Les Approches De Maîtrise De La Vigueur Nécessitent De La Technicité

9 mars 2009

L’agronomie viticole est un sujet qui préoccupe rarement les viticulteurs de nos régions car le développement végétatif des vignes rencontre peu de problèmes. Depuis dix ans, les pratiques de maîtrise de la vigueur se sont développées et au fil des années les parcelles se sont adaptées à ce nouvel environnement de conduite. Cette évolution importante des méthodes de conduite du vignoble a eu beaucoup de conséquences positives et aussi quelques effets négatifs qui ont été amplifiés localement par des effets sols ou des contraintes climatiques exceptionnelles. En 2002 et 2003, certaines propriétés ont rencontré des problèmes de fermentation liés à des teneurs en azote des moûts très faibles et cela a conduit à faire trop vite le procès d’approche de maîtrise de la vigueur comme l’enherbement. Faut-il pour autant remettre en cause l’ensemble de ces itinéraires de production ou au contraire pousser plus loin le raisonnement technique de ces pratiques ? C’est la question que se pose bon nombre de viticulteurs tout en sachant que les paramètres économiques sont devenues déterminantes en matière de conduite du vignoble.

approche_de_maitrise.jpgLa succession de conditions climatiques assez atypiques depuis quelques années associée à une évolution des pratiques de conduite du vignoble ont progressivement eu des incidences sur le développement de la vigne, la nature des raisins et des vins produits. La vigne et tout particulièrement l’Ugni blanc possède une forte capacité d’adaptation à des situations de stress physiologique. Les souches modulent naturellement leur niveau d’activité physiologique et photosynthétique selon les conditions de milieu dans lesquelles elles se développent. Si le climat et l’alimentation sont propices, les souches vont développer une forte vigueur et produire une quantité de raisins plus abondante. A l’inverse, dans des sols maigres sur le plan des potentialités agronomiques, des souches soumises à un fort stress hydrique ne seront pas en mesure de développer une forte végétation et porter une importante charge de raisins. Dans le vignoble de Cognac, les viticulteurs ont longtemps conduit leurs vignes dans une optique de productivité et la recherche d’une bonne vigueur était un enjeu prioritaire pour la majorité des viticulteurs. L’introduction des limites de rendement depuis 5 ans a remis en cause cet objectif au profit de méthodes de conduite à la fois moins productivistes et aussi plus affinées sur le plan de la gestion économique. Comme dans la plupart des régions viticoles françaises, les viticulteurs cherchent désormais à maîtriser leurs rendements et la vigueur de leurs vignes mais l’Ugni blanc est un cépage assez difficile « à canaliser ». Un certain nombre de propriétés ont aussi profité de l’introduction des limites de rendements pour conduire une réflexion poussée sur la maîtrise des coûts de production.

Réduire la vigueur de la vigne en créant une concurrence

Parmi, les premières mesures d’adaptation de la conduite du vignoble, les apports de fumures souvent généreux et l’entretien du sol ont été remis en cause. L’enherbement total des interlignes est devenu une alternative de plus en plus fréquente pour créer une concurrence qui soit susceptible de faire baisser la vigueur des vignes et les résultats ont été assez rapides. Le développement de cette pratique a aussi permis de simplifier l’organisation des travaux au printemps et de minimiser les charges de mécanisation (sur le plan des temps de travaux et des frais d’entretien du matériel, tracteurs et équipements). Dans la majorité des situations, la décision de passer à un enherbement permanent a été motivée par la raison économique car dans les parcelles d’Ugni blanc la diminution de la vigueur permettait de réaliser des économies significatives dans l’organisation des travaux de taille et de tirage des bois. Moins de bois à sortir du palissage permettait par exemple de réaliser la taille et le tirage des bois en une seule intervention, soit une économie d’au moins 10 à 15 heures de main-d’œuvre par hectare. L’enherbement permettait aussi de beaucoup mieux respecter la structure des sols en fin d’hiver et au printemps lors des interventions mécaniques, et le calendrier des travaux pouvait aussi être géré avec beaucoup plus de souplesse. La meilleure portance des sols présente de nombreux avantages sur le plan économique et agronomique car le poids des équipements utilisés en viticulture a fortement augmenté depuis 10 ans. L’enherbement a souvent été généralisé à l’ensemble d’une propriété sans réellement tenir compte des spécificités agronomiques du parcellaire car, d’une manière générale, il fallait « calmer » la vigueur. Le couvert végétal était implanté en laissant se développer la flore naturelle des parcelles qui est toujours plus concurrentielle que celle provenant de semis avec des mélanges sélectionnés. Dans les parcelles ayant un passé de désherbage chimique en plein, la flore a très vite évolué vers des herbes résistantes souvent fortement concurrentielles.

