le temps suspendu

13 décembre 2013

Si ce n’était les annonces, dans la presse économique, du tassement de la consommation du Cognac en Chine et sa répercussion sur les résultats de groupes cotés en bourse, la période semblerait plutôt atone, marquée par l’attentisme. Un attentisme que l’on imagine très actif sur les marchés, de la part de maisons de négoce à la lutte pour conquérir de nouvelles parts de marché. Mais, côté viticulture, pas de grandes vibrations. Après tout, rien d’extraordinaire en cette période de l’année où le temps de la distillation fait rentrer dans leurs coquilles bouilleurs de cru et de profession. L’an dernier pourtant, les grandes manœuvres associées au renouvellement des contrats battaient leur plein. Rien de tel cette année. Contrats signés, la pression semble retombée. « Tout se passe comme si chacun a ce qu’il a et s’apprête à faire avec » analyse un viticulteur qui a la sensation d’un négoce assez détaché de la production en ce début de campagne. La relative petite récolte – encore qu’il ne faille rien exagérer – aurait pu donner un coup de fouet au marché des eaux-de-vie ? Peut-être plus tard, au printemps. Mais, pour l’instant, cela ne fonctionne pas ainsi. Ce que tout le monde attend, ce que tout le monde espère, ce sont des signes du marché, aux quatre coins du monde. Après les prémices d’un retournement négatif ces derniers mois, un retournement positif va-t-il se manifester ? Le tassement va-t-il être suivi d’un rattrapage ? « Phénomène conjoncturel » disent les négociants. Les viticulteurs veulent bien les croire… jusqu’à un certain point.

« Je pense qu’ils n’en savent pas beaucoup plus que nous, décrypte un vigneron qui poursuit : ils ont besoin de “camelote”. C’est leur jeu de nous dire qu’il faut produire. Certes, ils investissent de façon massive dans les chais et ailleurs. Mais, de leur part, nous avons tellement vu de volte-face. Nous, on est scotché ici. On ne peut pas en bouger. Eux, ils ont plein de cordes à leur arc. Dans ces conditions, nous n’avons pas le droit de nous lâcher complètement. Notre rôle à nous viticulteurs, c’est de nous méfier de ce qui brille, toujours rester méfiants. Chacun à sa place. La production, elle doit serrer les boulons, éviter les abus. » Ce même viticulteur en arrive à sa conclusion : « Si la région ne veut pas se mettre en danger, elle ne doit surtout pas demander de droits de plantation. Replanter le vignoble oui, l’agrandir, non. » Il n’est pas loin de voir comme une aubaine le tassement de marché ou encore la récolte moyenne. « Bien sûr que j’aurais aimé pro-
duire 13 de pur/ha quand mes collègues en produisaient 9. Mais, au plan collectif, c’est mieux que la région ne fasse pas carton plein. » Cela dit, il ne se fait pas trop d’illusion. « Le chant des sirènes va devenir omniprésent par le biais des relais traditionnels. Je crains que le négoce ait gain de cause au final. »

Paradoxalement, sa crainte ce sont « les caresses dans le dos », les attentions un brin excessives – « on ne peut plus aller nulle part sans avoir un coup à boire et à manger. Cela me plaît qu’à moitié. » À vrai dire, la pression, il ne la redoute pas tant pour lui-même. « Les gens de ma génération sont sceptiques. Ils prennent ce qu’on leur donne mais n’arrivent pas trop à y croire. » « D’ailleurs, poursuit-il, ce ne sont pas les vieux comme moi que les négociants viennent draguer. Ce sont les jeunes mecs de moins de 35 ans. Eux, ils boivent du petit lait. J’en vois déjà certains rouler des mécaniques dans leur 4×4. Cela commence à leur prendre la tête. » Il dénonce des contrats exclusifs à 100 %. « Tout doucettement, une frange de viticulteurs prend le chemin de l’intégration. C’est inquiétant. » Le même ne jette pourtant pas le bébé avec l’eau du bain. « Il y a de bonnes choses comme l’allongement des contrats, des relations plus constructives entre les maisons et les viticulteurs, des avancées qualitatives. Nous sommes plus professionnels. »

Un jeune – il s’est installé en 2005 – tempère les propos de son aîné. « Peut-être quelques-uns parmi ma génération perdent pied. Leurs parents n’ont pas connu la crise ou ne leur ont pas inculqué les bons messages. Mais il s’agit d’une minorité. Autour de moi, je vois plutôt des gens vigilants, qui essaient de raisonner leurs investissements à long terme. Un coût de revient à 10 de pur, c’est bien mais qu’arrivera-t-il si l’on doit repasser à 7 de pur. » Le trentenaire parle aussi d’une surenchère multiple qui ne vient pas que du négoce. « Sur le prix des vignes par
exemple, une foule d’interlocuteurs a intérêt à ce les prix soient élevés ou apparaissent comme tels. Il faut savoir résister. »

Le 30 octobre, la maison Hennessy a annoncé une hausse de ses prix d’achat d’eaux-de-vie nouvelles de 6,5 %, suivie dans la foulée par Martell. « Cette augmentation a été très bien accueillie par la viticulture » commente un intermédiaire. Il faut dire que le contexte est nettement plus calme qu’il y a six mois. Les observateurs du marché constatent un tassement des prix des eaux-de-vie sur le marché libre ; des maisons bien plus regardantes sur la qualité des marchandises. Si la demande reste forte sur les eaux-de-vie 2009, issues d’un petit quota de 8,12, le prix des eaux-de-vie de comptes 1 et 2 se rapproche très rapidement du prix contractuel des grandes maisons. Reste une pression très importante sur les vins de distillation en libre. « Même avec les frais d’évaporation, cela
laisse encore plus de marge de manœuvre que de se porter acquéreur de compte 3. Les banques l’ont bien compris, qui n’hésitent pas à financer ce type d’opération. » Sur les eaux-de-vie rassises, le marché est qualifié de « détendu ». Les marchands en gros, eux, n’achètent que ce qu’ils ont déjà vendu. Un signe qui ne trompe pas.

Erratum – Dans l’article sur le Plan collectif à la restructuration Charentes-Cognac paru dans le précédent journal en pages 10-11, une erreur s’est glissée. Nous disions que la notion de plantation anticipée n’était pas compatible avec le Plan collectif. Faux. Les plantations anticipées peuvent très bien être prévues dans le Plan collectif à la restructuration. Simplement, les indemnités pour perte de recettes ainsi que pour arrachage ne seront pas versées dans le cadre de la plantation anticipée. Rien que de plus normal.

 

 

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