Le rôle protecteur de l’inertage sur les précurseurs d’arômes des raisins blancs

17 janvier 2009

Les phénomènes d’oxydation de la vendange blanche constituent un danger majeur vis-à-vis de la dégradation des précurseurs d’arômes et l’inertage dès la cueillette des raisins représente un moyen de protection que l’on peut qualifier à la fois de « doux » sur le plan œnologique. Néanmoins, la mise en œuvre d’une démarche d’inertage doit se faire d’une manière cohérente et globale pour pouvoir pousser le plus loin possible les extractions aromatiques.

Les applications sur la vendange blanche en matière de protection de l’oxydation de la vendange récoltée mécaniquement et des jus libres aussitôt leur libération présentent un intérêt indéniable pour l’élaboration de vins blancs secs de types aromatiques. Les baies de raisins sont des fruits dont la pellicule joue naturellement un rôle protecteur vis-à-vis des précurseurs d’arômes qui sont contenus dans les fractions d’épiderme conjointes à la pellicule. Le développement des macérations pelliculaires sur des cépages comme le Colombard, le Sauvignon et le Chardonnay est une pratique qui permet d’amplifier l’extraction de précurseurs d’arômes et beaucoup de vinificateurs les pratiquent sur au moins les lots de vendanges les plus qualitatifs. La mise en œuvre des macérations pelliculaires nécessite une certaine technicité car le niveau de maturité de la vendange, sa température au moment de l’encuvage, sa protection et l’état de trituration des raisins constituent des éléments essentiels pour gérer la conduite de cette intervention. La généralisation de la récolte mécanique accentue fortement les risques d’oxydation précoces d’une vendange partiellement éclatée et les œnologues ont essayé de limiter ce phénomène en apportant une protection le plus tôt possible. Le sulfitage (associé parfois à d’autres additifs) des moûts et de la vendange à la benne est encore largement pratiqué pour limiter les phénomènes d’oxydation. Cette intervention a montré son intérêt et elle se justifie en l’absence de moyens technologique d’inertage. Cependant, elle ne s’inscrit pas véritablement dans une réflexion d’œnologie préventive d’autant que la demande des marchés en matière de vins blancs secs plaide en faveur de doses raisonnées et raisonnables de soufre.

Un moyen d’optimiser la conduite des macérations pelliculaires et de diminuer considérablement les apports de soufre

M. Patrick Audouit, l’œnologue du CEOIE de Saint-Savin-de-Blaye, nous expliquait que l’injection de gaz carbonique au niveau de la vendange blanche dès la récolte présente de l’intérêt car cela permet de bien protéger la récolte de l’oxydation et cela a aussi l’avantage de supprimer ou de diminuer de façon très significative les doses de soufre pendant cette phase de transport/réception. Lors des macérations pelliculaires, les réactions enzymatiques qui se produisent entre la fraction solide de la vendange et les jus libres en présence de soufre provoquent bien sûr une extraction de précurseurs d’arômes en quantité importante mais aussi d’autre composés comme les polyphénols qui ne sont pas véritablement les bienvenus. Il s’avère que ces composés favorisent par la suite le jaunissement des vins et contribuent aussi à un vieillissement prématuré de la structure aromatique des vins. L’équipe d’œnologues du CEOIE de Blaye a observé ces dernières années que les domaines réalisant de la protection sous CO2 dès la récolte pouvaient gérer leurs macérations pelliculaires plus facilement (et en général en absence de soufre), et les vins avaient une structure aromatique beaucoup plus stable dans le temps et une teinte beaucoup moins jaune. Les analyses sur les moûts et les vins ont révélé des teneurs en polyphénols beaucoup plus faibles. D’une façon plus générale, les moûts restent extrêmement fragiles à l’oxydation tant que la fermentation alcoolique n’a pas commencé et les apports de gaz carbonique jouent un rôle protecteur. Il est possible d’inerter la vendange dans les cages (fermées) de pressoirs pneumatiques, de protéger les jus dans les cuvons de réception à l’issue du pressurage, et d’assurer une protection dans les cuves en vidange durant les phases de débourbages ou de stabulation à froid. Durant cette dernière phase de conservation à basse température des moûts (pendant 5 à 10 jours à moins de 10 °C), le gaz carbonique a tendance à se dissoudre assez rapidement et il faut surveiller régulièrement sa présence et éventuellement en rajouter.