Raisonner l’enherbement est le seul moyen d’en tirer le meilleur profit

L’adaptation de la surface totale enherbée au niveau de concurrence souhaitée ou souhaitable (selon la nature du sol) n’a été que rarement raisonnée alors que la mise en œuvre de cette pratique se révèle technique. La finalité de l’enherbement est certes de créer une concurrence mais il faut savoir le doser et le moduler en tenant compte des besoins physiologiques de la vigne et des objectifs de production. Par exemple, dans une vigne à 3 m d’écartement, la surface enherbée atteint 6 600 m2/ha (bande enherbée de 2 m) alors que dans une vigne à 2 m elle dépasse rarement 5 500 m2/ha, mais par contre la charge de grappes portée par chaque souche dans des vignes larges est supérieure de 30 % à 40 % pour un même niveau de rendement. En effet, la nature du couvert végétal, l’importance de la surface enherbée sont des moyens simples et efficaces de faire varier le niveau de concurrence et de tirer le meilleur profit de l’enherbement. Cette réflexion concernant la corrélation de surface enherbée par rapport à l’enherbement concerne aussi toutes les autres pratiques d’entretien des sols, le désherbage comme le travail du sol, qui deviennent plus techniques à piloter au fur et à mesure de la diminution des densités de plantation dans les parcelles. La plupart des viticulteurs qui ont décidé de généraliser l’enherbement n’ont que rarement intégré ces éléments dans leurs réflexions et au départ la vigne a semblé bien le supporter. Cependant, à la faveur de séquences climatiques très particulières, le comportement de certaines parcelles a plus ou moins bien réagi à cette évolution souvent « incontrôlée » sur le plan agronomique. La climatologie variée et surtout fluctuante des cinq dernières années a aussi amplifié les effets agronomiques et la vigne a su adapter sa physiologie à ces événements agro-climatiques parfois extrêmes. En 2000, à la suite d’un hiver et d’un printemps très humides avec des précipitations supérieures à 800 mm en 6 mois, l’été et l’automne avaient été marqués par un compromis idéal entre ensoleillement et humidité bien dosés. Les excès d’eau de début de saison avaient conféré au mildiou une virulence exceptionnelle, mais par la suite la maturation s’était déroulée dans de bonnes conditions. En 2001, le cycle végétatif plus tardif et plus conforme aux normales saisonnières a été valorisé par un été et une arrière-saison exceptionnelle qui avait permis aux raisins d’atteindre des niveaux de maturité intéressants. En 2002, l’été assez frais et pluvieux a gêné le début de la maturation, mais la qualité du millésime a été sauvée par deux mois de soleil à partir de début septembre. 2003 a été marquée par des chaleurs estivales et automnales assez exceptionnelles propices à la précocité et à l’obtention d’un niveau de maturité extrême. Le millésime 2004 s’annonce aussi comme assez particulier sur le plan des précipitations puisque après un hiver et un printemps déficitaire en pluviométrie, la persistance du manque d’eau à la mi-juillet fait craindre une sécheresse sans pour autant que la chaleur soit au rendez-vous de ce début d’été.

