

La fin du cycle végétatif du millésime 2002 a conduit à l’obtention de raisins qui ont conservé des niveaux d’acidité relativement élevés. Le déficit de soleil et de températures au mois d’août a limité la dégradation des acides maliques et tartriques durant la première phase de la maturation et des foyers de pourriture étaient déjà présents en grand nombre. Heureusement la très belle période en septembre et en octobre a bousculé tous les pronostics pessimistes, le millésime 2002 s’est littéralement bonifié « au finish ».
Ce climat contrasté et atypique a eu de profondes conséquences sur l’équilibre sucres/acidité des moûts à la récolte. Les Ugni blancs ont atteint un titre alcoométrique intéressant sans être excessif et l’acidité est restée très élevée. En fait l’absence de fortes chaleurs en août a limité la dégradation de l’acide malique qui est resté quantitativement dominant tout en ayant un impact moindre sur le pH que l’acide tartrique. Le niveau d’acidité des moûts à la récolte sur les 52 parcelles du réseau maturation de la Station Viticole du BNIC était en 2002 élevé avec des valeurs de pH de 2,82 alors qu’en moyenne il se situe autour de 3. Cette particularité représente un effet millésime caractéristique. La réflexion empirique indiquant que les vins de distillation disposant de niveaux d’acidités élevés représentent un gage de qualité pour la production d’eaux-de-vie s’est complètement vérifiée en 2002.
Les fortes acidités des moûts à la récolte ont permis d’obtenir des vins naturellement acides qui ont ensuite permis d’élaborer des eaux-de-vie riches en esters aromatiques et les principaux maîtres de chais de la région ont qualifié les arômes du millésime 2002 d’intéressant. Il n’est pas non plus surprenant que les teneurs en acétate d’éthyle dans les vins soient en 2002 légèrement plus élevées puisque les concentrations en esters aromatiques totaux sont aussi plus importantes.
Une production directe d’acétate d’éthyle qui n’a concerné que 3 % des vins de la région
Les teneurs en acétate d’éthyle de la très grande majorité des vins de la récolte 2002 bien que plus importantes n‘atteignaient pas le seuil de déviation aromatique et analytique et, par ailleurs, les teneurs en esters aromatique présentent en quantité bien supérieures à la moyenne jouent un rôle « couvrant » très apprécié par les dégustateurs. Néanmoins, quelques déviations analytiques d’acétate d’éthyle très marquées ont été observées de manière précoce sur les premiers vins ayant terminé leurs fermentations alcooliques. Cela a concerné un volume de vins réduit au niveau de la région délimitée (moins de 3 % des échantillons) mais parfois regroupé dans un même chai et plutôt aussi chez des viticulteurs faisant preuve d’une bonne technicité au niveau de la conduite des vinifications.
Des soupçons qui se sont immédiatement portés sur la levure FC9
Ces éléments ont contribué à renforcer le climat de doutes vis-à-vis de la FC9 à la fois au niveau de la qualité de la fabrication de la levure et aussi sur le plan de son efficacité fermentaire. Face à cette inquiétude, les différents laboratoires d’œnologie confrontés à ce problème se sont retournés vers la Station Viticole du BNIC qui a mobilisé ses compétences et ses moyens pour appréhender ce problème.
La Station Viticole du BNIC a mis en place des expérimentations pour rechercher l’origine de ce problème
Des mini vinifications ont été conduites à partir de moût récolté chez les producteurs et enrichis en acide malique. Les mini vinifications dans ces conditions extrêmes n’ont pas révélé que la souche FC9 entraînait des productions excessives d’acétate d’éthyle en comparaison avec d’autres principales levures sélectionnées utilisées dans la région (la 7013, la SM 102). M. Bernard Galy considère que ces résultats sont tout à fait cohérents à ceux qui avaient été obtenus lors des opérations de sélection de la FC9, il y a une dizaine d’années. Cette souche possède la capacité de minimiser les niveaux d’élaboration d’alcools supérieurs et favorise aussi une synthèse légèrement plus élevée d’esters aromatiques légers et d’acétate d’éthyle, mais sans jamais atteindre les seuils de nuisibilité. Par ailleurs, les œnologues de terrain avaient aussi observé des situations de forte production directe d’acétate d’éthyle après une utilisation d’autres souches de levures.