Le domaine d’orthus utilise Une benne à vendange conçue pour inerter la récolte

L’utilisation du gaz carbonique comme moyen d’inerter la vendange aussitôt la récolte permet de réduire fortement les doses de soufre et même carrément de les supprimer si la protection est suffisante. M. Audouit considère que la réalisation d’une protection superficielle avec un carboflash permet de réduire le sulfitage alors qu’une protection plus complète entre la phase récolte/transport et ensuite durant l’étape de réception/encuvage des raisins permet de se passer de soufre pour la conduite des macérations pelliculaires. Un constructeur de bennes à vendange, la société Sthik, a même réalisé un équipement qui permet d’inerter complètement la récolte aussitôt le remplissage de la remorque. Ce matériel a été réalisé à la demande d’un domaine viticole réputé de l’Hérault, le domaine de l’Orthus à Valflaunes qui vinifie des vins de grande qualité en rouge comme en blanc. L’éloignement du lieu de vinification d’un îlot de parcelles de vignes blanches de 12 hectares créait certains problèmes de transport avec des bennes traditionnelles (risques de débordement, niveau de remplissage, oxydation de la vendange…). M. Jean Orliac, le propriétaire du domaine, a donc souhaité faire équiper ses bennes élévatrices de couvercles étanches pour protéger la récolte. C’est la discussion avec les responsables de la société Sthik qui l’a amené à faire rajouter un système d’inertage à la benne. Le matériel a été conçu avec la collaboration de l’Air liquide afin d’assurer une injection de gaz carbonique efficace au-dessus la vendange et sans la moindre manipulation manuelle. La benne est équipée d’un couvercle étanche et d’une bouteille de gaz carbonique montée à l’avant du châssis. La bouteille est reliée par un tuyau souple à une buse de pulvérisation située en dessous la partie avant du couvercle. Une fois le remplissage terminé, l’injection de gaz carbonique (après fermeture du couvercle de la benne) intervient en ouvrant la bouteille pendant une fraction de temps proportionnelle au vide d’air présent sur la vendange. L’oxygène présent dans le milieu est évacué à travers une soupape montée à l’arrière du couvercle. M. J. Orliac pratique l’inertage de vendange blanche avec du gaz carbonique au niveau des opérations pré-fermentaires (macération pelliculaire, dans les cages de pressoirs, à l’écoulement des premiers jus et durant le débourbage et la phase de stabulation à froid) depuis longtemps dans sa cave car il considère que c’est une démarche incontournable pour assurer la bonne protection du potentiel aromatique des récoltes. L’utilisation du gaz carbonique au niveau du transport lui paraît être un petit plus pour éliminer l’air présent au-dessus la vendange, mais l’idéal serait de pouvoir inerter les raisins au moment de leur cueillette sur la vendangeuse. Le matériel a par contre donné entière satisfaction et son utilisation n’a posé aucun problème.

Une chaîne d’inertage cohérente de la vigne à la mise en fermentation des moûts au château tariquet

patrick_audouit.jpgLes vignobles Grassat, à Eauze dans le Gers, pratiquent depuis 10 ans l’inertage de la vendange et la notion de chaîne d’inertage représente un enjeu important pour protéger les arômes de cépages des raisins blancs sur ce domaine. L’objectif essentiel de la conduite des vinifications des Colombard, d’Ugni blanc, des Sauvignon, des Chardonnay, des gros Manseng, des Folle blanche, au Château du Tariquet est de créer les conditions favorables à l’extraction des arômes. L’inertage de la vendange dès sa récolte est un des éléments qui contribuent à cette démarche de révélation du potentiel aromatique par le rôle protecteur du gaz carbonique au niveau des graines de raisins et des jus libres. Sur ce domaine, les différents équipements intervenant dans la chaîne de traitement de la récolte ont été conçus pour créer des conditions favorables à un inertage de la vendange récoltée mécaniquement. Comme la récolte s’effectue dans un rayon de 30 km autour du lieu de vinification, le choix des équipements de transport et de réception de la vendange a été raisonné en tenant compte de cette contrainte. La première intervention d’inertage intervient lors du déchargement des raisins des bacs des vendangeuses dans les remorques de transport. Au fur et à mesure que la vendange est vidée, des sticks de gaz carbonique (à une température de
– 80 °C) sont simultanément mis dans la benne (à la pelle) et les bâtonnets de neige carbonique restent en surface assurant ainsi un inertage. L’utilisation des sticks provoque aussi un refroidissement immédiat de la vendange (dont l’intensité est proportionnelle à la quantité des apports), ce qui contribue aussi à améliorer les conditions de respect de la récolte. Les remorques de transport agricoles déchargent ensuite la vendange inertée dans des citernes cylindriques en inox closes de 15 tonnes, ce qui permet une parfaite homogénéisation des bâtonnets de neige carbonique au sein de la vendange. Les citernes ont été spécialement conçues pour assurer le transport à l’abri de l’air et éventuellement pour réaliser des macérations pelliculaires de courtes durées. Lors de leur déchargement dans les conquets de réception au chai, un nouvel apport de sticks est effectué afin d’éviter toute rupture dans la chaîne d’inertage. Les jus extraits aussitôt le pressurage sont immédiatement protégés avant d’être débourbés par une unité de flotation sous azote et les transferts de moûts clarifiés vers les cuves en début de fermentation se font aussi en présence de gaz carbonique. Mme Christine Picoulet, l’œnologue qui a en charge le suivi des vinifications, considère que la notion de chaîne d’inertage au niveau de l’ensemble des interventions pré-fermentaires est incontournable pour élaborer des vins aromatiques, mais plus le produit est protégé, plus il devient « réactif » à l’oxydation. Une rupture de la chaîne d’inertage provoque des dégâts irréversibles et importants sur la structure aromatique des moûts et des vins. Cette œnologue estime que les lots de vendanges inertées dès leur réception dans les bennes de transport sont potentiellement les plus riches sur le plan aromatique mais, paradoxalement, aussi les plus sensibles à l’oxydation. L’inertage doit donc être géré d’une façon globale et continue durant toute la conduite de la vinification, et même ensuite de la conservation des vins. Le développement de cette chaîne d’inertage pour la vinification des vins blancs au domaine du Tariquet a permis de réduire considérablement l’utilisation du soufre durant toutes les interventions pré-fermentaires et de pousser plus loin les extractions aromatiques. Les vins de distillation à base de Folle blanche et d’Ugni blanc sont vinifiés sans soufre et en utilisant largement les pratiques d’inertage de la vendange.