La réduction de la vigueur a entraîné une augmentation de la capacité de maturation des vignes

Les conséquences de tous ces éléments agronomiques et climatiques se font sentir au niveau du développement de la vigne qui s’extériorise par une capacité nettement plus importante de maturation. Dans beaucoup de propriétés, on vinifie et on distille des vins d’Ugni blanc ayant un titre alcoométrique supérieur à 10 % vol., et cela pose de nouveaux problèmes techniques. En effet, il s’avère que les moûts les plus riches en sucres sont en général aussi carencés en azote, ce qui rend difficile le déroulement de la fermentation alcoolique en absence de complémentation. Depuis plusieurs années, les problèmes d’arrêts de fermentation liés à des carences en azote dans des moûts fortement alcoolisés sont en augmentation et les conditions climatiques extrêmes de 2003 ont encore amplifié le phénomène. Au cours des cinq derniers millésimes, la plupart des œnologues ont constaté une convergence d’éléments « à priori favorisant » chez les viticulteurs qui étaient confrontés à des arrêts de fermentation. Tout d’abord, le phénomène concerne plus certaines propriétés que d’autres avec bien sûr des effets années plus ou moins marqués, et cet effet site est à relier à la conduite du vignoble. Ce sont des exploitations gérées avec des méthodes économiques où les vignes bien maîtrisées en vigueur produisent des rendements moyens et des vins d’un titre alcoométrique bien plus élevé que la moyenne régionale. A l’inverse, les exploitations continuant à produire des rendements plus importants et des vins moins alcoolisés sont beaucoup moins concernées par les arrêts de fermentation. Cela a laissé dire à certains techniciens que les vignes enherbées et à faible vigueur constituaient des facteurs de risque majeurs vis-à-vis des arrêts de fermentation. Ce discours très négatif autour de l’enherbement n’est absolument pas fondé sur le plan agronomique et la remise en culture des interlignes des rangs ne sera pas suffisante pour enrichir les moûts de la future récolte en azote. La conduite agronomique d’un vignoble ne se limite pas aux seules techniques d’entretien des sols mais à une approche globale qu’il faut essayer d’anticiper et de faire évoluer dans la douceur afin de faciliter l’adaptation physiologique des ceps de vigne. Comme toutes les plantes pérennes, l’expression végétative de la vigne repose avant tout sur l’implantation du système racinaire dans le sol dont la fonction est d’assurer une alimentation régulière (en eau, en éléments fertilisants majeurs, et en oligo-éléments…).

Le développement du système racinaire est corrélé à celui de la biomasse aérienne

rapport_de_poids_entre_racines_et_tronc.jpgLe développement du système racinaire de la vigne est corrélé à celui du système aérien et cette coordination assure un équilibre fonctionnel entre l’activité photosynthétique et l’assimilation d’eau et d’éléments fertilisants par les racines. A l’INRA de Bordeaux, l’équipe de M. Jean-Pierre Gaudillère, le directeur de recherche d’écophysiologie et d’agronomie viticole, travaille sur ces sujets depuis de nombreuses années et un certain nombre d’avancées permettent de mieux comprendre les interactions physiologiques entre le développement des parties aériennes et celui des racines. Une présentation des résultats de ces travaux avait été réalisée lors de la journée technique du BNIC en 2001 à Cognac. Des données récentes provenant de l’INRA de Bordeaux permettent de mettre en évidence que chez une vigne adulte, la masse de racines représente 50 % de la biomasse pérenne aérienne. Le système racinaire se construit dans les premières années de la vie des souches et cette fonction qui privilégie le développement racinaire est typique des espèces pérennes. La croissance racinaire est liée aux caractéristiques du sol en terme d’humidité, de fertilité et de compacité. Les sols modérément secs, pauvres en azote et peu compacts sont propices au développement racinaire. De nombreuses observations montrent que 90 % de la masse des racines sont contenus dans le premier mètre de sol. Quelques racines peuvent descendre dans des horizons très profonds mais cette aptitude est conditionnée à la fois par la compacité de ces couches et l’accessibilité à l’oxygène. Les racines profondes contribuent essentiellement à l’approvisionnement en eau en été. La densité de racines dans le sol est dépendante de l’âge de la vigne et de la densité de plantation, et pour une parcelle à 5 000 ceps/ha elle est de 400 g/m2 de sol. Les vignes à forte densité développent une masse racinaire plus importante qui leur permet de mieux explorer le sol.

