Le point sur l’origine des productions atypiques d’acétate d’éthyle en 2002

12 mars 2009

photo_37.jpgLa récolte 2002 restera gravée dans la mémoire de nombreux viticulteurs et professionnels de notre région. Les eaux-de-vie sont au final d’une qualité très intéressante et le potentiel aromatique s’est révélé à l’issue d’une fin de cycle végétatif complètement atypique. Une absence de forte chaleur en août préservant les teneurs en acide malique, le beau temps de septembre et d’octobre si bénéfique pour les raisins et des niveaux de rendements moyens ont été les trois éléments majeurs qui ont fortement contribué à l’obtention de teneurs en esters aromatiques élevées. Indéniablement, 2002 est un millésime d’arômes que la très grande majorité des maîtres de chais de la région qualifient « d’intéressant ». Néanmoins, le propre de cette année a été aussi une certaine hétérogénéité en terme de qualité et aussi l’apparition de déviations qualitatives spécifiques. C’est le cas notamment d’un processus de production directe d’acétate d’éthyle qui n’avait jamais été observé jusqu’à présent. Ce phénomène, qui a concerné seulement 3 % des échantillons de la région, a fait l’objet d’une démarche d’étude approfondie pour essayer d’en trouver l’origine. Les conclusions de ces travaux, qui confirment l’importance de la microflore indigène de levures dans le déroulement du processus fermentaire, ont permis d’identifier une souche de levure oxydative appartenant au genre Pichia comme étant responsable de cet accident.

La fin du cycle végétatif du millésime 2002 a conduit à l’obtention de raisins qui ont conservé des niveaux d’acidité relativement élevés. Le déficit de soleil et de températures au mois d’août a limité la dégradation des acides maliques et tartriques durant la première phase de la maturation et des foyers de pourriture étaient déjà présents en grand nombre. Heureusement la très belle période en septembre et en octobre a bousculé tous les pronostics pessimistes, le millésime 2002 s’est littéralement bonifié « au finish ».

Ce climat contrasté et atypique a eu de profondes conséquences sur l’équilibre sucres/acidité des moûts à la récolte. Les Ugni blancs ont atteint un titre alcoométrique intéressant sans être excessif et l’acidité est restée très élevée. En fait l’absence de fortes chaleurs en août a limité la dégradation de l’acide malique qui est resté quantitativement dominant tout en ayant un impact moindre sur le pH que l’acide tartrique. Le niveau d’acidité des moûts à la récolte sur les 52 parcelles du réseau maturation de la Station Viticole du BNIC était en 2002 élevé avec des valeurs de pH de 2,82 alors qu’en moyenne il se situe autour de 3. Cette particularité représente un effet millésime caractéristique. La réflexion empirique indiquant que les vins de distillation disposant de niveaux d’acidités élevés représentent un gage de qualité pour la production d’eaux-de-vie s’est complètement vérifiée en 2002.

Les fortes acidités des moûts à la récolte ont permis d’obtenir des vins naturellement acides qui ont ensuite permis d’élaborer des eaux-de-vie riches en esters aromatiques et les principaux maîtres de chais de la région ont qualifié les arômes du millésime 2002 d’intéressant. Il n’est pas non plus surprenant que les teneurs en acétate d’éthyle dans les vins soient en 2002 légèrement plus élevées puisque les concentrations en esters aromatiques totaux sont aussi plus importantes.

Une production directe d’acétate d’éthyle qui n’a concerné que 3 % des vins de la région

Les teneurs en acétate d’éthyle de la très grande majorité des vins de la récolte 2002 bien que plus importantes n‘atteignaient pas le seuil de déviation aromatique et analytique et, par ailleurs, les teneurs en esters aromatique présentent en quantité bien supérieures à la moyenne jouent un rôle « couvrant » très apprécié par les dégustateurs. Néanmoins, quelques déviations analytiques d’acétate d’éthyle très marquées ont été observées de manière précoce sur les premiers vins ayant terminé leurs fermentations alcooliques. Cela a concerné un volume de vins réduit au niveau de la région délimitée (moins de 3 % des échantillons) mais parfois regroupé dans un même chai et plutôt aussi chez des viticulteurs faisant preuve d’une bonne technicité au niveau de la conduite des vinifications.