L’inertage et le refroidissement de la vendange à la cave de saint-mont

La cave coopérative de Saint-Mont dans le Gers, du groupe Plaimont, a aussi mis en œuvre une démarche globale d’inertage de la vendange blanche en essayant d’intervenir le plus tôt possible après la récolte. M. Patrick Azcué, l’œnologue qui a en charge la vinification des vins, nous expliquait que l’introduction de l’inertage est un moyen qui contribue à mieux respecter les efforts réalisés par les vignerons pour produire des raisins bien mûrs et parfaitement sains. Les premiers essais ont été réalisés en 1996 et la coopérative a décidé de s’équiper dès l’année suivante d’une chaîne technologique complète d’inertage. Une unité de production de neige carbonique à partir de gaz carbonique liquide au niveau de l’unité de vinification afin d’assurer à la fois une bonne protection contre l’oxydation et un refroidissement de la vendange (en modulant les doses d’apports selon la température de la récolte). La mise en œuvre de l’inertage au niveau des équipements de réception et de traitement de la vendange dans la cave n’a pas posé de problème technologique particulier mais, par contre, le souhait des œnologues était de protéger les raisins dès leur arrivée dans les caissons poly-bennes positionnés au bout des parcelles. La conception de ces matériels seulement recouverts d’une simple bâche n’était pas du tout adaptée à la mise en œuvre d’un véritable inertage et la coopérative réalisait des apports de solution sulfureuse complémentés en acide ascorbique dans les bacs (aussitôt leur remplissage) pour protéger la vendange. Des poly-bennes en inox ont été achetées auprès de la société SEMAT à Carcassonne qui avait déjà fabriqué des équipements de ce genre pour la coopérative de Limoux dans l’Aude. Les bacs en inox (montés sur châssis galvanisés), d’une capacité de 12 à 13 t, sont complètement étanches et des couvercles coulissants permettent de vider la vendange et de les fermer de manière hermétique aussitôt la fin de la récolte. Les bacs sont remplis de neige carbonique avant d’être posés au bout des parcelles, et dès leur remplissage la vendange est immédiatement inertée et refroidie. M. P. Azcué nous a expliqué que l’utilisation de ces bacs inertés en bout de parcelle a permis de supprimer les apports de soufre et d’acide ascorbique aussitôt la récolte, et d’avoir une démarche d’œnologie préventive plus cohérente. A l’arrivée à la cave, le déchargement des bacs dans les conquets est réalisé dans une atmosphère inertée et lors du pompage une nouvelle injection de gaz carbonique est réalisée pour refroidir la vendange à une température de 8 à 10 °C. Durant toutes les manipulations ultérieures de la vendange ou des moûts, des apports de neige carbonique sont réalisés pour ne pas créer de rupture dans la chaîne d’inertage des moûts. Des injections de gaz carbonique sont réalisées au niveau de toutes les manipulations dans les pressoirs, les cuves de macération et les canalisations de transfert de liquide. Le but de tout ce travail est d’éviter l’oxydation et la détérioration des précurseurs d’arômes tout en réduisant au maximum l’utilisation du soufre durant les phases pré-fermentaires. M. P. Azcué considère que l’introduction de la chaîne d’inertage a permis de réaliser des progrès importants sur le plan technique avec, notamment, une structure aromatique des vins plus riche et plus stable dans le temps. Les opérations d’extraction aromatique sur des cépages ont pu être poussées plus loin tout en réduisant de manière importante les doses de soufre. La seule contrainte liée à une utilisation abondante du gaz carbonique durant la vinification concerne la sécurité dans la cave. Des détecteurs ont été installés à poste fixe dans les points à risque de l’unité de vinification et le personnel travaille en utilisant aussi des détecteurs individuels.
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L’inertage pour optimiser la conduite de l’extraction de précurseurs d’arômes à la cave des hauts de gironde

