Situation inédite en Charentes ! Le secteur viticole vit une période de quasi plein emploi. Dans ce contexte, la question n’est pas seulement d’attirer les salariés mais aussi de les retenir. C’est tout l’enjeu de la « gestion des ressources humaines » ou, plus simplement, de la relation entre le chef d’entreprise et son ou ses salariés. Pierre Freygefond, juriste en droit social, responsable du service aux employeurs du CERFRANCE Charente, aborde ces questions d’un point de vue à la fois conceptuel et pratique.
« Le Paysan Vigneron » – Depuis un an ou deux, l’emploi semble occuper une place prépondérante dans les préoccupations des exploitants.
Pierre Freygefond – En effet, nous vivons une réalité inimaginable il y a encore quelques années. Dans la dernière décennie, le salarié viticole devait « se vendre » s’il voulait travailler. Les employeurs avaient « l’embarras du choix ». Aujourd’hui, c’est la situation inverse. Les chefs d’entreprise doivent redoubler de séduction s’ils veulent attirer des candidats de valeur, quitte à les débaucher chez leurs voisins. La recherche de main-d’œuvre constitue une préoccupation récurrente des exploitants. Dans le climat actuel, je suis convaincu que, pour beaucoup d’entreprises, la ressource humaine est devenue le facteur limitant de leur développement. Les entreprises possèdent le potentiel, le marché, les finances. De nombreux indicateurs sont au vert. Elles ont tout pour aller de l’avant. Le seul frein tient aux ressources humaines. On ne trouve pas de collaborateurs ou ce ne sont pas les bonnes personnes. Nous vivons une situation inédite de quasi plein emploi, en tout cas pour des salariés qualifiés, motivés et autonomes.
« L.P.V. » – Ce manque de main-d’œuvre, comment l’expliquez-vous ?
P.F. – Une des principales raisons me semble tenir à la démographie. Les nouvelles générations sont loin de compenser le « papy-boom » des générations d’après-guerre. L’arrivée à la retraite de ces bataillons de travailleurs crée un appel d’air dont on n’a pas fini de sentir les effets. Insensiblement, nous sommes passés d’une situation de pénurie d’emploi à une situation de pénurie de main-d’œuvre et la viticulture ne déroge pas à cette règle. Cela nous promet des tensions de plus en plus vives sur le marché du travail, tous secteurs confondus. D’ailleurs, si le chômage diminue en France, ce n’est pas tellement parce qu’il se crée plus d’emplois mais parce qu’il y a davantage d’emplois vacants. La réforme des heures supplémentaires, d’autres réformes à venir témoignent d’une actualité sociale bouillonnante.
« L.P.V. » – Comment « séduire les salariés », leur donner envie de rejoindre les entreprises ?
P.F. – Il n’existe pas de solutions préétablies. Je préciserais aussi qu’il ne s’agit pas seulement d’attirer les salariés mais de retenir les plus talentueux d’entre eux. Recruter un salarié c’est bien. Le conserver c’est mieux. L’attractivité de l’emploi – puisque c’est de cela qu’il s’agit – mobilise toute une série de facteurs, de la rémunération à la formation en passant par la reconnaissance dans le travail, la délégation de pouvoir, le « plan de carrière ». Ainsi, par exemple, comment le salarié se projette-t-il dans l’avenir, à l’échelon de 3, 5 ou 10 ans ? Comment peut-on faire converger le besoin d’une entreprise qui s’agrandit et les aspirations du salarié en terme de carrière, de statut, de rémunération, d’avantages en nature, d’intéressement ? Comment peut-on concilier les deux trajectoires, la trajectoire du salarié et celle de l’employeur ? Un certain nombre de viticulteurs, parmi les plus avancés, réfléchissent à ces questions. Sans le dire, ils font du management et de la gestion des ressources humaines. Considérer le salarié comme un collaborateur et non comme un exécutant présuppose déjà une ouverture d’esprit de la part de l’employeur. Comme de faire émerger un cadre cohérent, accepté, pertinent pour toutes les parties. Côté salarié, ce dernier doit accepter de se remettre en cause dans un environnement mouvant. Au-delà de sa capacité intellectuelle à évoluer, il doit se « sentir à l’aise dans l’inconfort ». Privilégier une vision évolutive du métier par rapport à une vision statique constitue, en elle-même, une petite révolution copernicienne. Il ne suffit pas d’être très compétent techniquement, il faut, je le répète, « être à l’aise dans l’inconfort ». C’est vrai pour tous les emplois.
« L.P.V. » – La formation peut y aider.
P.F. – C’est tout à fait vrai. La formation est un facteur clé – et souvent négligé – de la valorisation de l’emploi. La formation véhicule de la reconnaissance. Elle signifie que l’on croit en son salarié, qu’on l’estime capable de faire son miel des nouveaux acquis. Indirectement, elle participe aussi à la rémunération. Clairement, la formation fait grimper la valeur du salarié sur le marché de l’emploi. Certes, le but n’est pas qu’une fois formé le salarié s’en aille trop vite. Mais personne n’a la mainmise sur personne. Un sentiment de liberté peut renforcer les liens, surtout quand l’entreprise ménage des possibilités d’évolution. En ce sens, la concentration des exploitations tire les emplois vers le haut. Aujourd’hui les entreprises ont non seulement besoin de salariés compétents techniquement – ce qu’ils sont en règle générale – mais aussi de salariés dotés de compétences managériales, capables d’animer une équipe de saisonniers ou autres. Il s’agit d’une vraie valeur ajoutée.
« L.P.V. » – A condition que la rémunération suive ?
P.F. – La rémunération, c’est le nerf de la guerre. La meilleure période traversée par la viticulture charentaise confère plus de marges de manœuvre pour s’inscrire dans cette démarche. Soyons attentifs cependant à la notion de réversibilité, pour parer aux toujours possibles renversements de cycle. En ce sens la formation est un outil parfaitement réversible. Les heures supplémentaires peuvent également participer à la flexibilité interne, à condition d’être voulues et non subies. Juridiquement, il est possible d’imposer des heures supplémentaires au personnel. Cependant, si le salarié y va à reculons, ces heures sup. coûteront très cher à l’entreprise. A l’inverse, elles peuvent participer à l’attractivité de l’emploi. Il y a 5 ou 7 ans, les 35 heures faisaient figure d’avancée sociale. C’est beaucoup moins vrai aujourd’hui. Un emploi à 39 heures est souvent perçu comme un « plus ». Nous assistons à un repositionnement sur ces questions.
« L.P.V. » – Quel rôle joue la convention collective dans les relations salariés/employeurs ?
P.F. – La convention collective fixe des pré-requis, c’est-à-dire des minima obligatoires. Mais il ne faut pas trop en attendre. Ne confondons pas l’instrument juridique qu’est la convention collective avec les outils de management qui intègrent formation, délégation de responsabilité, avantages en nature… Ceci étant, la convention collective agricole présente l’avantage de n’être pas trop contraignante. Si elle ouvre peu de perspectives, elle n’en ferme pas non plus.
« L.P.V. » – Que recouvre la notion de « management » ?
P.F. – Le terme ne doit pas effrayer. Comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, beaucoup d’employeurs développent une approche du management aussi intuitive qu’efficace. Elle ne se paie pas de grands concepts ou de longues phrases mais les idées passent, de manière souvent informelle. J’ai le sentiment que le niveau monte chez les viticulteurs. Ils ont un réel souci d’appropriation. Ils veulent comprendre le pourquoi des choses. En cela, je trouve le monde agricole bien plus en avant que celui des artisans et commerçants.
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