L’inertage de la vendange rouge est un des moyens qui présentent de l’intérêt pour préserver le caractère fruité et les précurseurs d’arômes, car dès qu’une baie de raisins rouges est éclatée, elle devient sensible. Le rôle protecteur du gaz carbonique se justifie pleinement tant que la vendange est les jus libres ne se sont pas auto-protégés par le démarrage de la fermentation alcoolique.
L’inertage de la vendange rouge intéressant lors des macérations à froid
L’inertage représente un intérêt supplémentaire lors des macérations pré-fermentaires à froid. M. Patrick Audouit, l’œnologue du CEOIE de Saint-Savin-de-Blaye, nous expliquait que la réalisation des macérations pré-fermentaires à froid sur de la vendange rouge représente un plus pour la structure des vins, mais la mise en œuvre de cette pratique présente certains risques. Durant cette phase, il faut empêcher le développement des micro-organismes (levures et bactéries), ce qui rend l’utilisation du soufre incontournable. Le refroidissement de la vendange constitue aussi une alternative efficace, mais techniquement c’est difficile à réaliser et d’un coût peu accessible à la plupart des caves particulières. L’idéal serait de récolter pendant les périodes les plus fraîches de la journée ou de la nuit, mais de telles organisations des travaux sont complexes à mettre en œuvre et à gérer. Le sulfitage reste incontournable de par le rôle antiseptique du soufre qui permet de contrôler les populations de levures et de bactéries. Même si la vendange est parfaitement saine, les risques de développement de flores indigènes néfastes à la qualité existent. Par exemple, les levures apiculées responsables de la formation de l’acétate d’éthyle peuvent se développer à des niveaux de températures assez froids durant les macérations à froid et au début de la fermentation alcoolique. Elles se multiplient préférentiellement en absence d’alcool et dès que le TAV se situe autour de 3 à 4 % volume, leur développement est stoppé. L’apport de soufre et sa parfaite homogénéisation dans la vendange constitue le seul recours antiseptique vis-à-vis de tels risques.
Bien nourrir les levures en oxygène en début de fermentation alcoolique
Le fait de systématiser les démarches d’inertage de la vendange durant la phase pré-fermentaire ne doit pas faire perdre de vue que le bon déroulement de la fermentation alcoolique ne peut se dérouler sans présence d’oxygène. L’oxygène permet de nourrir les levures et la réalisation d’une aération en tout début de fermentation permet de favoriser leur développement. M. P. Audouit considère que l’injection d’oxygène est un moyen plus performant de réaliser une aération que par un pompage traditionnel. Lors d’un remontage à l’air, la conception des bacs de réception des jus (avec des côtés très hauts) pénalise souvent le niveau d’aération présumé de cette intervention. Une injection directe d’oxygène en utilisant des embouts spéciaux permet de parfaitement doser les apports. En utilisant l’air ambiant du chai, il faut multiplier les apports par 5. L’homogénéisation de la vendange peut être réalisée en injectant de l’azote au fond des cuves, qui crée des mouvements de convection du liquide et de la fraction solide. Ce type d’intervention présente surtout de l’intérêt pour remplacer les brassages mécaniques destinés par exemple à assurer la bonne homogénéisation du soufre juste après l’encuvage. C’est aussi une pratique utilisée pour effectuer des remontages durant la phase d’extraction de matière colorante en cours de fermentation alcoolique en substitution aux traditionnels pompages. Le fait de mettre en contact deux fois par jour la fraction solide et les jus libres accentue les échanges, et les œnologues estiment que l’efficacité des extractions lors des pompages reste supérieure à ceux des remontages à l’azote. Néanmoins, la réalisation de deux pompages par jour sur chaque cuve constitue une charge de travail importante dans les chais et certains vinificateurs pratiquent des remontages à l’azote en alternance avec un pompage dans les périodes de pointe des travaux.
Des aérations propices à la stabilisation des anthocyanes
Dès que la fermentation alcoolique est terminée, la réalisation d’une aération importante (sans décuver) est indispensable pour stabiliser le complexe anthocyanes/tannins. Les anthocyanes sont des composés instables dont la teneur atteint une teneur maximum en fin de fermentation alcoolique et en réalisant une aération précoce, les vinificateurs peuvent en « fixer » une grande partie. Les teneurs en anthocyanes stables interfèrent sur la couleur des vins et sur les caractéristiques organoleptiques. M. Patrick Audouit considère que cette phase d’oxygénation est une étape importante pour la longévité qualitative des vins rouges et l’utilisation de systèmes de micro-injection d’oxygène parfaitement quantifiables constitue des procédés intéressants mais pas non plus incontournables. Les anthocyanes et les polysaccharides sont des composés qui jouent un rôle « enrobant » sur les tannins. Des teneurs élevées en anthocyanes stables confèrent aux vins de la rondeur et une structure plus charnue tout en étant riche sur le plan tannique. La réalisation de soutirage ou de cliquage sont les moyens traditionnels de réaliser cette phase de stabilisation, mais cela demande de la technicité. Des apports d’oxygène dans cette phase post-fermentaire doivent être gérés à la fois de façon efficace et mesurée pour éviter le développement des micro-organismes indésirables. Par ailleurs, les variations de niveaux du gâteau de marcs suite à un soutirage modifient l’atmosphère au sein de la cuve. Il faut essayer de conserver des teneurs en gaz carbonique suffisantes sur le gâteau de marcs pour éviter le déclenchement de piqûres acétiques. La mise en œuvre de la micro-oxygénation en utilisant des diffuseurs spécifiques dans la fraction liquide constitue un moyen intéressant sur le plan de la conservation, mais le raisonnement des doses et du rythme des apports doit tenir compte de la structure tannique des vins. Le rapport tannins/anthocyanes est une donnée importante qui découle directement de l’état de maturité des raisins à la vigne. La phase de stabilisation des anthocyanes par micro-oxygénation est une démarche qu’il faut gérer en s’entourant des compétences d’un œnologue sur le plan des analyses (la mesure des teneurs en oxygène dissous) comme de la dégustation. Cette étape peut se poursuivre en phase liquide après l’écoulage jusqu’à l’enclenchement de la fermentation malolactique.