Tenir compte du cycle de développement des racines

L’accessibilité aux ressources du sol dépend de la surface de racines développées par la vigne et aussi de leur distribution dans les différentes classes de dimension.

Les racines fines (de diamètre < 0,5 mm) représentent 13 % de la masse racinaire mais 82 % de la longueur totale. L’importance fonctionnelle de cette fraction est donc majeure et tout particulièrement au niveau de l’exploration du sol. La proportion de racines fines est variable selon les porte-greffes, et le Riparia et le 3309 ont des aptitudes à en produire plus que les 101-14, 99R ou les Berliandieri. Néanmoins, les chercheurs restent prudents vis-à-vis des relations entre les caractéristiques des racines et leur efficacité dans le sol en matière de vigueur conférée au cépage. Le rôle des grosses racines fait actuellement l’objet d’étude notamment au niveau de l’assimilation des composés azotés. Au printemps la vigne commence son cycle végétatif en puisant dans les réserves azotées qui se sont stockées dans le vieux bois. Le fonctionnement des parties aériennes conditionne celui des racines et l’intensité de la photosynthèse influence l’activité de croissance et d’absorption des racines. La croissance des racines se déroule selon un cycle très saisonnier avec un développement qui commence 10 semaines après le débourrement (au moment de la floraison) et un maximum de vitesse de « pousse » courant juillet au moment où les rameaux ralentissent leur croissance. La réalisation des rognages et une réduction de la demande alimentaire et des besoins hydriques de la végétation favorisent le développement racinaire en juillet. Par la suite durant l’été et pendant les phases de véraison et de maturation, les racines cessent de croître. Après les vendanges, si les conditions climatiques permettent de soutenir l’activité photosynthétique, une reprise de croissance des racines intervient et pendant cette période une mise en réserve d’amidon, de sucres solubles et d’acides aminés s’effectue dans les racines.

La nuit, la vigne s’équilibre et le jour l’activité photosynthétique nécessite une demande continue en eau

Des études ont été aussi réalisées pour mieux comprendre le fonctionnement des activités assimilatrices des racines et tout particulièrement l’ajustement de la demande en eau et en éléments minéraux selon les phases de développement et les contraintes liées aux conditions de production (effet sol, conduite de la vigne et climat). Il a été mis en évidence que des signaux sont échangés entre les parties aériennes et les racines, et les résultats de divers travaux réalisés dans le Bordelais permettent de mieux comprendre l’impact de la contrainte hydrique sur la qualité des raisins. M. J.-P. Gaudillère nous expliquait qu’un gros travail de modélisation sur la capture de l’énergie solaire par la vigne a permis de quantifier la consommation en eau que cela induit. La vigne adapte sa transpiration aux conditions climatiques, ce qui permet de réaliser un bilan hydrique intégrant l’énergie solaire, le niveau des pluviométries et la réaction du sol. Ces approches ont été menées dans le cadre de deux types de productions, la production de vins rouges de haute qualité et la production de vins blancs secs. La climatologie estivale et tout particulièrement la fréquence et l’intensité des pluviométries jouent un rôle déterminant sur le régime hydrique de la vigne et la conduite du vignoble, et les méthodes de conduite du vignoble constituent aussi un moyen de régulation. Par exemple, une séquence de 10 pluies de 3 à 5 mm en juillet entretiendra la sécheresse car les apports d’eau sont intégralement évaporés et ne descendent pas aux racines ; à l’inverse, une seule pluie de 30 mm peut conduire à un excès d’eau. La réserve utile du sol doit être appréciée de façon juste afin de pouvoir adapter l’importance de la surface foliaire selon l’évolution de la climatologie estivale. En été, plus il fait chaud plus l’activité photosynthétique de la vigne augmente et plus la demande en besoins énergétiques s’accentue. Les situations de stress hydriques se produisent quand le captage en eau des racines n’est plus en mesure d’assurer les besoins liés à l’évapotranspiration. Dans les situations de chaleurs extrêmes, la photosynthèse se bloque et il se produit des phénomènes de grillures des apex ou des baies qui traduisent une insuffisance des besoins en eau par rapport au seuil de viabilité. L’alimentation en eau de la vigne obéit à des règles physiologiques qui ne sont pas fondamentalement différentes des autres espèces pérennes. La nuit, les stomates sont fermés et la vigne se réhydrate et se rééquilibre par rapport au sol. Pendant toute la phase nocturne, il n’existe aucun flux d’eau entre le sol et les rameaux. Dès que le soleil se lève, l’activité photosynthétique démarre et la vigne se met à évaporer de l’eau et le phénomène s’intensifie selon le niveau d’ensoleillement et la chaleur. Un flux d’eau se produit alors entre le sol, la vigne et l’atmosphère, et à l’intérieur des souches il existe des paliers successifs de connexions qui freinent naturellement l’alimentation en eau. Le flux d’eau franchit différentes étapes limitantes, la première étant l’interface sol/racines, la seconde se situant à la connexion des vaisseaux du bois, puis au niveau des pétioles des feuilles et enfin à l’arrivée des stomates.

