont qu’indicatifs et ils sont la résultante de renseignements partiels recueillis auprès d’acteurs de la filière bois et quelques tonnelleries.

Des chênes sessiles ou pédonculés pour le Cognac

La dynamique de mise en stock plus importante des eaux-de-vie de Cognac depuis quelques années a relancé les fabrications de fûts neufs. D’un point de vue réglementaire, les barriques destinées à la région de Cognac doivent impérativement être fabriquées avec du bois de chêne issu indifféremment de deux espèces, le chêne sessile et le chêne pédonculé. Les grandes maisons de négoce ont des préconisations précises en matière d’origine des bois et de type de grain. Les sociétés Hennessy et Rémy Martin conseillent d’utiliser des merrains provenant de chênes pédonculés français (de type Limousin) ayant des cernes de croissance assez importants qualifiés de gros grains. A l’inverse, Martell, Marnier et Courvoisier ont opté pour des chênes sessiles français (de types Tronçais ou du Centre de la France) ayant des cernes de croissance serrés. Ces deux espèces de chênes proviennent de forêts différentes à la fois sur le plan de l’origine géographique et de la nature des sols sur lesquels elles se sont développées. Les apports de substances aromatiques et de tannins dans le vin et les eaux-de-vie doivent être fortement influencés par les conditions culturales des arbres et sans aller jusqu’à la notion de terroir comme dans le milieu viticole, les dégustations révèlent des différences selon le type de grain, la provenance et bien sûr l’essence chêne sessile ou chêne pédonculé. La conduite d’une parcelle de chênes sessiles ou pédonculés nécessite des pratiques de sylviculture bien établies que les forestiers privés et surtout l’ONF s’attachent à développer pour assurer la production de beaux arbres. De véritables notions de qualité des arbres sur pieds destinées à la filière tonnellerie se sont imposées depuis plusieurs décennies du fait de la formulation d’exigences de qualité précises au niveau des vins et des eaux-de-vie. Les deux espèces de chênes sessiles et pédonculées sont réparties dans une grande partie des massifs forestiers français et européens et elles peuvent fréquemment coexister au sein d’une même forêt ou de parcelles. Des individus hybrides peuvent se développer mais ces chênes intermédiaires représentent une présence minime dans les peuplements. Chacune des deux espèces possède des caractéristiques botaniques différentes, un tempérament et des exigences écologiques bien distincts.

Des chênes pédonculés conduits en taillis sous futaies

Le chêne pédonculé (à gros grains) à l’état d’arbre isolé a un comportement assez rustique qui s’accommode de tous les milieux. Par contre, dans le cadre d’un peuplement beaucoup plus dense, il peut devenir beaucoup plus exigeant et plus sensible à l’environnement pédo-climatique. Le développement de cette espèce nécessite de la lumière, une bonne alimentation en eau l’été, et des sols fertiles, humides et peu acides sont propices à sa croissance. Historiquement, les forêts du Limousin étaient un fief de production des bois à merrain issus de chênes pédonculés, mais on en trouve aussi beaucoup en Corrèze, dans le Sud- Ouest et dans les Vosges. Les forêts de chênes pédonculés sont gérées majoritairement par des propriétaires privés sous la forme de taillis sous futaies et leur renouvellement n’est pas toujours abordé d’une façon aussi rationnelle et systématique. La structure d’un taillis sous futaie est de permettre la cohabitation au sein d’un même îlot de parcelles de 30 à 50 chênes/ha et d’autres essences de bois. Au sein d’une même parcelle, arbres.jpgtous les chênes n’ont pas le même âge et le peuplement est issu à la fois de rejets et de semis. L’autre spécificité des taillis sous futaies réside dans le fait que les coupes au sein d’une même parcelle ne sont pas totales mais partielles (par exemple les 15 arbres arrivés « à pleine maturité » entre 100 et 150 ans). Cela entraîne de fortes variations de densités qui ont une incidence sur la croissance des arbres rapide pendant certaines phases et irrégulière sur d’autres périodes. La coupe provoque un apport de lumière brutal pendant plusieurs décennies qui est propice à une pousse rapide et à l’obtention de gros grains. Ensuite le resserrement de la végétation limite la pousse et le grain du bois devient moyen. Le taillis sous futaie est un mode de gestion de la forêt adapté aux caractéristiques écologiques des chênes pédonculés qui demandent de la lumière, de l’humidité et supportent mal la concurrence dans les peuplements à plus forte densité. Depuis maintenant quelques années, la succession d’années de sécheresse avec surtout un déficit de pluviométrie très marqué en été a inquiété beaucoup l’ONF et les propriétaires privés. En effet, le chêne pédonculé résiste mal aux sécheresses estivales car c’est dans cette période qu’il effectue normalement sa plus grosse pousse. Dans certains massifs forestiers traditionnels, la succession d’étés secs pénalise la croissance des chênes pédonculés et leur pérennité risque aussi d’en être affectée. Si cette évolution climatique persiste et s’amplifie, certains spécialistes estiment que d’ici un siècle ou deux, l’espèce pourrait se déplacer vers des zones géographiques ayant un climat plus humide.