Les réactions de polymérisation tannins/anthocyanes s’accompagne d’une augmentation de l’intensité colorante, d’une évolution de la teinte des vins vers le mauve. L’éthanal est le pont indispensable aux réactions de polymérisation et sa présence dans les vins rouges en quantités normales n’est pas dérangeant car, par la suite, la réalisation de la fermentation malolactique et le sulfitage garantissent sa disparition. Autrefois, les vins rouges les plus tanniques avaient souvent un caractère « éthanal » aussitôt leur mise en barriques qui restait présent plusieurs mois avant de disparaître à l’issue des traditionnelles malolactiques de printemps.
L’élevage des vins : une étape à bien anticiper sur les plans technique et commercial
Une fois que les fermentations malolactiques sont réalisées, la phase d’élevage proprement dite commence et son déroulement doit être complètement en phase avec la structure des vins. L’élevage des vins rouges est une étape qualitative qui nécessite une gestion raisonnée et raisonnable des apports d’oxygène, et la notion d’oxydation ménagée interfère fortement sur l’évolution aromatique et gustative des vins au fil des mois. L’utilisation de cuves inertes pour le déroulement des vinifications et de la conservation des vins a constitué une évolution importante sur le plan qualitatif, notamment au niveau des altérations microbiennes et de la maîtrise de l’hygiène. Des cuves ciment revêtues, inox ou fibre de verre équipent maintenant la plupart des chais et cela a contribué fortement aux progrès qualitatifs spectaculaires depuis 25 ans. Cela permet de gérer les vinifications avec beaucoup plus de technicité mais, par contre, la conservation des vins dans de tels contenants limite considérablement les phénomènes d’oxydation ménagés. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si les domaines les plus prestigieux du Bordelais ont été les premiers à utiliser des matériaux inertes pour vinifier et à conserver aussi leurs chais à barriques pour optimiser l’élevage des vins. Indéniablement, les fûts représentent sur le principe un logement idéal pour créer les conditions favorables à la mise en œuvre d’oxydations ménagées naturelles. Un fût est un contenant idéal pour l’élevage des vins du fait de la perméabilité à l’air des douelles (surtout à proximité du trou de bonde). Autrefois, l’utilisation comme matériau unique de stockage des vins, des barriques ou des foudres créait des conditions favorables à des oxydations ménagées lentes au cours de leur conservation. Par contre, les apports d’oxygène étaient peu maîtrisés et certains excès d’aération associés à un manque d’hygiène entraînaient une dégradation qualitative prématurée. L’oxydation ménagée se définit comme étant un apport lent et continu d’oxygène tel que la vitesse de cet apport soit inférieure à la consommation d’oxygène par le vin, de sorte qu’il n’y ait jamais d’oxygène dissous. L’oxydation ménagée des vins favorise l’affinement des produits au niveau des arômes, de leur couleur et de leur structure tannins/anthocyanes. La réalisation d’un soutirage ne s’apparente pas à une oxydation ménagée mais à une oxygénation violente qui accélère le processus de vieillissement. M. P. Audouit nous expliquait que la mise en place d’une démarche d’élevage des vins doit être envisagée de manière spécifique avec chaque producteur, en tenant compte à la fois de la structure tannique de départ des récoltes et de leurs attentes en matière de type de vin sur le plan commercial. En effet, de plus en plus de domaines cherchent à élaborer et à commercialiser une diversité de vins (ayant des caractéristiques aromatiques et gustatives variables) qui sont le fruit d’une conduite des vinifications et des élevages différents.