Le potentiel de tige permet d’apprécier la contrainte hydrique subie par la vigne

jean_pierre_gaudillere.jpgLa meilleure connaissance de ces phénomènes a débouché sur des applications concrètes permettant de quantifier les réserves hydriques du sol, les besoins de la vigne et d’apprécier le niveau de stress hydrique réellement subi par les parcelles à l’issue du cycle végétatif. M. J.-P. Gaudillère explique que la mise en œuvre de ces mesures sur la vigne fait appel à des méthodes largement utilisées dans d’autres secteurs d’activité en physiologie végétale. Les chambres à pression constituent depuis fort longtemps des outils pour mesurer la transpiration des organes végétaux, mais les évolutions technologiques ont permis de mettre au point des chambres à pression d’un gabarit suffisamment petit pour permettre leur déplacement sur site et d’un coût aussi beaucoup plus abordable. La nuit, les mesures de chambre à pression sur des feuilles non ensachées permettent d’apprécier le potentiel de base qui correspond à la capacité hydrique du sol « vue » par les racines. Le jour, les mesures de chambre à pression (sur des feuilles enfermées une heure dans des sachets opaques) permettent de quantifier le potentiel de tige qui correspond à la contrainte hydrique subie par la plante, c’est-à-dire à son niveau de transpiration. Il ressort des études que le potentiel de tige est l’indicateur le plus fiable pour détecter une contrainte hydrique et cette précision est à relier à son aptitude à refléter le flux de sève dans le tronc et les rameaux. Les techniciens et les chercheurs utilisent ces mesures de potentiel tige pour comprendre l’influence des stress hydriques modérés sur la constitution finale des baies et c’est un outil essentiel pour l’étude des potentialités des terroirs durant la période estivale. Les deux mesures de potentiel de base et de potentiel tige font partie des critères qui sont mesurés dans le modèle descriptif de bilan hydrique théorique de l’INRA. Dans le Bordelais, ce modèle bilan hydrique fonctionne sur divers sites depuis 1985 et M. J.-P. Gaudillère estime qu’il est aujourd’hui tout à fait opérationnel pour commenter l’alimentation hydrique de différentes parcelles de vigne durant tout le cycle végétatif. Il ne permet pas de simuler les risques d’apparition d’un stress hydrique pénalisant pour les souches de vignes, mais c’est outil performant pour expliquer les relations entre le climat et la qualité des millésimes.

Le tableau page 16 présente des résultats de travaux de MM. K. Van Leeuwen et Jaekla qui démontrent la relation entre le bilan hydrique du 1er avril au 30 septembre de différents millésimes et la qualité des vins. Plus la valeur du BH est faible, plus le millésime est sec et plus les notes de qualité des vins sont élevées.