Des inquiétudes pour les ressources du massif du Limousin

Par ailleurs, la tempête de décembre 1999 a profondément déstabilisé le potentiel d’arbres dans la grande région du Limousin. Dans ce massif forestier appartenant majoritairement à des propriétaires privés qui n’ont pas une démarche de sylviculteur à part entière, un phénomène de décapitalisation brutale s’est produit. Beaucoup d’arbres d’un âge allant de 50 à 150 ans sont tombés prématurément et leur commercialisation a été assurée dans un contexte de marché profondément dégradé. A l’époque, la demande de gros grains au niveau de la filière tonnellerie était faible et beaucoup de bois ont été vendus à des niveaux de prix très bas en dehors de ce secteur d’activité. La forêt de chênes dans le Limousin, qui représentait souvent pour un bon nombre d’agriculteurs une réserve d’épargne à long terme dont ils pouvaient disposer de façon ponctuelle, a été réalisée brutalement et dans de très mauvaises conditions sur le plan financier. Un certain nombre de parcelles n’ont même pas été dégagées faute de bras et le bois a pourri sur place. Cette situation conduit aujourd’hui à un déficit d’approvisionnement en grumes à merrains sur cette zone qui risque malheureusement de se perpétuer pendant plusieurs décennies. L’insuffisance de moyens et un phénomène de découragement des nouvelles générations n’ont pas permis d’assurer une régénération régulière du potentiel d’arbres et le massif du Limousin s’est considérablement rajeuni. En plus, cette jeune forêt subit les effets de la sécheresse qui limitent la croissance des arbres et fait planer des doutes sur leur qualité future (au niveau de la tonnellerie). Plusieurs merrandiers et des tonneliers nous ont confirmé qu’ils avaient depuis trois ans du mal à trouver des grumes de gros diamètres en provenance du Limousin. Lors des opérations de fentes des merrains, les pertes de bois sont plus importantes avec les gros grains en raison de la structure du fil du bois et plus le diamètre des arbres est petit plus le phénomène s’amplifie.

Des chênes Sessiles conduits en Futaies

Le chêne sessile (à grains fins) a un comportement écologique qui lui permet de se développer sur des sols acides et pauvres. Par contre sa croissance est plus lente surtout pendant la phase estivale et l’obtention d’arbres de diamètre équivalent à ceux des chênes pédonculés nécessitera 30 à 50 ans de patience supplémentaire. La structure des tiges et la forme de branchaison des arbres adultes est beaucoup plus aérienne. Cette espèce a des besoins en eau normaux et supporte bien les étés secs que nous subissons depuis quelques années. Les forêts de chênes sessiles sont fortement implantées dans la chênaie atlantique au sein de laquelle l’ONF joue un rôle majeur. Des pratiques de sylviculture spécifiques au chêne sessile ont été développées pour optimiser la qualité des bois produits. Le débouché principal (en volume et sur le plan de la valorisation) des forêts de chênes sessiles adultes est la tonnellerie. La « grosse cote » qualitative des barriques en chêne français dans l’univers mondial du vin est sans aucun doute liée à la qualité des arbres produits par les forêts domaniales et communales gérées par l’ONF. Tronçais, Jupille, Loches… ne sont pas des provenances de bois inconnues pour les meilleurs wine-makers du monde. Les services de l’ONF entretiennent avec beaucoup de professionnalisme les forêts et un véritable modèle de culture spécifique à cette espèce a été défini : la futaie. La conduite des forêts de chênes sessiles en futaies repose sur un véritable suivi permanent de la croissance des arbres qui au sein d’une même parcelle ont le même âge. Pendant 150 à 200 ans, les peuplements sont conduits en ayant le souci permanent d’exposer tous les arbres à un apport de lumière constant et équivalent. Au départ, l’ensemble d’une parcelle est régénéré par un semis naturel généralisé en présence des arbres adultes trois à huit ans avant leur abattage. Ensuite, la densité d’arbres est parfaitement gérée afin d’obtenir des billes droites, régulières et sans défaut (avec le moins de branches possible sur la base des troncs).

Gérer les peuplements pour obtenir de beaux arbres

L’instauration d’une concurrence permanente mais homogène entre chaque chêne de même âge permet de façonner la croissance. La formation du tronc, la présence ou non de défauts, la structure de la branchaison sont des éléments qui sont pris en compte au moment de la réalisation des éclaircies. Le maintien de fortes densités oblige les arbres à rechercher la lumière et est propice à l’obtention de grains fins et moyens. Le peuplement à l’origine de 100 000 chênes/ha est réduit par des éclaircies successives à une densité de 70 à 100 arbres au bout de 200 ans. La première éclaircie intervient au bout d’environ 15 ans pour ramener le peuplement autour de 4 000 tiges/ha. Ensuite, les ingénieurs de l’ONF passent régulièrement dans les parcelles pour suivre la croissance des arbres et décider du moment opportun pour réaliser les nouvelles éclaircies (en général tous les 10 à 15 ans). Lorsque les parcelles arrivent à 100 ans, une sélection objective des plus beaux arbres est effectuée (les plus droits, les mieux répartis dans l’espace) et cette opération est déterminante vis-à-vis du capital de qualité de bois futur 80 ou 100 ans plus tard. La densité des arbres joue un rôle important sur la taille des grains, et plus celle-ci est importante plus le grain est fin mais le diamètre des arbres est aussi plus petit. Le diamètre des arbres est un facteur de productivité important au niveau de fente des merrains et plus les grumes sont grosses moins les pertes sont importantes. Les responsables de l’ONF considèrent qu’il est possible de trouver un juste équilibre dans la densité des peuplements et des efforts sont faits dans ce sens depuis maintenant plusieurs décennies. Il s’avère aussi que des densités d’arbres plus faibles, de l’ordre de 50 à 60 arbres/ha, permettent d’obtenir avec des chênes sessiles des grains moyens et voire même de gros grains qui présentent l’avantage d’être plus faciles à fendre (moins de pertes) que les chênes pédonculés.