photo_372.jpgLe phénomène a surpris surtout par l’importance des productions d’acétate d’éthyle qui ont parfois atteint les niveaux records de 500 à 600 mg/l et voire plus. Cela a créé un certain affolement dans quelques chais car, en général, plusieurs cuves étaient concernées sur les exploitations. Les analyses ont révélé que ces productions d’acétate d’éthyle ne s’accompagnaient pas de teneurs élevées en acide acétique (toujours < 0,10 en acidité volatile), ce qui attestait que cet accident n’était pas lié au phénomène connu d’estérification de ce composé mais à un processus de production directe. Cette production d’acétate d’éthyle n’était pas liée à la conséquence d’un processus de piqûre découlant d’une mauvaise hygiène du chai ou d’une vendange altérée par du botrytis (à un stade évolué). La dégustation des microdistiIlats anormalement riches en acétate d’éthyle était aussi assez surprenante car le défaut caractéristique de piqué n’apparaissait pas toujours de manière aussi marquée qu’il aurait dû l’être à ces teneurs. La forte concentration en autres esters aromatiques (notamment le caprate d’éthyle) a en quelque sorte supplanté (sur le plan de l’intensité olfactive) d’une manière plus ou moins forte l’impact aromatique du composé indésirable. Par ailleurs, le contexte climatique de l’année 2002 et surtout l’environnement économique de plus en plus en difficile a amené un certain nombre de viticulteurs soucieux de maîtriser à la fois leurs démarches qualité Cognac et d’optimiser la valorisation de tous les débouchés de leur récolte, a réalisé très précocement un bilan analytique. Les laboratoires d’œnologie ont effectué des bilans qualitatifs de leur récolte aussitôt la fin des premières fermentations alcooliques terminées. Les premières chromatographies en phase gazeuse ont donc été effectuées sur des cuves « encore laiteuses » avant que les vins n’aient retrouvé leur équilibre sur le plan chimique. Dans les jours qui suivent la fin de la fermentation alcoolique, il se produit encore des transformations chimiques et notamment une augmentation du pH liée à l’insolubilisation de l’acide tartrique par l’alcool. Cela interfère sur l’équilibre de nombreux composés des vins et probablement sur la forme et stabilité des esters aromatiques. Plusieurs œnologues ont observé que la très grande majorité des lots de vins ayant des teneurs élevées en acétate d’éthyle provenaient des premières cuves vinifiées et analysée dès la mi-octobre. Durant le déroulement des fermentations de ces cuves, une écume abondante était parfois apparue à la surface du liquide, ce qui n’est pas du tout caractéristique de la levure FC9 qui fermente, en général, en dégageant une légère couche de mousse en surface.

Des soupçons qui se sont immédiatement portés sur la levure FC9

photo_373_1.jpgDès le départ, les interrogations sur l’origine vis-à-vis de cette déviation qualitative se sont portées sur l’utilisation de la levure FC9 et une véritable suspicion s’est installée autour d’un lot de fabrication de cette souche sélectionnée. Il s’avère que cette souche de LSA issue d’une sélection régionale (réalisée par la Station Viticole du BNIC) a connu un certain développement ces deux ou trois dernières années du fait de sa capacité à minimiser la production d’alcools supérieurs et à accentuer la synthèse d’esters aromatiques légers qui contribuent à la finesse des eaux-de-vie. Des prescripteurs importants dans la région ont conseillé de l’utiliser de manière préférentielle et au cours des dernières vendanges, les tonnages de FC9 vendus étaient en nette augmentation. Dans certaines zones, les viticulteurs les plus réceptifs aux exigences qualitatives et progrès techniques en matière de vinifications ont utilisé presque essentiellement cette levure pour ensemencer leurs chais alors que, les années précédentes, leur choix s’était porté sur d’autres souches de S. cerevisiae.