Mieux connaître les niveaux de déficit hydrique adaptés à chaque production

tableau_relation_bilan_hydrique.jpgDes études sur différents sols ont permis d’étudier l’incidence du régime hydrique sur la vitesse de maturation et la précocité des parcelles. Dans le contexte de production du Bordelais, un stress hydrique modéré semble propice à la qualité des vins rouges car les effets positifs l’emportent sur les effets négatifs et les raisins sont alors plus concentrés en sucres et en anthocyanes sans que l’état foliaire des vignes soit trop pénalisé. Cependant, lors d’un stress hydrique sévère, la photosynthèse se trouve trop fortement limitée et des blocages de maturation peuvent se produire. En viticulture, il est fondamental de connaître les niveaux de déficits hydriques qui s’avèrent favorables à la qualité et ceux qui génèrent de véritables nuisances pour les raisins et l’état foliaire des souches. La réponse à cette question est liée au type de production recherché par les vignerons sur le plan de la qualité comme du rendement. Les objectifs d’une propriété située au cœur de l’appellation Margaux ne sont pas les mêmes que ceux de domaines situés en Bordeaux supérieur ou en vins de pays d’Oc. Cette réflexion concerne aussi les vins blancs, car les attentes de production dans les Graves ne sont pas les mêmes que celles des Côtes de Gascogne ou des vins de distillation charentais. D’une manière générale, la plage de contrainte hydrique favorable à la qualité est plus élevée pour les raisins rouges que les blancs, et les sols présentant de plus faibles réserves hydriques sont plus propices à la production de vins rouges. On observe aussi que les sols froids sont des sols qui ne sont pas limitants sur le plan de l’alimentation en eau. Ce type de terroir a tendance à favoriser un allongement du cycle végétatif qui contribue à l’obtention de maturité nettement plus tardive. Le choix de porte-greffes peu vigoureux et de techniques de conduite du vignoble propices à la concurrence (densité de plantations élevée et introduction d’un enherbement concurrentiel) est en mesure d’améliorer le potentiel de maturation. A l’inverse, les terroirs sensibles à une perte de qualité liée à des stress hydriques excessifs peuvent aussi bénéficier d’adaptation de la conduite du vignoble pour moduler cette sensibilité à la sécheresse.

Le rapport C13 sur moûts permet d’apprécier la contrainte hydrique durant la maturation

correlation_entre_le_potentiel.jpgL’appréciation du stade où la vigne subit un stress hydrique grave et pénalisant pour les raisins et la végétation est désormais possible grâce à la mesure du carbone 13 dans les moûts à la récolte. Le gaz carbonique de l’atmosphère est présent sous la forme carbone 12 à 99 % et carbone 13 à 1 %. Les plantes utilisent préférentiellement le carbone 12 (car il est plus léger) mais lorsqu‘une sécheresse vient réduire fortement la photosynthèse, la teneur en carbone 13 des tissus végétaux vient à augmenter. Durant la journée, le ralentissement de l’alimentation en eau de la végétation provoque la fermeture des stomates et une baisse de l’activité photosynthétique ralentit les échanges entre l’atmosphère, ce qui modifie l’équilibre entre le carbone 13 et le carbone 12. Les valeurs du rapport carbone 13 fluctuent entre – 21 et – 26 et le niveau de – 21 indique un fort stress hydrique alors que le niveau de – 26 atteste d’aucune contrainte d’alimentation en eau. Le dosage du rapport carbone 13 dans les moûts au moment de la récolte permet de caractériser le stress hydrique de la vigne pendant toute la maturation. C’est une mesure facile à réaliser dont la mise en œuvre en viticulture découle d’autres domaines d’application en physiologie végétale. L’intérêt du rapport carbone 13 est justement de ne nécessiter aucune intervention au vignoble et le fait de travailler sur les moûts à la récolte ouvre la possibilité de l’utiliser sur un nombre important de parcelles. Ce type de mesure trouve son champ d’application pour caractériser la sensibilité à la sécheresse des terroirs pendant la maturation dans le cadre de réseaux d’études larges La station BNIC a réalisé des mesures de carbone 13 sur le réseau de parcelles de maturation depuis trois ans et même en 2003 aucun dosage sur les moûts des 52 sites n’avait révélé de situation de sécheresse.