caissons_inox.jpgLa cave des Hauts de Gironde à Marcillac, qui vinifie plus de 25 000 hl de Sauvignon blanc, a introduit depuis deux ans l’inertage comme moyen d’optimiser la conduite des interventions pré-fermentaires. Une centrale de production de neige carbonique a été installée sur le site de vinification pour inerter et refroidir la vendange dès sa réception dans les conquets. La proximité du parcellaire autour de la cave a permis de réaliser l’inertage dès la récolte d’une manière très simple, en utilisant les remorques à vendange traditionnelles. Les viticulteurs, avant de récolter les parcelles, viennent à la cave chaque matin remplir des glacières de neige carbonique dont ils se serviront aussitôt la récolte. La neige carbonique, qui a une température de départ de – 60 à – 80 °C, se conserve dans des glacières fermées pendant au moins 5 à 6 heures. Par contre, le transport des glacières pleines doit se faire à l’air libre, pour des raisons de sécurité. Dès que la remorque en bout de vigne est pleine, les viticulteurs étalent la neige carbonique à la pelle (à ne pas manipuler avec les mains) et recouvrent aussitôt la remorque d’une bâche. Le contenu d’une glacière de 30 l permet de protéger efficacement une remorque de 5 tonnes. Les responsables de la cave ont rendu obligatoire cette opération d’inertage en bout de vigne depuis les vendanges 2000. Lors du déchargement de la récolte dans les conquets, les jus libres sont encore bien verts et brillants. M. Olivier Bourdet Pees, l’œnologue de la cave, considère que la mise en œuvre de l’inertage est un gros atout pour gérer les macérations pelliculaires. Auparavant, l’apport de soufre était indispensable pour protéger de l’oxydation la vendange pendant 12 à 24 heures et cela avait une incidence qualitative néfaste sur les vins. La réalisation de macérations pelliculaires en présence de soufre provoque une extraction de tannins qui entraîne un jaunissement des vins et surtout un vieillissement prématuré de leurs caractéristiques aromatiques. Depuis deux ans, l’ensemble des macérations pelliculaires des Sauvignon est réalisé en absence totale de soufre et la qualité aromatique des vins s’en trouve bonifiée. L’injection de gaz carbonique au moment du pompage de la vendange permet à la fois de refroidir et de protéger les raisins de l’oxydation avant leur mise en cuve pour les macérations pelliculaires. L’apport de neige carbonique est dosé selon le niveau de température de la vendange qui doit se situer au moment de l’encuvage autour de 10 à 12 °C. Lors de tous les transferts liquides, en sortie de pressoirs, lors des débourbages… des injections de gaz carbonique sont réalisées pour ne pas créer de rupture dans la chaîne d’inertage. M. O. Bourdet Pees estime que l’inertage en améliorant les conditions de respect des raisins a transformé la qualité des vins.
m_olivier_bourdet.jpgSur le plan aromatique et de la finesse, le gain est énorme et il n’y a plus ces tannins grossiers qui jouaient un rôle masquant vis-à-vis des arômes. Le fait de ne plus utiliser de soufre pendant la première partie des interventions pré-fermentaires permet aussi d’optimiser les extractions de précurseurs d’arômes en allongeant la durée des macérations pelliculaires. L’inertage est une technique qui contribue à la fois à mieux respecter la qualité des raisins et à pousser plus loin les extractions aromatiques.

 

 

 

 

 

Bibliographie :

– M. Patrick Audouit, du CEOIE de Saint-Savin-de-Blaye.
– M. Jean Orliac, du domaine l’Orthus à Valflaunes dans l’Hérault.
– Mme Picoulet, des Vignobles Grassat à Eauze.
– M. Patrick Azcué, du groupe Plaimont.
– M. Olivier Bourdet Pees, de la Cave des Hauts de Gironde à Marcillac en Gironde.
– La société Air Liquide.

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