Le microbullage, une technique d’élevage des vins « à manipuler avec précaution »
Une utilisation de la micro-oxygénation sous marc raisonnée au Chateau le Sablard dans les Côtes-de-Bourg
Au Chateau Rolland Lagarde, L’utilisation de la micro-oxygénation n’a pas encore convaincu
Au Château Du Braud, le microbullage des vins élevés en cuve est pratiqué avec intérêt depuis trois ans
M. Alain Vidal, du Château Du Braud à Saint-Christolly-de-Blaye, s’est équipé d’une installation de microbullage depuis trois ans qui est utilisée à la fois en fin de cuvaison pour stabiliser les anthocyanes et aussi pour optimiser l’élevage d’une partie des vins en cuves. Ce viticulteur a eu un parcours technique depuis une quinzaine d’années qui l’a amené à mettre en œuvre un certain nombre de pratiques au vignoble et dans la conduite des vinifications favorables à l’obtention de vins concentrés et riches. L’investissement dans l’unité de microbullage a été réalisé après de longues discussions avec son œnologue M. Patrick Audouit, uniquement pour optimiser l’élevage des vins (environ 25 % de la production de ce domaine) qui ne passent pas en barriques. La conduite du microbullage en cuve est effectuée après la fermentation malolactique durant une période d’environ six mois. Régulièrement, des mesures d’oxygène dissous sont réalisées au chai pour en quelque sorte quantifier la consommation en oxygène des vins, mais c’est surtout des dégustations régulières (tous les dix jours) qui permettent de réguler les apports. Pendant la phase de microbullage, un suivi technique très pointu est réalisé pour en permanence moduler les doses et rechercher le meilleur compromis arômes/ structure. M. Alain Vidal considère que seuls les vins bien structurés sur le plan tannique sont en mesure de tirer un bon profit du microbullage. Les micro-apports d’oxygène doivent correspondre à la capacité de « digestion » des cuves et l’objectif est de reproduire en cuve les apports d’oxygène réalisés par les échanges gazeux autour du trou de bonde des barriques. Sur des vins ayant une structure tannique riche, des apports réguliers et à petites doses contribuent à « construire » la structure en procurant un meilleur enrobage des tannins. A l’inverse, des apports de micro-doses d’oxygène peuvent se révéler néfastes sur des lots de vin un peu léger ou ayant une structure rugueuse et astringente au départ. Ce viticulteur ne considère pas que le microbullage est un gadget mais au contraire un outil complémentaire pour l’élevage dont la mise en œuvre doit être envisagée en s’entourant d’un maximum de technicité. Les lots de vins élevés en barriques ne subissent pas de microbullage mais leur teneur en oxygène dissous sont régulièrement suivie pour optimiser la réalisation des soutirages ou des cliquages.
La gestion des apports d’oxygène au cours de l’élevage nécessite une grande technicité
En Charente, M. Laurent Lespinasse, le responsable technique de l’ACV, ne porte pas pour l’instant de jugement de valeur sur l’utilisation de la technique de microbullage des vins. Il estime que la priorité est pour l’instant de travailler le vin à la vigne car c’est à ce niveau que l’on peut réaliser les progrès qualitatifs les plus importants. L’enjeu pour cette jeune coopérative est pour l’instant de prendre la pleine mesure des potentialités du terroir. L’inertage de vendange lui paraît être une pratique intéressante pour les îlots de parcelles les plus éloignés des sites de vinification et dont les durées de transport peuvent favoriser les phénomènes oxydation. M. Patrick Vinet, l’œnologue de la Chambre d’agriculture de la Charente, bien qu’il possède peu d’expérience sur le sujet, considère que la réalisation de micro-oxygénation doit s’intégrer dans une démarche qualitative et technique cohérente. C’est surtout adapté aux vins riches et structurés élaborés après des cuvaisons longes et à partir de raisins concentrés. l’apport d’oxygène pour stabiliser les anthocyanes est une démarche technique intéressante car il est possible de parfaitement contrôler les apports. La réalisation des microbullages en cours d’élevage est une démarche délicate à gérer et cela s’adresse à des vinificateurs qui possèdent de solides compétences. Le fait d’apporter régulièrement dans un vin la dose d’oxygène correspondant au niveau de consommation naturel contribue à assouplir la structure tannique sans pour autant l’user. Sur le plan théorique, la création de conditions favorables aux oxydations ménagées ne peut que contribuer qu’à valoriser la qualité, mais le passage à la pratique nécessite de grandes compétence. Par contre, M. P. Vinet considère que la réalisation de cliquage présente de l’intérêt de par son principe (un apport ponctuel et important d’oxygène ). C’est un moyen de réaliser rapidement et sans contrainte l’équivalent d’un soutirage.
Bibliographie
– M. Audouit, du CEOIE de Saint-Savin-de-Blaye.
– M. Patrick Vinet, de la Chambre d’agriculture de la Charente.
– La société Oenodev.
– La société Air Liquide.
– M. Jacques Buratty et sa fille, du Château Le Sablard à Saint-Christolly-de-Blaye.
– M. Alain Vidal, du Château Du Braud à Saint-Christolly-de-Blaye.
– M. Bruno Martin, du Château Rolland Lagarde à Saint-Seurin-de-Cursac.
– M. Olivier Bourdet Pees, de la Cave des Hauts de Gironde.
– M. Laurent Lespinasse, de l’ACV.