L’enherbement n’est pas un frein à l’alimentation hydrique

rang_entretenus.jpgM. J.-P. Gaudillère considère que l’utilisation de tous ces éléments d’appréciation du régime hydrique de la vigne représente des outils supplémentaires pour comprendre le comportement physiologique durant toute la phase végétative. Les mécanismes concernant le fonctionnement du complexe sol/vigne/climat sont loin d’être totalement maîtrisés, mais l’adaptation d’un certain nombre d’aspects de la conduite du vignoble constitue des leviers à ne pas négliger. Le développement aérien de la vigne est directement dépendant de l’implantation racinaire et il convient de moduler les pratiques en tenant compte des objectifs techniques et économiques de chaque filière de production. Tout changement important de la conduite d’un vignoble nécessite une observation fine de la réaction des parcelles afin de pouvoir en adapter les pratiques dans le temps pour tenir compte de l’hétérogénéité du parcellaire en matière de nature du sol. La volonté de maîtriser la vigueur des vignes en introduisant un enherbement concurrentiel doit être totalement remise en cause à l’issue de deux années sèches ? Certains viticulteurs et parfois des œnologues pensent ouvertement que l’herbe est devenue « trop agressive », et dès ce printemps on a vu des parcelles enherbées en plein reprises en culture sans se soucier des conséquences d’un tel revirement de situation. M. J.-P. Gaudillère considère que l’enherbement présente de nombreux avantages, vu son développement dans l’ensemble des vignobles français et aussi quelques inconvénients qu’il est possible de gérer en ayant une connaissance plus fine de cette pratique. Une maîtrise de la vigueur avec un enherbement s’accompagne d’effets bénéfiques en terme de meilleure gestion de la production (en qualité comme en rendement), une moindre sensibilité des parcelles au botrytis, une portance propice à une mécanisation plus rationnelle, des gains de productivité des travaux d’hiver. Beaucoup de viticulteurs ont financièrement quantifié ces gains de productivité et ils ne sont pas prêts à revenir au travail du sol ou même au désherbage chimique. Parmi les principaux effets négatifs, la baisse de vigueur parfois forte dans certaines parcelles devient pénalisante sur le plan de la production et surtout de l’équilibre azoté des moûts. La réponse de M. J.-P. Gaudillère à cette inquiétude s’appuie sur des données scientifiques sérieuses qui plaident en faveur d’une meilleure gestion du couvert végétal plutôt que pour un retour au travail du sol : « L’herbe qui se développe dans une vigne n’est en aucun point comparable au comportement d’une prairie. Dans une parcelle palissée classique, 60 % du rayonnement solaire sont captés par la végétation et 40 % par le sol, ce qui réduit considérablement le pouvoir de compétitivité de l’enherbement viticole. Cependant, l’herbe crée un climat de compétition avec la vigne et c’est justement cet équilibre qu’il faut apprendre à bien gérer dans le temps. Le suivi régulier des rendements, du poids des bois de tailles, de l’azote des moûts constituent d’excellents critères pour observer au fil des années le comportement des parcelles. Sur le plan scientifique, il a été montré que l’introduction de l’enherbement permet de réduire les disponibilités en azote de la vigne, ce qui explique l’incidence sur la vigueur. Les vignes enherbées sont moins feuillues, moins poussantes et donc aussi moins consommatrices d’eau que des parcelles conduites en travail du sol. Par contre, l’enherbement n’a pas d’effet sur la contrainte hydrique des parcelles et en période de sécheresse, de toute façon l’herbe ne consomme plus d’eau car elle est sèche. La climatologie estivale a une incidence sur le déroulement de la minéralisation de l’azote et à sa libération dans le sol. En année chaude elle sera plus réduite alors qu’en année fraîche et humide elle sera stimulée. L’enherbement est une pratique culturale qui a démontré son intérêt mais il faut sûrement savoir moduler la nature des couverts et les surfaces enherbées selon la nature des sols. La réduction des largeurs enherbée ou le semis d’herbes sélectionnées constituent d’excellents leviers pour pérenniser l’enherbement. L’herbe dans les vignes est un piège à azote mais pas un frein à l’alimentation hydrique puisque les racines ont la capacité de plonger dans les couches plus profondes pour aller y puiser leurs besoins en eau. »