Ces éléments ont contribué à renforcer le climat de doutes vis-à-vis de la FC9 à la fois au niveau de la qualité de la fabrication de la levure et aussi sur le plan de son efficacité fermentaire. Face à cette inquiétude, les différents laboratoires d’œnologie confrontés à ce problème se sont retournés vers la Station Viticole du BNIC qui a mobilisé ses compétences et ses moyens pour appréhender ce problème.

La Station Viticole du BNIC a mis en place des expérimentations pour rechercher l’origine de ce problème

photo_373.jpgMme Claudie Roulland, la microbiologiste et M. Bernard Galy, l’œnologue chargé des expérimentations sur les vins de distillation à la Station Viticole du BNIC, ont donc mis en place une série d’expérimentations pour élucider l’origine de ce problème. Un premier volet de ces études a été consacré à la confirmation de la validité des lots de LSA commercialisée et par voie de conséquence à leur efficacité sur la dynamique fermentaire. On aurait pu imaginer par exemple que lors de opérations de culture et de conditionnement de cette souche de levure sélectionnée chez le fabricant, des phénomènes de mutations auraient pu se produire et ainsi la nature des lots de LSA commercialisée aurait été différente de l’espèce d’origine. La réalisation de mini vinifications avec des lots de FC9 à priori mis en cause sur le terrain a totalement permis d’écarter cette hypothèse. Les dénombrements des populations de levures ont confirmé la capacité de cette souche à s’implanter dans le milieu et donc les lots étaient bien conformes à la nature de la LSA de départ. Un deuxième volet de l’étude a été ensuite consacré au suivi du comportement de la FC9 atypique comme ceux de l’année 2002.

Des mini vinifications ont été conduites à partir de moût récolté chez les producteurs et enrichis en acide malique. Les mini vinifications dans ces conditions extrêmes n’ont pas révélé que la souche FC9 entraînait des productions excessives d’acétate d’éthyle en comparaison avec d’autres principales levures sélectionnées utilisées dans la région (la 7013, la SM 102). M. Bernard Galy considère que ces résultats sont tout à fait cohérents à ceux qui avaient été obtenus lors des opérations de sélection de la FC9, il y a une dizaine d’années. Cette souche possède la capacité de minimiser les niveaux d’élaboration d’alcools supérieurs et favorise aussi une synthèse légèrement plus élevée d’esters aromatiques légers et d’acétate d’éthyle, mais sans jamais atteindre les seuils de nuisibilité. Par ailleurs, les œnologues de terrain avaient aussi observé des situations de forte production directe d’acétate d’éthyle après une utilisation d’autres souches de levures.

La FC9 complètement disculpée par l’identification d’une Levure Pichia très forte productrice d’acétate d’éthyle

Comme aucun lien scientifique n’a pu être mis en évidence entre l’utilisation de la levure FC9 et ces niveaux de production atypiques d’acétate d’éthyle, Mme C. Roulland a cherché à identifier la microflore de levure associée au S. cerevisiae dans deux exploitations fortement concernées par le problème. Le dénombrement des populations de levures à la fin des fermentations alcooliques a abouti sur l’identification de cinq espèces associées aux S. cerevisiae. Parmi celles-ci, seule une espèce avait un pouvoir fermentaire intéressant pour transformer l’équivalent de 6 à 7 % vol. d’alcool. Un certain nombre d’éléments laisse à penser qu’elle a joué un rôle en tout début de fermentation avant que les S. cerevisiae deviennent dominantes dans le milieu. Cette espèce, qui appartient au genre Pichia, est, d’après les données bibliographiques, une levure oxydative ayant la capacité de faire de l’écume et surtout de synthétiser de l’acétate d’éthyle en quantités importantes.

