A l’INRA de Bordeaux, Philippe Cartolaro et Laurent Delière travaillent sur l’oïdium de la vigne depuis de nombreuses années. Leurs travaux de recherches concernent prioritairement la biologie du champignon, le suivi épidémiologique au vignoble et l’expérimentation de stratégies de lutte. Depuis 10 ans, la maladie connaît un développement plus fréquent en Gironde. L’oïdium a fait des dégâts significatifs dans le vignoble bordelais en 1996, 1997, 1998 et en 2004 ; mais par contre en 2006, l’inquiétude de début de saison ne s’est pas concrétisée.
L’oïdium dans le vignoble méridional extériorise sur le cépage Carignan des symptômes précoces de type drapeaux qui ne sont pas observés ailleurs sur d’autres cépages. Durant la phase hivernale, la maladie se conserve sous sa forme sexuée grâce à des cléistothèces qui se forment à l’automne précédent sur les grappes et le feuillage. Pendant l’hiver, une partie de ces cléistothèces tombe au sol (lessivée par la pluie et ensuite perdue) et une autre est conservée sur les souches sous les écorces de bois. Ils sont ainsi protégés par les écorces et restent positionnés à proximité des futurs rameaux.
La précocité des infestations primaires
Le développement de l’oïdium au printemps suivant nécessite un certain nombre de conditions : la présence de cléistothèces mûrs, des pluies pour faire éclater les organes de conservation et une certaine réceptivité de la vigne. Les conditions influençant la maturation des cléistothèces sont actuellement méconnues et aucun moyen scientifique ne permet d’évaluer et d’anticiper cette capacité de maturation. L’émission des périthèces peut s’étaler sur une période assez longue allant de la mi-avril à la mi-juin et les contaminations primaires peuvent se dérouler sur une période supérieure à deux mois. La réussite du cycle primaire est fondamentale vis-à-vis de la dynamique épidémique ultérieure de l’oïdium. Une relation forte existe entre une épidémie estivale d’oïdium forte et des foyers primaires nombreux et précoces. Si les cléistothèces éclatent durant la première quinzaine de mai, la probabilité d’avoir un oïdium très virulent devient forte et à l’inverse une libération tardive des organes de conservation par exemple à la floraison est généralement synonyme de risque faible. Le schéma ci-dessous construit par M. Ph. Cartolaro illustre parfaitement cette relation entre la précocité des infestations primaires et la pression de maladie ultérieure. La durée d’incubation d’un cycle primaire d’oïdium en conditions naturelles est de l’ordre de 10 à 15 jours selon la climatologie.
Les jeunes baies très réceptives aussitôt la floraison
Par ailleurs, les jeunes baies aussitôt la floraison ont une forte réceptivité à l’oïdium et la présence d’un inoculum abondant à cette période provoque une expansion spectaculaire de la maladie. C’est probablement ce qui explique l’explosivité des symptômes en 2006 sur les Ugni blancs en Charentes durant la deuxième quinzaine de juin. Par contre, la forte réceptivité des grappes diminue à partir du moment où les baies atteignent la taille d’un petit pois. Après ce stade, les symptômes peuvent continuer à s’extérioriser et l’apparition de sporulations intenses correspond à des contaminations ayant eu lieu 10 à 15 jours plus tôt. Dans la nature, un cycle secondaire a une durée de 10 à 12 jours et la température joue un rôle déterminant. Le champignon se développe à partir de 15 °C mais entre 20 et 25 °C, les conditions sont optimales. Des températures trop chaudes supérieures à 30 °C deviennent par contre défavorables. L’hygrométrie joue aussi un rôle important dans le développement de l’oïdium et les zones maritimes, les couverts végétaux abondants amplifient généralement l’expression de la maladie. A l’inverse, des pluviométries régulières et abondantes gênent beaucoup l’oïdium. L’influence « du couple » température-hygrométrie s’avère déterminante dans la montée en puissance des épidémies.
Des réseaux de parcelles témoins pour détecter les contaminations primaires
MM. Ph. Cartolaro et L. Delière estiment que plus des observations sont réalisées tôt en saison, plus on trouve de symptômes si la maladie est présente. La recherche de symptômes précoces nécessite une certaine habitude car c’est à la face inférieure des feuilles que les décolorations de limbes sont les plus faciles à identifier. L’absence de symptômes précoces est un fort gage de non présence de la maladie. Les stratégies de lutte chimique n’ont pas comme finalité d’empêcher le développement de la totalité des épidémies d’oïdium mais d’éviter qu’un stock d’inoculum important soit disponible au moment de la floraison qui correspond au stade de réceptivité maximum des grappes. Pour raisonner de façon optimum la date de la première intervention, il faudrait pouvoir quantifier précisément la présence d’inoculum. Or, actuellement, aucun système de prévision de risques ne permet d’y arriver. M. Ph. Cartolaro et son équipe ont développé une approche pour évaluer de façon préventive l’importance de l’inoculum. Cette démarche repose sur la mise en place de réseaux de parcelles témoins avec un nombre de pieds important (parcelles de 900 ceps) pour détecter l’apparition des symptômes précoces et des contaminations primaires dès le stade 3 à 4 feuilles étalées. C’est un moyen d’obtenir une indication de la virulence ultérieure des épidémies. La méthode a été testée à l’INRA avec succès et en 2004 elle a démontré son intérêt dans le vignoble bordelais.
La fiabilité de cette approche repose sur la détection des premiers symptômes mais leur repérage nécessite des observations très lourdes à mettre en œuvre. C’est un travail d’identification qui doit être effectué feuille par feuille. La mise en place d’une telle démarche est-elle envisageable en Charentes dans les années à venir ? Les techniciens de la région considèrent la méthode intéressante sur le fond mais ils n’ont pas à court terme les moyens humains et financiers de la mettre en œuvre.