L’azote des moûts et la gestion de la minéralisation sont deux phénomènes très liés

evaluation_des_besoins_annuels.jpgL’azote des moûts provient essentiellement de l’azote du sol assimilé pendant toute la phase de développement des raisins et les conditions hydriques du sol pendant l’été vont jouer un rôle déterminant. Un dessèchement excessif des couches superficielles du sol peut gêner le processus de minéralisation et la concurrence de l’enherbement doit être pilotée avec technicité pour trouver le compromis idéal entre une vigueur maîtrisée et des teneurs en azote dans les moûts suffisantes. La modulation des surfaces enherbées et le choix de couvert végétal adapté à la capacité hydrique de chaque sol constituent des leviers efficaces pour atteindre ce double objectif.

Les besoins en azote de la vigne peuvent être évalués en prenant en compte la quantité d’azote produite dans la biomasse des grappes, des sarments, des feuilles, des troncs et des racines.

La demande en azote n’est pas régulière au cours du cycle végétatif avec un niveau maximum au moment de la phase de croissance foliaire rapide dans le courant du mois de juin. La forme d’azote assimilée par les plantes est essentiellement le nitrate issu de l’humus présent dans le sol et de l’application d’engrais chimique. Des modèles intégrant tout le processus de minéralisation de l’humus permettent aujourd’hui d’évaluer les bilans d’azote, de calculer les restitutions et d’évaluer les risques environnementaux. Les deux étapes qui règlent le flux de l’azote dans les sols sont la transformation des résidus de culture en humus par l’activité biologique et ensuite la transformation de l’humus en biomasse microbienne et l’azote minéral. En viticulture, les restitutions de matière organique au sol sont généreuses du fait de l’importance de la masse végétative (feuilles et sarments). La proportion de la matière organique issue des résidus de culture ou des apports d’amendements organiques est évaluée par le coefficient k. La qualité de la matière organique influence fortement le processus de minéralisation de l’azote et le rôle du rapport C/N n’est pas à sous-estimer non plus (avec un C/N supérieur à 24, l’azote est immobilisé). La minéralisation de l’azote est dépendante de l’activité biologique du sol mise en œuvre par la méso-faune (des lombriciciens…) et des micro-organismes (champignon filamenteux, bacté-ries ?…). Des essais réalisés par le CIVC en Champagne ont mis en évidence que la population de lombrics présente dans les sols est influencée par les pratiques d’entretien des sols. Les plus forts taux de lombrics ont été identifiés dans les modalités enherbées et leur présence est moindre dans les modalités désherbées en plein (le travail du travail du sol se situe à un niveau intermédiaire). Le coefficient k qui traduit le pourcentage d’humus converti (variant de 1 à 3 % de la matière organique stable du sol par an) fluctue selon la température, l’humidité et le niveau d’oxygénation des sols. Le processus de libération d’azote par la minéralisation connaît une augmentation durant tout le mois de juin et jusqu’à la mi-juillet puis diminue pendant la phase de maturation et connaît une nouvelle hausse après les vendanges. L’effet de la climatologie estivale interfère fortement sur la dynamique de minéralisation de l’azote et lors d’été chaud et très sec, elle est considérablement gênée. A l’inverse, des températures plus clémentes et une humidité des sols suffisante en été sont propices à la libération de l’azote.

dynamique_de_minralisation.jpgLe processus de minéralisation de l’azote se produit essentiellement dans les 50 premiers centimètres du sol, mais des teneurs élevées en argile et en calcaire sont en mesure de ralentir le déroulement de ce processus. La gestion beaucoup plus raisonnée des pratiques d’entretien des sols et tout particulièrement de l’enherbement constitue aussi un moyen efficace à long terme de concilier une vie biologique des sols intense, une vigueur maîtrisée et une alimentation en azote suffisante.

 

 

 

 

 

Bibliographie :

– Entretien avec M. Jean-Pierre Gaudillère, de l’INRA de Bordeaux.

– Travaux de recherche de M. Kees Van Leeuwen, de l’ENITA de Bordeaux.

– M. Vincent Dumot, de la Station Viticole du BNIC.

– Communication de la Journée technique du BNIC de septembre 2001.

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