La FC9 complètement disculpée par l’identification d’une Levure Pichia très forte productrice d’acétate d’éthyle
Comme aucun lien scientifique n’a pu être mis en évidence entre l’utilisation de la levure FC9 et ces niveaux de production atypiques d’acétate d’éthyle, Mme C. Roulland a cherché à identifier la microflore de levure associée au S. cerevisiae dans deux exploitations fortement concernées par le problème. Le dénombrement des populations de levures à la fin des fermentations alcooliques a abouti sur l’identification de cinq espèces associées aux S. cerevisiae. Parmi celles-ci, seule une espèce avait un pouvoir fermentaire intéressant pour transformer l’équivalent de 6 à 7 % vol. d’alcool. Un certain nombre d’éléments laisse à penser qu’elle a joué un rôle en tout début de fermentation avant que les S. cerevisiae deviennent dominantes dans le milieu. Cette espèce, qui appartient au genre Pichia, est, d’après les données bibliographiques, une levure oxydative ayant la capacité de faire de l’écume et surtout de synthétiser de l’acétate d’éthyle en quantités importantes.
Des tests d’identification génétique sont en cours pour définir précisément l’espèce de cette levure au sein de la famille des Pichia. La validation de cette hypothèse a nécessité la réalisation d’une nouvelle série de mini vinifications pour suivre le comportement de la souche de Pichia en comparaison avec plusieurs LSA S. cerevisiae, la FC9 et la 7013 (Fermivin). Les conclusions de cette expérimentation prouvent bien que la souche de Pichia seule ou associée à une flore de S. cerevisiae provoque des productions très abondantes d’acétate d’éthyle, et par ailleurs elle semble aussi avoir l’aptitude à se multiplier rapidement au début du processus fermentaire (avant que les S. cerevisiae aient colonisé le milieu). Ces résultats sont confortés par le fait que dans les mêmes conditions, les deux souches de LSA, la FC9 et la 7013 n’ont occasionné aucune déviation analytique et qualitative. Mme C. Roulland et M. B. Galy ont donc la conviction, d’une part que cette espèce de levure du genre Pichia est à l’origine des situations de production abondante d’acétate d’éthyle en 2002 et, d’autre part, la FC9 ressort complètement « acquittée » et conforme à l’élaboration des vins de distillation.
De nombreuses interrogations subsistent autour de l’évolution de la microflore de levures indigènes
Par ailleurs, il est assez paradoxal de constater que ce phénomène est apparu dans des exploitations qui possèdent une bonne maîtrise technique (sur le plan des moyens techniques comme de la formation des vinificateurs) en matière de conduite des vinifications. Devant l’inquiétude qu’a soulevé cette situation au cours des vendanges 2002, on peut tout de même se demander si la mise en place d’une certaine surveillance de l’évolution des populations de levures indigènes dans la région délimitée ne serait pas d’actualité (pourquoi pas un petit observatoire annuel dans quelques chais ?). Les levures sont des micro-organismes qui peuvent être soumis à une pression de sélection naturelle (liée au climat) ou induit par des pratiques culturales (la protection phytosanitaire, le travail du sol, l’aération des grappes liée à la structure du palissage…).
Une autre particularité de ce phénomène a été l’évolution des teneurs en acétate d’éthyle dans les semaines et les mois qui ont suivi la fin de la fermentation alcoolique. Dans certains chais, les teneurs en acétate d’éthyle sont restées à leurs niveaux de départ alors que dans d’autres, elles ont diminué progressivement au fil des semaines. A l’issue de la fermentation malolactique, une diminution de 30 % des teneurs a été observée et les vins avaient retrouvé des caractéristiques tout à fait normales pour l’année. Cette différence de « tenue » dans le temps de l’acétate d’éthyle est sans aucun doute un sujet de réflexion par rapport au processus de production directe de ce composé.