Des tests d’identification génétique sont en cours pour définir précisément l’espèce de cette levure au sein de la famille des Pichia. La validation de cette hypothèse a nécessité la réalisation d’une nouvelle série de mini vinifications pour suivre le comportement de la souche de Pichia en comparaison avec plusieurs LSA S. cerevisiae, la FC9 et la 7013 (Fermivin). Les conclusions de cette expérimentation prouvent bien que la souche de Pichia seule ou associée à une flore de S. cerevisiae provoque des productions très abondantes d’acétate d’éthyle, et par ailleurs elle semble aussi avoir l’aptitude à se multiplier rapidement au début du processus fermentaire (avant que les S. cerevisiae aient colonisé le milieu). Ces résultats sont confortés par le fait que dans les mêmes conditions, les deux souches de LSA, la FC9 et la 7013 n’ont occasionné aucune déviation analytique et qualitative. Mme C. Roulland et M. B. Galy ont donc la conviction, d’une part que cette espèce de levure du genre Pichia est à l’origine des situations de production abondante d’acétate d’éthyle en 2002 et, d’autre part, la FC9 ressort complètement « acquittée » et conforme à l’élaboration des vins de distillation.

De nombreuses interrogations subsistent autour de l’évolution de la microflore de levures indigènes

photo_374.jpgA l’issue de ces travaux importants qui valident la parfaite conformité de la FC9 pour la conduite des fermentations alcoolique des vins de distillation, un certain nombre d’interrogations subsistent. La levure de la famille Pichia, qui a apparemment colonisé certains des chais à l’automne 2002, va-t-elle disparaître ou au contraire continuer à se développer ? Les études de la Station Viticoles réalisées il y a une dizaine d’années dans la région tendent à prouver que, classiquement, les souches de Pichia ne font pas partie de la microflore indigène présente dans les moûts de la région délimitée. Alors pourquoi cette nouvelle espèce se serait soudainement développée ? Ce phénomène est-il lié à un effet année ou à une évolution de la microflore indigène de levure dans la région ? M. B. Galy considère que la présence de cette levure est peut-être à relier aux conditions très particulières du millésime 2002 sur le plan du climat durant la maturation comme de la nature des moûts.

Par ailleurs, il est assez paradoxal de constater que ce phénomène est apparu dans des exploitations qui possèdent une bonne maîtrise technique (sur le plan des moyens techniques comme de la formation des vinificateurs) en matière de conduite des vinifications. Devant l’inquiétude qu’a soulevé cette situation au cours des vendanges 2002, on peut tout de même se demander si la mise en place d’une certaine surveillance de l’évolution des populations de levures indigènes dans la région délimitée ne serait pas d’actualité (pourquoi pas un petit observatoire annuel dans quelques chais ?). Les levures sont des micro-organismes qui peuvent être soumis à une pression de sélection naturelle (liée au climat) ou induit par des pratiques culturales (la protection phytosanitaire, le travail du sol, l’aération des grappes liée à la structure du palissage…).

photo_374_1.jpgPar ailleurs, la conduite des opérations préfermentaires pour la vinification des vins de distillation rend impossible d’utiliser des moyens antiseptiques pour minimiser l’importance de la microflore de levures indigènes et donc son impact sur le déroulement du processus fermentaire reste toujours important. Enfin, avant les prochaines vendanges, ne serait-il pas aussi opportun de mettre en œuvre une démarche d’identification de la flore indigène de levures (sur les baies en cours de maturation et dans les chais) dans les exploitations touchées par le problème en 2002 ?

Une autre particularité de ce phénomène a été l’évolution des teneurs en acétate d’éthyle dans les semaines et les mois qui ont suivi la fin de la fermentation alcoolique. Dans certains chais, les teneurs en acétate d’éthyle sont restées à leurs niveaux de départ alors que dans d’autres, elles ont diminué progressivement au fil des semaines. A l’issue de la fermentation malolactique, une diminution de 30 % des teneurs a été observée et les vins avaient retrouvé des caractéristiques tout à fait normales pour l’année. Cette différence de « tenue » dans le temps de l’acétate d’éthyle est sans aucun doute un sujet de réflexion par rapport au processus de production directe de ce composé.

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