Scientifiquement, on sait différencier les chênes Sessiles des Pédonculés

Des travaux scientifiques récents de caractérisation des bois permettent de pouvoir distinguer chimiquement les deux espèces de chênes pédonculés et sessiles. Gustativement, dans les vins comme les eaux-de-vie, les apports aromatiques et tanniques s’avèrent très distincts pour des niveaux de chauffes équivalents. Par contre dans l’univers du vin et des eaux-de-vie, des études importantes ont été réalisées pour apprécier les phénomènes d’extractions qui se produisent à l’intérieur des fûts. M. Guillaume Snakkers, l’ingénieur chargé des recherches sur le vieillissement des eaux-de-vie à la Station Viticole du BNIC, considère que les composés extraient lors des phases d’élevage en fûts contribuent fortement à l’évolution de la couleur, des arômes et de la structure en bouche des eaux-de-vie et des Cognacs. Le bois à merrain est doté de parois cellulaires (cellules mortes) dont la nature est prioritairement constituée de grosses molécules (de cellulose, hémicelluloses, lignine), de substances tanniques (en majorité des ellagitannins), et d’autres composés. Dans des merrains secs, la cellulose, l’hémicellulose et la lignine ne sont pratiquement pas extraites lors du vieillissement mais elles sont partiellement dégradées lors de la réalisation des chauffes. Les dérivés issus de cette dégradation, les composés aromatiques (la vanilline, le syringaldéhyde, les hexoses, des pentoses…), sont par contre extraits par les eaux-de-vie et ils contribuent fortement à l’extériorisation de la typicité aromatique (les arômes vanillés) et gustative (apporte une sucrosité naturelle aux EDV). Les composés phénoliques, et en particulier les ellagitannins et les tannins, sont solubles dans les eaux-de-vie et ils confèrent aux Cognacs des propriétés antioxydantes.

Le chêne Français justifie sa qualité grâce au travail de fond mené par l’ONF

Au moment de l’abattage d’une grume, il ne faut pas imaginer que 500 m3 de bois permettent d’élaborer uniquement du merrain. Une très belle bille présente toujours des défauts qui ne permettent pas de l’exploiter sur toute sa longueur. Un bois à merrain doit être bien droit et bien cylindrique sur des longueurs de 1,20 à 1,40 m qui correspondent aux dimensions des douelles des barriques de 225 et 400 l. Par exemple, la présence de nœuds rend inutilisable du bois qui risquerait d’être ensuite la cause de fuites. Il arrive que seulement 30 à 40 % de la longueur totale d’un tronc qui paraissait très beau ne soit utilisés pour faire des douelles. Dans 1 m3 de grume, environ seulement 20 % pourront être utilisés en merrain après avoir éliminé l’aubier et les pertes de bois à la fente. L’appréciation de l’apparence des arbres sur souches au moment des ventes nécessite une grande expérience et c’est un métier qui s’apprend en parcourant les bois pendant de longues années. Un merrandier expérimenté nous expliquait qu’après 25 ans de travail avec son père, il n’avait pas encore l’impression de maîtriser totalement le sujet. La demande de bois à merrains a considérablement évolué sur le plan qualitatif, et les aspects concernant le grain et l’origine du bois ont pris une importance considérable. Pour répondre à cette attente d’origine et de qualité de bois, l’ONF dispose d’un outil unique avec le cahier d’aménagement forestier propre à chaque forêt (document faisant l’objet d’arrêtés ministériels) qui garantit la parfaite traçabilité de l’origine et des conditions culturales de toutes les parcelles. C’est une démarche assez proche de celle de la gestion des régions viticoles d’AOC qui associent pleinement le terroir à la qualité finale des vins et des eaux-de-vie produites. Tout le fondement et le sérieux du travail de l’ONF sont cautionnés par ce document de travail qu’aucune autre forêt au monde n’est en mesure de produire. Pour un acheteur de bois à merrain, les bois mis en vente par l’ONF sont garantis sur le plan de l’âge et de l’origine. M. P. Jarret nous indiquait qu’à la demande de certains opérateurs (tonneliers, exploitants forestiers et merrandiers), l’ONF est en mesure de proposer une prestation (payante) de certification de l’origine et la traçabilité de tous les bois issus des forêts domaniales et communales.

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